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Full text of "Mémoires"

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MÉMOIRES 

DB 

L'ACADÉMIE  IMPÉRIALE 

DES 

SCÏKNCBS,  ARTS  FT  BELLES-LKTTRES 


CAEN, 


III. 

PRIX  LE  SAUVAGE. 

L'Académie  impériale  des  sciences,  arts  et  belles- 
lettres  de  Caen  remet  au  concours  le  sujet  suivant  : 

DU  ROLE  DES  FEUILLES  DANS  LA  VÉGÉTATION  DES  PLANTES. 

L'Académie  n'a  voulu  tracer  aux  concurrents  aucun 
programme  :  ce  qu'elle  désire  avant  tout ,  c'est  un 
ensemble  de  faits  nouveaux^  bien  constatés,  à  Tappui 
de  l'opinion  soutenue  par  chaque  concurrent. 

Les  concurrents  devront  adresser  leurs  mémoires 
fratico  d  M.  Julien  Travers,  secrétaire  de  l'Académie, 
pour  les  concours  de  La  Godre  et  Lair ,  avant  le 
1"  janvier  1869;  pour  le  prix  Le  Sauvage  ,  avatit  le 
!«' janvier  1870. 

Les  membres  titulaires  de  la  Compagnie  sont 
exclus  des  concours. 

Chaque  mémoire  devra  porter  une  devise  ou  épi- 
graphe ,  répétée  sur  un  billet  cacheté  contenant  le 
nom  et  l'adresse  de  l'auteur. 

Caen,  le  2  avril  iS6S. 

Ijc  Secrétaire  de  C Académie , 


2  _  AVEHTISSKMEîrr. 

suflira  d'effectuer  deux  ou  trois  additions  fort  simples, 
pour  obtenir  approximativement ,  à  toute  époque 
antérieure  au  l''  janvier  1900,  la  distance  angulaire 
du  Soleil  à  Tune  quelconque  des  planètes  principales 
de  notre  Système. 

S'il  veut  ensuite  rechercher  cette  planète  sur  la. 
sphère  céleste,  il  devra  faire  usage  d'noe  lunette 
mobile  dans  un  plan  horaire  quelconque  ,  ou  de 
tout  autre  dispositif  équivalent,  à  Taide  duquel  il 
observera  successivement  le  Soleil  et  la  planète  dans 
lin  même  plan  horaire ,  à  un  intervalle  de  temps 
connu  d'avance  ;  comme  on  peut  le  voir  dans  Tln- 
troduction  ,  où  Ton  a  présenté  des  exemples. 

Si  la  planète  passe  pendant  la  nuit  au  méridien 
du  lieu,  les  tables  font  connaître  avec  une  faible 
erreur  l'heure  de  son  passage  ,  ainsi  qu'on  l'explique 
à  la  fin  de  l'Introduction.  L'observateur  pourra  donc 
recourir  à  ce  plan,  et  y  attendre  la  planète. 


introduction. 
§  2.  Disposition  des  tables. 


.La  table  désignée  sous  ce  nom  i*enferine  la  suite 
des  joui's  de  deux  années  communes  consécutives  , 
groupés  par  cinq  ,  dix  ,  cinquante  et  cent  :  de  telle 
sorte  qu'à  Tinspection  seule  de  la  table ,  on  peut 
supputer  aisément  le  nombre  de  jours  compris 
entre  deux  dates  d'une  même  année  ou  de  deux 
années  consécutives. 

A  ce  nombre  il  sufEt  d'ajouter  une  unité,  si  le 
29  février  d'une  année  bissextile  tombe  entre  les 
deux  dates  considérées. 

Les  années  sont  bissextiles  de  quatre  en  quatre, 
comme  1868,  1872,  1876,  1880,  1884,  1888,  1892, 
1896,  qui  sont  les  seules  à  considérer  ici.  L'année 
1900,  par  exception,  n'est  pas  bissextile. 

Nota.  Le  jour  astronomique  commence  à  midi  du 
jour  civil  qui  porte  la  même  date  ;  les  heures  s'y 
comptent  de  la  première  à  la  vingt-quatrième. 

On  pourra,  le  plus  souvent,  sans  recourir  à  la 
tiible  I ,  regarder  la  Terre  comme  passant  à  son 
périhélie  au  commencement  du  1*'  janvier  de  chaque 
année. 

La  table  II  renferme  les  valeurs  de  M  et  de  N 
calculées  pour  chaque  jour ,  à  partir  de  l'époque  du 
passage  de  la  Terre  à  son  périhélie.  Les  valeurs  de 
M  sont  approchées  à  un  demi-degré ,  soit  par  excès, 


6  iMi;unnTiuN. 

5«ent ,  et  leur  disposition  est  plus  simple  que  pour 
les  autres  planètes,  parce  que,  de  1865  à  1900, 
Uninus  et  Neptune  ne  décrivent  qu'une  portion  de 
leur  orbite  ,  et  parce  que  leur  grand  éloignement 
du  Soleil  permet  de  ne  pas  tenir  compte  des  varia- 
tions de  la  valeur  de  K. 

La  table  I  fournit,  du  1'^  janvier  1865  au  !•'  janvier 
1900,  les  valeurs  successives  de  Tuscension  droite 
héiiocentrique^  de  75  jours  en  75  jours  pour  Uranus, 
de  175  jours  en  175  jours  pour  Neptune. 

La  table  II  donne  la  valeur  de  T  qui  répond  à 
toute  valeur  entière  de  S  exprimée  en  degrés ,  et 
comprise  de  0*»  à  180°  ou  de  180"  à  360^ 


§  3.  Usage  dks  tables. 

L'angle  T  ne  dépassiint  jamais  deux  angles  droits , 
la  planète  précède  le  Soleil  dans  son  mouvement 
diurne  quand  l'anj^'le  S  est  compris  de  0**  à  180°  ;  — 
elle  le  suit  quand  Tangle  S  est  compris  de  180°  à 
360°. 

VaHgie  T  4w  plaît  Moralre  4w  Soleil  avee  le  p9mm 
h^wmitfe  ée  Vtune  item  pianétew  llerewre ,  Wémmm  , 
Maw*m  ,  MmpUew  ow  Sntmw*ne, 

\.  On  consulte  la  première  table  relative  à  la 
planète ,  et  Ton  calcule ,  à  Taide  du  calendrier  dé- 


8  INTHOIKCTION. 

dans  la  colonne  répondant  à  la  bonne  valeur  de  K , 
on  à  la  plus  approchante. 

D'ailleurs ,  si  la  bonne  valeur  de  R  ne  se  trouve 
pas  dans  la  table,  elle  tombe  entre  deux  valeurs  de 
K  qui  s'y  trouvent  inscrites  ;  et  alors  on  obtient  une 
valeur  plus  exacte  de  T ,  au  moyen  d'une  interpo- 
lation ,  comme  on  le  verra  plus  loin. 

«M  Soleil ,  •  rof  IjflHe  ém  1S  mm^i  !«». 

I.  Dans  la  table  I  de  V^énus,  on  voit  qu'au  1"  avril 
1892,  à  21  heures ,  Vénus  passe  à  son  périhélie  pour 
la  dernière  fois  avant  le  15  août  de  la  même  année. 
Or ,  de  la  première  époque  à  la  seconde ,  il  s'écoule 
135  jours  et  3  heures. 

Dans  la  table  II  de  Vénus ,  on  trouve ,  vis-à-vis  de 
la  valeur  135  de  ^  le  .nombre  348  pour  ^,  le  nombre 
86  pour  H. 

IL  Dans  la  table  I  de  la  Terre ,  on  voit  qu'au  1*' 
janvier  1892,  à  9  heures ,  la  Terre  passe  à  son  péri- 
hélie pour  la  dernière  fois  avant  le  15  août  de  la 
même  année.  Or,  de  la  première  époque  à  la  seconde, 
il  s'écoule  226  jours  et  15  heures. 

Dans  la  table  II  de  la  Terre ,  on  trouve  ,  vis-à-vis 
de  la  valeur  227  de  t,  le  nombre  35  pour  M ,  le 
nombre  1  pour  N. 

m.  La  somme  ^4~^  ^^^  égale  à  383  ;  diminuée 
de  360,  elle  donne  23  pour  la  valeur  de  S.  La  somme 
H-|-N ,  on  K,  est  égale  à  87. 


INTRODUCnOîf.  9 

TV.  Dans  la  table  LU  de  Vénas,  on  cherche  via-à- 
vis  du  nombre  23  de  la  colonne  intitulée  S ,  et  dans 
la  colonne  que  surmonte  la  valeur 87  de  K  ;  on  trouve 
le  nombre  2  b.  49  m.,  qui  représente  ]a  valeur  de  T. 

D'ailleurs,  la  valeur  23  de  S  est  comprise  de  0  à 
i80;  ainsi,  le  15  août  1892  ,  le  plan  horaire  de 
Vénus,  formant  avec  celui  du  Soleil  un  angle  d'en- 
viron 2  h.  49  m.,  précède  le  Soleil  dans  son  mouve- 
ment diurne. 

Si  donc  on  veut ,  ce  jour-là ,  découvrir  dans  le 
Zodiaque  la  planète  Vénus ,  on  négligera  la  varia- 
tion diurne  de  T,  on  feiii  choix  d'un  plan  horaire 
quelconque,  et  Ton  y  cherchem  la  planète  2  h. 
49  m.  avant  que  le  Soleil  y  passe  ^  ou  21  h.  11  m. 
après  qu'il  l'aura  traversé. 


eotemêpie  t  Milettf  de  im  dUÉm%ee  T  ée  if«r« 


L  Dans  la  table  I  de  Mai's,  on  voit  qu'au  1*' 
janvier  1875  il  y  a  411  jours  que  Mars  a  passé  à  son 
périhélie  pour  la  dernière  fois  ;  du  l*'  janvier  au 
20  juillet  1875,  il  s'écoule  200  jours;  donc,  au  20 
juillet  1875,  il  y  a  611  jours  que  Mars  a  passé  à 
son  périhélie. 

Dans  la  table  II  de  Mars ,  on  trouve  : 

t=610,  ift  =  287,H  =  ll  , 
t  =  612,ift  =  289,  H  =  11  ; 
On  en  conclut ,  par  interpolation  : 

t  =  611,  A  =  288,  H=ll. 

n.  Au  20  juillet  1875,   il  y  a  200  jours  que  la 


10  IXTKOnrCTION. 

Terre  a  passé  h  son  pëiiliëlie.  A  cette  ëpoqae ,  on  a 
donc  M  =  61 ,  N  =  2. 

III.  11  ea  résulte  : 

S=^4-M=  349,  K-H-f  N  =  43. 

IV.  Dans  la  table  m  de  Mars  ,  ou  cherche  vis-à-vis 
du  nombre  349  de  la  colonne  intitulée  S ,  et  dans 
la  colonne  pour  laquelle  R  est  égal  à  13;  on  y  trouve 
T  =  9  h.  26  m. 

D'ailleurs ,  349  est  compris  de  180  à  360;  ainsi , 
le  20  juillet  1873,  le  plan  horaire  de  Mars,  for- 
mant avec  celui  du  Soleil  un  angle  d'environ  9  h. 
26  m.  ,  suit  le  Soleil  dans  son  mouvement  diurne  : 
c'est-à-dire  que  ,  à  un  instant  quelconque  de  ce  jour, 
le  plan  horaire  de  Mai's  occupe  à  peu  près  la  posi- 
tion qu'occupait  le  plan  horaire  du  Soleil  9  h.  26  m. 
auparavant. 

TnoitfléfMC  exeÈnpie  t  eaicui  de  îu  dimimmee  T   ém 
Swi^tew  nm  âlolell,  «m  IO  aoAtf  1880. 

I.  Au  1*' janvier  1880,  il  y  a  4074  jours  que  Ju- 
piter a  passé  à  son  périhélie  (voir  la  table  I  de  Jupiter)  ; 
au  10  août  1880 ,  il  y  a  222  jours  de  plus  :  c'est-à- 
dire  ,  en  tout ,  4296  jours  écoulés  depuis  le  dernier 
passage. 

Dans  la  table  II  de  Jupiter,  on  prend  pour  valeurs 
de  iil  et  de  H  au  10  août  1880,  les  nombres  .11  =  9  et 
H  =  69 ,  placés  en  regard  du  nombre  ^==4298,  le 
plus  rapproché  de  4296. 

IL   Au  10  août  1880,  il  y  a  222  jours  que  la  Terre 


iTTTRODlCTIOK.  11 

a  passé  à  son  périhélie.  On  a  donc ,  à  cette  époque, 
M  =  39.N  =  I. 


JIL  II  en  résalte  :  S  =  48 ,  K  =  70. 

I\'.  Dans  la  table  III  de  Jupiter,  on  trouve  vis-à-vis 
du  nombre  S  =48  : 

T  =  8  b.  6  m.  pour  K  =  67  , 

T  =  8  h.  41  m.  pour  R  =  72  ; 
on  en  conclut  : 

T  =  8  h.  9  m.  pour  R  =  70  , 
en  admettant  que  les  différences  entre  les  valeurs 
de  T  sont  proportionnelles  aux  différences  entre  les 
valeurs  de  R. 

Si  donc  on  veut  connaître  approximativement  la 
position  occupée  par  le  plan  horaire  de  Jupiter  à  un 
moment  quelconque  du  10  août  1880,  il  faut  dé- 
terminer celle  du  plan  horaire  du  Soleil  8  h.  9  m. 
après  ce  moment,  ou  15  h.  51  m   avant. 


VmwÊgie  T  ifw   ytott  lM»t^l«^    <f«    Sai^iM   arec  «•!«•( 
d*tItmmmM.  ow  de  Mepiumm. 


On  consulte  la  première  table  de  la  planète ,  qui 
donne  approximativement  la  valeur  de  A  répondant 
à  l'époque  considérée  ;  on  détermine,  pour  la  même 
époque  et  au  moyen  des  tables  de  la  Terre ,  la  va- 
leur de  M;  on  calcule  la  somme  yR-^M ,  pour  ob- 
tenir S;  on  cherche  enfin,  dans  la  seconde  table  de 
la  planète,  quelle  valeur  de  T  répond  à  la  valeur 
obtenue  de  S. 


12  introduction. 

§  4.  Construction  des  tables. 

Que  Ton  considère  le  triangle  ayant  pour  sommets 
le  Soleil  S,  la  Terre  T  et  la  planète  P  projetés  sur  le 
plan  de  l'ëquatcur.  L'angle  T  de  ce  triangle  est  pré- 
cisément celui  dont  les  tables  ont  pour  objet  de  dé- 
terminer la  valeur ,  puisqu'il  mesure  Tangle  dièdre 
formé  par  le  plan  horaire  de  la  planète  avec  celui  du 
Soleil. 

Cet  angle  T  est  déterminé  quand  on  donne ,  dans 
le  triangle .  Tangle  PST  et  les  deux  côtés  SP  et  ST 
qui  le  comprennent  ;  il  suffît  même  d'y  connaître , 
avec  Tangle  PST  ,  le  rapport  du  côté  SP  au  côté  ST. 

On  pose  SP=R,  ST=R';  on  appelle  .41  et  jR'  les 
ascensions  droites  héliocentriquesde  la  planète  et  de 
la  Terre  ;  et  Ton  est  ramené,  pour  connaître  l'angle  T, 
a  calculer  préalablement  .-ft  et  R ,  .-ft'  et  R'. 

C«lettl  pré9UÊÊimmU»e  |M«f  ta  ytowéto. 


Le  mouvement  de  la  planète  autour  du  Soleil  étant 
considéré  comme  elliptique ,  et  les  éléments  comme 
invariables  à  partir  du  1"  janvier  I8d5  ^  on  déter- 
mine, au  moyen  de  ces  éléments,  l'inclinaison  da 
plan  de  l'orbite  sur  le  plan  de  l'équateur  céleste, 
Tascension  droite  béliocentrique  du  nœud  de  cette 
orbite  avec  l'équateur,  la  distance  angulaire  hélîo- 
centrique  de  ce  nœud  au  périhélie  de  la  planète , 
enfin  Tépoque  de  passage  au  périhélie  la  plus  voi- 
sine du  1"  janvier  1865. 

Cela  fait ,  on  calcule  d'abord ,  de  1865  à  1900 ,  les 
époques  des  passages  snccessife  de  la  planète  à  son 


14  INTRODUCTION. 

Quelle  que  soit  la  planète  considérée ,  on  aéra 
pensé  de  ce  dernier  calcul ,  si  Ton  a  formé  d'avance 
une  table  à  deux  dimensions ,  renfermant  les  valeurs 
de  Tangle  T  qui  répondent,  dans  un  triangle  STP 
quelconque,  à  toutes  les  valeurs  de  Tangie  S  et  du 

SP 

rapport  — .   Mais ,  dans  la  pratique ,    une   pareille 

table  n'est  pas  réalisable  ,  à  cause  de  l'étendue  qu'il 
faudrait  lui  donner  en  longueur  et  en  largeur.  Elle  le 
devient ,  toutefois  ,  si  Ton  se  borne  à  faire  varier  le 

SP 

^PPO"**^  ôTp  entre  deux  limites  assez  rapprochées.  Or, 

c'est  précisément  ce  qui  arrive ,  lorsque  Ton  consi- 
dère isolément  chacune  des  planètes.  Si  donc  on  ne 
peut  former  une  table  unique  des  valeurs  de  T  qui 

répondent  à  toutes  valeurs  de  >R-Jl' et  de -^,  on 

pourra  former ,  pour  chaque  planète  particulière , 
une  table  particulière. 

Ainsi ,  l'époque  des  passages  au  périhéhe  une  fois 
connue ,  le  problème  est  ramené  à  construire  : 
1"  pour  la  Terre,  une  table  des  valeurs  de  ^'  et  de  R'  ; 
2*  pour  chaque  planète ,  une  table  des  valeurs  de  A 
et  de  R  ;  3*  pour  chaque  planète ,  une  table  des  va- 
leurs de  T  qui  répondent  à  toutes  les  valeurs  de 
i4l—  ift'  comprises  entre  —  360  degrés  et  -I-  360  de- 

grés ,  et  à  toutes  les  valeurs  de  -^  renfermées  entre 

R' 

deux  Umites  déterminées,  assez  voisines  d'ailleurs 
l'une  de  l'autre. 

Mais  on  aperçoit  aisément  qu'il  j  a  avantage  à  mo- 
difier la  disposition  précédente, en  calculant:  !<*  pour 


It)  INTRODUCTION. 

Terre  et  de  la  planète ,  toates  les  hypothèses  imàgi — 
nables.  Le  calcul ,  en  efifet ,  prouve  que  l'erreur  qo^ 
en  résulte  pour  T ,  n'atteint  Jamais  deux  minutes  de 
temps  s'il  s'agit  d'Uranus ,  et  une  minute  s'fl  s'agit 
de  Neptune. 

Il  devient  inutile ,  alors ,  d'inscrire  la  valeur 
moyenne  de  R  dans  la  table  des  valeurs  de  T ,  la- 
quelle n'offre  plus  ainsi  qu'une  seule  dimension ,  et 
dispense  par  conséquent  de  faire  figurer  les  valeurs 
de  H  dans  l'autre  table. 

Nous  avons  emprunté  aux  Annales  de  r  Observatoire 
les  valeurs  numériques  des  éléments  du  mouvement 
elliptique  de  la  Terre  et  des  planètes ,  en  rapportant 
au  1"  janvier  4865  la  longitude  du  périhélie,  la  lon- 
gitude du  nœud  ascendant  et  la  longitude  moyenne 
de  l'époque  ;  nous  avons  pris  pour  valeurs  des  autres 
éléments  celles  qui  répondent  à  l'année  4850;  nous 
avons  calculé  ensuite  les  époques  des  passages  au 
périhélie. 

BetÊ9mtH/wte9  nel«tfl9e«  «Moe  vmwHmiîWM  dem  éiémêemÉm  et 
atf  «MOMvettteaU  de  pw*éee»9ion. 

Les  éléments  n'étant  pas  constants  et  le  point 

équinoxial  n'étant  pas  fixe ,  les  valeurs  de  A-A'  et 

R 
^^  ^^S 177  ^^^^^^^s  ^^°s  ces  tables,  sont  affectées 

d'erreurs,  les  unes  périodiques,  les  autres  séculaires. 
Ces  dernières,  toutefois,  les  seules  qui  puissent  nous 


18 


INTRODUCTION. 


Valeurs  de  l'angle  T  aa  1"  l 

4 

anVier  1900 

LeYHBiid^lepériliéfo 

et  le  point  "Y  se  déplaçant 

de  1865  à  1900  : 

Pour 

la  planète: 

1 

Tous  les  éléments 

étant  supposé»  constants 

depuis  1865  : 

Mbrcurk 

Vénus 

Mais 

JUPITBR 

56*     22' 

86*     48' 

4*       2^ 

42-     28' 

56»     26/ 
86*     40' 

4*     1' 
42*     80' 

Si  Ton  compare,  pour  chaque  planète,  les  nombres 
(les  deux  colonnes ,  on  voit  que  les  différences  sont 
assez  petites  pour  qu'il  n'y  ait  pas  lieu  de  s'en  pré- 
occuper dans  l'emploi  de  tables  aussi  peu  appro- 
chées que  les  nôtres. 


KewÊUiwqmet  nel«tfive«  m  r«p]M-OirittMitfloM  «le*  tmhêem* 

L'approximation  des  résultats  fournis  par  ces  tables 
est  variable  d'une  époque  à  l'autre ,  d'une  planète  à 
l'autre;  nous  n'essaierons  pas  ici  de  la  déterminer 
avec  précision;  dans  chaque  cas  particulier,  on  sera 
toujours  à  même  de  l'apprécier. 

Peut-être,  d'ailleurs,  l'inspection  du  tableau  sui- 
vant donnera-t-elle  une  idée  des  erreurs  auxquelles 
on  doit  le  plus  généralement  s'attendre.  Dans  ce 
tableau  sont  inscrites,  à  la  date  du  l*' juillet  4865, 
et  pour  les  différentes  planètes,  led  valeurs  de  T 
extraites  de  nos   tables,  et  en    reisraril,  celles  que 


20  INTRODUCTION* 

§  5.    HEURE     DU   PASSAGE    DE    LA    PLANItTE    AU   mIrIDIXICiL 

Considérons  la  valeur  de  T  qui  répond  à  l'origine 
d'un  jour  quelconque,  c'est-à-dire  à  midi;  supposons 
cet  angle  exprimé  en  heures,   et  représentons  par 

ÔT  son  accroissement  dans  Tintervalle  de  24  heures; 

T 

il  nous  sera  facile  de  reconnaître  que  -37 M"  repré- 

sente  approximativement  l'erreur  commise ,  en  plus 
ou  en  moins ,  si  Ton  prend  T  pour  valeur  du  temps 
écoulé  entre  le  passage  du  Soleil  et  celui  de  la  pla- 
nète au  méridien. 

Or,  K  ne  varie  pas  d'une  manière  sensible  dans 
l'intervalle  d'un  jour;  l'accroissement  §T  résulte  donc 
à  peu  près  uniquement  de  la  variation,  en  un  jour,  de 
S,  ou  de  iH — iH'.  Eu  un  jour,  la  plus  grande  variation 
de  yR — >R'  est  d'à  peu  près  six  degrés  pour  Mercure , 
trois  quarts  de  degré  pour  Vénus,  un  demi-degré 
pour  Mars,  et  un  degré  pour  les  autres  planètes 

supérieures.  Si  l'on  part  de  cette  remarque,  on  trouve 

T  ^ 

que  le  maximum  de  Terreur  tt-^T  est  d'environ  qua- 
tre à  cinq  minutes  de  temps  pour  Mars ,  deux  à  trois 
pour  les  autres  planètes  supérieures,  et  qu'il  n'atteint 
pas  une  minute  pour  les  planètes  inférieures. 

On  s'écartera  donc  peu  de  la  vérité  en  disant  qu'il 
s'écoule  un  temps  T  entre  le  passage  du  Soleil  et 
celui  de  la  planète  au  méridien. 


t 

S 

> 

■ 


'lO 


INDICATKrH    PLAMKTAIRE. 


rAT.ENDRlER  DÉCIMAL, 


Ijanv 

.  Iljan\ 

.  21  juin. 

ai  jitii\, 

ior».%. 

20fl&T. 

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mara  42  mars  2S 

mar»   tari 

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18 

28 

8 

18 

28 

7 

17 

27 

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19 

29 

9 

19 

29 

8 

18 

28 

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20 

30 

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30 

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4  mars 

11 

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31 

'  10 

11  a?r.  21  «iTr.     I  mai    11  mai   21  mai    i   31  mai   40  juin  20  jnin  80  juin  lOjiS 


12 

22 

2 

12 

22 

1  juin 

11 

21 

1  joiL 

11 

13 

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22 

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12 

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14 

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16 

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5 

15 

17 

27 

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17 

27 

6 

16 

26 

6 

16 

18 

28 

8 

18 

28 

7 

17 

27 

17 

19 

29 

9 

19 

29 

» 

18 

28 

8 

18 

20 

30 

10 

20 

30 

9 

19 

29 

9 

19 

20  juil. 

30  juil. 

9  août  19  août  29  août 

8  sept. 

.  18  sept 

.  28 

%ept 

8  ocL 

18  OC 

21 

31 

10 

20 

30 

9 

19 

29 

9 

19 

22 

1  août 

11 

21 

31 

10 

20 

30 

10 

20 

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22 

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11 

21 

1 

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3 

13 

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5 

15 

25 

14 

24 

4 

14 

24 

27 

6 

16 

26 

15 

25 

5 

15 

25 

28 

7 

17 

27 

16 

26 

6 

16 

26 

29 

8 

18 

29 

17 

27 

7 

17 

27 

22 


INDICATEUR   PL<\NËTA1HË. 


CALENDRIER  DÉCIMAL. 


Ijanv 

.  Iljanv. 

.  21  janv.  31  jaiiv.  10  fév. 

20  fév.      2  mars  12  mars  22  mars    1  avr. 

2 

12 

22              1  fév.    1 1 

21             3           13           23 

2 

3 

13 

23             2           13 

22             h           \à           24 

3 

h 

1/k 

2&             3           13 

23             5           15           25 

4 

5 

15 

25              k           H 

24             6           16           26 

5 

6 

16 

26             5           15 

25             7           17           27 

6 

7 

17 

27             6           16 

26             8           18           28 

7 

8 

18 

28             7           17 

27             9           19           39 

8 

9 

19 

29             8           18 

28           10           20           30 

9 

10 

20 

»Q             9           19 

l^arsll          21          31      ^ 

10 

11  avr. 

21  avr. 

1  mai   11  mai   21  mai 

81  mai   10  juin  20  juin  30  juin 

lOjoil. 

12 

22 

2           12           22 

1  juin  11           21             1  juil. 

11 

13 

23 

3           13           23 

2           12           22             2 

12 

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h          l           24 

3           13           23             3 

13 

15 

25 

5           15           25 

4           14           24             4 

14 

16 

26 

6           16           26 

5           15           25             5 

15 

17 

27 

7           17           27 

6           16           26             6 

16 

18 

28 

8           18           28 

7           17           27             7 

17 

19 

29 

9           19           29 

8           18           28             8 

18 

20 

30 

10           20           30 

9           19           29             9 

i 

19 

20  juil. 

30  juil. 

9  août  19  août  29  août 

8  sepL  18  sepL  28  sept    8  ocL 

18  oct 

21 

31 

10           20           30 

9          19          29            9 

19 

22 

1  août  H           21           31 

10          20           30           10 

20 

23 

2 

12          22            1  sept. 

11           21             1  oct  11 

21 

n 

3 

13           23             2 

12           22            2           12 

22 

25 

h 

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13           23             8          13 

23 

26 

5 

15           25             à 

14           24            4           14 

24 

27 

6 

16           26             5 

15           25             5           15 

• 

25 

28 

7 

17           27             6 

16           26             6           16 

26 

29 

8 

18           2S             7 

17           27             7           17 

27 

24 


INDICATEUR   PLANETAIRE. 


CALENDRIER  DÉCIMAL  {Suite). 


2 A  août  3  sepL  13  sepL  23  sept. 

3  oct. 

13ocL 

23ocL 

2  nov 

.  12  nov 

.  22  nov. 

25     Â  .  lA    n 

à 

ih 

n 

3 

13 

23 

26     5     15     25 

5 

15 

25 

h 

ih 

24 

27     6     16     26 

6 

16 

26 

5 

15 

25 

28     7     17     27 

7 

17 

27 

6 

16 

26 

29     8     18     28 

8 

18 

28 

7 

17 

27 

30     9     19     29 

9 

19 

29 

8 

18 

28 

31     10     20     30 

10 

20 

30 

9 

19 

29 

1  sept.  11    21     1  oct. 

• 

11 

21 

31 

10 

20 

30 

2    12    22     2 

12 

22 

1  nov. 

11 

21 

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8     18     28 

9     19     29 

iO     20     30 

11     21     31 

INDICATEUR  PLANETAIRE. 


2K 


LA  TEUhE.  —  TABLE  L 

Epoque  des  passages  successifs  de  la  Terre  à  son  périhélie , 
à  partir  du  dernier  passage  antérieur  au  4  •^janvier  i  865 . 


186& 

81  déc. 

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1  janv. 

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1  janv. 

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1  janv. 

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31  déc 

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1  janv. 

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1889 

31  déc 

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31  déc 

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1891 

1  janv. 

3 

1873 

31  déc. 

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1892 

1  janv. 

9 

1875 

1  janv. 

1 

> 

31  déc 

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1876 

1  janv. 

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1893 

31  déc 

22 

> 

31  déc 

13 

1895 

1  janv. 

A 

1877 

31  déc 

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1  janv. 

10 

1879 

1  janv. 

1 

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31  déc 

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1  janv. 

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31  déc 

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■ 

31  déc 

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1899 

1  janv. 

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1881 

81  déc. 

20 

1900 

1  janv. 

11 

IVMCATBUR  PLAIliTAIES. 


LA  TERRE.  —  TABLE  II. 

Positions  sftccessives  avtour  du  Soleil,  de  jour  en  jour. 


M 


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38 
39 
40 
41 
42 
43 
44 
45 
46 
47 
48 
49 
50 
51 
52 
53 

H 
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58 

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219 
218 
217 
216 
215 
214 
213 
212 
211 
210 
209 
209 
208 
207 
206 
205 
204 
203 
202 
201 
200 
199 
198 


N 

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2 
2 


M   N 


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61   196 


62 
63 
64 
65 
66 
67 
68 
69 

70 
71 
72 
73 
74 
75 
76 
77 
78 
79 
80 
81 
82 
83 
84 
85 
86 
87 
88 

sa 


195 
194 
193 
192 
192 
191 
190 
189 
188 
187 
186 
185 
184 
183 
i82 
181 
181 
180 
179 
178 
177 
176 
175 
174 
173 
172 
171 
174 


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192 

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223 

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233 
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28 
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29 

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55 
54 

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240 
241 

33 

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INDICATEUR    PLANETAIRE. 


LA  TERRE— TABLE  II  (Suite), 
Positions  successives  autour  du  Soleil,  de  jour  eu  jour. 


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2 

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17 

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320 

2 

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16 

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319 

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15 

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310 

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341 

285   4 

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14 

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311 

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342 

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281 

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312 

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2 

343 

283   4 

251 

18 

0 

282 

345   0 

313 

315 

2 

344 

282   4 

252 

12 

0 

283 

844   0 

314 

314 

2 

345 

281   4 

253 

11 

0 

284 

343   0 

315 

318 

3 

346 

280   4 

264 

10 

0 

285 

342   1 

316 

312 

3 

347 

279   4 

255 

9 

0 

286 

341   1 

317 

311 

3 

348 

278   4 

256 

8 

0 

287 

340   1 

318 

310 

3 

349 

276   4 

257 

7 

0 

288 

339   1 

319 

309 

3 

350 

275   4 

258 

6 

0 

289 

338  \ 

320 

308 

3 

351 

274   4 

259 

5 

0 

290 

337   1 

321 

307 

3 

352 

278   4 

360 

5 

0 

291 

336   1 

322 

306 

3 

353 

272   4 

261 

4 

0 

292 

335   4 

323 

305 

3 

354 

271   4 

262 

3 

0 

293 

334   1 

324 

304 

3 

356 

270   4 

263 

2 

0 

294 

383   1 

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302 

3 

356 

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0 

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326 

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357 

268   4 

265 

0 

0 

296 

332   4 

327 

300 

358 

266   4 

266 

359 

0 

297 

331   1 

328 

299 

359 

265   4 

267 

358 

0 

298 

330   4 

329 

298 

360 

264   4 

268 

357 

0 

299 

329   4 

330 

297 

361 

263   4 

269 

356 

0 

300 

328   4 

331 

296 

362 

262   4 

270 

356 

0 

301 

327   2 

332 

295 

363 

261   4 

271 

355 

0 

302 

326   2 

333 

294 

364 

260   4 

272 

354 

0 

303 

325   2 

334 

293 

366 

259   4 

273 

353 

0 

304 

324   2 

335 

292 

274 

852 

0 

305 

323   2 

336 

294 

IHblCATEUB  PLANÉTAIBK. 


29 


MERCURE.  —  TABLE  I. 
Epoque  des  passages  successifs  de  Mercure  à  son  périhélie. 


18fi4 

6  ocL 

12l> 

1672 

21  juin 

12h 

1880 

6  mars 

12b 

1M5 

S  jaoT. 

11 

> 

17  sept 

11 

2  juin 

12 

SI  mars 

10 

> 

ih  déc 

11 

29  août 

11 

27  juin 

9 

1673 

12  mars 

10 

25  nov. 

10 

26fept. 

9 

• 

6  jtiJn 

9 

1681 

21  fiHr. 

10 

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6 

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à  sept 

6 

20  mai 

9 

1866 

16  mars 

7 

^ 

1  déc 

6 

16  août 

6 

lA  juin 

7 

167A 

27  téw. 

7 

12  nov. 

7 

10  sept 

6 

»     1 

26  mai 

6 

1862 

6  fév. 

7 

7dée. 

5 

> 

22  août 

5 

7  mai 

6 

1667 

5  mars 

h 

> 

16  DOT. 

5 

3  août 

5 

1  juin 

à 

1675 

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4 

28  août 

3 

> 

13  mai 

3 

1686 

26  janv. 

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2 

> 

9  août 

2 

24  avr. 

3 

1668 

2oréT. 

1 

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5  DOY. 

2 

21  juil« 

2 

16  mai 

1 

1876 

1  lëT. 

1 

17  oct 

1 

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0 

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29  avr. 

0 

168A 

13  janv. 

1 

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23 

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0 

10  avr. 

0 

1669 

SféT. 

22 

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21  oct 

23 

6  juil 

23 

à  mai 

22 

1677 

17  jan?. 

22 

2  oct 

22 

31  jnil. 

21 

» 

15  a?r. 

21 

29  déc 

22 

27oct. 

20 

» 

12  juil. 

21 

1885 

27  mars 

21 

1670 

23  janv. 

19 

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INDICATEUR  PLAlviTAIRE. 


31 


MERCURE.  —  TABLE  II. 

Positions  successives  autour  du  Soleil,  de  6  heures  en  6  heures. 


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INDfCATEUK    FLANETAIHl':. 


MERCURE.  —  TABLE  II  {Suite), 
Positions  successives  autour  du  Soleil ,  de  6  heures  en  6  heures. 


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MERCURE.  —  TABLE  II  (Suite). 
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MERCURE.  —  TABLE  lll. 
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INDICATEUR  PLANETAIRE.  35 

MERCURE.  —  TABLE  III  (Suite). 

Valeurs  de  T. 


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1.   3 

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4.  3 

7 

1.42 

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4.  8 

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0. 

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4.  2 

4.  6 

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1.45 

1.19 

1.22 

1.35 

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108 

0.54 

0. 

58 

1.  4 

4.  5 

4.  9 

4.43 

1.47 

1.20 

1.23 

4.27 

110 

0.53 

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4.   0 

1.   4 

1.   8 

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0. 

53 

0.56 

0.59 

1.   3 

4.  7 

1.40 

4.13 

1.46 

1.48 

118  1 

0.49 

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52 

0.55 

0.58 

4.   4 

1.   5 

4.  8 

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4.14 

4.46 

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286 
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278 

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210 
208 
206 

204 
202 
200 
198 
196 
194 

192 
190 
188 
186 
184 
182 


INDICATEUR    PLANETAIRE. 


37 


VÉNUS.  —  TABLE  I. 

Epoque  des  passages  successifs  de  Vénus  n  son  périhélie. 


186^ 

26  juil. 

Sb 

1882 

29  mai 

16h 

1865 

8  mars 

1 

1883 

9  janv. 

9 

» 

18  oct 

18 

» 

22  août 

2 

1866 

31  mai 

11 

188A 

2  avr. 

19 

1867 

11  jnnv. 

Ix 

» 

13  nov. 

11 

• 

23  août 

21 

1885 

26  juin 

A 

1868 

A  avr. 

13 

1886 

5  fév. 

21 

> 

15  nov. 

6 

> 

18  sept. 

lA 

1869 

27  juin 

23 

1887 

1  mai 

7 

1870 

7  fév. 

16 

s 

12  déc 

0 

9 

20  sept 

9 

1888 

23  juil. 

16 

1871 

3  mai 

1 

1889 

5  mars 

9 

• 

13  déc 

18 

D 

16  oct 

2 

1872 

25  juiL 

M 

1890 

28  mai 

19 

1873 

7  mars 

â* 

1891 

8  janv. 

12 

> 

17  oct. 

21 

> 

21  août 

A 

I87A 

80  mai 

Mx 

1892 

1  avr. 

21 

1875 

10  janv. 

6 

» 

12  nov. 

lA 

« 

22  août 

23 

1893 

25  juin 

7 

1876 

3  avr. 

16 

189  A 

5  fév. 

0 

> 

ih  noY. 

9 

> 

17  sept 

17 

1877 

27  juin 

2 

1895 

80  avr. 

9 

1878 

6  fév. 

18 

n 

11  déc. 

2 

« 

19  sept 

11 

1896 

22  juil. 

19 

1879 

2  mai 

A 

1897 

A  mars 

12 

• 

12  déc. 

21 

» 

15  oct 

5 

1880 

th  juil. 

lA 

1898 

27  mai 

21 

1881 

6  mars 

7 

1899 

7  janv. 

lA 

• 

16  oct 

23 

» 

20  août 

7 

•.•.v.  ri  IRE. 


.^>    -   TABLE  II. 

..    ..  »'   Ui  Soleil,  de  jour  en  jour. 


.  n 

t 

A\ 

H 

/ 

A\ 

H 

-  S6 

56  j 

218- 

85 

84  j 

264» 

82 

86 

57 

220 

85 

85 

26G 

82 

Sfi 

58 

222 

85 

86 

268 

82 

86 

59 

223 

85 

87 

269 

82 

86 

60 

225 

84 

88 

271 

82 

86 

61 

226 

84 

89 

273 

82 

86 

62 

228 

84 

90 

275 

82 

86 

63 

229 

84 

91 

276 

82 

86 

64 

231 

84 

92 

278 

82 

86 

65 

233 

84 

93 

280 

82 

86 

66 

23Â 

84 

94 

282 

82 

86 

67 

23ii 

84 

95 

283 

32 

86 

68 

237 

8û 

96 

285 

82 

86 

69 

239 

83 

97 

287 

82 

86 

70 

241 

83 

98 

289 

82 

86 

71 

m 

83 

99 

290 

82 

86 

72 

24  A 

83 

100 

292 

82 

86 

73 

246 

83 

101 

294 

82 

86 

74 

247 

83 

102 

295 

82 

85 

75 

249 

83 

103 

297 

83 

85 

76 

251 

83 

104 

299 

83 

85 

77' 

252 

83 

105 

301 

83 

85 

78 

254 

83 

106 

302 

83 

85 

79 

256 

83 

107 

304 

83 

85 

80 

257 

82 

108 

306 

83 

85 

81 

259 

82 

109 

307 

83 

85 

82 

261 

82 

110 

309 

83 

85 

83 

263 

82 

111 

311 

83 

INDICATEUR    PLANÉTAIRE.  39 


VÉNUS— TABLE  11  (Suite). 

Positions  successives  autour  du  Soleil  ^  de  Jour  c/t  jour. 


/      .R 

H 

t 

A\ 

H 

t 

A\ 

H 

/ 

A\ 

H 

112j  312» 

83 

141  j 

357- 

86 

170  i 

39» 

85 

199  J 

88* 

82 

113    314 

83 

142 

358 

86 

171 

41 

-85 

200 

90 

82 

114    316 

84 

143 

0 

86 

172 

43 

84 

201 

91 

82 

Ill5    317 

84 

144 

1 

86 

173 

44 

84 

202 

93 

82 

(116    319 

84 

145 

3 

86 

174 

46 

84 

203 

95 

82 

/H7    320 

84 

146 

4 

80 

175 

47 

84 

204 

97 

82 

jm    322 

84 

147 

5 

86 

176 

49 

84 

205 

98 

82 

1119    324 

84 

148 

7 

86 

177 

50 

84 

206 

100 

82 

1  120     325 

84 

149 

8 

86 

178 

52 

*84 

207 

102 

82 

1121     327 

84 

150 

10 

86 

179 

54 

84 

208 

104 

82 

122     328 

84 

151 

11 

86 

180 

55 

84 

209 

100 

82 

123     330 

85 

152 

13 

86 

181 

57 

83 

210 

107 

82 

124     331 

85 

153 

14 

86 

182 

59 

83 

211 

109 

82 

125     333 

85 

154 

16 

86 

183 

60 

83 

212 

Ht 

82 

126     334 

85 

155 

17 

86 

184 

62 

83 

213 

113 

82 

127     336 

85 

156 

19 

86 

185 

64 

83 

214 

114 

82 

128     338 

85 

157 

20 

86 

186 

65 

83 

215 

116 

82 

129     339 

85 

158 

21 

86 

187 

67 

83 

216 

118 

82 

130     341 

85 

159 

23 

86 

188 

69 

83 

217 

120 

82 

131     342 

85 

160 

24 

86 

189 

70 

82 

218 

121 

82 

132     344 

85 

161 

26 

86 

190 

72 

82 

219 

123 

82 

133     345 

86 

162 

27 

85 

191 

74 

82 

220 

125 

82 

13i     346 

86 

163 

29 

85 

192 

75 

82 

221 

127 

82 

135    348 

86 

164 

30 

85 

193 

77 

82 

222 

128 

83 

136    349 

86 

165 

32 

85 

194 

79 

82 

223 

130 

93 

137    351 

86 

166 

33 

85 

195 

81 

82 

224 

132 

83 

138    352 

86 

167 

85 

85 

196 

82 

82 

139    354 

86 

168 

36 

85 

197 

84 

82 

140    355 

86 

169 

38 

85 

198 

86 

82 

INDICATEUR  PLAHETAIRK. 


VÉNUS.  —  TABLE  III. 
Valeur»  de  T ,  dépendantes  de  S  et  de  K. 


Vaudra  de  K. 

s 

— 

- 

_ 

1^ 

3       83       84       SB       88       87 

88        83       90    j 

'^~'  T 

M       /> 

m    h 

n     It 

m     4 

m    h 

m 

h    m    h 

m     1. 

0.       0 
1          0 

D     0 
8    0 

D    0 
B    0 

*0    0 
9     0 

0    0 

40     0 

0     0 
Il     0 

° 

0.  0     0 
S.43     0 

0     0 
14     0 

15 

2       0 

le    0 

17    0 

18     0 

19     0 

ai    0 

13 

0.35     D 

38    0 

31 

3       0 

13    0 

35     D 

37    0 

10     0 

31     0 

34 

0.37     0 

41     0 

45 

4       0 

31     0 

83     0 

3S     D 

38     0 

41     0 

45 

0.49     0 

SA     1 

B       0 

38    0 

41     D 

44     D 

47     0 

51      0 

56 

1.    1      < 

e    1 

13 

e      0 

M    t 

49    0 

51     0 

se    4 

1      4 

e 

1.12      t 

18     4 

3S 

7       0 

53    a 

50     1 

0     1 

ft     4 

10     1 

16 

Klî      1 

30     1 

38 

8       1 

0     1 

S     1 

S     1 

13     1 

10     1 

15 

1.53      ] 

40     1 

50 

B       1 

n    4 

14      1 

15     1 

11      1 

37      1 

34 

1.41     1 

50     2 

0 

10       I 

13     1 

47     1 

Ï3     t 

38     4 

3S     1 

42 

I.SO     1 

59     3 

9 

11        1 

10     1 

34    4 

Ï9      1 

3S    4 

41     1 

50 

1.S8     3 

8     3 

18 

13       1 

2a    1 

M    1 

36     1 

43    1 

iO     1 

57 

3.  e    3 

15     1 

16 

13       1 

31     1 

3B     1 

42     4 

49    4 

68     3 

4 

3.43     2 

13     3 

33 

14       1 

30     1 

41     1 

48    4 

S5     1 

3     1 

10 

2.49     ! 

19     2 

50 

15       1 

51     1 

47     4 

53     3 

0     1 

H     3 

10 

3.15     S 

35     3 

40 

IS       1 

16     1 

53     J 

59     2 

6     3 

13     3 

3! 

1.34      2 

41      2 

51 

17       * 

51     J 

57    3 

■S     3 

41      3 

IS     S 

37 

3.36     3 

45     1 

56 

18       1 

93     1 

1     2 

8     3 

15     3 

Î3     3 

3i 

3.40     2 

50     3 

0 

19       1 

59     ï 

6     J 

13     3 

30     ! 

37     ! 

30 

S. 45     I 

54     3 

4 

20        1 

3     i 

10     3 

IS     3 

34     3 

31      3 

40 

3.48    3 

58     3 

8 

21          ! 

7     3 

13     3 

30     3 

S7    3 

35     1 

43 

2.53     3 

1     3 

41 

22       î 

10    î 

17     ! 

33     3 

31      ! 

38     2 

46 

l.SS     3 

4     3 

14 

33       I 

14     ï 

10     3 

17     1 

34    : 

41      3 

49 

2,58     3 

'    .3 

16 

34       2 

17     ! 

33     3 

30    3 

37    S 

44     ! 

53 

3.    1     S 

9     3 

19 

2S       9 

lU     î 

3S    3 

33     3 

39    3 

47     3 

55 

3.   3     9 

11     3 

21 

se     t 

n   i 

3S    1 

35     3 

43     3 

40    3 

57 

3.   5     3 

14     3 

33 

37       3 

14    1 

31     1 

37     î 

44     3 

51      3 

se 

3.   T     S 

15    3 

14 

38       3 

37    3 

S8    1 

99    J 

46    s 

53    3 

4 

3.   9     S 

17    > 

15 

39       1 

Ï8    I 

85     ! 

41     3 

48    3 

ss    i 

3 

3.10     3 

18   a 

16 

IXDICATECB    PLA5KTA1RI:. 


41 


VÉNUS.  —  TABLE  III  (Suite). 

Valeurs  de  T. 


s 

r«ic 

•«*«. 

s 

l9 

tt 

83 

84 

85 

86 

87 

88 

89 

90 

k   m 

4     M 

4   m 

4     M 

4    m 

h    m 

h    m 

h    m 

h    m 

Si* 

S.St 

3.37 

2.43 

2.50 

2.57 

3.  4 

3.11 

3.19 

3.27 

330* 

H 

2.» 

3.39 

2.45 

2.51 

2.58 

3.  5 

3.13 

3.20 

3.28 

329 

32 

3.U 

3.4f 

2.46 

2.53 

2.59 

3.  6 

3.14 

3.21 

3.29 

328 

3S 

2.M 

3.43 

2.48 

2.54 

3.    1 

3.   7 

3.15 

3.22 

3.29 

327 

34 

2.37 

3.43 

2.49 

2.55 

3.   2 

3.  8 

3.15 

3.22 

3.30 

326 

3S 

3.38 

3.14 

2.54 

2.54 

3.   2 

3.   9 

3.16 

3.23 

3.30 

325 

31 

3.39 

3.45 

2.51 

2.57 

3.   3 

3.14 

3.16 

3.23 

3.34 

324 

37 

3.4« 

3.48 

2.52 

2.t8 

3.  4 

3.10 

3.17 

3.33 

3.34 

323 

» 

3.il 

3.47 

2.52 

2.58 

3.    4 

3.H 

3.17 

3.34 

3.34 

322 

»  i 

3.43 

3.48 

2.53 

2.59 

3.  5 

3.11 

3.17 

3.34 

3.34 

321 

n 

3.U 

3.4S 

2.54 

2.59 

3.  5 

3.11 

3.17 

3.3& 

3.30 

320 

41    • 

3.iS 

3.49 

2.54 

3.   0 

3.  5 

3.11 

3.17 

3.34 

3.30 

319 

42 

3.U 

3.49 

2.54 

3.   0 

3.   6 

3.11 

3.17 

3.23 

3.29 

318 

43 

2.U 

3.49 

2.55 

3.   0 

3.   6 

3.11 

3.17 

3.23 

3.29 

317 

44 

3.i5 

3.54 

2.55 

3.   0 

3.   6 

3.11 

3.17 

3.23 

3.29 

316 

4S 

3.i» 

3.5* 

2.55 

3.  0 

3.   6 

3.11 

3.17 

3.22 

3.28 

315 

4« 

3.i» 

3.54 

2.55 

3.   0 

3.   5 

3.11 

3.16 

3.22 

3.28 

314 

47 

3.1S 

3.54 

2.55 

3.    0 

3.   5 

3.11 

3.16 

3.21 

3.27 

313 

41 

3.^ 

3.^4 

2.55 

3.   4 

3.   5 

3.14 

3.15 

3.21 

3.26 

312 

41 

3.45 

3.54 

2.55 

3.   4 

3.  5 

3.14 

3.15 

3.24 

3.26 

311 

SI 

2.ià 

2-54 

2.55 

2.59 

3.    k 

3.  9 

3.1i 

3.24 

3.25 

310 

SI 

2.45 

2.34 

2-5i 

2.59 

3.   k 

3.  9 

3.1i 

3.Î9 

3.24 

309 

i2 

3-i5 

3. 5-1 

2.5i 

2.59 

3.   3 

3.  « 

3.13 

3.1S 

3.23  ; 

308 

B 

3.45 

2.i9 

2.54 

2. S* 

3.   3 

3.  % 

3.12 

3.17 

3.22 

307 

Si 

T.ui 

2.49 

2.53 

2.58 

3.   2 

3.  7 

3.12 

3.14 

3.21 

306 

m 

3.14 

2.i9 

2.55 

2.57 

3.   2 

3.  4 

3.11 

3.14 

3.24  1 

305 

m 

3.U 

2.i* 

2.52 

2.57 

3.  i 

3.  4 

3.14 

3.f5 

3.19 

304 

» 

304 

3.i* 

2.52 

2.54 

3.  4 

3.  5 

3.  9 

3.14 

3.18 

303 

m  . 

f.^ 

2.47 

2.51 

2.55 

3.   4 

3.  4 

3.  8 

3.41 

3.17  i 

302 

m  L  . 

SOI 

2-47 

2.51 

2.55 

2.59 

3.  3 

3.  7 

3.12 

3.14  ; 

m 

4:2  INDICATEUR   PLANETAIBE. 

VÉJNUS.  —  TABLE  111  (Stiite). 

Valeurs  de  T. 


S 

1 

ralewr*  de  K. 

S 

82 

84 

86 

88 

90 

h    m 

/(  m 

/»  m 

h    m 

h    m 

60* 

2.  A2 

2.50 

2.58 

3.  6 

3  15 

300 

62 

2. Al 

2.&9 

2.56 

3.  5 

3.13 

298 

64 

2.A0 

2. 47 

2.55 

S.  2 

3.10 

296 

66 

2.38 

2.A5 

2.53 

3.  0 

3.  8 

294 

68 

2.37 

2.AÂ 

2.51 

2.58 

3.  5 

292 

70 

2.85 

2.A2 

2.Â9 

2.56 

3.  3 

290 

72 

2.83 

2.A0 

2.46 

2.53 

3.  0 

288 

74 

2.31 

2.38 

2.44 

2.51 

2.57 

286 

76 

2.29 

2.36 

2.42 

2.48 

2.55 

284 

78 

2.27 

2.33 

2.89 

2.46 

2.52 

282 

80 

3.25 

2.31 

2.37 

2.43 

2.49 

280 

82 

2.23 

2.29 

2.34 

2.40 

2.46 

278 

84 

2.21 

2.26 

2.32 

2.37 

2.43 

276 

86 

2.19 

2.2Â 

2.29 

2.34 

2.40 

274 

88 

2.46 

2.21 

2.26 

2.32 

2.37 

272 

90 

2.1A 

2.19 

2.24 

2.29 

2.34 

270 

92 

2.11 

2.16 

2.21 

2.26' 

2.31 

268 

94 

2.  9 

2.13 

2.18 

2.23 

2.28 

266 

96 

2.  6 

2.11 

2.15 

2.20 

2.24 

264 

98 

2.  à 

2.  8 

2.12 

2.17 

2.21 

262 

100 

2.  1 

2.  5 

2.  9 

ir.i4 

2.18 

260 

102 

1.58 

2.  2 

2.  7 

2.11 

2.15 

258 

104 

1.66 

2.  0 

3.  4 

2.  8 

2.12 

256 

106 

1.53 

1.57 

2.  1 

2.  4 

2.  8 

254 

108 

1.50 

1.54 

1.58 

2.  1 

2.  5 

252 

110 

1.A7 

1.51 

1.54 

1.58 

2.  2 

250 

112 

1.45 

l.â8 

1.51 

1.55 

1.58 

248 

114 

1.A2 

1*45 

1.48 

1.52 

1.55 

246 

116 

1.89 

1.42 

1.45 

1.48 

1.52 

244 

118 

1.86 

1.39 

1.42 

1.45 

1.48 

242 

INDIGATBCE  PLANETÀIfi£. 


43 


VÉNUS.  —  TABLE  III  (Suite), 
Valeurs  de  T. 


r«lew0»«  tie  K 

• 

S 



■i^»^— — -"'^^  — ^mM^^H 

■ 

-  —  _ 

S 

82 

84 

86 

88 

90 

A  m 

h    m 

h    m 

h    m 

h   m 

120« 

1.33 

1.36 

1.39 

1.42 

1.45 

240 

122 

i.SO 

1.33 

1.36 

1.39 

1.41 

238 

124 

1.27 

1.80 

1.33 

1.35 

1.38 

236 

126 

i.2A 

1.27 

1.29 

1.32 

1.35 

234 

128 

1.21 

i.2h 

1.26 

1.29 

1.31 

232 

130 

1.18 

1.21 

1.23 

1.25 

1.28 

230 

132 

1.15 

1.17 

1.20 

1.22 

1.24 

228 

134 

1.12 

i.ih 

1.16 

1.19 

1.21 

226 

136 

1.  9 

1.11 

1.13 

1.15 

1.17 

224 

138 

1.  6 

1.  8 

1.10 

1.12 

1.14 

222 

140 

1.  S 

1.  5 

1.  7 

1.  9 

1.10 

220 

142 

1.  0 

1.  2 

1.  3 

1.  5 

1.  7 

218 

144 

0.57 

0.58 

1.  0 

1.  2 

1.  3 

216 

146 

0.5& 

0.55 

0.57 

0.58 

1.  0 

214 

148 

0.51 

0.52 

0.5& 

0.55 

0.56 

212 

150 

0.47 

0.49 

0.50 

0.52 

0.53 

210 

152 

o.a 

0.&6 

0.47 

0.48 

0.49 

208 

154 

o.a 

0.À2 

0.44 

0.45 

0.46 

206 

156 

0.38 

0.39 

0.40 

0.41 

0.42 

204 

158 

0.35 

0.36 

0.37 

0.38 

0.39 

202 

160 

0.33 

0.33 

0.34 

0.34 

0.35 

200 

162 

0.29 

0.29 

0.30 

0.31 

0.32 

198 

164 

0.25 

0.26 

0.27 

0.28 

0.28 

196 

166 

0.22 

0.23 

0.24 

0.24 

0.25 

194 

168 

0.19 

0.20 

0.20 

0.21 

0.21 

192 

170 

0.16 

0.16 

0.17 

0.17 

0.18 

190 

172 

0.13 

0.13 

0.13 

0.14 

0.14 

188 

174 

0.10 

0.10 

0.10 

0.10 

0.11 

186 

176 

0.  6 

0.  7 

0.  7 

0.  7 

0.  7 

184 

178 

0.  3 

0.  3 

0.  3 

0.  3 

0.  4 

182 

INDICATEUR  PUNéTAIRX. 


45 


MARS.  —  TABLE  I. 

Époque  des  passages  successifs  de  Mars  à  son  périhélie,  et 
mmbre  de  jours  écoulés ,  au  commencement  de  chaque 
nuée ,  depuis  le  moment  du  dejmier  passage. 


DATE. 

ROIIBBB 

DATE. 

IfOHBBB 

DB  JOUIS.! 

DB  JOUBS.! 

1      IK5 

1  janv. 

19Â 

1883 

1  janv. 

585 

ISW 

1  janv. 

559 

• 

13  avr.  (pass.) 

0 

» 

9  niai(pAM.) 

0 

1886 

1  janv.. 

263 

1867 

1  janT. 

237 

1885 

1  janv. 

629 

1  1868 

1  janv. 

602 

» 

28  fév.  (pasB.) 

0 

1     • 

36Dian(pa«s.) 

0 

1886 

1  janv. 

807 

1  1869 

1  janv. 

281 

1887 

1  janv. 

672 

1  1870 

1  janv.                  6^6 

» 

16janv.(paM.) 

0 

1      t 

11  fev.  (paM.)          0 

1888 

1  janv. 

350 

1  1871 

1  janv. 

32& 

■ 

Sdé€.(pasft.) 

0 

B 

SOdéG.  pana.)          0 

1889 
1890 

1  janv. 

29 

187Î 

1  janv. 

2 

1  janv. 

396 

lb73 

1  janv. 

368               « 

21  oct  (paBB.)           0    1 

» 

18nov.  (pass.) 

0           1891 

4  janv.                    72    j 

187à 

1  janv. 

66           1893 

1  janv. 

637 

1875 

1  janv. 

un           » 

7  8ept(paBB.) 

0 

» 

h  oct  (pam».) 

0           1893 

1  janv. 

116 

1876 

1  janv. 

89           1896 

1  janv. 

681 

1877 

1  janv. 

655               » 

26  juil.  (paM). 

0 

• 

21aoùt(paM.) 

0           1895 

1  janv. 

159 

1878 

1  janv. 

133           1896 

1  janv. 

526 

1879 

1  janv. 

698               » 

12  juin  (paBB.; 

)           0 

> 

9juil.{pass.) 

0 

1897 

1  janv. 

203 

lb80 

1  janv. 

176 

1898 

1  janv. 

568 

1881 

1  janv. 

562 

» 

30  avr.  (pasB. 

)           0 

• 

26  mai  (paM. 

)          0 

1899 

1  janv. 

260 

1882 

1  janv. 

220      1     1900 

1  janv. 

611 

46 


1!«DICAT£UH  PLANETAIRE. 


MARS.  —  TABLE  II. 

Positions  successives  autour  du  Soleil,  de  2  jours  w  2  jours. 


t 

Jl 

H 

/ 

.4\ 

H 

/ 

J\ 

H 

/ 

Jl 

H 

Oi 

336» 

13 

56; 

9- 

15 

112  i 

40" 

15 

168  i 

IV 

15 

2 

337 

13 

58 

10 

15 

114 

41 

13 

170 

72 

15 

4 

339 

i3 

60 

11 

15 

116 

42 

15 

172 

73 

15 

6 

340 

13 

62 

12 

15 

118 

43 

15 

174 

74 

15 

8 

3Â1 

13 

64 

18 

15 

120 

44 

15 

176 

75 

15 

10 

SÂ2 

13 

66 

14 

15 

122 

45 

15 

178 

76 

15 

12 

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68 

15 

15 

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46 

15 

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77 

15 

14 

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70 

16 

15 

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15 

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15 

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17 

15 

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15 

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15 

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74 

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15 

130 

50 

15 

186 

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15 

20 

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76 

20 

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15 

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15 

22 

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21 

15 

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52 

15 

190 

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15 

24 

350 

l 

80 

22 

15 

136 

53 

15 

192 

84 

15 

26 

351 

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82 

23 

15 

138 

54 

15 

194 

85 

15 

28 

353 

14 

84 

24 

15 

140 

55 

15 

196 

80 

15 

30 

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U 

86 

25 

15 

142 

56 

15 

198 

87 

15 

32 

355 

14 

88 

26 

15 

144 

57 

15 

200 

88 

15 

34 

356 

14 

90 

27 

15 

146 

58 

15 

202 

89 

16 

36 

357 

14 

92 

28 

15 

148 

60 

15 

204 

90 

16 

38 

358 

14 

94 

30 

15 

150 

61 

15 

206 

91 

16 

40 

359 

14 

96 

31 

15 

152 

62 

15 

208 

92 

16 

42 

1 

14 

98 

32 

15 

154 

63 

15 

210 

94 

16 

44 

2 

14 

100 

33 

15 

156 

64 

15 

212 

95 

16 

46 

3 

15 

102 

34 

15 

158 

65 

15 

214 

96 

16 

48 

 

15 

104 

35 

15 

160 

66 

15 

216 

97 

16 

50 

5 

15 

106 

36 

15 

162 

67 

15 

218 

98 

16 

52 

6 

15 

108 

37 

15 

164 

68 

15 

2S0 

99 

16 

54 

7 

15 

110 

38 

15 

166 

70 

15 

222 

100 

16 

INDlCATEim    PLANÉTAIRE. 


47 


MARS.  —  TABLE  II  (Suite). 
PoÈitUms  mceesswes  autour  du  Soleil,  de  2  jours  en  2  jours. 


i     ift 

H 

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M 

H 

i 

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2U>  1 

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16 

282  i 

129» 

19 

340, 

155»  21 

398  i 

178«  22 

226  i 

LOS 

16 

284 

130 

19 

342 

156  21 

400 

179  22 

228  \ 

LOS 

16 

286 

131 

19 

344 

156  21 

402 

180  22 

230  \ 

loa 

17 

288 

132 

19 

346 

157  21 

404 

181  21 

232   1 

105 

17 

290 

133 

19 

348 

15S  21 

406 

182  22 

234  i 

106 

17 

292 

13Â 

19 

350 

159  21 

408 

182  22 

236  i 

107 

17 

294 

135 

19 

352 

160  21 

410 

183  22 

238   ^ 

108 

17 

296 

136 

20 

354 

160  21 

412 

184  22 

240  i 

109 

17 

298 

437 

20 

356 

161  22 

414 

185  22 

242   ^ 

LIO 

17 

300 

138 

20 

358 

162  22 

416 

186  21 

244   ^ 

LU 

17 

302  • 

13S 

20 

360 

163  22 

418 

186  21 

246   ^ 

L12 

17 

304 

139 

20 

362 

164  22 

420 

187  21 

248   J 

113 

17 

306 

ihO 

20 

364 

165  22 

422 

188  21- 

250   ^ 

LU 

17 

308 

161 

20 

366 

105  22 

424 

189  21 

252   1 

\iS 

17 

310 

142 

20 

368 

166  22 

426 

190  21 

234  i 

L16 

18 

312 

iàZ 

20 

370 

1«7  22 

428 

191  21 

256   ^ 

117 

18 

314 

ihh 

20 

372 

168  22 

430 

191  21 

258  i 

118 

18 

316 

145 

20 

374 

169  22 

432 

192  21 

260   ^ 

L19 

18 

318 

U5 

20 

376 

169  22 

434 

193  21 

262   d 

120 

18 

320 

146 

20 

378 

170  22 

436 

194  21 

264  i 

121 

18 

322 

147 

21 

380 

171  22 

438 

195  21 

266   j 

L22 

18 

324 

148 

21 

382 

172  22 

440 

196  21 

268  i 

123 

18 

326 

149 

21 

384 

173  22 

442 

196  21 

270   ^ 

L24 

18 

328 

150 

21 

386 

173  22 

444 

197  21 

272   ^ 

L25 

18 

330 

151 

21 

388 

174  22 

446 

198  21 

274  i 

L26 

18 

332 

151 

21 

390 

175  22 

448 

199  20 

276   d 

127 

19 

334 

152 

21 

392 

176  22 

450 

200  20 

278  i 

128 

19 

336 

153 

21 

394 

177  22 

452 

201  20 

280   1 

[28 

19 

338 

154 

21 

396 

178  22 

454 

202  20 

48 


INDICATEUR   PLANETAIRE. 


MARS. —TABLE  II  {Suite). 
Positions  successives  autour  du  Soleil,  de  2  jours  en  2  jours. 


t 

yR 

H 

t 

yR 

H 

/ 

yR 

H 

t 

yR 

H 

456  i 

J02» 

20 

514  J 

230» 

16 

572  J 

263« 

13 

630  j 

800» 

11 

458 

203 

20 

516 

231 

16 

574 

264 

12 

632 

302 

•11 

460 

20& 

20 

518 

232 

16 

576 

265 

12 

634 

303 

11 

462 

205 

20 

520 

233 

16 

578 

207 

12 

636 

304 

11 

464 

206 

20 

522 

234 

16 

580 

268 

12 

638 

305 

11 

466 

207 

20 

524 

235 

16 

582 

269 

12 

640 

307 

12 

468 

208 

19 

526 

236 

16 

584 

270 

12 

642 

30A 

12 

470 

209 

19 

528 

237 

15 

586 

272 

12 

644 

309 

12 

472 

210 

19 

530 

238 

15 

588 

273 

646 

311 

12 

474 

210 

19 

532 

239 

15 

590 

274 

648 

312 

12 

476 

21! 

19 

534 

241 

15 

592 

276 

650 

313 

12 

478 

242 

19 

536 

242 

15 

594 

277 

652 

314 

12 

480 

243 

19 

538 

243 

15 

596 

278 

654 

316 

12 

482 

214 

19 

540 

244 

15 

598 

279 

656 

317 

12 

484 

215 

18 

542 

245 

14 

600 

281 

658 

818 

12 

486 

216 

18 

544 

246 

14 

602 

282 

660 

320 

12 

488 

217 

18 

546 

547 

14 

604 

283 

662 

321 

12 

490 

2i8 

18 

548 

249 

14 

606 

285 

664 

322 

12 

492 

219 

18 

550 

250 

14 

608 

286 

666 

323 

12 

494 

220 

18 

552 

251 

14 

610 

287 

668 

825 

12 

496 

221 

18 

554 

252 

14 

612 

289 

670 

826 

12 

498 

222 

18 

556 

253 

13 

614 

290 

672 

327 

13 

500 

223 

17 

558 

254 

13 

616 

291 

674 

328 

13 

502 

224 

17 

560 

256 

18 

618 

292 

676 

330 

13 

504 

225 

17 

562 

257 

18 

620 

294 

678 

331 

13 

506 

22G 

17 

564 

258 

13 

622 

295 

680 

332 

13 

508 

227 

17 

566 

259 

13 

624 

296 

682 

333 

13 

510 

228 

17 

568 

260 

13 

626 

298 

684 

834 

18 

512 

229 

17 

570 

262 

13 

628 

299 

INDICATEUR    PLAM£tAIRI. 


49 


0* 

i 

1 

3 

4 
S 

6 
7 
S 
9^ 

10 

il 

12 
13 
14 
15 
10 
17 

IS 

19 
20 
21 
22 
23 

M 
2S 


27 


MARS.  —  TABLE  ID. 

Valeurs  de  T,  dépendantes  de  S  et  de  IL. 


S 


11 

14   16 

deU 

• 

24 

26 

12 

13 

18 

20 

22 

h   m 
12.  0 

h    m    h    m 
12.  0  12.  0 

h    m 
i2.  0 

h    m 
J2.  0 

h    m 
42.  0 

h    m 
12.  0 

h    m 
42.  0 

h    m 
12.  0 

h    m 
!2.  0 

11.42  11.43  il. 45  il.à5  li.47  11.48  il. 49  li.50  il. 51  11.51 
11.24  11.27  11.29  11.31  11. 3â  ii.36  11.38  11. AO  11. Ai  11. &2 
11.  7  11.11  11.14  11.17  11.21  11.25  11.28  11.30  11.32  11.33 
10.50  10.55  10.59  11.  3  11.  9  11.13  li.l7  11.20  11.22  11.25 
10.3&  10.39  10. &4  10.49  10.56  11.  2  11.  6  11.10  11.13  11.16 

iO.18  10.24  10.30  10.35  10.44  10.50  10.56  H.  0  11.  h  11.  7 
10.  2  10.10  10.16  10.22  10.32  10.39  10.65  10.51  10.55  10.58 
9.48  9.56  10.  S  10.  9  10.20  10.28  10.35  10.41  10. &6  10.50 
9.34  9.48  9.50  9.57  10.  9  10.18  10.25  10.32  10.87  10. Al 
9.21  9.30  9.38  9.A5  9.57  10.  7  10.15  10.22  10.28  10.33 
9.  8    9.18    9.26    9.34    9.47     9.57  10.  6  10.13  10.19  10.25 

8.57     9.  6    9.15     9.23     9.36     9.&7     9.56  10.  A  10.11  10.16 


8.&5  8.55  9.  4  9.12  9.26  9.37     9.47 

8.35  8.45  8.54  9.2  9.16  9.28.9.38 

8.25  8.35  8.44  8.52  9.  7  9.19     9.29 

8.15  8.25  8.3A  8.&3  8.57  9.10     9.21 

8.  7  8.16  8.25  8.34  8.A9  9.  1     9.12 


9.55  10.  2  10.  8 
9.&7  9.5A  10.  0 
9.38  9.A6  9.53 
9.30  9.38  9./i5 
9.22     9.30     9.37 


7.58     8.  8     8.17     8.25     8.A0     8.53     9.   A     9.  lA     9.23     9.30 


7.50  7.59  8.  8  8.17  8.32  8.A5  8.56 

7.42  7.52  8.  0  8.  9  8.2A  8.37  8.A8 

7.35  7.AA  7.53  8.   1  8.10  8.29  8. Ai 

7.28  7.37  7.A6  7.5A  8.   9  8.22  8.33 


9.  6 
8.5S 
8.51 


S.AA 


9.15  9.22 

9.  7  9.15 

9.   0  9.  8 

8.53  9.   1 


7.21     7.30     7.89     7.47     8.    1     8.1A     8.26     8.37     8.A6     8.5A 

7.15     7.23     7.32     7.40     7.54     8.   7     8.19     8.30     8.39     8.A7 
7.  8     7.17     7.25     7.33     7.48     8.  1     8.12     8.23     8.32     8. Al 


7.  2 
6.57 
6.31 
6.46 


7.11 
7.  5 
6.59 
6.54 


7.19 
7.13 
7.  7 
7.  1 


7.27 
7.21 
7.15 
7.  9 


7. Ai 
7.35 
7.29 
7.23 


7.54 
7.A8 
7. Al 
7.35 


8.  6 
7.59 
7.53 
7.47 


8.16 
8.10 
8.  3 
7.57 


8.26 
8.19 
8.13 
8.   7 


8.3A 
8.28 
8.22 
8.15 


360* 

359 

358 

357 

356 

355 

354 
353 
352 
351 
350 
349 

348 
347 
346 
345 
344 
343 

342 
341 
340 
339 
338 
337 

336 
335 
334 
333 
332 
331 


50  INDICATEUR   PLANÉTAIHE. 

MARS.  —TABLE  lU  {Suite). 
Valeurs  de  T. 


^t 

11 

Wi 

16 

1  de  1 

4. 

s 

12 

13 

14 

18 

20 

22 

24 

26 

h    m 

h    m 

/i    m 

Il    m 

/i    m 

h    m 

h    m 

h    m 

h    m 

h    m 

30"» 

6.41 

Q.àO 

6.56 

7.  3 

7.17 

7.29 

7.41 

7.51 

8.   1 

8.  9 

31 

6.3Q 

6.63 

6.51 

6.58 

7.11 

7.24 

7.35 

7.45 

7.55 

8.   3 

32 

6. SI 

6.38 

6.46 

6.53 

7.  6 

7.18 

7.29 

7.39 

7.49 

7.58 

33 

6.26 

6.33 

6.41 

6.47 

7.   0 

7.12 

7.24 

7.34 

7.43 

7.52 

34 

6.22 

6.29 

6.36 

6.42 

6.55 

7.  7 

7.18 

7.28 

7.38 

7.46 

35 

6.17 

6.26 

6.31 

6.38 

6.50 

7.   2 

7.13 

7.23 

7.32 

7.41 

36 

6.13 

6.20 

6.26 

6.33 

6.45 

6.57 

7.   7 

7.17 

7.27 

7.35 

37 

6.   9 

6.15 

6.22 

6.28 

6.40 

6.52 

7.  2 

7.12 

7.21 

7.30 

38 

6.  U 

6.11 

6.17 

6.24 

6.36 

6.47 

6.57 

7.  7 

7.16 

7.25 

39 

6.    0 

6.  7 

6.13 

6.19 

6.31 

6.42 

6.52 

7.  2 

7.11 

7.20 

40 

5.56 

6.   3 

6.  9 

6.15 

G. 26 

6.37 

6.47 

6.57 

7.  6 

7.14 

41 

5.52 

5.59 

6.   5 

6.11 

6.22 

6.33 

6.43 

6.52 

7.   1 

7.  9 

42 

5.&9 

5.55 

6.   1 

6.  6 

6.18 

6.28 

6.38 

6.47 

6.56 

7.  5 

43 

5.&5 

5.51 

5.57 

6.  2- 

6.13 

6.24 

6.33 

6.43 

6.52 

7.  0 

44 

5. Al 

5.47 

5.53 

5.58 

6.   9 

6.19 

6.29 

6.38 

6.47 

6.55 

45 

5. 38 

5.43 

5.49 

5.54 

6.  5 

6.15 

6.25 

6.34 

6.42 

6.50 

46 

5.3Â 

5.40 

5.45 

5.51 

6.  1 

6.11 

6.20 

6.29 

6.38 

6.46 

47 

5.31 

5.36 

5.41 

5.47 

5.57 

6.   7 

6.16 

6.25 

6.33 

6.41 

48 

5.27 

5.33 

5. .38 

5.43 

5.53 

6.  3 

6.12 

6.20 

6.29 

6.37 

49 

5.2'* 

5.29 

5.34 

5.39 

5.49 

5.59 

6.    8 

6.16 

6.24 

6.32 

50 

5.20 

5.26 

5.31 

5.36 

5.45 

5.55 

6.  4 

6.12 

6.20 

6.28 

51 

5.17 

5.22 

5.27 

5.32 

5.42 

5.51 

6.   0 

6.  8 

6.16 

6.23 

52 

5.1& 

5.19 

5.24 

5.29 

5.38 

5.47 

5.56 

6.   4 

6.12 

6.19 

53 

5.11 

5.16 

5.20 

5.25 

5.34 

5.43 

5.52 

6.  0 

6.  8 

6.15 

54 

5.   8 

5.12 

5.17 

5.22 

5.31 

5.39 

5.48 

5.56 

6.  3 

6.11 

55 

5.  à 

5.   9 

5.14 

5.18 

5.27 

5.36 

5.44 

5.52 

5.59 

6.  7 

56 

5.  1 

5.   6 

5.10 

5.15 

5.24 

5.32 

5.40 

5.48 

5.56 

6.  S 

57 

6.58 

5.   3 

5.   7 

5.12 

5.20 

5.28 

5.36 

5.44 

5.52 

5.59 

58 

A. 55 

5.   0 

5.  4 

5.   8 

5.17 

5.25 

5.33 

5.40 

5.48 

5.55 

69 

&.52 

4.57 

5.  i 

5.  5 

5.13 

5.21 

5. 29 

5.37 

5.64 

5.51 

niDIClTEUR  PLÂNETAïaS.  51 

MARS. —TABLE  III  {Suite). 
Valeurs  de  T. 

r«leMr«  de  WL. 


il         12  13  U  16       18  20  22       24       26 

m      h     m  h     m  h    m  h    m  h    m  h    m  h    m  h    m  h    m 

A9     à.5à  à.àS  5.  2  5.10  5.18  5.26  5.33  5.60  5.47  300* 

.i6      i.50  A. 55  Â.59  5.7  5.15  5.22  5.29  5.36  5. A3  299 

.i3     â.47  A. 52  4.56  5.  3  5.11  5.19  5.26  5.33  5.39  298 

kO     à^à5  &.à9  d.52  5.  0  5.    8  5.15  5.23  5.29  5.36  297 

38     â.â3  à.à5  à.h9  &.57  5.   à  5.12  5.19  5.25  5.32  296 

35     Â.39  à-à3  àA6  à.5h  5.   1  5.   8  5.15  5.22  5.28  295 

32     Â.3^  à'àO  àA3  â.51  A. 58  5.  5  5.12  5.18  5.2à  294 

29     A. 33  A. 37  4.40  4.48  4.55  5.   1  5.   8  5.15  5.21  293 

26     Â.30  â.3Â  4.37  4.44  4.51  4.58  5.  5  5.11  5.17  292 

24     Â.27  A. 31  4.S4  4. H  4.48  4.55  5.  1  5.   8  5.14  291 

M     â.26  &-38  4.31  4.38  4.45  4.52  4.58  5.  4  5.10  290 

18     â.32  à.i^  4.29  4.35  4.42  4.48  4.55  5.  1  5.  7  289 

15     â.l9  i&.22  4.26  4.32  4.39  4.45  4.51  4.57  5.  3  288 

[3     À.  16  À. 19  4.23  4.29  4.36  4.42  4.48  4.54  5.   0  287 

10     A.13  A-^*^  ^-20  4.26  4.33  4.39  4.45  4.51  4.56  286 

7     A. 11  A.IA  4.17  4.23  4.30  4.36  4.42  4.47  4.53  285 

5     à.    S  à.^i  4.14  4.20  4.27  4.33  4.38  4.44  4.50  284 

2     /k.    5  à.    S  4.11  4.18  4.24  4.30  4.35  4.41  4.46  283 

»9     Â.    2  Â.    6  4.  9  4.15  4.21  4.26  4.32  4.38  4.43  282 

.7      A.    O  A.    3  4.  6  4.12  4.18  4.23  4.29  4.34  4.40  281 

•4      3.57  A.    0  4.  3  4.  9  4.15  4.20  4.26  4.31  4.36  280 

,2      3.55  3.57  4.   0  4.  6  4.12  4.17  4.23  4.28  4.33  279 

9      3.52  3.55  3.58  4.  3  4.   9  4.14  4.20  4.25  4.30  278 

A      3. 49  3.52  3.55  4.   1  4.  6  4.11  4.17  4.22  4.27  277 

3.A7  3.49  3.52  3.58  4.  3  4.  8  4.14  4.19  4.24  276 

3.ÂA  3.47  3.50  3.55  4.  0  4.  5  4.11  4.16  4.20  275 

3. Al  .3.44  3.47  3.52  3.57  4.  3  4.  8  4.12  4.17  274 

3.39  3.42  3.44  3.49  3.55  4.  0  4.  5  4.  9  4.14  273 

3.36  3.39  3.42  3.47  3.52  3.57  4.  2  4.   6  4.11  272 

3.3A  3.36  3.39  3.44  3.49  3.54  3.59  4.  3  4.  8  271 


i4 

îl 

S9 

36 

34 

31 


52  INDlGATlsUR   PLANÉTAIRE. 

MARS.  —  TABLE  III  (Suite). 
Valeurs  de  T. 


s 



11 

ri 

i  de  WL. 

18   20 

22 

26 

.12 

13 

14 

24 

h    m 

h    m 

h    m 

h    m 

h    m 

h    m 

h    m 

h    m 

h    m 

h   m 

90* 

8.29 

3.31 

8.34 

3.36 

3.41 

3.46 

3.51 

3.56 

4.  0 

4.  5 

9i 

3.36 

3.29 

3.31 

3.34 

3.39 

3.43 

3.48 

3.53 

8.57 

4.  2' 

92 

'Z.lk 

3.36 

3.39 

3.31 

3.36 

3.41 

3.45 

3.50 

8.54 

8.59 

93 

3.21 

3.34 

3.26 

3.28 

3.83 

3.38 

8.43 

3.47 

3.51 

8.56 

94 

3.19 

3.21 

3.34 

3.26 

3.31 

3.35 

3.40 

3.44 

3.48 

3.58 

95 

3.16 

3.19 

3.21 

3.23 

3.38 

3..'53 

3.37 

3.41 

3.45 

8.50 

96 

3. là 

3.16 

3.18 

3.21 

3.35 

3.30 

3.34 

3.88 

3.43 

8.47 

97 

3.11 

3.14 

3.16 

3.18 

3.23 

3.87 

8.31 

3.36 

8.40 

8.44 

98 

8.  9 

3.11 

3.13 

3.16 

3.30 

8.34 

3.39 

3.33 

3.37 

8.41 

99 

3.  7 

3.  9 

3.11 

3.13 

3.17 

3.33 

8.36 

8.30 

3.84 

8.83 

100 

3.  h 

3.  6 

3.  8 

3.11 

3.15 

3.19 

3.23 

3.37 

3.81 

3.85 

101 

8.  2 

3.  4 

8.  6 

3.  8 

3.13 

8.16 

3.20 

8.34 

8.38 

3.33 

102 

2.59 

3.  1 

3.  8 

3.  5 

3.10 

3.14 

8.18 

3.31 

8.35 

3.39 

103 

2.57 

2.59 

3.  1 

3.  8 

3.  7 

3.11 

3.15 

3.19 

8.33 

3.26 

104 

2.5& 

2.56 

2.58 

3.  0 

3.  4 

3.  8 

3.12 

8.16 

8.30 

8.33 

105 

2.52 

2.54 

2.56 

2.58 

3.  3 

3.  6 

3.  9 

3.13 

8.17 

3.20 

106 

2.50 

2.52 

2.54 

2.55 

2.59 

3.  8 

3.  7 

3.10 

3.14 

3.17 

107 

2.47 

2.49 

3.51 

2.53 

2.57 

3.  0 

3.  4 

3.  8 

3.11 

3.15 

108 

2.&5 

2.47 

2.49 

2. .50 

3.54 

3.58 

3.  1 

3.  5 

3.  8 

3.12 

109 

2. A3 

2.44 

2.46 

3.48 

2.52 

3.55 

2.59 

3.  3 

3.  6 

8.  9 

110 

2.40 

2.42 

2.44 

2.â6 

2.49 

3.53 

2.56 

3.59 

8.  8 

3.  6 

111 

2.38 

2.40 

2.41 

2.43 

2.47 

3.50 

2.53 

3.57 

8.  0 

3.  3 

112 

2.35 

2.37 

2.39 

3.41 

2.44 

3.47 

2.51 

3.54 

3.57 

3.  0 

113 

2.33 

2.35 

2.36 

2.88 

3.41 

3.45 

2.48 

2..M 

3.54 

3.58 

114 

2.31 

2.32 

2.34 

2.36 

3.39 

3.43 

2.45 

3.49 

3.53 

3.55 

115 

2.28 

2.30 

2.32 

2.83 

2.36 

3.40 

2.43 

3.46 

3.49 

2.53 

116 

2.26 

2.28 

3.39 

2.31 

2.34 

3.37 

3.40 

3.48 

3.46 

2.49 

117 

2.24 

2.25 

3.37 

3.38 

3.31 

3.85 

3.38 

3.41 

3.44 

2.46 

118 

2.21 

2.33 

3.34 

3.36 

3.39 

3.83 

3.35 

3.88 

3.41 

2.a 

119 

3.19 

3.20 

3.33 

5.34 

3.36 

3.39 

3.85 

3.85 

3.88 

2.11 

niDICAT£IIB  PLANETAUE. 


S3 


MARS.  —  TABLE  III  (SuiU). 
Valeurs  de  T. 


r< 

■l€fit<«  de  li. 

S 

"le 

26 

S 

il 

12 

13 

14 

18 

20 

22 

24 

h    m 

k    m 

4   m 

h    m 

h    m 

h    m 

h    m 

h    m 

h    m 

h   m 

110* 

Î.I7 

2.18 

2.20 

2.21 

2.24 

2.27 

2.30 

3.33 

3.35 

2.38 

340* 

il! 

2.U 

2.18 

2.17 

2.19 

2.22 

2.24 

2.27 

3.30 

2.33 

2.35 

239 

m 

2.12 

2.13 

2.15 

2.16 

2.19 

2.22 

2.25 

2.27 

2.30 

2.33 

338 

m 

2.10 

2.11 

2.12 

2.U 

2.17 

2.19 

2.22 

3.25 

2.27 

3.30 

237 

m 

2.  7 

3.  9 

2.10 

2.11 

2.14 

2.17 

3.19 

2.33 

2.25 

3.37 

336 

m 

2.  5 

3.  0 

2.  8 

2.  9 

2.12 

2.14 

2.17 

3.19 

3.23 

3.34 

235 

116 

2.  9 

2.  4 

2.  5 

2.  7 

2.  9 

2.12 

2.14 

3.47 

3.19 

3.33 

234 

in 

2.  0 

2.  2 

2.  3 

2.  h 

2.  7 

2.  9 

2.12 

2.44 

3.17 

3.49 

233 

188 

1.38 

1.59 

2.  1 

2.  2 

2.  4 

2.  7 

2.  9 

2.12 

3.14 

3.16 

232 

i» 

i.56 

1.57 

4.58 

1.59 

2.  2 

2.  4 

2.  7 

2.   9 

3.44 

3.14 

331 

130 

i.53 

1.55 

1.56 

4.57 

1.59 

2.   2 

2.  4 

5.  6 

3.  9 

3.11 

230 

131 

1.51 

1.52 

1.53 

4.55 

1.57 

4.59 

2.  2 

3.  4 

3.  6 

3.   8 

229 

132 

1.49 

1.50 

1.51 

1.52 

1.55 

• 

4.57 

1.59 

2.  1 

3.  3 

3.   5 

228 

133 

1.47 

l.&H 

4.&9 

1.50 

1.52 

1.54 

1.56 

1.59 

2.   1 

3.  3 

227 

134 

1.44 

4.45 

4.Â6 

1.Â8 

1.50 

4.52 

1.54 

1.56 

1.58 

3.  0 

226 

135 

1.42 

i.h^ 

i.hà 

1.&5 

4.47 

1.49 

1.51 

1.53 

1.55 

1.57 

225 

136 

1.40 

i.hi 

1 

4.42 

4.à3 

4.45 

1.47 

1.49 

1.51 

1.53 

1.55 

224 

137 

1.37 

1.38 

4.39 

l.iO 

1.42 

1.44 

1.46 

1.48 

1.50 

1.52 

223 

138 

1.85 

1.36 

1.37 

1.38 

1.40 

1.42 

t.&4 

1.46 

1.48 

1.49 

222 

139 

1.5S 

4.3& 

4.35 

4.36 

1.38 

1.39 

4.44 

1.43 

4.45 

1.47 

221 

140 

4.31 

4.31 

4.32 

1.3.J 

4.35 

1.37 

1.39 

1.41 

1.42 

1.&4 

220 

141 

1.28 

1.29 

1.30 

1.31 

1.33 

1.35 

4.36 

4.38 

1.40 

4.42 

219 

142 

1.26 

1.27 

1.2R 

1.29 

1.30 

1.32 

1.34 

4.36 

1.37 

4.39 

218 

143 

1.24 

1.25 

1.25 

1.26 

4.28 

1.30 

1.31 

1.33 

4.35 

4.36 

217 

144 

1.21 

1.22 

1.23 

1.24 

1.26 

1.27 

1.29 

1.30 

4.32 

4.34 

316 

148 

1.19 
1.17 

4.20 

1.21 

1.22 

1.23 

1.25 

1.26 

4.28 

4.29 

4.31 

215 

146 

1.18 

1.48 

1.19 

1.21 

1.22 

1.24 

1.25 

1.27 

4.28 

214 

147 

1.15 

1.15 

4.46 

1.17 

1.18 

1.20 

1.31 

4.33 

1.24 

1.26 

213 

M 

1.12 

1.48 

l.U 

ÏAh 

1.16 

1.17 

1.19 

1.30 

1.22 

1.23 

\\2 

140 

1.10 

1.11 

1.41 

1.12 

4.44 

1.15 

1.16 

1.18 

4.19 

1.30 

211 

54 


INDICATEUR   PLANETAIRE. 


MARS.  —  TABLE  III  (Suite). 
Valeurs  de  T. 


S 

11 

12 

raleM«*s  de  U. 

26 

13 

14 

16 

18 

20 

22 

24 

h    m 

h    m 

h    m 

/i  m 

h    m 

h    m 

h    m 

/i  m 

h    m 

h    m 

150» 

i.  8 

1.  8 

1.  9 

1.10 

1.11 

1.13 

1.14 

1.15 

1.17 

1.18. 

151 

1.  5 

1.  6 

1.  7 

1.  7 

1.  9 

1.10 

1.11 

1.13 

1.1'i 

1.15 

1521 

1.  S 

1.  4 

1.  4 

1.  5 

1.  6 

1.  8 

1.  9 

1.10 

1.11 

1.13 

153 

1.  1 

1.  2 

1.  2 

1.  3 

1.  4 

1.  5 

1.  6 

1.  8 

1.  9 

1.10 

154 

0.59 

0.59 

1.  0 

1.  0 

1.  2 

1.  3 

1.  4 

1.  5 

1.  6 

1.  7 

155 

0.56 

0.57 

0.58 

0.58 

0.59 

1.  0 

1.  1 

1.  3 

1.  4 

1.  5 

156 

0.54 

0.55 

0.55 

0.56 

0.57 

0.58 

0.59 

1.  0 

1.  1 

1.  3 

157 

0.52 

0.52 

0.53 

0.53 

0.54 

0.50 

0.57 

0.58 

0.59 

1.  0 

158 

0.50 

0.50 

0.51 

0.51 

0.52 

0.53 

0.54 

0.55 

0.56 

0.57 

159 

0.47 

0.48 

0.48 

0.49 

0.50 

0.51 

0.52 

0.53 

0.53 

0.54 

160 

0.45 

0.46 

0.40 

0.46 

0.47 

0.48 

0.49 

0.50 

0.51 

0.53 

161 

0.43 

0.43 

0.44 

0.44 

0.45 

0.46 

0.47 

0.48 

0.48 

0.49 

162 

0.41 

0.41 

0.41 

0.42 

0.43 

0.43 

0.44 

0.45 

0.46 

0.47 

163 

0.38 

0.39 

0.39 

0.39 

0.40 

0.41 

0.42 

0.42 

0.43 

0.44 

164 

0.36 

0.36 

0.37 

0.37 

0.38 

0.39 

0.39 

0.40 

0.41 

0.41 

165 

0.34 

0.34 

0.34 

0.35 

0.35 

0.36 

0.37 

0.37 

0.38 

0.39 

166 

0.33 

0.32 

0.32 

0.32 

0.33 

0.34 

0.34 

0.35 

0.36 

0.36 

167 

0.29 

0.30 

0.30 

0.30 

0.31 

0.31 

0.32 

0.32 

0.33 

0.84 

168 

6.27 

0.27 

0.28 

0.28 

0.28 

0.29 

0.29 

0.30 

0.30 

0.31 

16d 

0.25 

0.25 

0.25 

0.26 

0.26 

0.27 

0.27 

0.27 

0.38 

0.38 

170 

0.23 

0.23 

0.23 

0.23 

0.24 

0.24 

0.25 

0.25 

0.35 

0.36 

171 

0.20 

0.20 

0.21 

0.21 

0.21 

0.22 

0.22 

0.22 

0.23 

0.33 

172 

0.18 

0.18 

0.18 

0.19 

0.19 

0.19 

0.20 

0.20 

0.20 

0.31 

173 

0.16 

0.16 

0.16 

0.16 

0.17 

0.17 

0.17 

0.17 

0.18 

0.18 

174 

0.44 

0.14 

0.14 

0.14 

0.14 

0.14 

0.15 

0.15 

0.15 

0.15 

175 

0.11 

O.U 

0.11 

0.12 

0.12 

0.12 

0.f2 

0.12 

0.13 

0.13 

176 

0.  9 

0.  9 

0.  9 

0.  9 

0.  9 

0.10 

0.10 

0.10 

0.10 

0.10 

177 

0.  7 

0.  7 

0.  7 

0.  7 

0.  7 

0.  7 

0.  7 

0.  7 

0.  8 

0.  8 

178 

0.  5 

0.  5 

0.  5 

0.  5 

0.  5 

0.  5 

0.  5 

0.  5 

0.  5 

0.  5 

179 

0.  3 

0.  3 

0.  2 

0.  2 

0.  2 

0.  2 

0.  3 

0.  S 

0.  3 

0.  3 

INDICATEUR   PUNETAIRE. 


55 


JUPITER.  —  TABLE  I. 

Époque  des  passages  successifs  de  Jupiter  à  son  périhélie , 
et  nombre  de  jours  écoulés ,  au  commencement  de  chaque 
année ,  depuis  le  moment  du  dernier  passage. 


DATE. 

NOMRBB 
DE  JOUBS. 

DATE. 

ffOMBKE 
DE  JOURS. 

1865 

1  janv. 

2929 

1882 

1  janv. 

473 

1866 

1  janv. 

329& 

1883 

1  janv. 

838 

1867 

1  janv. 

3659 

1884 

1  janv. 

1208 

1868 

1  janv. 

4024 

1885 

1  janv. 

1569 

■ 

5nov.  (pa»8.) 

0 

1886 

1  janv. 

1934 

1869 

1  janv. 

57 

1887 

1  janv. 

2299 

1870 

1  janv. 

422 

18S8 

1  janv. 

2664 

1871 

4  janv. 

787 

1889 

1  janv. 

3030 

1872 

1  janv. 

1152 

1890 

1  janv. 

3395 

1873 

1  janv. 

1518 

18î»l 

1  janv. 

3760 

187Â 

1  janv. 

1883 

1892 

1  janv. 

4125 

1875 

1  janv. 

2248 

B 

27jail.(pasfi.) 

0 

1876 

1  janv. 

2613 

1893 

1  janv. 

158 

1877 

1  janv. 

2979 

1894 

1  janv. 

523 

1878 

1  janv. 

3344 

1895 

1  janv. 

888 

1879 

1  janv. 

3709 

1896 

.  1  janv. 

1253 

1880 

1  janv. 

4074 

1897 

1  janv. 

1619 

• 

15  8ept.(pas8.) 

0 

1898 

1  janv. 

1984 

1881 

1  janv. 

108 

1899 

1  janv. 

2349 

56 


IliDICATEOR    PUdiTAIRE. 


JUPITER.  —  TABLE  II. 


Pondons  successives  autour  du  Soleil,  de  U  jours  en  i^  jours 


t 

yR 

H 

t 

M 

U 

/ 

yR 

H 

/ 

yR  H 

OJ 

if 

69 

364i 

A3- 

68 

728  J 

• 
77* 

67 

10921  ilO*  68 

14 

13 

69 

<378 

hh 

68 

742 

78 

67 

1106 

111  68 

U 

ià 

69 

392 

&6 

68 

756 

79 

67 

1120 

112  69 

42 

15 

69 

406 

A7 

68 

770 

80 

67 

1134 

lU  69 

56 

16 

69 

420 

A8 

68 

784 

82 

67 

1148 

115  69 

70 

18 

69 

434 

49 

68 

798 

83 

67 

1162 

116  69 

84 

19 

69 

448 

51 

68 

812 

84 

67 

1176 

117  69 

98 

SO 

69 

462 

52 

68 

826 

86 

67 

1190 

119  69 

112 

SI 

69 

476 

53 

68 

840 

87 

67 

1204 

120  69 

126 

S2 

69 

490 

55 

68 

854 

88 

67 

1218 

121  69 

140 

2A 

69 

504 

56 

68 

868 

90 

67 

1232 

122  69 

164 

25 

69 

518 

57 

68 

882 

91 

67 

1246 

123  69 

168 

26 

69 

532 

58 

68 

896 

92 

67 

1290 

124  69 

182 

27 

69 

546 

60 

68 

910 

93 

68 

1274 

126  70 

196 

28 

69 

560 

61 

68 

924 

95 

68 

1288 

127  70 

210 

30 

69 

574 

62 

67 

938 

96 

68 

1302 

128  76 

224 

31 

69 

588 

6A 

67 

952 

97 

68 

1316 

129  70 

238 

32 

69 

602 

65 

67 

966 

99 

68 

1330 

130  70 

252 

33 

69 

616 

66 

67 

980 

100 

68 

13U 

131  70 

266 

35 

69 

630 

67 

67 

994 

101 

68 

1358 

133  76 

280 

36 

69 

644 

69 

67 

1008 

102 

68 

1372 

134  70 

294 

37 

6S 

658 

70 

67 

1022 

104 

68 

1386 

135  70 

308 

38 

68 

672 

71 

67 

1036 

105 

68 

1400 

136  71 

322 

39 

68 

686 

73 

67 

1090 

106 

68 

1414 

187  71 

336 

ki 

68 

700 

74 

67 

1064 

107 

68 

1428 

138  71 

350 

à2 

68 

714 

75 

67 

1078 

109 

68 

1442 

139  71 

llfDlCATEUR   PLANETAIKE. 


57 


JUPITER.  —  TABLE  U  (Suite). 


successives  autour  du  Soieii,  de  44  jours  en  Wjour», 


/     iA     H 

/         i« 

H 

/ 

Jfi 

H 

/ 

M     H 

i45lJ  UO*  71 

1820 i  1 

167« 

73 

2184  i 

193» 

74 

2548  i 

2I9*  73 

tm    léf     71 

1834    1 

L68 

73 

2198 

194 

74 

2562 

220     72 

t^    143     71 

1848    4 

169 

73 

2212 

195 

74 

2576 

221     72 

UM   141     71 

1862    ^ 

170 

73 

2226 

196 

73 

2590 

222     72 

IMI   145    71 

1876    i 

171 

73 

2240 

197 

73 

2604 

223     72 

4ttl    146     71 

1890    j 

17J 

73 

2254 

198 

73 

2618 

324     72 

ii48   147    7S 

1904    { 

173 

73 

2268 

199 

73 

2632 

335     73 

ttS4  ,48     7« 

1918    ^ 

174 

73 

2282 

200 

73 

2646 

236     71 

*««  149     7« 

1932    ^ 

175 

73 

2296 

301 

73 

2660 

338     71 

MW  150     7« 

1946    { 

176 

74 

2310 

302 

73 

2674 

339     71 

(*»•  151     71 

1960    ^ 

J77 

74 

232.4 

203 

73 

2688 

330     71 

*0  I5S     71 

1974    \ 

L78 

74 

2338 

204 

73 

2702 

331     71 

^•Î4   158     71 

1988    ^ 

179 

74 

2352 

205 

73 

2716 

333     71 

**38   154     71 

2002     ^ 

L80 

74 

2366 

200 

73 

2730 

233     71 

*«2   155     71 

2016     i 

181 

74 

2380 

207 

73 

2744 

334     71 

*«W   156     71 

2O30     4 

182 

74 

2394 

208 

73 

2758 

335     71 

*W0   157     71 

2044    \ 

L83 

74 

2408 

309 

73 

2772 

336     71 

*W4   158     73 

2058    ^ 

L8^ 

74 

2422 

210 

73 

2786 

237     70 

*70t   159     73 

2072    ^ 

185 

74 

2436 

211 

73 

2800 

239     70 

1722    160     73 

2086    { 

186 

74 

2450 

212 

73 

2814 

240     70 

*Î36   161      73 

2100    ^ 

187 

74 

2464 

213 

73 

2828 

241     70 

*Î50   162     73 

2114    ^ 

188 

74 

2478 

214 

72 

2842 

243     70 

*Î84    163      73 

2128    ^ 

189 

74 

2492 

215 

72 

2856 

243     70 

*7îS    16  i      73 

2142    1 

190 

74 

2506 

216 

72 

2870 

244     70 

1792    165      73 

2156    \ 

L9i 

74 

2520 

217 

72 

2884 

245     70 

IS06    166      73 

2170    ^ 

192 

74 

2534 

318 

72 

2898 

247     70 

4* 


58 


mnCLTSXfL   PLA5iTAIlC. 


JUPITER.  — TABLE  H  {SuiU): 

Positions  successives  autour  du  Soleil,  de  i  A  jours  en  i  A  jours. 


t 

yR 

H 

t 

Jfi 

H 

/ 

Ai 

H 

/ 

A     H 

2912  i  2&8« 

70 

32761 

280» 

68 

3640  J 

813* 

68 

4004  J  344*  et 

2926 

3&9 

70 

3290 

381 

68 

3654 

31à 

68 

4018 

845  69 

2940 

250 

69 

3304 

282 

68 

3668 

815 

68 

4032 

846  et 

2954 

251 

69 

3318 

283 

68 

3682 

816 

68 

4046 

348  et 

2968 

353 

69 

3332 

285 

68 

3696 

317 

68 

4060 

849  69 

2982 

35A 

69 

3346 

286 

68 

3710 

819 

68 

4074 

851  69 

2996 

355 

69 

3360 

287 

68 

3724 

320 

69 

4088 

351  69 

3010 

256 

69 

3374 

288 

68 

3738 

321 

69 

4102 

85)  69 

3024 

257 

69 

3388 

290 

68 

3752 

823 

69 

4116 

853  69 

3038 

250 

69 

3402 

391 

68 

3766 

33i| 

69 

4130 

355  69 

3052 

260 

09 

3416 

292. 

68 

3780 

355 

69 

4144 

856  69 

3066 

261 

69 

3430 

394 

68 

3794 

336 

69 

4158 

857  70 

3080 

262 

69 

3444 

295 

68 

3808 

337 

69 

4172 

858  70 

3094 

205 

69 

3458 

296 

68 

3822 

338 

69 

4186 

859  70 

3108 

265 

69 

3472 

297 

68 

3836 

330 

69 

4200 

1  70 

3122 

26«» 

68 

3486 

299 

68 

3850 

331 

69 

4214 

3  70 

3136 

267 

68 

3500 

300 

68 

3864 

833 

69 

4228 

8  70 

3150 

268 

68 

3514 

301 

68 

3878 

333 

69 

4242 

4  60 

3164 

270 

08 

3528 

302 

68 

3892 

334 

69 

4256 

5  69 

3178 

271 

68 

3542 

dOà 

68 

3906 

336 

69 

4270 

6  69 

3192 

272 

6H 

3556 

305 

68 

3920 

337 

69 

4284 

8  69 

3206 

273 

68 

3570 

306 

68 

3934 

338 

69 

4298 

9  69 

3220 

275 

68 

3584 

307 

68 

3948 

339 

69 

4312 

10  69 

3234 

276 

68 

3598 

309 

68 

3962 

340 

69 

4326 

Il  69 

3248 

277 

68 

3612 

310 

68 

3976 

343 

69 

3262 

278 

68 

3626 

311 

68 

3990 

848 

69 

■ 

IHDICàTEUR  PLANÉTAIEE. 


59 


JUPITER.  —  TABLE  III. 
Valeurs  de  T ,  dépendantes  de  S  et  de  K. 


S 

i 

r«lettr«  de  WL. 

S 

• 
S 

Vaïem^m  de  K 

S 

67 

72 

78 

67 

72 

78 

^N^^^V 

k    m 

A  m 

h    m 

h    m 

/i  m 

4  m 

O- 

42.  0 

13.  0 

12.  0 

360* 

30- 

9.30 

9.34 

9.88 

330*^ 

1 

11.55 

11.55 

11.55 

359 

31 

9.25 

9.29 

9.83 

329 

2 

11.50 

11.50 

11.50 

358 

32 

9.20 

9.25 

9.29 

328 

3 

41.45 

11.45 

11.46 

367 

33 

9.16 

9.20 

9.24 

327 

4 

11.40 

11.40 

11.41 

356 

34 

9.11 

9.15 

9.19 

326 

S 

11.85 

11.85 

11.86 

355 

35 

9.  6 

9.10 

9.15 

325 

6 

11.29 

11.80 

11.31 

354 

36 

9.  1 

9.  6 

9.10 

324 

7 

11.24 

11.35 

11.26 

353 

37 

8.57 

9.  1 

9.  6 

323 

8 

11.49 

11.31 

11.22 

352 

38 

8.52 

8.57 

9.  1 

322 

0 

11.14 

11.16 

11.17 

351 

39 

8.47 

52 

8.57 

321 

40 

14.  9 

11.11 

11.12 

350 

40 

8. A3 

6.47 

8.52 

320 

44 

44.  4 

11.  6 

11.  7 

349 

41 

8.38 

8.43 

8.48 

319 

12 

10.59 

11.  1 

11.  3 

348 

42 

8.33 

8.38 

8.43 

318 

43 

10.54 

10.56 

10.58 

347 

43 

8.39 

8.34 

8.39 

317 

44 

10.49 

10.51 

10.53 

346 

44 

8.24 

8.29 

8.34 

316 

46 

10.44 

10.  &6 

10.48 

345 

45 

8.20 

8.25 

8.30 

315 

46 

40.89 

10.41 

10.44 

344 

46 

8.15 

8.20 

8.25 

314 

47 

10.34 

10.86 

10.39 

343 

47 

8.11 

8.16 

8.21 

313 

48 

10.39 

10.32 

10.34 

342 

48 

8.  6 

8.11 

K.16 

312 

49 

10.24 

10.27 

10.29 

341 

49 

8.  1 

8.  7 

8.12 

311 

20 

10.19 

10.22 

10.25 

340 

50 

7.57 

8.  2 

8.  8 

310 

24 

10.14 

10.17 

10.20 

339 

51 

7.53 

7.58 

8.  3 

309 

22 

10.  9 

10.12 

10.15 

338 

52 

7.48 

7.53 

7.59 

308 

23 

10.  4 

10.  7 

10.10 

337 

53 

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7.44 

7.A9 

7.54 

307 

24 

9.59 

10.  2 

10.  6 

336 

54 

7.39 

7.45 

7.50 

306 

25 

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9.58 

10.  1 

335 

55 

7.35 

7.40 

7.46 

305 

26 

9.50 

9.53 

9.56 

334 

56 

7.30 

7.36 

7.42 

304 

27 

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9.48 

9.52 

333 

57 

7.26 

7.32 

7.37 

303 

28 

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9.48 

9.47 

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7.22 

7.27 

7.88 

302 

39 

9.85 

9.39 

9.42 

331 

1  59 

7.17 

7.28 

7.29 

801 

6() 


1!SD1CAT£(K    PLANETAIRE. 


JUPITER.  —  TABLE  lU  (Suite). 

Valeurs  de  T. 


66 
67 
68 
69 
70 
71 

72 
73 
74 
75 
76 
77 

78 
79 
80 
81 
82 
83 

84 
85 
86 
87 
88 
89 


0.Â8 
O.hà 
6. 39 
6.35 
6.31 
6.27 

6.33 
6.19 
6.15 
6.11 
6.  7 
6.  3 

5.59 
5.55 
5.51 
5.à7 
5.  AS 
5.39 

5.35 
5.31 
5.27 
5.23 
5.19 
5.16 


6.53 
6.â9 
6.45 
6.41 
6.37 
6.33 

6.28 
6.24 
6.20 
6.16 
6.13 
6.  8 

6.  4 
6.  0 
5.56 
5.53 
5.48 
5.44 

5.40 
5.36 
5.32 
5.28 
5.25 
5.21 


6.59 
6.55 
6.51 
6.47 
6.42 
6.38 

6.34 
6.30 
6.26 
6.23 
6.18 
6.14 

6.10 
6.  6 
6.  2 
5.58 
5.54 
5.50 

5.46 
5.42 
5.38 
5.34 
5.30 
5.26 


294 
293 
292 
291 
290 
289 

288 
287 
286 
285 
284 
283 

282 
281 
280 
279 
278 
277 

276 
275 
274 
273 
272 
271 


90» 

91 

92 

93 

94 

96 

96 

97 

98 

99 

100 

101 

102 
103 
104 
105 
106 
107 

108 
109 
110 
111 
112 
113 

114 
115 
116 
117 
118 
119 


r«leMr«  de  M. 

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67 

72 

78 

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h    m 

h   m 

5.12 

5.17 

5.22 

5.  8 

5.13 

5.18 

5.  4 

5.  9 

5.15 

5.  0 

5.  5 

5.11 

4.57 

5.  2 

6.  7 

4.53 

4.58 

5.  S 

4.49 

4.54 

4.59 

4.45 

4.50 

4.55 

4.42 

4.46 

4.51 

4.38 

4.48 

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4.34 

4.39 

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4.30 

4.35 

4.40 

4.27 

4.31 

4.86 

4.23 

4.28 

4.83 

4.19 

4.24 

4.29 

4.16 

4.20 

4.25 

4.12 

4.17 

4.21 

4.  8 

4.13 

4.18 

4.  5 

4.  9 

4.14 

4.  1 

4.  5 

4.10 

3.58 

4.  2 

4.  6 

3.54 

8.58 

4.  S 

3.50 

3.55 

8.59 

3.47 

8.51 

8.55 

3.43 

3.47 

3.52 

3.40 

3.44 

3.48 

8.36 

8.40 

8.4A 

3.33 

8.36 

3.40 

8.29 

8.33 

3.87 

3.26 

8.29 

8.88 

8 


270* 


287 
266 
265 

264 
263 
262 
261 
260 
259 

258 

257 
266 
255 
254 
253 

252 
251 
250 
249 
248 
247 

246 
245 
244 
243 
242 
241 


INDtClTCtltl   PLAHiTAlilE. 

JUPITER.  —  TABLE  lU  (Suite). 
Vakun  de  T. 


S 

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338 

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123 

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19 

237 

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303 

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232 

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48 

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1.13 

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44       0 

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138 

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316 

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186 

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1.56 

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13      0 

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147 

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10       0 

10       0 

10 

183 

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7       0 

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149 

1.43 

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311 

179       0 

3      0 

3      0 

3 

181 

rN01i:ATCtTR    PLANK:TAill£. 


» 


SATURNE.  —  TABLE  l. 

Pauage  de  Saturne  d  son  périhélie  y  et  nombre  de  Joun 
écoulés ,  au  commencement  de  chaque  année ,  depuis  le 
moment  du  dernier  passage. 


ROHIBB 

NOMBaa 

DAT& 

" 

DATE. 

DB  JOl'BS. 

M   JOOMb 

4805 

1  janv. 

3228 

1883 

1  janv. 

980S 

186f 

3598 

1884 

» 

10167 

1897 

3958 

1885 

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10538 

1888 

A32S 

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15  août  (pftM.) 

0 

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1886 

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139 

1  1870 

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1887 

504 

1  187! 

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1888 

869 

1  1872 

5784 

1889 

» 

1235 

1  1873 

6150 

1890 

1600 

1  1875 

6515 

1891 

1965 

1  1875 

6880 

1892 

2330 

1876 

7245 

1893 

2696 

1877 

7611 

1894 

3061 

1878 

7976 

1895 

3426 

1879 

8341 

1896 

3791 

1880 

8706 

1897 

4157 

1881 

9072 

1898 

4522 

1882 

9437 

1899 

4887 

Bf) 


INDICATEUR  PLANÉTAIRE. 


SATURNE.  —  TABLE   II  (Suite). 

Posilhm  succp.mves  autour  du  Soleil,  de  30  jours  en  30jawrs. 


t 

M 

H 

/ 

A\ 

H 

/ 

A 

H 

t 

JR    H 

7200  J 

329- 

98 

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98 

9000  j 

2*« 

W 

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330 

98 

8130 

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98 

9030 

26 

06 

9930 

58  94 

7260 

330 

98 

8160 

358 

98 

9060 

27 

96 

9960 

59  95 

7290 

331 

9S 

8190 

359 

98 

9090 

28 

06 

9990 

60  93. 

7320 

332 

98 

8220 

0 

98 

9120 

29 

00 

10020 

61  95 

7350 

333 

93 

8250 

1 

98 

9150 

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90 

10050 

62  95 

7380 

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98 

8280 

2 

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9180 

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98 

8310 

3 

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9210 

32 

90 

10110 

65  93 

7440 

336 

98 

8340 

A 

98 

9240 

38 

96 

10140 

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5 

98 

9270 

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96 

10170 

67  95 

7500 

338 

08 

8400 

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9300 

35 

90 

10200 

68  95 

7530 

339 

98 

8430 

7 

98 

9330 

36 

95 

10230 

69  95 

7560 

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98 

8460 

7 

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9360 

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95 

10260 

70  95 

7590 

341 

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8490 

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38 

95 

10290 

75  95 

7620 

352 

98 

8520 

9 

97 

9420 

39 

95 

10320 

75  95 

7650 

3A2 

93 

8550 

10 

97 

9450 

40 

95 

10350 

74  95 

7680 

343 

98 

8580 

11 

97 

9480 

41 

95 

10380 

75  92 

7710 

3U 

98 

8610 

t2 

97 

9510 

42 

95 

10410 

76  92 

7740 

345 

98 

8640 

13 

97 

9540 

43 

95 

10440 

78  92 

7770 

340 

98 

8670 

lA 

97 

9570 

4A 

95 

10470 

79  «S 

7800 

347 

98 

8700 

l5 

97 

9600 

46 

95 

10500 

80  91 

7830 

348 

98 

8730 

10 

97 

9630 

47 

94 

10530 

81  92 

7860 

349 

98 

8760 

17 

97 

9660 

48 

94 

10560 

82-  92 

7890 

350 

98 

8790 

18 

97 

9690 

49 

94 

10590 

8A  95 

7920 

351 

ÎI8 

8820 

19 

97 

9720 

50 

9A 

10620 

85  02 

7950 

35L» 

U8 

8850 

20 

97 

9750 

51 

94 

10650 

86  95 

7980 

353 

98 

8880 

21 

97 

9780 

52 

9A 

10680 

87  95 

8010 

35A 

98 

8910 

22 

97 

9810 

^3 

9A 

10710 

88  95 

8040 

354 

98 

8940 

23 

97 

9840 

&A 

9A 

10740 

90  95 

8070 

355 

98 

8970 

2A 

96 

9870 

55 

9A 

iudicatei'r  planétaire. 


r»7 


SATURNE.  —  TABLE  III. 
Valeurs  de  T,  dépendantes  de  S  et  de  K. 


TiUnSBZ  K. 

1 
! 

m 

T.'UniS  DE  K.  , 

■ 

1 

1 

TiLR&S  DE  K. 

S 

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S 

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S 

S 

^^ 

S 

92      102 

> 

""■^  1 

92 

102 

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92 

102 

h  m     h   m 

/i    m 

Il   m 

A    m 

/i   m 

(H  ;I2.  0  IS.  0 

360« 

30*  ! 

9.43 

9.48 

330» 

60>  ' 

7.35 

7.40 

300- 

i 

11.55  11.56 

1  350 

31 

9.A0 

9.44 

329 

61 

7.31 

7.36 

299 

1 

11.51  11.51 

358 

32 

9.36 

9.39  , 

328 

62 

7.26 

7.32 

2^8 

1 

11.&6  11.47 

357 

33 

9.31 

9.35 

327 

63 

7.22 

7.28 

297 

4 

11«AS  11.42 

356 

34 

9.27 

9.31 

326 

64 

7.18 

7.24 

29è 

5 

11.57  11.38 

355 

35 

9.33 

9.26 

325 

65 

7.14 

7.19 

295 

6 

11.35  11.53 

354 

36 

9.18 

9.22 

324 

66 

7.10 

7.15 

294 

7 

11.28  11.29 

353 

37 

9.U 

0.18 

323 

67 

7.  6 

7.11 

293 

S 

1I.2A  11.25 

352 

38 

9.  9 

9.i:J 

322 

68 

7.  1 

7.  7 

29i 

• 

11.19  11.20 

351 

39 

g.  5 

9.  9 

321 

69 

6.57 

7.  3 

291 

10 

11.15  11.16 

350 

40 

9.   l 

9.  5 

320 

70 

6.53 

6.59 

290 

11 

11.10  11.11 

349 

41 

8.56 

9.   1 

319 

71 

6.49 

('.55 

289 

12 

11.   6   SI.    7 

348 

42 

8.52 

8.56 

318 

72 

6.4.' 

6.51 

288 

11 

11.   1   11.   3  j 

347 

43 

8.à7 

8.52 

317 

73 

6.41 

fi .  47 

287 

14 

10.56  10. ô8   i 

346 

44 

8.43 

8.48 

316 

74 

6.:i7 

6.42 

286 

15 

10.52  10.54   j 

345 

45 

8.39 

8.43 

315 

75 

6.33 

6.38 

285 

18 

10.47  10.49  ; 

344 

46 

8.34 

8.30 

314 

76 

6.29 

6.34 

284 

17 

10.43  10.45  i 

1 

343 

47 

8.30 

8.35 

.  313 

77 

6.25 

6.30 

283 

• 

IS 

10.88   10.41 

342 

48 

8.26 

8.31 

j  312 

78 

6.20 

6.20 

282 

11 

10.34  10.36   ; 

341 

40 

8.21 

8.26 

311 

79 

6.16 

6.22 

281 

M 

10.29  10.32   1 

340 

50 

8.17 

8.-22 

310 

80 

6.12 

6.18 

280 

M 

10.23  10.27 

339 

51 

8.13 

8.18 

309 

81 

!   G.  8 

6.14 

279 

12 

10.20  10.23 

338 

52 

8.  9 

8.14 

308 

82 

'  6.  4 

6.10 

278 

23     10.16  10.19 

337 

53 

S.   4 

8.  9 

i  307 

83 

6.   0 

6.   6 

\  277 

24    IlO.il   10. U 

336 

54 

8.   0 

8.  5 

306 

84 

5. 50 

6.   2 

'  276 

as 

10.   7  10.10 

335 

55 

'   7.56 

8.   1 

305 

85 

5.52 

5.58 

,  275 

M 

10.   2  10.   6 

334 

56 

7.52 

7.57 

304 

86 

'  5.48 

5.54 

;  274 

27       9.58  10.   1 

333 

57 

7.47 

7.53 

303 

87 

5.44 

5.50 

i  273 

28      g.u    9.57 

!  332 

• 

58 

7.43 

7.48 

302 

88 

5.40 

5.46 

272 

29 

9.4»     9.52 

831 

59 

7.39 

7.44 

301 

J 

89 

5.37 

5.42 

271 

1 

r>8 


INDICATEUR   PLANETAIRE. 


SATUKNE.  —  TABLE  III  (Suite). 

Valeurs  de  T. 


.  T\LF.rK?  DE  K. 


92      102 


S 


/l 


m 


90< 

91 

92 

93 

94 

95 

96 
97 
98 
99 
100 
101 

102 
103 
104 
105 
106 
107 

108 
100 
110 
111 
112 
113 

114 
115 
116 
117 
118 
119 


•j   5.33 

:  5.29 

5.25 

5.21 

'  ^,n 

\  Ô.13 

I 

:   5.    y 
'   3.   5 

5.    1 
A. 57 
;   à.bh 


A. 46 
Ji.42 
4.38 

4.34 
4.30 
4.27 


I 


I 


4.23 
4.19 
4.13 
4  il 
h.  8 
4.   \ 

4.  0 
3.5<i 
3.53 
3.49 
3.45 
3.41 


/(     IN 

5.38 
5.34 
5.30 
5.2G 
5.22 
5.18 

5.15 
5.41 
ô.  7 
5.  3 
4.5î> 
4.53 

4.51 
4.57 
4.43 
4.39 
4.36 
4.32 

4.28 
4.24 
'i.20 
4.16 

^.  9 

4.  5 
4.  1 
3.57 
3.53 
3.50 
3.46 


270- 

269 

268 

267 

266 

265 

264 
263 
262 
261 
260 
259 

258 

257 

256 

i  255 

j  254 

;  253 

j  252 
251 
250 
249 
248 
247 

246 
245 
244 
243 
242 
241 


S 


VALElHii  liE  K- 


92   102 


S 


20* 

21 

22 

23 

24 

25 

26 
27 
28 
29 
30 
31 

32 
33 
34 
35 
36 
37 

38 
39 
40 
41 
42 
43 


I 


h  m 
3.38 
3.3& 
3.. 10 
3.26 
3.23 
3.  lu 

3.1.-» 
3.12 
3.  8 
3.  4 
3.  0 
2.57 

2.53 
2.40 
2.40 
2.52 
2.38 
2.35 

2.31 
2.27 
2.2'i 
2.20 
2.17 
LM3 


Il  m 
3.42 
3.38 
3.34 
3.31 
3.27 
3.23 

3.19 
3.15 
3.12 
3.  8 
3.  4 
3.  0 


240» 

239 

238 

237 

236 

235 

234 
233 
232 
231 
230 
229 


2.57  !  228 

2.53  ,  227 

2.49  î  226 

3.A6  I  225 

2.42  j  224 

2.38  I  223 

2.34  I  222 

2.31  221 


44  2.  9 

45  2.  () 

46  j  2.  2 

47  1.58 

48  1 .55 

49  1.51 


2.27 
2.23 
2.19 
2.16 

2.12 
2.  8 
2.  5 

2.  1 
1.57 
1.54 


220 
219 
218 
217 

216 
215 
214 
213 
212 
211 


S 


;  \\ll\U  »  K.  ! 


92   102 


I  A 


t  m 


I 


SO**!  1.48 

51  ;  1.44 

52  \  1.40 

53  :  1.37 

54  I  1.33 

55  1.30 

56  ,  1.20 

57  i  1.52 

58  i.!0 

59  1  1.15 
M  1.12 
61  1.  S 


62 
63 
64 
65 
66 
67 

68 
69 
70 
71 
72 

73 

74 
76 
76 
77 
78 
79 


1.  4 
1.  1 

0.57 
0.54 
0.50 
0.4G 

0.43 
0.39 
U.36 
0.32 
0.29 
0.25 

0.21 
0.18 
0.14 
0.11 
0.  7 
0.  4 


h  m 
1.50 
1.46 
1.43 
1.39 
1.35 
1.31 

1.S8 
1.34 
1.30 
l.!7 
1.13 
1.  9 

i.  6 
1.  S 
0.58 
0.55 
0.51 
0.47 

0.44 
0.40 
0.37 
0.33 
0.39 
0.36 

0.23 
0.18 
0.15 
0.11 
0.  7 
0.  4 


S 


MO* 


20^ 
20t 


205 

204 
203 
202 
201 
200 
199 

108 

197 
180 
195 
194 
193 

192 

191 
190 
189 
188 
187 

186 
185 
184 
183 
182 
ISi 


IllDICATSUa  PU  If  ETA  1RS. 


69 


URANUS.  —  TABLE  1. 
Pasiiîons  syccessives  autour  du  Soleil ,  de  73  Jours  en  75  joun. 


DATE. 

Ai 

DATE. 

Ai 

1 

DATE. 

A 

1 

1864 

19  juiL 

85- 

1870 

12  sept. 

115- 

1876 

0  nof. 

144» 

28  Kpt. 

66 

> 

26  nov. 

116 

J877 

23  jan?. 

145 

12  déc 

87 

1871 

9  fév. 

117 

» 

8  avr. 

146 

I865 

25  thr. 

88 

• 

25  avr. 

118 

• 

22  juin 

147 

11  mai 

89 

» 

9  jail. 

119 

• 

5  sept. 

148 

25  juiL 

00 

• 

22  ftcpt. 

130 

» 

10  nov. 

140 

8  ocU 

01 

» 

G  déc 

121 

1878 

2  fév. 

150 

22  déc 

92 

1873 

19  fér. 

122 

s 

18  avr. 

151 

i8fle 

7  man 

03 

» 

4  mai 

153 

> 

2  juiL 

151 

21  mai 

01 

» 

18  jaiL 

124 

s 

15  sept. 

152 

k  août 

95 

» 

1  oct. 

125 

» 

20  nof. 

153 

18  ocU 

ti6 

• 

15  ûéc 

4f6 

1870 

12  fév. 

154 

iM7 

1  jan?. 

• 

97 

1873 

25  fév. 

127 

» 

28  avr. 

155 

17  man» 

98 

» 

14  mai 

128 

» 

1 2  juil. 

156 

81  mai 

90 

• 

28  juil. 

120 

» 

23  sept. 

157 

lA  août 

100 

• 

11  oct. 

130 

» 

0  déc. 

lô8 

28  ocr. 

101 

» 

25  déc. 

131 

1880 

22  fév. 

150 

1868 

Il  janv. 

102 

1874 

10  mars 

132 

• 

7  mai 

160 

26  man 

loa 

» 

24  mai 

133 

» 

21  juil. 

ICI 

fi  juin 

104 

» 

7  août 

134 

» 

4  oct 

162 

23  aorit 

105 

» 

21  oct 

13^ 

» 

18  déc. 

162 

6  DOT. 

106 

1875 

4  jan?. 

J35 

1881 

3  mars 

103 

1869 

20  jan?. 

107 

> 

20  mars 

136 

• 

17  mai 

164 

5  avr. 

108 

» 

3  juin 

137 

» 

31  juil. 

165 

19  juin 

109 

» 

17  août 

138 

» 

14  oct. 

166 

2  sepL 

liO 

• 

31  oct 

130 

» 

28  déc 

167 

16  nof. 

111 

1876 

14  janr. 

140 

1882 

13  mars 

168 

1870 

30  jauv. 

112 

• 

20  mars 

141 

» 

27  mai 

160 

13  a?r. 

U3 

» 

12  juin 

142 

» 

10  août 

170 

• 

29  juin 

iU 

» 

26  août 

143 

TO 


imicATm  PLARfrAm. 


URANUS.  »  TABLE  t  (Suite). 
Pùtitiont  mceemeet  autour  du  Soleil,  de  Kjoun  en  75/BMW. 


" 

1 

tmm^ 

DATE. 

yR 

DATE. 

yR 

DATE. 

JR 

l88IfiUll(|MIM.; 

1 
170- 

1888 

6  aoftl 

iw 

1894 

20  juil. 

ifi* 

5  nov. 

1   *7* 

» 

19  «et. 

196 

» 

3  «cl. 

212 

iB'3 

i9  janv. 

172 

1889 

2  jtnr. 

197 

1 

17  éèc. 

228 

h  ■%'r. 

;   472 

» 

18  mark 

198 

1805 

2  «lart 

m 

18  juin 

173 

» 

1  juin 

199 

• 

16  mal 

225 

1  teiil. 

174 

» 

15  aoât 

200 

t 

30  juiK 

226 

15  fiov. 

173 

• 

29  net. 

201 

» 

13  OCL 

227 

I88& 

29  janT. 

176 

1P90 

12  joiif. 

202 

» 

27  déc. 

223 

19  avr. 

177 

■ 

28  mars 

202 

1806 

Il  mars 

229 

27  juin 

178 

s 

11  juin 

203 

» 

25  mai 

280 

10  sqH. 

179 

t 

25  août 

204 

■ 

S  août 

23  L 

2^  iiov. 

179 

» 

8  noT. 

205 

» 

22  oct. 

232 

1885 

7  fév. 

180 

1801 

22  janv. 

200 

1897 

5  janv. 

293 

23  a\r. 

■  ISl 

■ 

7  avr. 

207 

■ 

21  mars 

2.13 

7  jiiil. 

IM 

• 

21  juin 

208 

■ 

A  jniH 

234 

20  »cpl. 

lR.t 

• 

A  wpl. 

209 

» 

18  août 

235 

&  déc. 

184 

• 

18  nov. 

210 

A 

1  nor. 

236 

4886 

17  fév. 

185 

1892 

1  fi^v. 

2M 

1898 

15  janv. 

f37 

3  mai 

186 

• 

16  avr. 

211 

• 

31  mar( 

238 

17  juil. 

187 

» 

30  juin 

212 

■ 

U  juin 

239 

30  Kpl. 

187 

• 

13  srpl.    1 

213 

» 

28  août 

240 

11  déc. 

1S8 

• 

27  nov. 

2I& 

« 

11  nov. 

241 

1687 

27  fév. 

189 

1893 

10  fév. 

215 

1899 

25  Janv. 

249 

13  mai 

190 

» 

26  avr. 

216 

» 

10  avr. 

243 

27  juil. 

11)1 

• 

10  juil. 

217 

» 

24  juin 

244 

10  ocL 

192 

» 

23  s  pt 

218 

* 

7  sept 

245 

24  liée 

193 

» 

7  déc. 

219 

» 

21  nov. 

246 

i868 

8  man 

\i)h 

189Â 

tO  fév. 

220 

1900 

4  tiv. 

247 

% 

21  mai 

19à 

» 

•  mai 

221 

m 

72 


IRDICATEUB   PLANETATBE. 


URANUS.  —  TABLE  II  (Suite). 
Moyennes  valeurs  de  T. 


S 

T 

S 

S 

T 

• 

S 

S 

T 

S 

h   m 

h    m 

h    m 

90- 

O.âS 

270- 

120» 

3.50 

240* 

ISO** 

1.5A 

210- 

91 

ft.Vi 

269 

121 

3.AG 

239 

151 

1.50 

209 

92 

5.Â0 

268 

122 

3.A2 

238 

152 

1,A7 

208 

93 

5. 30 

267 

123 

3.38 

237 

153 

1.43 

207 

94 

5.32 

266 

124 

3.3A 

236 

154 

1.39 

206 

95 

5.28 

265 

125 

3.31 

235 

155 

1.35 

205 

96 

5.2Â 

264 

126 

3.27 

234 

156 

i.31 

204 

97 

5.20 

263 

127 

3.23 

233 

157 

1.27 

203 

98 

5.10 

262 

128 

3.19 

232 

158 

1.24 

202 

99 

5.12 

261 

129 

3.15 

231 

159 

1.20 

201 

100 

5.  8 

260 

130 

3.11 

230 

160 

1.16 

200 

101 

5.  k 

259 

131 

3.  7 

229 

161 

1.12 

199 

102 

5.  0 

258 

132 

3.  3 

228 

162 

1.  8 

198 

103 

4.57 

257 

133 

3.  0 

227 

163 

1.  5 

197 

104 

A. 53 

256 

134 

2.50 

226 

164 

1.  1 

196 

105 

A.A9 

255 

135 

2.52 

225 

165 

0.57 

195 

106 

A. A3 

254 

136 

2. Ad 

224 

166 

0.53 

194 

107 

A. Al 

253 

137 

2.AA 

223 

167 

0.A9 

193 

108 

A. 37 

252 

138 

3. AD 

222 

168 

0.46 

192 

109 

A. 33 

251 

139 

3. 36 

221 

169 

0.42 

191 

110 

A. 29 

250 

140 

2.33 

220 

170 

0.38 

190 

111 

A. 25 

249 

141 

2.29 

219 

171 

0.3A 

189 

112 

A. 21 

248 

142 

2.25 

218 

172 

0.30 

188 

113 

A. 17 

247 

143 

2.21 

217 

173 

0.27 

187 

114 

A. 13 

246 

144 

2.!7 

216 

174 

0.23 

186 

115 

A.  9 

245 

145 

2.13 

215 

175 

0.19 

185 

116 

A.  « 

244 

146 

2.10 

214 

176 

0.13 

184 

117 

A.  2 

243 

147 

2.  « 

213 

177 

0.11 

183 

118 

3.33 

242 

148 

2.  2 

212 

178 

0.  8 

182 

119 

9.5A 

241 

149 

1.5$ 

211 

179 

0.  A 

181 

inOIGATIlIE  FLA9ETAIU. 


73 


NEPTUNE.  —  TABLE  L 


PasUi'ons  svccesswei  autour  du  SoUii,  de  IK  jours  en  mjoun. 


DATE, 

ift 

DATE, 

JR 

DATE. 

iA 

186Â 

17  dèc 

7» 

1877 

2  juin 

• 

33« 

1889 

13  mars 

60* 

1865 

10  juin 

8 

• 

2  h  nov. 

36 

• 

6  »?pt 

61 

0 

3  déc. 

9 

1878 

18  mal 

35 

1890 

26  fév. 

62 

1860 

20  mai 

10 

• 

9  nof. 

37 

* 

20  aoOt 

63 

• 

17  DOT* 

11 

1879 

3  mai 

38 

1891 

11  fév. 

66 

1867 

11  mai 

12 

» 

25  oct. 

39 

s 

5  août 

65 

• 

2  no?. 

13 

1880 

17  atr. 

60 

1892 

27  janv. 

66 

1808 

25  a?r. 

U 

» 

9  oct. 

61 

• 

20  juil. 

67 

» 

17  oct. 

15 

1881 

2  avr. 

62 

1893 

11  janv. 

68 

1889 

10  arr. 

10 

» 

2&  sepL 

63 

• 

5  juil 

70 

• 

2  OCL 

17 

1882 

18  mars 

66 

• 

27  déc 

71 

1870 

26  mars 

18 

» 

9  sept 

65 

1894 

iO  juin 

72 

» 

17  sept 

19 

s 

12  déc 

73 

1871 

11  mars 

20 

188321  déc.(paiia.) 

66 

1895 

5  juin 

76 

• 

2  sept. 

21 

18S3 

13  juin 

67 

» 

27  nov. 

75 

1872 

2i  féf. 

22 

> 

5  déc 

68 

1896 

20  mai 

76 

» 

17  aoàt 

23 

1886 

28  mai 

69 

« 

11  nov. 

77 

1873 

8  fér. 

2& 

• 

19  nov. 

50 

1897 

5  mai 

79 

> 

2  août 

25 

1885 

13  mai 

51 

» 

27  oct 

80 

187À 

2à  jaov. 

26 

> 

à  nov. 

£2 

1898 

20  avr. 

81 

» 

18  juil. 

27 

1880 

28  avr. 

53 

■ 

12  oct. 

82 

1875 

9  jauT. 

28 

• 

20  oct. 

56 

1899 

5  avr. 

83 

• 

3  juil. 

29 

1887 

13  avr. 

55 

» 

27  sept 

86 

» 

25  déc 

30 

B 

5  oct 

56 

1900 

21  mars 

85 

1870 

17  juin 

31 

1888 

28  mars 

57 

» 

9  déc 

32 

» 

19  sept 

58 

T4 


IffMCATfcrn    PLANKTAinK. 


Àt-l^illiXE.  — TABLB  M. 

Moyennes  valeurs  de  T,  dépendantes  de  S. 


S 

T 

S 

S 

T 

S 

S 

T 

S 

h    m 

h    m 

h   m 

0« 

13.  0 

360- 

30» 

9.56 

330* 

60* 

7.53 

300- 

1 

ii.:>o 

359 

31 

0.5S 

329 

61 

7.59 

299 

2 

11.53 

358 

32 

9.58 

328 

62 

7.55 

2fi8 

3 

H. 58 

357 

33 

9.55 

327 

63 

7.51 

297 

4 

11.63 

356 

34 

9.50 

326 

64 

7.37 

296 

5 

11.39 

355 

35 

9.35 

325 

65 

7.33 

295 

6 

11.35 

354 

36 

9.31 

324 

66 

7.29 

294 

7 

11.31 

353 

37 

9.27 

323 

67 

7.25 

293 

8 

41.27 

352 

38 

9.23 

322 

68 

7.2i 

292 

9 

11.23 

351 

39 

9.19 

321 

69 

7.17 

291 

iO 

11.19 

350 

40 

9.15 

320 

70 

7.13 

290 

il 

tl.lA 

349 

41 

9.11 

319 

71 

7.  9 

289 

42 

11.10 

348 

42 

9.  7 

318 

72 

7.  5 

288 

13 

M.  6 

347 

43 

9.  3 

317 

73 

7.  1 

287 

14 

11.  2 

346 

44 

8.59 

316 

74 

6.57 

286 

15 

10.58 

345 

45 

8.55 

315 

76 

6.53 

286 

16 

10.55 

344 

46 

b.50 

314 

76 

6.59 

284 

17 

10.50 

343 

47 

8.56 

313 

77 

6.55 

283 

18 

10.56 

342 

48 

8.52 

312 

78 

6.50 

282 

19 

10.51 

341 

49 

8.38 

311 

79 

6.36 

281 

20 

10.37 

340 

50 

8.35 

310 

80 

6.32 

280 

21 

10.53 

339 

51 

8.30 

309 

81 

6.28 

279 

22 

10.29 

338 

52 

8.36 

308 

82 

6.25 

278 

23 

10.25 

337 

53 

8.22 

307 

83 

6.20 

277 

24 

10.21 

336 

54 

8.18 

306 

84 

6.16 

276 

25 

10.17 

335 

55 

8.15 

305 

86 

6.12 

276 

26 

10.13 

334 

56 

8.10 

304 

86 

6.  8 

274 

27 

10.  8 

333 

67 

8.  5 

303 

87 

6.  4 

273 

28 

10.  5 

332 

58 

8.  1 

302 

88 

6.  0 

272 

29 

10.  0 

331 

59 

7.57 

301 

89 

5.56 

271 

lamCATCl-E   TLàJSÉTAïmg. 


75 


NEPTUNE.  -  TABLE  il  (SuiUJ. 
Mojfmne$  vafeurs  de  T. 


S 

T 

S 

S 

T 

S 

S 

T 

S 

90* 

5.52 

270* 

120- 

h    m 
3.53 

240* 

150- 

k    m 

1.56 

210* 

M 

5.A8 

269 

121 

3.50 

239 

151 

1.52 

209 

92 

5.A4 

268 

122 

3.46 

238 

152 

1.49 

208 

93 

5.A0 

267 

123 

3.42 

237 

153 

1.45 

207 

94 

5.36 

266 

124 

3.38 

236 

154 

1.41 

206 

95 

5.33 

265 

125 

3.34 

235 

155 

1.37 

205 

96 

5.28 

• 

264 

126 

3.30 

234 

156 

1.33 

204 

97 

5.2& 

263 

127 

3.26 

233 

157 

1.29 

203 

98 

5.20 

262 

128 

3.22 

232 

158 

1.35 

202 

99 

5.17 

261 

129 

3.18 

231 

159 

1.21 

201 

190 

5.13 

260 

130 

3.A4 

230 

160 

1.17 

200 

191 

5.  9 

259 

131 

3.10 

229 

161 

l.;4 

199 

102 

5.  5 

258 

132 

3.  6 

228 

162 

1.10 

198 

103 

5.  1 

257 

133 

3.  3 

227 

163 

f.  6 

197 

104 

4.57 

256 

134 

2.59 

226 

164 

1.  2 

196 

105 

4.53 

255 

135 

2.55 

225 

165 

0.58 

195 

106 

4.49 

254 

136 

2.51 

224 

166 

0.54 

194 

107 

&.Â5 

253 

137 

2.47 

223 

167 

0.50 

193 

106 

4.41 

252 

138 

2.43 

222 

168 

0.46 

192 

109 

4.37 

251 

139 

2.39 

221 

169 

0.43 

191 

110 

4.33 

250 

140 

2.35 

220 

170 

0.39 

190 

111 

4.29 

249 

141 

2.31 

219 

171 

0.35 

189 

112 

4.35 

248 

142 

2.37 

218 

172 

0.31 

188 

113 

4.21 

247 

143 

2.24 

217 

173 

0.27 

187 

114 

4.17 

246 

144 

2.20 

216 

174 

0.23 

186 

115 

4.13 

245 

145 

2.16 

215 

175 

0.19 

185 

116 

4.  9 

244 

146 

2.12 

214 

176 

0.15 

184 

117 

4.  5 

243 

147 

2.  8 

213 

177 

0.12 

183 

118 

4.  1 

242 

148 

2.  4 

212 

178 

0.  8 

182 

119 

8.57 

241 

149 

2.  0 

211 

179 

0.  4 

181 

NIVEAU  D'EAD 

À  TXJ3B  FliEXrBLB. 

Par  H.  Amédie  DCSBORDBAUX  » 

Ifembre  tiluloire. 


Le  nouvel  instrument  de  précision  soarais  à  l'examen 
de  l'Académie  est  d'une  construction  très-simple  (V.  la 
pnge  suiv.).  Aux  deux  extrémités  d'un  tube  de  caout- 
cbouc, d'une  longueur  indéterminée,  mais  le  plus  ordi- 
nairement de  5  mètres ,  sont  adaptées  deux  fioles  en 
Terre,maintenues  dans  uneposition  verticale  au  moyen 
de  deux  supports  en  bois,  qui  se  terminent  par  une 
base  métallique  pour  leur  donner  la  stabilité  néces- 
saire. Sur  chacun  de  ces  supports  est  appliquée  une 
échelle  métrique  en  cuivre  jaune ,  indiquant  exac- 
tement la  hauteur,  à  partir  du  sol,  en  centimètres 
et  millimètres.  Le  tube  de  caoutchouc  est  rempli 
d'une  eau  colorée  qui  circule  dans  toute  son  étendue, 
et  qui  s'élève  en  même  temps  dans  la  partie  infé- 
rieure des  deux  fioles.  La  dilférence  de  hauteur  de 
Peau  dans  chacune  des  fioles  indiqne,  aux  deux 
points  opposés ,  la  différence  de  niveau ,  qui  se  lit 
immédiatement  sur  les  deux  échelles  métriques. 

Pour  rendre  l'instrument  plus  portatif,  j'ai  réduit 
la  hauteur  des  fioles  à  20  centimètres.  Cette  hauteur 
permet  encore  d'apprécier  une  différence  de  niveaa 


RITEAD  d'UD  a  TOB  FUSIBU.  TT 


78  !IIVEAU  d'eau 

de  45  centimètres ,  ce  qui  est  plus  que  suffisant  pour 
Tusage  ordinaire.  Renfermé  dans  sa  boite,  ce  niveau 
d'eau  pèse  environ  2  kilogrammes.  Lorsqull  est  isolé, 
son  poids  est  de  4  kilogramme  3  hectogrammes ,  et 
l'eau  renfermée  dans  le  tube  pèse  420  grammes. 

Lorsqu'on  en  fait  usa|:;e  et  qu'on  le  transporte  d'un 
endroit  à  un  autre ,  l'eau  peut  s'élever  à  une  hauteur 
différente  dans  chacune  des  Coles ,  et  elle  pourrait 
souvent  se  répandre  à  l'extérieur  si  elles  n'étaient 
pas  bouchées.  D'un  autre  côté  ,  le  libre  accès  de  l'air 
étant  indispensable  pour  que  l'eau  puisse  circuler 
librement  dans  le  tube  de  caoutchouc  ,  il  &llait  que 
les  fioles  fussent  débouchées  et  après  avoir  été  placées 
sur  le  sol.  On  conçoit,  dès  lors,  que  l'usage  de  l'instru- 
ment eût  été  fort  incommode ,  s'il  eût  fallu  à  chaque 
instant  ôter  et  remettre  les  bouchons. 

Pour  éviter  cet  inconvénient ,  j'ai  adopté  une  fer- 
meture qui  présente  une  disposition  nouvelle.  Chaque 
fiole,  en  eflct,  est  fermée  par  un  bouchon  de  liège 
traversé  par  un  petit  tube  de  verre,  auquel  s'adapte 
une  soupape  très-légère,  qui  se  ferme  aussitôt  que 
l'eau  arrive  au  haut  de  la  fiole,  et  s'ouvre  de  nouveau 
dès  que  l'eau  commence  à  redescendre.  Ce  bouchon 
à  soupape  est  lui-même  renfermé  dans  une  enve- 
loppe métallique,  terminée  à  sa  piirtie  supérieure  par 
une  vis  de  pression,  qui  ferme  exactement  chaque 
fiole  ,  lorsqu'on  vient  à  replacer  l'instrument  dans  la 
botte ,  et  qui ,  pendant  qu'on  en  fait  usage  ,  permet 
l'accès  de  l'air  en  la  faisant  tourner  en  sens  contraire. 

Avec  le  niveau  d'eau  à  tube  fiexible ,  on  obtient 
une  précision  plus  rigoureuse  encore  qu'avec  le  ni- 
veau à  bulle  d'air.  Et  tandis  que  ce  dernier  ne  peut 


  TUBB  FLEXIBLE.  79 

ètie  manié  qae  par  des  penonnes  exercées  et  asrant 
le  coup^d'œîl  très-juste ,  l'autre  présente  on  résultat 
en  quelque  sorte  mécanique.  Sous  ce  rapport,  il 
pourrait  être  utile  aux  propriétaires  qui  Toudraient 
vérifier  par  eux-mêmes  Texactitude  de  certains  ni- 
vellements. Il  ne  serait  pas  moins  avantageux  lors- 
qu'il s'agirait  de  poser  les  tablettes  |en  marbre  des 
cheminées ,  dont  le  niveau  parfait  est  indispensable 
pour  assurer  la  régularité  de  In  marche  des  pendules. 
Il  est  plus  que  probable  qu'il  indiquerait  quelques 
légères  différences  de  niveau  dans  presque  tous  les 
billards*  Enfin,  avec  lui  on  pourrait  en  peu  d'instants 
tracer  autour  d'un  appartement  une  ligne  de  niveau 
d'une  exactitude  parfaite,  tandis  que  ce  résultat 
avec  un  niveau  ordinaire  présente  quelque  difficulté  ; 
et  l'on  pourrait  également,  au  moyen  des  deux  fioles 
opposées  Tune  à  l'autre,  trouver  un  point  de  repère 
d'un  côté  à  l'autre  d'un  mur. 

On  remarque  avec  surprise  la  fiicilité  avec  laquelle 
l'eau  circule  dans  un  long  tube  de  caoutchouc,  lors 
même  qu'on  lui  a  fait  prendre  les  plus  nombreux  re- 
plis. Toutefois,  après  que  les  fioles  sont  placées  sur 
le  sol ,  il  faut  attendre  quelques  instants  avant  que 
l'équilibre  soit  tout-à-fait  rétabli  entre  elles.  La  rapi- 
dité du  rétablissement  d'équilibre  dépend  de  la  gros- 
seur du  tube  flexible;  elle  dépend  aussi  de  la  nature 
du  liquide  employé.  Avec  le  mercure ,  qui  pourrait 
être  substitué  à  l'eau  dans  des  tubes  de  plus  petite 
dimension ,  l'équilibre  serait  presque  instantané. 
L'ifnile ,  au  contraire ,  prendrait  son  niveau  plus 
lentement  .que  l'eau.  Lorsqu'on  ajoute  à  l'eau  co- 
lorée une  petite  quantité  d'acide  sulfuriqne,  en  même 


80  mvBAV  d'eau 

temps  que  cette  addition  empêche  rahénilion  de  la 
coulear  végétale  par  les  moisissures,  elle  domte 
lien  à  une  circulation  plus  facile  que  celle  de  Teaa 
pure ,  sans  qu'on  puisse  attribuer  ce  résultat  à  la 
légère  différence  de  poids  spécifique.  Cette  propriété 
parait  due  à  la  présence  de  l'acide.  Il  en  est  de 
même ,  jusqu'à  un  certain  point,  de  l'encre  à  écrire; 
car  on  sait  qu'elle  n'est  coulante  qu'à  kl  condition 
d'être  acide ,  et  c'est  précisément  la  cause  de  l'alté- 
ration si  prompte  des  plumes  métalliques. 

Au  reste,  si  au  lieu  d'employer  de  l'eau  pure  pour 
remplir  l'instrument,  comme  on  pourrait  très-bien  le 
faire^  on  préfère  l'eau  colorée,  mélangée  d'un  liquide 
dont  le  poids  spécifique  présente  une  certaine  diffé- 
rence, tel  que  l'acide  sulfurique  ou  l'alcool  ^  il  faut 
que  le  mélange  soit  opéré  avec  le  plus  grand  soin , 
et  que  le  liquide  soit  transvasé  plusieurs  fois  de  suite 
avant  de  le  verser  dans  l'instrument  ;  sans  quoi  l'on 
pourrait  remarquer  souvent  entre  les  deux  fioles  un 
défaut  de  concordance  de  plusieurs  millimètres.  L'eau 
et  l'acide  sulfnrique  sont  bien  loin  de  se  mélanger 
instantanément,  comme  on  pourrait  le  croire,  et  il 
est  essentiel  que  l'on  soit  averti  de  cette  cause  d'er- 
reur qui  pourniit  faire  douter  tout  d'abord  de  la  pré- 
cision du  niveau  d'eau.  Il  faut  aussi,  après  que  l'eau 
a  été  introduite  dans  le  tube,  l'agiter  pendant  un  cer- 
tain temps  pour  en  faire  sortir  les  bulles  d'air. 

Il  serait  très-ditficilc  de  remplacer,  dans  la  con- 
struction de  cet  instrument ,  le  caoutchouc  par  une 
autre  matière  également  fiexible ,  et  cependant  les 
tubes  de  caoutchouc  ne  sont  pas  exempts  de  quel- 
ques inconvénients  qu'il  est  bon  de  signuler  : 


A  TUBE  FLEXIBLE.  84 

i*  U  saflSt  que  le  caoutchouc  vulcanisé ,  le  seul  qui 
paisse  êlre  employé,  soit  en  contact  avec  le  cuivre, 
oa  même  seulement  dans  son  voisinage,  pour  que  ce 
métal  s'altère  assez  rapidement.  La  vulcanisation 
résulte,  enefTet,  principalement  de  la  combinaison 
da  caoutchouc  avec  le  soufre,  doul  les  émanations 
continuelles  produisent  avec  le  cuivre  un  sulfure  de 
couleur  noire.  Il  est  donc  indispensable ,  pour  em- 
pêcher cette  altération,  d'appliquer  sur  TécheUe  mé- 
trique et  sur  les  autres  pièces  de  cuivre  qui  entrent 
dans  la  construction  du  niveau ,  une  forte  couche  de 
vernis  à  Tesprit-de-vin. 

2*  Les  tubes  de  caoutchouc  vulcanisé  ,  qui  tout 
d'abord  sont  très-tlexibles,  nu  bout  d'un  certain  temps 
se  fendillent,  perdent  une  partie  de  leur  souplesse, 
et  même  deviennent  cassants.  Il  est  rare  qu'ils  puis- 
sent se  maintenir  plus  de  deux  ou  trois  années  sans 
altération.  J'en  ai  vu  plusieurs  cependant  conserver 
leurs  propriétés  pendant  plus  de  dix  ans 

3**  Le  caoutchouc  vulcanisé,  que  l'on  considère  gé- 
néralement comme  imperméable,  est  réellement 
poreux  et  plus  ou  moins  perméable  h  l'eau.  Déjà  cette 
porosité  avait  été  signalée  par  M.  Payen  dans  la 
séance  de  l'Académie  des  sciences  du  2i  septembre 
1866;  et  j'ai  moi-même  eu  l'occasion  J'en  reconnaître 
l'existence,  en  remarquant  que  mes  tubes  de  caout- 
chouc, après  avoir  été  remplis  d'eau  et  parfaitement 
bouchés ,  perdaient  au  bout  d'un  certain  temps  une 
partie  très-notable  de  cotte  eau.  Dans  l'espace  de 
trois  mois,  un  tube  renfermant  125  grammes  d'eau 
eu  a  perdu  25  ,  o'osl-à-dire  i:i  cinquième  partio  ;  uu 
autre,  dans  le  nif*me  ifMnp>,  a   perdu  pirs  do  nioiiié. 

G 


.ES  TROYENS 

t  m     Aleuadra    BÏJCBMKII, 
Membre  lilulaire  de  l'Académie. 


SIEURS , 

es  vieux  poctlus  il«  l'Angleterre,  oviint 
lucer  ou  rencontre  souvent  une  de  ces 
raditions  fiibulniises  qui  son!  si  fré- 
noyen-ilge  pt  iiiii  posséJaient  nioi's  un 
ffil,  Inen  que  tonte  linse  historique  leur 

1  dont  nous  niions  parler,  c'est  l'Iiypo- 
ss  premiers  lialtilants  civilisés  de  In 
gne  étaient  des  descendants  lies  Troycns, 
sment  d'itnéc  et  de  ses  conipiignons. 
locale  de  ce  myihi;  est  bien  connue  ; 
;  dans  les  légendes  conservées  chez  les 
celtiques  de  lu  UreUigne,  depuis  des 
noriauic.  comme  les  beaux  travaux  de 
amurqué  sur  les  Celtes,  el  la  découverte 
on  (i)   l'ont   prouvé.   AlUrmer  on  nier 


82  NIVEAU  d'eau  a  tube  flexible. 

D'autres,  enfin,  n'onl  éprouvé  que  des  pertes  beaucoup 
moindres.  Plus  les  tubes  sont  anciens,  plus  ils  de- 
viennent ordinairement  perméables  à  Tcau.  Au  reste, 
cet  inconvénient  est  le  moindre  de  tous,  puisqu'il 
suffit  d'ajouter  un  peu  d'eau  diins  les  tubes  lorsqu'elle 
vient  à  diminuer.  Seulement  il  faut  avoir  soin  que 
l'eau  ajoutée  soit  du  même  poids  spécifique  que 
celle  renfermée  dans  le  tube  de  caoutchouc. 

Telles  sont  les  observations  dont  j'ai  cru  devoir 
accompagner  la  description  de  mon  niveau  d'eau, 
parce  qu'elles  m'ont  paru  propres  à  en  faciliter 
l'usage ,  et  parce  qu'on  y  remarquera  peut-être 
quelques  faits  nouveaux  ou  peu  connus. 


LES  TROYËNS 


EN   ANGhljETEIillE, 


M     Aleundre    BUCHXKR , 

Membre  titulaire  de  rAcadémie. 


Messieurs  , 

En  lisant  les  vieux  poètes  de  l'Angleterre^  avant 
oo  après  Chaucer  on  rencontre  souvent  une  de  ces 
singulières  traditions  fabuleuses  qui  sont  si  fré- 
qaentes  au  inoyen-ûge  et  qui  possédaient  alors  un 
crédit  universel,  bien  que  toute  base  historique  leur 
m  défaut. 

La  tradition  dont  nous  allons  parler,  c'est  l'hypo- 
thèse que  les  premiers  habitants  civilisés  de  la 
Grande-Bretagne  étaient  des  descendants  des  Troyens, 
et  particuhèremcnt  d'Énée  et  de  ses  compagnons. 

La  source  locale  de  ce  mythe  est  bien  connue  ; 
elle  se  trouve  dans  les  légendes  conservées  chez  les 
populations  celtiques  de  la  Bretagne,  depuis  des 
temps  immémoriaux,  comme  les  beaux  travaux  de 
M.  de  La  Villemarqué  sur  les  Celtes,  et  la  découverte 
des  Mabinogion  (i)   l'ont  prouvé.   Altirmcir  ou  nier 

(Ij  l'Iiirlel  (lu  mot  cvIliqiK;  \lahiHO:ii,  qui  sij^nilie  prohablcmcnl 
un  tvr'l  |x»ur  la  joiuirs-^.  Il  .11  t>\isii>  <l<'ii\  rccnrih  é<  liis,  V\\u  du 


H4  LES  TROYENS 

qu'elles  fussent  connues  en  Fitince  avant  le  XII*  siècle^ 
i'st  également  difficile  ;  cependant  le  développement 
excessivement  rapide  que  le  cycle  épique  dît  breton 
rencontra  chez  les  trouvères,  semble  favoriser  Ja 
première  hypothèse. 

En  Angleterre ,  on  en  eut  connaissance  depuis  le 
commencement  du  XIP  siècle.  A  cette  époque^  un 
ecclésiastique  anglais,  Gauthier,  archidiacre  d'Oxford, 
fit  un  voyage  dans  la  Bretagne  armoricaine.  Il  prit 
intérêt  aux  traditions  populaires  qu'il  y  rencontra,  et 
l'apporta  en  Angleterre  phisieurs  manuscrits  en 
langue  celtique ,  dont  le  contenu  ne  nous  est  connu 
qu'indirectement  par  la  Chronique  latine  dans  la- 
quelle Geoffroy  Arthur,  archidiacre  de  Monmonth, 
réunit,  vers  1140,  les  matériaux  trouvés  par  Gauthier. 
Ce  fut  A  ce  dernier  ou\'nige  que  s'inspira  le  trouvère 
normand,  maître  W'ace,  qui  le  traduisit  en  français, 
le  mit  en  vei-s  et  ramplifia  considérablement  dans 
son  Brut  dWngfetmr  (W 

Les  faits  les  plus  s;n liants ,  racontés  par  les  auteurs 
que  je  viens  de  nommer ,  sont  larrivée  et  rétablis- 
sement d'Innée  en  Italie  .  la  naissance  de  son  petit- 

Mil',  Taiilrt^  du  \1V'  sièdo.  Ce  dernier  a  été  Induit  en  anglais 
)v^r  ladv  (■iu*sl  :  Londres  18,^7-19. 

l^nni  k*»  tra>au\  de  M.  de  La  Villemaniué,  nous  almm  : 
iomtrs  populnirts  tits  «innViis  Htttons^  18^1;  Béordtt  hrelamM  ém 
Vt  iHV^,  «850  ;  LfS  romoMS  Ht  la  Takle-RtmHt  et  ies  amies  dn 
amfirms  Rtrtcns,  iS59;  Im  LfftnHr  l^retommt^  1859i. 

J  O  poème  important,  qui  contient  en  genne  une  gijade 
partie  de»  sujets  de  la  poésie  rheialere$i|ue  de  la  Fïanee  cl  de 
r  Allemagne  au  mojen-^.  a  été  édite,  commcnlé  cl  anoolé  a%cc 
le  phis  grand  soin  par  M.  Lerouv  de  lAncy  (2  toL  Roncn,  I836« 


EN   ANGLETERRE.  85 

fils  BnitQS ,  les  expéditions  de  celui-ci  en  Gièce ,  en 
Afrique,  en  Espafçne  et  en  Bretagne,  son  arrivée 
dans  nie  qui  lai  devra  son  nom  de  Britannia  (I),  ses 
luttes  contre  les  géants  autochthones  et  not.iinmont 
le  combat  victorieux  du  Troyen  Corinéns  (-2)  contre 
le  moDstrueux  Géomagot;  — enfin  la  fondation  d'une 
nouvelle  Troie  sur  les  bords  de  la  Tamise  (3). 

(i)  Wace,  vers  1207  -13: 

La  terre  a  voit  nom  d*Albiou , 
Mais  Brutua  U  canga  aoo  oom» 
De  son  nom  Brulo  oom  U  mi»! 
Et  Bretaigne  md  nom  U  fist. 
Le»  Trojena ,  les  rompaigooD» , 
Apela  de  Bmto  Bretona. 

[1}  Wace,  Ten  1213—  18: 

Corineua  a  sa  partie  , 

De  la  terre  à  son  oes  saisie  ; 

Celé  partie  a  apelée 

De  Corinéo  Corioée  ; 

Puis  ne  sai  par  quel  cootrovailie 

Fu  apelée  Corooaillc. 

Voici  œ  que  Geoffroy  de  Monmoulh  dit  à  ce  sujet  : 

•  At  Corioens  porcionem  regni  qua;  parti  sux  cesserai  ab  ap- 
petladone  et  sui  nomiais  Corinciam  vocat....  ;  maluit  regionem 
Ulam  quae  nunc  Cornu  Briianniœ  vel  per  corruplioiiem  pnedicli 
nomiDis  Cornulna  appellatur.  « 

(3)  Trinocant ,  chez  Wace;  Troynovant ,  chez  les  vieux  pOfMes 
anglais  ;  ce  sont  deux  corruptions  des  formes  Troja  nova  et  Trinn- 
vantum  qui  se  trouvent  dans  la  Chronique  latine. 

Le  changement  du  nom  de  la  capitale  eu  l^ndon  est  attribua* 
ao  roi  Lud,  peu  antérieur  ù  César,  el  qui  fut  enterré  dans  cette 
ville  qui  avait  été  son  séjour  de  prédilection.  Les  fermes  intermé- 
diaires sont  :  Ludsgate,  Ludoin,  l^ndoffns,  Londe.  V.  Wace,  vers 
1269—75;  3816— 3i. 


86  LES  TRUYENS 

Après  Hrtitus  vient,  dans  une  descendance  pinson 
moins  directe ,  une  longue  série  de  rois  glorieux  et 
célébrés  depuis  par  les  poètes  anglais.  Nous  n'en 
indiquom'  ici  que  quelques-uns  des  plus  importants  : 
Locrine,  un  des  fils  de  Brulus  ;  Hudibras ,  contem- 
porain de  Salomori  ;  Lear  et  Gorboduc ,  héros  de 
Shakspeare  et  de  Sackvillc  ;  Lucius,  premier  prince 
chrétien ,  et  enfin  le  grand  Arthur. 

C'est  ce  dernier  qui ,  depuis ,  est  devenu  ,  pour 
ainsi  dire  ,  la  pierre  angulaire  de  Tépopée  chevale- 
resque et  chrétienne.  Dé^h  Wace  lui  attribue  la 
fondation  do  la  Table-Ronde  (I),  dont  la  chronique 
de  GcollVoy  de  Muninoiith  ne  tait  piis  encore  mention. 
IVu  de  temps  après,  les  trouvères  français  combinent 
ce  mythe  avec  celui  du  Saint-Graal^  d'origine  pro- 
bablement arabe  (2.  ,  qui  se  répandait  en  même 
temps. 

Ces  btises  jetées,  le  cycle  breton  eut  une  extension 
rapide  en  France  et  en  Allemagne.  I-a  domination 
universelle   du   loi   Arthur ,    la  ;;loire  de   sii  Table- 

.t     Wan»,  \cr»  99«J5-iO,031  : 

Par  K->  aoMt'»  hiroD»  qu'il  ot 

Dont  casruns  niicldrr  c»trc  quidol  : 

CaMuns  k\'Q  (rnoit  al  millor. 

Ne  nu>  nVn  u\oit  le   pior  , 

Fit  Arlu>  1j  Roonilt'  Table 

IVtut  Brrion  dirai  mAÏDlc  fable  :  etc. 

v2',  Telle  e»l  Topuikni  r^paiuluo  rn  AUcmagne.  MM.  de  La  Ville- 
marqHé  et  R^kiii  piMi^eiii  plutôt  que  le  fond  de  celte  Ucende  appar- 
twol  i  la  Rniagne  encore  paie» ne  :  les  idées  dirètieniiei , 
surrenues  plu>  lanl .  lui  auraient  donné  la  forme  daas  laquelle 
elle  lurait  cbei  le>  trouvère». 


EN   AHOLËTERRE.  87 

Ronde ,  les  sortilèges  de  Merlin ,  les  exploits  des 
chevaliers  du  Saint-Graal,  tels  que  Peix:evsii ,  les 
amours  de  Genièvre  et  de  Lancelot,  de  Tristan 
et  dlsenlt  «  devinrent  le  bien  commun  des  poètes  qui 
rêvaient  pour  l'avenir  la  fondation  d'un  état  unique , 
basé  snr  le  christianisme  et  sur  la  clievalcrie. 

Nées  chez  une  race  vaincue  et  parties  d'un  des 
coins  les  plus  inaccessibles  de  l'Europe  d'alors,  com- 
ment les  fiibles  bretonnes  ont-elles  pu  avoir  le  succès 
que  nous  venons  de  signaler  ? 

Nous  laissons  de  côté  l'hypothèse  d'après  laquelle 
le  mythe  de  la  guerre  de  Troie  ne  serait  que  l'expres- 
sion et  le  souvenir,  plus  ou  moins  transformé  ,  d'une 
antique  lulte  entre  les  races  aryenne  et  sémitique , 
pour  se  disputer  la  domination  en  Asie-Mineure  et 
sur  les  bords  orientaux  do  la  Méditeiranée  (1).  Ce 
qn'îl  y  a  de  plus  remarquable  dans  notre  sujet ,  c'est 
qu'an  moyen-âge  plus  d'une  nation  naissante  raf>- 
procha    son  origine  de   l'existence    glorieuse    des 

(i)  Beofey ,  Les  Sémites  à  //ton.  —  Quant  à  une  interprétation 
allégorique  des  poèmes  d'Homère,  cette  idée  remonte  à  Tanliquité 
eUe-méme. 

Chez  les  modernes,  au  XYII*"  siècle,  cetic  manière  de  considérer 
V Iliade  et  V Odyssée  était  aussi  Tort  à  la  mode.  Cn  Hollindais  , 
Craesius,  voyait  dans  V  Odyssée  rbbloiré  des  Israélites  sous  les 
patriardies,  et  dans  Vlliatle  la  prise  de  Jéricho. 

Voici  ce  que  M.  Egger  dit  de  M«*  Dacier  : 

«  Son  commentaire  almiide  en  réncxions  sur  la  moralité  des  fic- 
tions du  poète,  que,  selon  un  vieux  préjugé,  elle  interprète  en- 
core par  Tallégorie  ;  en  remarques  admiratives  sur  la  science  pro- 
fonde qu*îl  possédait  ;  eu  rapprochements  plus  ou  mois  hasardés 
OTec  rÉcrilure  sainte.  »  Il  est  diflicile,  ditRigaut,  après  avoir  lu 
cette  préface ,  de  ne  pas  voir  dans  Homère  Télèvc  du  roi  Salomon. 


HH  LES   THOYtNS 

Troyens ,  et  chcrchu  un  titre  pour  se  dire  parente 
des  Romains. 

Dcjù  les  chroniqueurs  des  Francs  les  rattachaient 
eux-mêmes  aux  Troyens  (1),  et  les  poèmes  allemands 
du  moycn-ûge  répandent  cette  tradition ,  notamment 
lo  Aunoliedy  chant  composé  en  Thonneur  d'un  ar- 
clicvôque  de  Cologne  mort  en  i075.Dès  lors,  le  sou- 
venir (H  reloge  des  Troyens  reparaissent  souvent 
chez  les  poêles  allemands  du  moyen-âge.  Dans  le 
poème  que  nous  venons  de  citer ,  les  habitants  des 
bords  du  Xanten^  affluent  du  Rhin,  ont  voulu,  par  ce 
nom  ,  rappeler  le  souvenir  du  Xante ,  rivière  voisine 
du  Sciimandre.  Dans  d'autres  poèmes  on  raconte  que 
rcmpereur  Constantin,  avant  de  choisir  Byzance  pour 
sii  résidence ,  avait  songé  à  rendre  Sii  première  im- 
portance h  la  ville  de  Troie  qui ,  sur  certaines  cartes 
géographie] ues  du  moyen-ilge ,  figurait  comme  une 
des  quatre  capitales  du  monde ,  «\  côté  de  Rome,  de 
Babylone  et  de  Jérusalem.  Le  mythe  troycn  pénétra 
juifque  dans  la  partie  la  plus  nationale  et  la  pins  po- 
pulaire de  la  poésie  épique  rie  TAUemagne,  dans  le 
cycle  des  XiMungcn.  Le  meurtrier  de  Sigefroi,  Hagen, 
cette  figure  héroïque  (jui  projetlo  son  ombre  sinistre 
sur  toute  cette  partie  des  mythes  Scandinaves  et 
germaniques ,  possède  un  château  du  nom  de  Tronje 
et  passe  pour  être  un  descendant  de  Priam  (2).  Bientôt 

(1)  K«  L.  Roth,  Die  Trojatteisage  der  Franken,  BrauD,  Die 
Trojaner  uni  Rheiii» 

(2)  Son  nom  mùuic  0:4  rapproché  de  celui  d^Hcctor.  En  ellet,  la 
fomic  la  plus  ancienne  de  ce  nom,  tel  qu'il  apparaît  dans  les 
/^V(/(f,  est  Ho(*gni,  qui  est  le  frère  et  non  pas,  comme  dans  les 
Xibclungen ,  le  vasvsal  du  roi  Guntber  ou  Gunnar. 


£!!    A5tiL£TERA£.  89 

les  poètes  allemands  se  mirent  à  traiter  exprès  ces 
sujets.  Herbort  de  Fritzlar  traduisit  la  Destructien  de 
Traie,  de  Benoit  de  Sainte-Maure ,  et  cette  traduction 
forme  la  base  de  V Enéide  de  Henri  de  Veldcke. 
Dans  ces  trois  poèmes ,  les  coutumes  chevaleresques 
et  les  ÊiUes  merveilleuses ,  venues  de  l'Orient ,  se 
confondent  de  la  façon  la  plus  étrange  avec  le  sujet 
antique  (I;. 

D'un  autre  côté ,  Clirestien  de  Troie  et  son  Che- 
valier au  Lion  furent  le  point  de  départ  de  Wolfram 
d'Eschenbacb  ,  de  Gottfried  de  Strasl)Ourg  et  des 
antres  poètes  allem«mds  qui  prenaient  leurs  sujets 
dans  le  cycle  breton.  Aujourd'hui  encore ,  ce  trou- 
vère français  est  l'objet  du  plus  grand  intérêt  pour 
tonte  une  classe  d'érudits  d'outre  Rhin. 

A  cette  époque ,  la  fable  troyenne  est  partout.  En 
Italie,  la  maison  de  Frangipani  se  vantait  encore ,  au 
Xlil*  siècle,  de  son  origine  troyenne.  D'après  la  Chro- 

(1)  Les  exemptes  de  ce  réalisme,  qui  transporte  en  pleine  anti- 
quité les  usages  du  mojen-âge,  simt  très-curieux.  Cbei  Benoit , 
Tumus  est  un  marquis  ;  la  bannière  d'Énéc  flotte  sur  le  château 
de  Montalban ,  attaqué  par  un  connétable  ;  les  murs  de  Carthage 
se  trouTent  couverts  d^une  substance  magnétique  qui  ferait  pri- 
sonmeni  les  guerriers  ennemis ,  attirés  par  leurs  armures,  etc. 
D'après  Veldeke ,  cette  ville  a  cent  portes.  L^épée  forgée  par 
VulcaJn,  il  la  compare  aux  armes  célèbres  dont  Téloge  parait  par- 
tout dans  la  poésie  du  moyen-Age.  Il  y  a,  à  Berlin,  un  manuscrit 
illustré  de  son  poème.  Les  personnages  y  paraissent  dans  le  costume 
de  la  fin  du  XII*  siècle  ;  le  casque  de  Camille  est  orné  d'une  cassette 
bien  fermée,  symbole  de  sa  chasteté;  la  maison  de  la  Sibylle  a 
des  colonnes  dont  les  chapiteaux  portent  des  têtes  d'animaux  fan- 
tastiques, propres  à  Tarchitecture  du  moyen-ftgc  ;  Ênée  joue  aux 
échecs,  etc.  Le  poème  de  Benoit  fut  aussi  traduit  par  le  Hollandab 
Bfaerlant,  vers  1250. 


90  LES  TROTERS 

nique  de  Geoffroy  de  Monmoulh,  la  ville  de  Tours 
devrait  son  nom  à  uo  neveu  de  Bmtus,  Tumus,  mort 
dans  une  expédition  que  ces  héros  auraient  entre- 
prise contre  l'Aquitaine,  après  leur  débarquement  en 
Bretagne.  On  voit  même  les  peuples  les  plus  éloignés, 
et  jusqu'aux  Turcs,  adopter  des  fables  pareilles.  Voici, 
à  ce  sujet,  un  curieux  passage  de  Montaigne  (II,  36)  : 

<•  Qui  ne  cognoist  Hector  et  Achilles  ?  Non  seule- 
ment aucunes  races  particulières ,  mais  la  plus  part 
des  nations  clicrclient  origine  en  ses  inventions. 
Mahumed ,  Second  de  ce  nom,  Empereur  des  Turcs, 
cscrivant  à  notre  Pape  Pie  Second  :  «  Je  m'estonne , 
dit-il,  comment  les  Italiens  se  bandent  contre  moy, 
attendu  que  nous  avons  nostre  origine  commune  des 
Troyens  :  et  que  j'ay  comme  eux  interest  de  vanger 
le  sang  d'Hector  sur  les  Grecs ,  lesquels  ils  vont  favo- 
risant contre  moy  (i).  » 

La  cause  de  cette  popularité  extrême  des  Troyens 
au  moyen-tige  se  trouve,  au  moins  en  grande  partie , 
dans  l'autorité  dont  Virgile  jouissait  alors.  Produite 
Hu  moment  où  les  armes  romaines  ne  rencontraient 


(1)  Voici  ce  qu'un  historien  du  XVIl*  siècle  «  André  du  Ghesne, 
tiistoriographe  de  France ,  dit  ù  ce  sujet  dans  son  Histoire  d* An- 
gleterre, tCEicoêêe  et  d'Irlande  (Paris,  f  6S6)  : 

«  Au  demeurant,  quant  au  troyen  Brutus  que  les  Bretons  dé- 
fendent avec  tant  d'obstination ,  c'est  vrayement  grand  merveille 
que  chaque  Nation,  presque  d'un  commun  consentement,  s^est es- 
timée fort  honorée  de  tirer  son  ancien  estoc  de  la  Destruction  de 
Troye.  En  cette  manière  les  llomains  ont  fait  estât  d'un  Énée  pour 
leur  premier  purent  et  autheur,  les  Francs  d'utt  Francus  (*)  oo 
Francion,  le»  Turcs  d'un  Turcus,  les  habitants  de  la  mer  Adriatiqfic 
d'un  Anténor,  et  ceui  de  la  Grande-Bretagne  d'un  Bmtus.  • 

{*)  Rousard,  La  Franeiade. 


E2C    ANOLLTUUiE.  ^à\ 

jAun  de  résistance  sérieuse ,  VEnékk  a?ait  d'abord 
semblé,  aax  yeox  des  vaincus,  justifier  la  supériorité 
des  Romains ,  issus  de  cette  race  troyenne ,  la  plus 
noble  de  l'univers  ;  et  plus  tard ,  lorsque  les  nations 
jennes  forent  établies   sur   les  ruines  de  rKmpîre, 
elles    voulurent    paniitre    moins    avoir    vaincu  les 
maîtres  du  monde  que  leur  avoir  succédé.  Leurs 
princes  se  disaient  volontiers  les  héritiers  de  César , 
dont  le  nom ,  légèrement  corrompu  ,  désigne  encore 
aujourd'hui  le  pouvoir   suprême   sous    le  nom   de 
A»itser  (i)  eu  allemand,  de  czaar  en  russe.  Les  poètes 
célébraient  volontiers  les  exploits  des  Romains;  ils 
représentaient  de  préférence  les  Germains  comme  les 
alliés  les  plus  dévoués  du  conquérant  de  la  Gaule. 

Une  fois  entré  dans  cette  voie  ,  on  ne  s'arrôta  plus 
qu'à  la  fin,  c'est-à-dire  à  l'origine  fabuleuse  de  la 
grande  capitale,  et  Virgile,  qui  avait  si  bien  arrange 
et  mis  d'accord  toutes  les  traditions  qui  pouvaient  s'y 
rapporter,  acquit  pour  les  auteurs  de  chroniques  ou 
de  légendes  au  moyen-â^^c ,  une  autorité  pareille  à 
celle  qu'Aristote  exerçait  sur  ceux  qui  s'occupaient 
de  philosophie  ou  d'histoire  naturelle.  Les  papes 
avaient  trouvé  leur  titre  ù  la  domination  spirituelle 
dans  les  Évangiles  :  ce  fut  dans  V Enéide  que  les  em- 
pereurs trouvèrent   l'origine  de  leur  règne   sur  la 

(1)  Des  léinoigiiagcs  frappants  de  rautorité  que  le  uoni  de  César 
eierçait  sur  les  Germains  se  Irouvent  dans  un  poème  légendaire 
allemand,  du commencemcut  du  XII*  siècle,  intitulé:  Kaiscrchromik. 
L*idée  fondamentale  de  ce  poème,  d'ailleurs  plein  d'erreurs  bisto- 
riques«  est  que  les  empereurs  germaniques  ne  sont  que  les  succes- 
seurs légiUmes  des  empereurs  romains.  Parai  ces  derniers,  Tar- 
qiiin-lc-Superbe  parail  après  Néron.  Le  reste  est  à  ra%cuant. 


1)2  LES   TR0YEN5 

terre.  Dès  lors,  Virgile  obtint ,  au  point  de  vue  po- 
litique ,  riniportance  qu'il  avait  déjà  dans  l'en- 
seignement de  la  grammaire  (i).  En  même  temps, 
il  passait  pour  posséder  tous  les  secrets  des  sciences 
occultes.  De  son  côté ,  l'Église ,  loin  de  s'effrayer  de 
cette  réputation  de  sorcier ,  ou  de  repousser  le  poète 
de  Mantoue  comme  l'auteur  de  fables  païennes,  se 
plut,  au  contraire,  à  lui  prêter  les  qualités  d'an 
prophète  et  d'un  saint ,  digne  o'une  inspiration  di- 
vine qui  lui  fit  pi'essentir  et  prédire  la  naissance  du 
Christ.  Ainsi  Virgile  put  devenir  le  guide  qui  in- 
troduit le  plus  chrétien  des  poètes  dans  les  mystères 
les  plus  profonds  de  la  foi  nouvelle  (2). 

Lorsqu'on  compai^e  tous  ces  faits,  on  comprend 
facilement  l'influence  immense  de  Virgile  et  surtout 
de  V Enéide ,  sur  la  poésie  du  moyen-âge.  Partout 
les  esprits  se  trouvaient  préparés  à  accueillir  avec 
faveur  toute  fable  qui  tendait  à  resserrer  les  liens  de 
parenté  qui ,  à  ce  que  l'on  croyait ,  rattachaient  les 
jeunes  nations  aux  Troyens  par  l'intermédiaire  des 


(t)  V.  Bernbardi,  Grundriss  dtr  roemiscIttH  littrralmr,  t862, 
p.  855. 

(3)  Ce  Virple  imagiaaire  est  depuis  longtemps  robjel  de  la 
prédilection  des  érudits  français,  anglais  et  allemands.  Déjà,  au 
siècle  dernier ,  Wartoo  s*en  occupa  dans  son  Histoire  de  la  poésie 
anglaise.  Dunlop  traite,  avec  beaucoup  de  détails,  le  mémo  sujet 
dans  son  History  of  FieiioH.  Parmi  les  pubUcatiottS  plus  récentes, 
nous  ne  mentioimons  que  le  traiail  ,  si  plein  de  faits  ,  de 
M.  Ëdelestand  Du  Méril ,  De  %'irgHe  rEmckoHtrMr^  dans  ses 
Mêiamges  archvoh^giques ,  Paris,  1S50:  et  la  monographie  eiod- 
lente  du  docteur  Th.  Cretienach,  à  Ftancfort,  Die  Aemeis^  die 
rierte  EMoge  und  die  PharsaUa  im   Mittelaller ,  Francfort,  I86&. 


EN   ANGLETERRE.  93 

Romains  et  même  sans  eax.  C'est  pourquoi  les  fables 
bretonnes,  ayant  donné  un  développement  très-riche 
à  ces  traditions,  durent  avoir  un  succès  rapide  et 
général. 

Quant  à  l'Angleterre  en  particulier ,  nous  avons 
déjà  vu  quel  fut  le  point  de  départ  des  deux  érudits 
qnî ,  les  premiers ,  répandirent  ces  fables  en  dehors 
de  leur  lieu  de  naissance.  Le  Brut  de  maître  Wace, 
né  du  produit  de  leurs  travaux  ,  y  fut  accueilli  avec 
le  plus  grand  intérêt.  En  peu  de  temps ,  quatre  au- 
teurs le  reproduisirent:  Robert  de  Gloucester  et 
Layamon ,  en  anglo-saxon  ;  Peter  Langtoft ,  un  ec- 
clésiastique du  Yorkshire ,  en  français  ;  Robert  Man- 
i^yiigt  dit  de  Brunne ,  d'après  le  lieu  de  sn  naissance 
en  Lincolnsbire  ,  en  anglais. 

Le  plus  important  de  ces  poèmes  est  celui  de  Laya- 
mon (4).  Ce  n'est  pas  sans  étonnement  qu'on  voit 

(i)  Le  prêtre  saxon  Layamon  amplifia  Le  Brut  de  Wace  dans 
la  langue  populaire  d'alors,  qui  tient  le  milieu  entre  Tanglo-saxon 
déjà  corrompu  et  Tanglais  naissant.  D'après  les  uns,  son  poème 
date  de  1189  ;  d'après  les  autres,  il  ne  remonte  pas  au-delà  de  1205. 
V.  Gamett ,  Philohgical  Essay»  ;  London,  1859. 

Le  développement  que  Lajamon  donna  ù  Toriginal  fut  consi- 
dérable. Le  Brut  de  Wace  ne  compte  que  15,800  vers;  le  sien  en 
a  plus  de  33,200.  Cependant  il  faut  remarquer  que  le  vers  allité- 
nmt  des  Anglo-Saxons,  dont  Layamon  se  sert  encore  ,  sans  toute- 
fob  lui  conserver  toute  la  pureté  de  sa  forme  ,  est  plus  court  que 
celui  employé  par  le  trouvère  normand. 

Voici,  d*ailleurs,  ce  que  Layamon  dit  lui-même  de  son  procédé 
d'amplification  :  i  Layamon  mit  devant  lui  les  livres  de  saint 
Bède ,  de  saint  Albin  et  de  saint  Anstin,  de  même  que  celui  de 
maître  Wace ,  et  en  tourna  les  feuilles  avec  délices.  Que  Dieu  le 
bénisse!  De   ses  doigts    il  prit  une  plume  et  se  mit   à  écrire,  à 


98  LKS  THOYENS 

Cressida.  A  côté  de  lui ,  ce  sont  Lodge ,  qui  traite  le 
sujet  de  Marius  et  Sylla  ,  et  Ben  Jonson  ,  qui  s'em- 
pare de  Catilina  el  do  Séjan.  Après  eux ,  Beuitniont 
et  Flelcher  mellent  en  scène  Cléopûlre,  Valenlinien  III 
avec  Actius,  et  la  reine  brilanuiquc  Bonduca  ou 
Boadicéa  avec  son  vaillant  général  Garadoc  ou  Ga- 
ractacus.  Ghapman ,  le  traducteur  d'Homère ,  fait 
une  pièce  sur  Gésar  et  Pompée ,  etc. 

Pour  trouver  le  premier  emploi  scénique  d'un 
sujet  pris  dans  la  Ghroniquc  de  Geoffroy  de  Mon- 
mouth,  il  faut  remonter  presque  aux  origines  du 
théâtre  anglais.  La  première  pièce  originale,  réguliè- 
rement conçue  d'après  les  modèles  anciens,  est  due, 
au  moins  en  partie,  à  Thomas  Sackville,  lord 
Buckhurst,  grand  personnage  politique  des  premiers 
temps  du  règne  d'Itliisabeth.  Elle  roule  sur  la  discorde 
entre  deux  frères ,  sujet  de  prédilection  des  poètes 
tragiques  depuis  le  théâtre  d'Athènes  jusqu'à  celui 
de  Racine  et  de  Schiller.  En  voici  la  fable.  Parmi 
les  premiers  descendants  du  Brut,  se  trouve  le  roi 
Gorboduc  ;  il  est  (soit  dit  entre  parenthèses)  l'aîenl 
de  Brennus,  ennemi  de  Rome;  que  les  chroniqueurs 
revendiquent  pour  la  gloire  de  la  Grande-Bretagne. 
Gorboduc,  sans  songer  à  l'enseignement  terrible 
laissé  par  un  de  ses  ancêtres ,  le  roi  Lear,  abdique 
la  couronne  el  partage  le  royaume  entre  ses  deux 
fils,  Ferrex  et  Porrex.  Mal  conseillés,  les  jeunes 
princes,  h  peine  établis  dans  leurs  États,  se  font  la 
guerre.  Ils  se  rencontrent  dans  un  combat  singulier, 
et  le  cadet  tue  l'ainé.  Gorboduc  se  contente  de  mau- 
dire le  vainqueur,  mais  la  reine  fait  mieux  :  elle 
assassine  Porrex  auquel  elle  avait  toujours  préféré 


EN  ANGLETERRE.  99 

son  fils  aiaë.  Le  coaplè  royale  resté  sans  enfants, 
succombe  à  la  fureur  de  ses  sujets  révoltés ,  et  la 
discorde  civile  ravagera  le  royaume  pendant  cin- 
quante ans. 

L'intention  de  l'auteur  de  cette  pièce  intéressante 
est  double.  D'un  côté,  Sackville,  érudit,  cherche  à 
introduire  sur  la  scène  naissante  de  son  pays  les 
formes  et  la  manière  des  tragiques  anciens  ;  de  l'autre, 
il  loi  importe  d'offrir  un  enseignement  politique  et 
des  conseils  de  concorde  a  un  peuple  qui  sortait  à 
peine  des  maux  des  guerres  civiles  et  religieuses. 
L'intention  de  gagner  son  public  par  des  allusions 
llatteuses,  ne  parait  guère;  mais  bientôt  après  elle 
deviendra  un  des  mobiles  pour  lesquels  les  auteurs 
auront  volontiers  recours  à  des  sujets  de  ce  genre. 

Malgré  ses  commencements  quelque  peu  classi- 
ques, le  théâtre  anglais  prit  rapidement  un  caractère 
aussi  populaire  que  celui  de  l'Espagne,  et,  à  ce  point 
de  vue,  ce  sont  les  deux  scènes  les  plus  remar- 
quables de  l'Europe  moderne.  Le  genre  le  plus  en 
vogue  auprès  du  public  de  Londres  était  une  espèce 
de  mélodrame,  assez  grossier,  auquel  Shakspeare 
sut  donner  souvent  des  allures  tragiques.  Gomme  hi 
simplicité,  dans  la  construction  des  théâtres,  ne  leur 
permettait  pas  de  flatter  les  sens  du  gros  du  public 
par  des  décors  féeriques  ni  par  les  merveilles  dues  au 
machiniste,  on  les  captivait  par  d'autres  moyens.  On 
se  servit  d'une  action  riche  et  variée  ;  on  mit  en  jeu 
les  passions  les  plus  violentes  ;  on  fit  un  fréquent 
emploi  du  surnaturel  et  du  merveilleux;  ou  intro- 
duisit un  peu  partout  les  apparitions ,  les  spectres , 
les  sorcières  el  les  magiciens;  enfin  on  adressa  au 


iOO  LES  TROYENS 

public  de  nombreux  coropliraents  qui  ]K)uvaieDt, 
comme  chez  Spenser ,  se  coml)iner  avec  des  éloges 
hyperboliques,  ppodigués  à  l'auguslo  souveraine. 

Un  exemple  très-curieux  de  ce  genre  se  trouve 
dans  une  pièce  de  Greetie ,  intitulée  Histoire  dei 
moines  Bacon  et  Bungay,  £lle  est  de  1591. 

Le  poète  y  met  en  scène  le  philosophe  naturaliste 
Roger  Bacon ,  comme  un  magicien  aussi  sago  qu'ha- 
bile ;  il  en  fait  juste  le  contraire  du  Faust ,  création 
contemporaine  de  Marlowe.  Après  jnaintes  preuves 
brillantes  de  son  art,  qui  produisent  plus  d'un  coup 
de  théâtre ,  le  magicien  reconnaît  la  stérilité  réelle 
de  ses  charmes.  Il  les  abandonne,  devient  un  bomme 
pieux  et  termine  la  pièce  par  une  tirade  prophétique 
des  plus  originales. 

«  Mon  art,  y  dit-ii,  me  permet  de  prévoir  une 
époque  glorieuse.  A  cette  place ,  où  Brutus  a  fondé 
une  nouvelle  Troie ,  la  plus  belle  des  fleui^s  épa- 
nouira ses  feuilles  qui  projetteront  une  ombi*e  bien- 
faisante sur  l'Ile  d'Albion.  La  Heur  de  Phébus  en 
sera  éblouie,  l'héliotrope  d'Apollon  s'inclinera  devant 
elle.  L'hvaciuthe  de  Vénus  en  sera  humiliée  ;  l'œillet 
de  Junon  y  perdra  son  éclat;  le  laurier  de  Pallas, 
si  vert  qu'il  soit,  sera  llétri,  et  la  splendeur  multi- 
colore de  Cérès  pâlira,  —  tout  se  prosternera  devant 
la  rose  de  Diane.  • 

Une  autre  pièce  du  même  genre  et  basée  sur  la 
même  tradition ,  est  Jm  Naissance  de  Merlin ,  par 
Ilowley,  qu'on  aurait  voulu,  pendant  quelque  temps, 
attribuer  à  Shakspeare.  Elle  est  du  commencement 
du  XVIP  siècle. 
L'origine  Iroyenne  des  Anglais  étant  devenue  pro- 


EN  ANGLET£ER£.  iOi 

verbîale  à  cette  époque ,  on  considérait  les  ancêtres 
de  Bmtas  comme  des  modèles  en  toute  chose ,  et 
surtout  dans  les  exercices  qu'on  appelait  clievale- 
resqnes ,  à  tort  ou  à  raison.  S'agit-il  de  faire  tomber 
sous  la  table  un  convive ,  réputé  pour  son  intrépidité 
devant  la  bouteille^  le  personnage  comique  de  la 
pièce  s'écriera  : 

«  Je  le  griserai ,  quand  ce  serait  un  Troyen  !  • 

Dans  une  pièce  de  Ben  Jonson  :  Chacun  selon  sort 
humeur^  imitée  des  Adelpkide  Térence,  parait  un  vieux 
juge  plein  de  bon  sens  et  de  bonne  humeur,  aimant 
la  joie  presque  autant  que  la  justice  ;  en  un  mot , 
une  espèce  de  personnification  du  Merry  old  England, 
Pour  reconnaître  son  mérite  par  un  éloge  énergique, 
un  porteur  d'eau  l'appelle  le  plus  honnête  vieux 
Troyen  de  Londres. 

En  considérant  ces  faits,  on  peut  s'expliquer  les 
bizarreries  que  Shakspeare  a  introduites  dans  son 
drame,  si  diversement  interprété,  de  TroUus  etCressida, 

Bien  qu'à  cette  époque  V Iliade  ,  traduite  d'ailleurs 
par  Chapman,  fût  sufiSsamment  connue  en  Angle- 
terre ,  Shakspeare  adopte  néanmoins  les  points  de 
vue  des  fables  du  moyen-âge.  Pour  la  partie  amou- 
reuse de  l'action^  il  s'appuie  sur  un  poème  de  Boc- 
cace,  Filostrato^  l'homme  renversé  par  l'amour. 
D'après  le  nouvelliste  italien,  Chryséïs,  dont  le  nom 
se  corrompt  autre  part  on  Cressida  et  en  Griseldis , 
est  lu  fille  du  prêtre  troyen  Calchas.  Pour  diftëreutes 
raisons  elle  est  livrée  aux  Grecs,  après  avoir  eu  pour 
amant  le  jeune  prince  Troïlus.  Désespéré ,  le  fils  de 
Priam  se  précipite  sur  ses  ennemis ,  leur  tue  mille 
hommes  et  ne  succombe  que  sous  les  coups  d'Achille. 


102  LES  TROYENS 

A  côlé  de  cclto  action ,  Shakspeare  met  en  scène 
la  partie  hi  plus  importante  des  faits  héroïques  de 
Vlliadc ,  mim  en  montrant  une  prévention  entière 
contre  les  Grecs.  On  sent  comme  une  espèce  de 
parodie  quand  on  le  voit  faire  d'Âjax  un  brutal  ma- 
ladroit, de  Diomède  un-  fanfaron  grossier,  d'Achille 
un  vantard  insolent  et  poltron.  Hector,  au  contraire, 
devient  un  vrui  chevalier,  digne  de  s'asseoir  à  la 
Table-Uonde  du  roi  Arthur  ;  Achille  ne  parvient  à  le 
tuer  qu'en  le  surprenant  désarmé,  et  à  l'aide  de 
nombreux  Myrmidons. 

Même  Schlegel,  tout  Shakspearomane  qu'il  est, 
n*a  su  comment  faire  pour  louer  cette  pièce  singu- 
lière. Si  Ton  se  contente  de  l'expliquer  an  lieu  de  la 
louer,  la  tîlche  devient  beaucoup  moins  ardue.  Il 
faut  y  voir  encore  une  de  ces  tentatives  heureuses 
des  poètes  dramatiques  de  ce  temps,  de  glorifier 
leur  public  dans  la  personne  des  ancêtres  héroïques 
que  lui  a  créés  la  fiction. 

Le  changement  radical  qui  se  produisit  en  Angle- 
terre à  la  suite  de  la  révolution  puritaine  ,  mit  tout 
naturellement  fin  à  la  croyance  dans  une  tradition 
qui  ne  trouvait  pas  de  justification  dans  la  Dible  des 
Protestants. 

Milton ,  érudit  autant  que  poète,  n'ignore  point 
cette  fable.  Il  y  fait  même  allusion  dans  la  pièce 
fantastique  Cornus  [{).  Mais  il  ne  la  mentionne,  ni 
dans  le  Paradis  perdu  ni  dans  le  Paradis  reconquis, 
aux  endroits  où  elle  aurait  pu  trouver  une  place  con- 
venable. 

(1)  Virgin,  daughlcr  of  Lomiie , 
Sprung  of  old  Anchise's  linc. 


EN  ANGLETE&RE.  103 

Dryden  qui,  tout  en  protestant  de  son  admiration 
pour  Shakspeare ,  a  refait  et  corrigé  plus  d'une  de 
ses  pièces ,  retoucha  aussi  Troïlus  et  Cressida.  Il  en 
fit  ane  tragédie  pure,  accompagnée  d'un  traité  en 
favenr  des  ttiéâtres  ancien  et  français  :  On  the  Groutids 
ofCriticism. 

L'esprit  critique  des  temps  suivants  écarta  bientôt 
complètement  toutes  ces  fiables.  Pour  n'en  donner 
qu'on  exemple,  voici  les  quelques  paroles  dédai- 
gneuses que  Gibbon  leur  accorde  dans  son  Histoire 
de  la  décadence  romaine  :  «  Les  colonies  fabuleuses 
des  Égyptiens  et  des  Troyens,  des  Scandinaves  et 
des  Espagnols,  dit-il ^  qui  tlattaient  l'orgueil  et  amu- 
saient la  crédulité  de  nos  aucéti*es  grossiers,  ont  peu 
à  peu  disparu  devant  les  lumières  de  la  science  et  de 
la  philosophie.  » 

Cependant  il  en  est  resté ,  et  jusqu'à  nos  jours , 
un  témoignage  curieux.  Nous  voulons  parier  de  deux 
statues  dans  Thôtel-de-ville  de  la  Cité  de  Londres . 
qui  présentent  le  troyen  Corinéus  et  son  adversaire  , 
le  grand  Géomagot.  Voici  ce  qu'un  écrivain  anglais, 
donnant  une  description  de  ces  statues ,  dit  à  leur 
sujet  : 

«  Coriuéus  et  Gog  Magog  étaient  deux  braves 
géants  doués  de  forces  prodigieuses,  qui  défendaient 
vaillamment  l'honneur  et  la  liberté  de  leur  pays.  La 
Cité  de  Londres ,  en  les  plaçant  dans  Gmldhall ,  en 
voulut  faire  un  emblème  pour  signifier  qu'elle 
défendait  ses  luiviiéges ,  ses  droits  et  ses  iVanciiises 
avec  la  force  et  l'intrépidité  des  géants.  Quelque 
fantastique  que  soit  leur  origine ,  il  est  certain  ,  et 
les  archives  en  font  foi ,  que  Corinéus  et  Gog  Magop: 


104  LES  TROYKIIS 

ont  joué  un  rôle  important  dans  plusieurs  céré- 
monies. Quand  Philippe  II  d'Espagne  et  Marie  Tudor 
firent  leur  entrée  dans  la  capitale ,  les  deux  géants , 
qui  étaient  alors  d'un  bois  léger ,  furent  portés  au- 
devant  du  cortège  et  déposés  aux  deux  cdtés  du 
pont  de  Londres.  Au  couronnement  de  la  reine 
Elisabeth  ,  la  foule  vit ,  au-dessus  de  la  porte  du 
Temple-Bar ,  les  deux  statues  de  Corinéus  et  de  Gog 
Magog,  entre  lesquels  un  immense  tableau  rappelait 
les  cérémonies  dans  lesquelles  ils  avaient  déjà  figure. 
Les  géauls  de  Guîldhall  furent  consumés  dans  le 
grand  inceudie  de  1666.  Le  peuple  en  fut  consterné. 
On  s'empressa  de  leur  ériger  de  nouvelles  statues,  et 
cette  fois  on  les  lit  en  pierre.  Ces  statues  ont  chacune 
quinze  pieds  de  haut.  » 

Un  recueil  périodique  anglais ,  IJEcho  briianniquty 
de  l'année  1835 ,  les  décrit  de  la  manière  suivante  : 

a  Les  deux  géants  ont  le  front  couronné  de  lau- 
riers ,  de  longues  liarbes ,  de  longues  ceintui*cs  pen- 
dantes, des  sandales  pour  chaussures ,  une  lance  à 
la  main  et  une  épée  au  côté.  Tous  deux  ont  une 
espèce  de  cotte  de  mailles  et  sont  barbouillés  de 
jaune ,  de  vert  et  de  bleu.  Leui-s  regards  semblent 
s'abaisser  avec  une  certaine  fierté  dédaigneuse  sur 
les  spectateurs  qui  les  contemplent.  La  seule  diffé- 
lence  remarquable  entre  leurs  personnes,  c'est  que 
l'un  a  sur  les  épaules  un  arc  et  un  carquois ,  tandis 
que  l'autre  appuie  sa  main  gauche  sur  un  bouclier,  u 

Ainsi,  c'est  par  rinterinédiaire  de  ces  deux  images 
que  le  souvenir  des  Troyons  s'est  perpétué  chez  le 
peuple  ,  à  Londres.  Seulement  la  tradition  biblique  , 
à  iaquelh'  le  grand  Géomagot  doit  »ans  doute  son 


EN  AR6LBTEREI.  105 

nom  chez  les  chroniqueurs,  a  pris  tout-à-fait  le 
dessus.  La  foule  désigne  maintenant  les  deux  com- 
pagnons d'armes  par  les  noms  de  Gog  et  de  Magog. 
Le  nom  et  le  mérite  du  vaillant  Corinéus  ne  sont 
plus  connus  et  appréciés  que  par  les  antiquaires. 

Les  temps  les  plus  récents  ont  founii  deux  preuves 
remarquables  de  la  popularité  dont  Gog  et  Magog 
jouissent  encore. 

Dickens ,  le  plus  original  des  romanciers  actuels 
de  l'Angleterre ,  les  u  introduits  dans  un  de  ses  ou- 
vrages, Masier  Humpkrey's  Clock.  Après  un  des 
diners  annuels ,  donnés  par  le  Lord  Mayor  dans  la 
grande  salle  de  Ijanquet  de  Guildhali,  un  des  convives 
s'endorl  dans  une  galerie.  Se  réveillant  au  milieu  de 
la  nuit ,  il  voit  la  place  éclairée  d'une  lumière  surna- 
turelle. Les  deux  géants  ont  quitté  leurs  piédestaux 
et,  assis  confortablement  sur  la  balustrade  de  la 
grande  croisée  gothique,  à  Textrémité  ouest  de  l'édi- 
fice ,  ils  conversent  sur  les  temps  passés.  Leur  en- 
tretien,  moitié  burlesque,  moitié  terrible  ,  renferme 
un  de  ces  épisodes  saisissants,  par  lesquels  Dickens 
sait  si  bien  augmenter  Tintérét  de  ses  romans. 

Plus  récemment  encore  ,  le  Punch,  ce  Qiarivari  de 
Londres,  s'est  emparé  de  Gog  et  de  Magog  qu'on 
venait  de  redorer  pour  la  réception  solennelle  du 
prince  de  Galles  après  son  mariage. 

On  sait  que  la  Cité  de  Londres  possède  toujours 
des  immunités  qui  la  distinguent  des  autres  parties 
de  la  capitale.  Entre  autres,  elle  exerce  sa  police 
comme  elle  Tentend  et,  à  ce  qu'il  parait ,  elle  s'y  en- 
tend mal  ;  car,  à  la  fête  dont  nous  parlons,  le  cor- 
tège princier,  à  peine  entré  dans  l'enceinte  sacrée. 


106        LES  TROYENS  EN  ANGLETE&EE. 

faillit  y  être  écrasé  par  la  foule ,  et  l'on  eut  des  mal^ 
hcors  à  déplorer.  Dès  Jors ,  Punch  habille  Oog  "et 
Magog  en  Policemen^  entourés  d'une  multitude  tur- 
bulente qu'ils  dominent  de  toute  la  hauteur  de 
leurs  piédestaux  et  de  leurs  tailles.  Avec  des  cha- 
peaux ronds  d'aujourd'hui ,  ceints  de  leurs  vieux 
lauriers,  la  tunique  de  service  jointe  aux  cottes 
de  mailles ,  les  massues  et  les  glaives  changés  en 
bâtons  de  Constables,  les  deux  gardiens  de  la  ville 
produisent  un  effet  fort  comique.  Les  barbes  tor- 
dues, la  bouche  entr'ouverte ,  roulant  les  yeux,  ils 
s'adressent  réciproquement  le  reproche  de  leur  inu- 
tilité^ accompagné  de  grimaces  effroyables. 

Tel  a  été  le  sort  défmitif  de  cette  fable  intéressante 
de  l'origine  troyenne  des  Anglais,  sort  bizarre» 
moitié  sérieux  ,  moitié  riçible. 

Née  chez  la  race  la  plus  poétique  du  moyen-âge,, 
accueillie  avec  faveur  par  une  nation  jeune  et  par 
conséquent  vaine  et  crédule  ,  exploitée  avec  plus  ou 
moins  d'art  par  les  poètes,  oubliée  ensuite,  ou 
écartée  par  la  critique,  elle  devient  enfin,  pour 
un  romancier ,  le  prétexte  de  raconter  une  touchante 
histoire  ,  et  pour  le  caricaturiste,  l'occasion  de  pro- 
duire une  charge  excellente. 


rn 


UDBS 


BOft  LES 


ANTIQUITÉS  JURIDIQUES  D'ATHÈNES. 


LA  RESTITUTION  DE  LA  DOT 

A.  ATHÈNES  (I) , 

Par  M.  Exapère  € AILLBIIER , 

Profeueiir  à  la  Faculté  de  Droit  de  Grenoble, 
membre  correspondant. 


Le  sujet  que  nous  nous  proposons  d'aborder  dans 
celte  nouvelle  étude  sur  les  antiquités  juridiques 
d'Athènes  a  déjà  plus  d'une  fois  attiré  Tatlention 
des  historiens  du  droit.  Est-il  possible,  en  effet ,  do 
traiter  de  l'organisation  de  la  famille  athénienne  sans 
rechercher  quelle  fut,  au  point  de  vue  pécuniaire, 
la  situation  de  la  femme  ou  de  ses  représentants  au 
jour   de  la  dissolution  du  mariage? — Aussi,  sans 

(1)  Ce  mémoire  a  été  lu  devant  P Académie  des  Inscriptions  et 
Belles-Lettres,  le  16  novembre  1866;  mais  il  a  paru  trop  exclusi- 
vement juridique  pour  ^tre  inséré  dans  le  Recueil  des  savants 
étrangers,  L*Académie  9*est  bornée  à  Taira  imprimer,  dans  les 
Comptes-rendus  de  ses  séances ,  une  analyse  soigneusement  faite,  à 
l'exactitude  de  laquelle  nous  sommes  beureux  de  pouvoir  rendre 
hommage  { Compies-rendus  des  séances  de  Vannée  4866,  p.  575 
à  379). 


108  ÉTUDES 

parler  des  auteurs  d'ouvrages  généraux  sur  le  droit 
attique,  tels  que  Samuel  Petit  (1),  Platner  (9)« 
Meicr  (3)  ,  de  Pasioret  (4) ,  Wachsmuth  (5)  et 
M.  Scbœmann  (6) ,  M.  Van  Stégeren  (7) ,  M.  Jules 
Cauvet  (8) ,  M.  Van  den  Es  (9)  et  M.  Albert  Des- 
jardins (10),  dans  leurs  dissertations  spéciales  sar  la 
condition  des  femmes  à  Atbènes ,  ont  résumé  briève- 
ment  les  règles  les  plus  importantes  de  la  législation 
sur  ce  point  intéressant. 

Mais,  dans  toutes  les  monographies  que  nous  ve- 
nons d'énumdrcr,  la  question  de  la  restitution  de  la 
dot  ne  se  présentait  que  comme  une  question  secon- 
daire. —  Peut-être  n'a-t-elle  pas  été  suffisamment 
examinée  sous  toutes  ses  faces.  Quelques  points  de 
vue  ont  été  omis;  certaines  distinctions  indispen- 


(1)  Leges  fiiticœ.  Ed.  Wesseliog.  Leyde,  17A2,  p.  5A8  et  soir. 

(2)  Der  Process  und  die  Klagen  bei  den  Attikern ,  Darmstadt, 
182^,  passim, 

(3)  Der  attitche  Process^  iJalle«  iS24,  passim  et  p.  &19  à  &SI. 
(Â)  Histoire  de  la  Législation,  Paris,  L  VI  (i82&),  p.  A17  et  suif. 

(5)  Ilellenische  AUerlhumskunde,  Halle,  t.  II  (1SÂ6),  p.  177  à 
179. —  Pendant  que  nous  rédigions  ce  mémoire,  M.  Wacfasmntli  est 
mort  à  Leipzig,  le  23  janvier  1S66. 

(6)  Giieeliische  Alterth&mer,  2<  édit  Berlin,  1861,  t  I,  p.  582 
et  suiv. 

(7)  De  conditione  civili  feminarum  athenien$ium,  ZwoU,  1S89, 
p.  134  à  139. 

(8)  De  l'organisation  de  la  famille  à   Athènes ,  Paris,   1845, 

p.  25  à  31. 

(9)  De  jure  familiarum  apud  Athenicnses ,  Lejde,  1864,  p.  56 

à  63. 

(iO)  De  la  condition  de  la  femme  dans  le  Droit  civil  des  Atké- 
niens^  Paris,  1865,  p.  11  à  16. 


SUR  LES  ANTIQUITÉS  JURIDIQUES  d'aTHÈNES.         109 

sables  pour  concilier  des  textes  qui ,  sans  elJes,  se- 
raient  contradictoires  ^  ont  été  négligées  ;  plusieui*s 
passages  des  orateurs  grecs  ont  été  laissés  de  côté, 
et  les  grammairiens  n'ont  pas  été  sutlisamment  mis  à 
contribution.  —  Ce  sont  ces  lacunes  el  ces  omissions 
que  nous  allons  essayer  de  combler. 

Nous  croyons  être  arrivé ,  suns  autre  secours  que 
celai  des  textes,  et  en  laissant  de  côté  les  simples 
conjectures,  à  rétablir  d'une  façon  sulHsamment  har- 
monieuse un  corps  complet  de  doctrine  sur  la  resti- 
tution de  la  dot  à  Athènes.  —  Preuve  nouvelle  que  la 
législation  de  cette  illustre  république  n'était  pas 
anssi  imparfaite  qu'on  le  dit  quelquefois  1  Pour  pou- 
Toir  discerner  aussi  nettement  qu'elle  l'avait  fait  les 
différentes  nuances  et  les  divers  aspects  d'un  sujet 
en  apparence  fort  simple ,  il  faut  que  la  science  du 
jurisconsulte  soit  depuis  longtemps  soiiie  de  cette 
période  de  tâtonnements  et  d'essais  par  lesquels  elle 
se  forme  péniblement. 

C'est  à  raison  môme  du  grand  nombre  de  textes 
par  nous  recueillis,  que  nous  nous  sommes  décidé  h 
écrire  cette  étude  :  aussi ,  nous  permettra-t-on  de 
nous  effacer  le  plus  souvent  pour  laisser  les  docu- 
ments originaux  parler  à  notre  place.  —  Un  éminent 
académicien ,  qui  a  fait  à  nos  premiers  travaux  l'hon- 
neur d'une  appréciation  bienveillante ,  et  dont  l'in- 
dulgence et  les  encouragements  nous  soutiennent 
dans  nos  laborieuses  recherches  ,  M.  Eggcr,  nous  a 
reproché  de  ne  point  donner  à  ces  études  tous  les 
développements  qu'elles  peuvent  comporter  (1).  — 

(1)  Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  CompteS'rendus 
pour  Cannée  iS65,  p.  hZ7. 


I  I  i  KTFDtS 

[lar  équivalent ,  mais  commo  corps  cerlaiii  el  dëter- 

ininé. 

Si  kl  dut  se  composait  de  choses  fongibles ,  elle 
ilevenait  au  moment  même  du  mariage  la  propriété  du 
mûri  ;  le  droit  de  ta  temme  se  tninsformnit  en  un  droit 
de  crtsiuce ,  prolé«fé  par  certaines  actions ,  entouré 
de  certaines  garanties ,  que  nous  étudierons  bientôt. 

Si,  au  contraire,  lu  dot  était  composée  de  corps 
certains^  sans  distinction  entre  les  meubles  et  les 
immeublef^ ,  la  propriété  continuait  d'appartenir  à  la 
femme;  le  mari  avait  seulement  un  droit  de  jouissance 
et,  au  jour  de  la  dissolution  du  mariage,  c'était  en 
nature  que  la  restitution  devait  se  faire ,  soit  à  la 
femme  devenue  veuve,  soit  à  ses  héritiers. 

A  côté  de  la  dot,  il  y  avait  les  biens  psirapheraaux, 
ceux  que  la  femme  n'avait  pas  constitués  en  dot  : 
;xr;  ev  ty;  zps'.y.i  ':ET'.;xY;'jji.éva,  et  dont  la  femme  conservait 
tout  a  la  fois  la  propriété  ,  l'aduiinistration  et  la 
Jouissance. — C'est  sur  ces  biens  paraphernaux  que 
la  femme  pouvait  contracter  des  obligations  vala- 
bles (!}.— Il  est  vrai  que  sa  capacili»  avait  été  singu- 
lièrement restreinte  par  la  loi ,  puisqu'on  ne  lui 
permettait  point  de  s'obliger  au-delà  de  la  valeur 
il'un  médimne  de  blé  (2)  ;  mais ,  dans  cette  mesure, 
ses  engagements  étaient  réguliei-s ,  el  pouvaient 
s'exécuter  sur  sa  fortune  paraphernale.  —  Il  ne 
saurait  être  ({uestion  ici  de  restitution,  la  femme 
étant  toujours  restée  saisie  de  celte  classe  de  biens. 

(1)  ScliœmaQU,  G  ricclnsvhe  Allen  humer,  1,  p.  533,  533. 

(2)  Isée,  De  Aristarchi  hcreditatc,  $  10,  D.  306.  —Cf.  Aris4a- 
pliane,  Ecctesiazusœ,  v.  102.^  el  1025. 


SUE  LES  ANTIQUITES  JURIDIQUES  D'aTHÈKES.        115 

n  y  avait  enfin  les  biens  compris  dans  les  donations 
en  fiivenr  du  mariage  (  §vexa  t9u  y^H^^^)»  Q^e  des  tiers 
avaient  pn  faire  à  la  femme. — Si  celle-ci  n'avait  pas 
•Q  la  précaution  de  les  constituer  formellement  en 
dot»  ils  appartenaient  définitivement  au  mari,  qui 
n'était  jamais  tenu  de  les  restituer  (1). 

L'oUigation  de  restituer  n'existait  donc  que  pour 
les  biens  constitués  en  dot  :  èv  vr^  icpotxt  TeTtiJLV)(iiva  : 
—la  dot  de  corps  certains  se  restituant  en  nature  , 
la  dot  de  choses  fongibles  se  restituant  par  équivalent. 

II. 

Cette  distinction  que  nous  venons  de  présenter, 
quant  aux  droits  du  mari  sur  la  dot ,  entre  les  corps 
certains  et  les  choses  fongibles ,  n'est  point  admise 
par  H.  Desjardins  ,  dans  le  mémoire  qu'il  vient  de 
publier  sur  la  condition  de  la  femme  d'après  le 
droit  civil  des  Athéniens.  —  c  Tant  que  dure  le  ma- 
riage ,  dit-il ,  la  dot  appartient  au  mari  ;  aussi ,  se 
confond-elle  avec  ses  biens....  Quand  la  fortune  du 
mari  est  confisquée ,  la  dot  de  la  femme  est  comprise 
dons  la  confiscation.  Le  mari  dispose  librement  de 
la  dot/ puisqu'elle  est  comprise  dans  ses  biens  (2).  >» 
Et  l'auteur  cite  immédiatement,  comme  preuve  à 
l'appui  de  ses  affirmations,  l'exemple  d'un  mari 
aliénant  seul  la  maison  que  sa  femme  avait  constituée 
en  dot  (3). 

Si  M.  Desjardins  n'avait  en  vue  que  des  dots  con- 

(i)  liée.  De  Pjfrrhi  hereditate,  $  85,  D.  75k. 

(2)  Lœ.  df.,  p.  18  et  li^ 

(3)  Isée,  De  Dicmagtnii  hereditale^  $  S9,  D.  S70. 


i!6  KTFDKS 

ftistant  en  argent  ou  en  autres  choses  fongibles,  nous 
aurions  déjà  quelques  critiques  à  diriger  contre  les 
formules  qu'il  emploie  et  qui  ne  nous  paraissent  pas 
toutes  suffisamment  exactes.  Nous  verrons  notam- 
ment que  la  confiscation  ne  faisait  pas  échec  aux 
droits  de  la  femme.  —  Mais  la  pensée  de  Tanteur 
porte  tout  à  la  fois ,  cela  est  évident ,  et  sur  la  dot 
de  choses  fongibles,  et  sur  la  dot  de  corps  certains  , 
puisqu'il  mentionne  l'hypothèse  où  la  femme  avait 
apporté  à  son  mari  une  maison.  —  Or /il  nous  est 
impossible  d'admettre  qu'il  y  eût  translation  de  la 
propriété  des  corps  certains  de  la  femme  au  mari. 

Démosthène  fournit  un  imposant  argument  en  fa- 
veur de  notre  opinion.  —  Ëvergus  et  Mnésibule  ,  se 
prétendant  créanciers  du  client  du  grand  orateur,  se 
rendent  chez  leur  débiteur  pour  y  pratiquer  une 
Sfiisie.  Parmi  les  objets  qu'ils  veulent  emporter,  il 
en  est  qui  ont  été  constitués  en  dot  par  la  femme. 
Celle-ci  leur  défend  d'y  toucher.  — ■  Qu'ils  emmènent 
les  moutons,  les  esclaves,  les  bergers  de  son  mari; 
elle  se  gardera  bien  de  faire  aucune  observation. 
Mais  si  l'on  s'attaque  à  sa  dot  :  «  Laissez  ces  meubles, 
ditHBlle,  et  n'emportez  rien  de  ce  qui  m'appartient.  » 
Ta  hï  aït£UYj  èîxe,  Kal  i/.r^$àv  TON  EMÛN  çépers  (1). 

Et  qu'on  ne  nous  dise  pas  que ,  dans  ce  passage , 
il  s'agit  de  biens  paraphernaux ,  dont  nous  avons 
nous-méme  admis  l'existence  à  Athènes.  Les  meubles 
sur  lesquels  la  saisie  porte  injustement  avaient  été , 
le  texte  nous  le  dit ,  constitués  en  dot  par  la  femme  ; 

cV  TTJ  Trpcixl  TST'.'XTjlliva. 

I)   (\  hrrr/finii  et  Mnfiiiulnm,  jj  57.  W,   Il5rt. 


SUR  LES  ANTlOUrris  JUAIDIQUES  0'ATU£M£S.         117 

IJd  texte  d'Isëe  peat  nous  fouirnir  ua  secon4  arga- 
ment  dans  le  môme  sens.  —  Le  mari  de  Tépiclère  ne 
devenait  pas  propriétaire  des  biens  de  sa  femme, 
cr  Aristomëne  et  Apollodofe,  s'ils  eussent  épousé 
lenr  nièce ,  n'auraient  pas  eu,  dit  Torateur ,  un  droit 
de  libre  disposition  sur  les  choses  recueillies  par  elle 
dans  la  succession  (i).  a  —  A  combien  plus  forte 
raison  ce  droit  de  libre  disposition  devait  être  refusé 
un  mari  ;  au  mari  dont  les  droits  semblaient  moins 
respectables  et  moins  dignes  de  faveurque  ceux  des 
parents,  assez  puissants  pour  rompre  une  union  bien 
assortie  et  se  substituer  à  Tépoux. 

Que  répondre  cependant  au  passage  dlsée  qu'in- 
voque M.  Desjardins?  —  Nous  croyons  qu'il  n'est  rien 
moins  que  décisif.  Uorateur  se  place ,  en  effet ,  dans 
une  hypothèse  où  la  dot  avait  été  constituée  en  ar- 
gent :  èict  T£r:apaxovTa  pivatç.  Seulement  le  débiteur , 
au  lieu  de  payer  en  écus ,  s'était  libéré  par  le  moyen 
d'une  dation  en  paiement:  'Avrl  l\  rJ5<;  wpoabç,  tyjv 
smCav  flWTÛ  TYjv  èv  Kepapisixco  TzaL^iltùr,^  (2) .  —  La  diffé- 
rence est  grande  entre  ce  cas  et  celui  où  l'immeuble 
aurait  été  constitué  directement  en  dot,  et>  s'il  était 
besoin  de  le  démontrer  à  notre  collègue  ,  nous  le 
renverrions  à  l'article  1553  de  notre  Code  Napoléon  , 
d'après  lequel  la  propriété  de  l'immeuble  donné  en 
paiement  de  la  dot  constituée  en  argent  appartient 
au  mari  et  non  pas  à  la  femme. 

La  restitution  de  la  dot  de  corps  certains  devait 
donc  se  faire  en  nature  et  en  conservant  aux  choses 

(1;  De  Aristarchi  hevedilaie,  $  12,  D.  307. 

(2)  Isée,  De  DicaogenU  hercditale,  $  26,  p.  270. 


118  ÉTUDES 

lear  individualité  (1).  —  Aussi ,  quand  Mëhédès  se 
sépare  de  sa  jeune  femme,  il  lui  remet  les  vèteineiits 
et  les  bijoux  qu'elle  a  apportés ,  et  non  point  leor 
valeur  :  '0  MevexXfiç...  xà  tfiiTta ,  Sl  ^X^  f^ou^a  icatf 
ixeîvcv ,  xat  t%  xpuaBta  ,  â  ijv  ,  3{ô(iW.v  oiÔTfl  (2). 


111. 


En  principe,  l'obligation,  pour  le  mari  ou  pour  ses 
représentants,  de  restituer  la  dot  constituée  au  profit 
de  la  femme  ne  prenait  naissance  qu'au  jour  où  le 
mariage  venait  à  se  dissoudre. —  Par  exception,  elle 

(1)  Notre  luuiorable  collègue,  M.  Gide,  dans  mm  Étude  9ur  Im 
condition  privée  de  la  femmes  Paris,  1S67,  p.  9S,  eslde  TaYis  de 
M.  Desjardins,  t  Pendant  le  mariage,  le  mari  n'était  pas  seulement 
administratenr  de  la  dot ,  il  en  était  le  maître.....  •  L*aateiir , 
citant  M.  Boeckb,  s*appaie  sur  ce  que  le  fonds  dotal  était  loserH  an 
cens  sous  le  nom  du  mari  et  non  sous  celui  de  la  femme.  =  Noos 
opposerons  d*abord  à  M.  Gide  les  arguments  que  nous  a?oiM  hk 
valoir  contre  M.  Desjardins  ;  nous  ajouterons  ensuite  que  If,  BcacUi 
lui-même  reconnaît  que  le  droit  du  mari  était  seulement  un  droit 
d*usufruit  :  «  Der  Ehcgatte  erhielt  die  Mitgift  eben  desslialb,  daroH 
er  die  Nutzniessung  da?on  batte  i  [Staatshaughaltung  der  Athener, 
V  éd.,  Berlin,  IS5i,  L  I*',  p.  666  ).  Nous  remarquerons  enfin  que, 
si  le  mari  était  tenu  de  payer  les  impôts ,  c*est  que  tout  usufruitier 
doit  acquitter  les  charges  qui  sont  une  dette  des  fruits  (  Codé  iVb- 
poléon,  art  608  ).  ~  Ce  que  dit  M.  B<Bckb  est  donc  parfritement 
d*accord  a?ec  ce  que  nous  avons  écrit  —Nous  pouTons  joindre  à 
son  autorité  celle  d*un  professeur  de  TUnirersité  de  Cambridge, 
M.  Whislon  :  «  llie  portion  was  not  considered  the  property  of  tbe 
huaband  bimself,  but  rather  of  bis  wife  and  children  >  (Smilk, 
Dictionary  of  greek  antiquities,  3*  édiUon,  p.  496  ). 

(S)  l6ée ,  De  Meneetiê  hereditate^  $  9»  D*  ^ài. 


SUR  LES  Ain-igUITES  JURIDIQUES  D'ATHë^ES.         110 

se  formait  encore  dans  une  circonstance  offrant  quel- 
ques traits  d'analogie  avec  notre  séparation  de  biens. 

La  législation  athénienne  admettait  trois  causes  de 
dissolution  du  mariage  :  l'une ,  qu'elle  avait  em- 
pruntée au  droit  naturel  et  que  nui  Code  no  peut 
empêcher^  c'est-à-dire  la  mort  naturelle  de  l'un  des 
deux  époux  ;  —  les  deux  autres  qui  appartenaient  au 
droit  positif  et  que  nous  ne  reconnaissons  plus  au- 
jourd'hui :  la  mort  civile  et  le  divorce. 

Quant  à  ce  que  nous  appelons  la  séparation  de 
biens,  celle  cause  de  restitution  se  renconti'ait  lorsque 
la  fortune  du  mari  avait  été  confisquée  et  allait  être 
vendue  aux  enchères  publiques,  comme  conséquence 
d'une  condamnation  prononcée  contre  l'époux  ,  mais 
n'enlevant  au  condamné  ni  le  droit  de  cité,  ni  la  li- 
berté. 

Nous  devons  toutefois  répondre  ici  à  une  grave 
objection.  —  M.  Van  den  Es ,  dans  son  beau  travail 
sur  Le  droit  de  famille  à  Athènes,  se  refuse  à  admettre 
cette  restitution  de  la  dot  antérieure  à  la  dissolution 
du  mariage  :  «  Dos,  licet  nunquam  in  domininm  ma- 
«  rili  cedit ,  non  repotitur  nisi  matrimouio  soluto.  » 
Mais,  comme  des  textes  nombreux  robh'gcnt  à  recon- 
naître que ,  lorsque  les  biens  d'uu  déhileui-  étaient 
confisqués  (izcYpa^f'jjLSvx  Br/ji.G<7(z  ) ,  la  dot  devait  êlrf 
restituée,  il  en  conclut  que  la  confiscation  était  uup 
cause  nécessaire  de  dissolution  pour  le  mariaçre  : 
«  Bonorum  publicationcni ,  igncminia*  f»fniH ,  so- 
«  quitur  matrimonii  solutio  (I).  » 

Si  M.  Van  den  Es  se  bornait  à  diiv  que  la  honnntm 

(1)  De  jure  famUiarum  apud  Athenienses,  p.  50. 


liO  ÉTUDES 

publicatio  pouvait  être  pour  la  femme  une  cause  légi- 
time de  divorce ,  nous  ne  verrions  nul  inconvénient 
à  admettre  sa  solution.  Mais  nous  ne  pouvons  nous 
résigner  h  reconnaître  qu'elle  produisit  à  Athènes  un 
effet  aussi  exorbitant  que  celui  de  dissoudre  de  fdein 
droit  l'union  conjugale. 

Sans  doute  ,  si  la  bonorum  publicatio  n'avait  été  at- 
tachée i)ar  le  législateur  qu'à  des  faits  d'une  gravité 
oxceptionnelle  ,  on  compiendrait  à  la  rigueur  que  la 
loi ,  pour  mieux  punir  le  coupable ,  eût  brisé  son 
mariage. — Mais  il  en  était  tout  autrement.  Les  dé- 
biteurs du  fisc  se  voyaient  tous,  sans  exception, 
atteints  par  cette  mesure  à  laquelle  on  voudrait  faire 
produire  de  si  déplorables  conséquences  ;  —  non  pas 
seulement  ceux  qui  avaient  été,  pour  leurs  crimes, 
condamnés  à  des  amendes  qu'ils  ne  pouvaient  payer; 
—  non  pas  seulement  ceux  qui ,  après  avoir  géré  des 
fonctions  publiques  entraînant  le  maniement  des  de- 
niers de  l'État ,  se  trouvaient,  à  l'expiration  de  leur 
charge  ,  comptables  envers  le  Trésor  par  infidélité 
ou  par  négligence; — mais  encore  ceux-là  qui,  présu- 
mant trop  de  leur  crédit ,  s'étaient  rendus  adjudica- 
taires de  biens  vendus  par  le  fisc ,  et  ne  pouvaient 
en  payer  le  prix  à  l'échéance;  —  bien  plus  encore, 
ceux-là  même  qui ,  sans  être  personnellement  débi- 
teurs ,  avaient  obéi  à  un  sentiment  de  généreuse 
bienveillance  en  cautionnant  un  débiteur  du  fisc  : 
cl  iff^aç  ^ffUTioavTEç  ^pc;  to  cr^jjiijtov  (1).  —  Or,  com- 
ment admettre  que  ces  fautes  aient  paru  assez  graves 
au  législateur  athénien  pour  qu'il  se  soit  attribué  le 

.1)  AndfK'idr,  De  mysterih,  $  7iî,  D.  00, 


SUR  LES  ANTIQUITÉS  JURlDigiES  D'aTUÈNES.         121 

droit  de  briser,  en  se  fondant  uniquement  sur  elles , 
an  mariage  dont  la  femme  eût  désire^  le  ifaaintien  :  àene 
eoneordans  mairimonium,  comme  disaient  les  Romains  7 

La  pubUcatio  bonorum  donnait  à  la  femme  le  droit 
de  réclamer  la  restitution  de  sa  dot ,  nous  devons  en 
convenir;  mais  il  ne  faut  pas  en  conclure  que  le 
mariage  était  dissous.  Il  y  avait  seulement  une  resti- 
tution anticipée,  rendue  nécessaire  par  les  circon- 
stances et  sans  laquelle  les  droits  de  la  femme  eussent 
été  sacrifiés  à  ceux  du  Trésor  public. 

Nous  admettons  donc ,  en  résumé  ,  que  quatre  cir- 
constances donnaient  à  hi  femme  ou  à  ses  représen- 
tants juridiques  le  droit  d'exiger  que  la  dot  fût  res- 
tituée :  la  mort  naturelle,  la  mort  civile,  le  divorce 
et  la  confiscation  des  biens  du  mari. 

Nous  allons  les  reprendre  successivement ,  en  en- 
lisant pour  chacune  d'elles  dans  quelques  détails. 


IV. 


La  mort  naturelle  de  l'uu  ou  de  l'autre  des  époux 
mettait  fin  au  mariage  ;  et  la  dot ,  ayant  aloi^  rempli 
sa  destination,  devait  être,  en  principe,  restituée  pnr 
le  mari  ou  par  ses  héritiers.  Tel  est  le  droit  attique 
dans  sa  simplicité.  Mais ,  pour  éire  complètement 
exact,  nous  devons  distinguer  certaines  hypothèses 
et  bien  préciser  les  dispositions  particulières  qui  ré- 
gissaient chacuuc  d'elles.  —  Les  règles  de  la  resti- 
lutîon  n'étaient  pas,  en  effet,  les  mêmes  pour  tous 
les  cas  qui  pouvaient  se  présenter,  et  nous  allons 


123  ÉTUDES 

essayer  de  les  mrnener,  s'il  se  peut,  k  une  ciasufi- 
cation  méthodique. 

La  mort  du  mari  peut  précéder  celle  de  la  femme, 
de  même  que  la  mort  de  la  femme  peut  précéder 
celle  du  mari. 

Que  le  mariage  se  dissolve  par  la  mort  dn  mari  ou 
par  la  mort  de  la  femme  ,  Tunion  peut  avoir  été  sté- 
rile, ou  bien  les  enfants  qui  en  étaient  issus  sont  dé- 
cédés avant  leui's  parents.  —  On  peut  supposer,  ao 
contraire ,  que  les  époux  ont  une  postérité  actuelle- 
ment existante. 

Enfîn ,  dans  le  eus  de  décès  du  mari  avant  la 
femme,  il  est  permis  de  prévoir  Thypothèse  où, 
nonobstant  l'inexistence  d'enfants  survivants,  la  gros- 
sesse de  la  veuve  laisse  espérer  que  le  défunt  aura 
un  héritier  dans  la  ligne  directe  descendante. 

Comment,  dans  chacun  de  ces  cas,  la  restitution 
devait-elle  s'accomplir?  —  C'est  ce  que  nous  allons 
successivement  examiner. 

§  1. — Lorsque  le  mariage  se  dissolvait  par  la  mort 
du  mari ,  la  femme ,  restée  veuve  avec  des  enfants 
issus  de  l'union  dissoute,  avait  le  choix  entre  deux 
partis. 

Elle  pouvait  d'abord  continuer  de  demeurer  avec 
ses  enfants  dans  le  domicile  conjugal;  mais  elle  re- 
nonçait par  cela  même  à  exiger  la  restitution  de  sa 
(lot,  qui  devenait  la  propriété  des  enfants,  h  la  charge 
par  eux  dn  subvenir  à  tous  les  besoins  de  leur 
mère  M). 

(i)  Quel  étailalori  le  /.'Jpis;  de  la  femme?  —  Voir  Van  den  Es, 
I>e  jure  famitiarum  apitd  Athenienses,  p.  158  ,  et  noire  ÉtuHe  sur 


SDR  LES  AlfTIQUlTés  JURIDIQUES  D'ATHÈNES.         123 

a  Ma  mère  demeure  avec  moi ,  dit  l'adversaire  de 
Phénippe;  elle  vil  dans  ma  maison  ;  elle  m'a ,  il  est 
TTRi,  apporté  sa  dot  ;  mais  cette  dot,  je  ne  la  fois  pas 
entrer  dans  Tinventaire  de  mon  passif,  parce  que  je 
n'en  sais  pas  comptable  et  qae  je  ne  suis  pas  obligé 
de  k  restitoer;  j'en  suis  devenu  le  maître  absolu  ;  je 
laisse  seulement  à  ma  mère  la  jouissance  de  tout  ce 
qui  m'appartient,  car  ainsi  le  veulent  les  lois  (1).  » 
L'en&nt  qui  négligeait  d'obéir  aux  prescriptions 
du  législateur ,  et  refusait  dans  cette   situation  de 
subvenir  aux   besoins  de  sa  mère ,  était  exposé  à 
une  action  publique  que  le  premier  citoyen  venu 
avsùt  le  droit  de  mettre  en  mouvement.  Nous  voulons 
parier  de  la  xxxcSiaeci»ç  Ysvéwv  yp^^Ti  (2).  —  Cette  ac- 
tion, qoi  était  de  la  compétence  de  Tarcbonte  Épo- 
ayme,  et  qui  était  privilégiée  en  ce  que  le  demandeur 
pouvait  donner  à  sa  plaidoirie  tous  les  développe- 
ments qo'il  jugeait  nécessaires,  sveu  OdsToç  (3),  si  elle 
^  reconnue  bien  fondée ,  entraînait  contre  le  cou- 
pable la  peine  de  ratimie;  —  non  point  cette  atimie 
complète,  qui  atteignait  tout  à  la  fois  la  personne  et 
les  biens  du  condamné  ;  —mais  «ne  atimie  du  degré 

^  P'fSn»  §ree$  du  ÏAtuttre  et  de  la  Bibliothèque  impériale, 
^^  1M7.  p.  20. 

'0  OéoMMtlièfie,  C.  Phœnifppum,  S  27,  R.  1047  — TeHc  étoh 
*M' h siUialion  que  11  loi  fiiisait  au  fils  de  la  fiemme  épiclèie... 

Kplîtfv  TWV  /pTiiWtTWV  ,  TGV  lï  îÎTOV  IXSTpcTv  Tf|  JXlîTp»! 
(DéiWihèlie,  C  Stephtmum,  II,  S  20,  R.  1185.  — Cf.  Isée,  Dr 
firHn  hertditaie^  S  ^^f  ^  ^^^  )• 

'2)  Otlo^  De  Alkentensimm  aelionilnu  foretitibut  puhticis,  Dorpal, 
^952,  p.  M  et  SDÎv. 

(I)  Hirpocntîoii,  ?*  KxxiÎKrsfaiç.  Ed.  Bekker,  p.  lOd. 


130  ÉTUDES 

èx  Tôjv  xoXsjjl{u>v  eiva'.  Tbv  /^uOivra,  iàv  ^nij  Âi:oît3îJi  ta 
XjTpa  (1). 

Nous  pourrions^  il  est  vrai,  mentionner  encore 
quelques  autres  cas  où  le  môme  lésultat  semble 
s'être  produit^  notamment  celui  où  un  Athénien  était 
oondanmé  à  la  suite  d'une  'jzoBzXff^  TP^Ç'iQ*  —Biais 
rauthcnticité  des  textes  sur  lesquels  on  se  fonde, 
n'étant  point  admise  par  tous  les  commentateurs  (2}, 
nous  devrions ,  en  les  adoptant  ici ,  indiquer  les  rai- 
sons de  nos  préférences  ;  ce  qui  nous  écarterait  du 
sujet  spécial  que  nous  nous  sommes  proposé  de 
traiter. 

Lu  perte  de  la  liberté  entraînant  nécessaii^ement  la 
dissolution  du  mariage,  la  dot  de  la  femme  devait 
être  restituée. 


VI. 


Le  divorce  pouvait  avoir  lieu ,  à  Atbcnes  ,  soit  par 
la  seule  volonté  du  mari,  soit  par  la  seule  volonté  de 
la  femme,  soit  par  un  accord  mutuel  des  époux ,  soit 
môme  par  la  volonlé  d*un  étranger. 

§  i.  — La  fîxculté  de  divorcer  pour  le  mari  (i7:é-S(ji'.{>i;) 
ne  parait  pas  avoir  été  restreinte  par  le  législateur  à 
certains  cas  limitativement  déterminés.  —  A  côté  de 
répudiations  qui  peuvent  se  juslifler  par  des  causes 
sérieuses  (l'adullère  de 4a  femme,  particulièrement, 
orsqu'il  avait   été  juridiquement  constaté ,  rendait 

(1)  Démosthèiic,  Atlversvs  Nieottralum,  %  11,  R.  1250. 
■;2)  V.  nolamniciil  Meier,  De  honl<  tiamnntorum ,  Berlin,  1S19, 
p.  19  ù  30. 


StB  LES  A!«TIOriTKS  JinilllUt  bS  I^ATIlk^KS.  Mil 

oUigttoiK  la  séparation)  (I),  nous  en  trouvons 
d^Qtres  qn'il  serait  plus  difticilc  d'expliquer.  —  C'est 
Hîppomcus  qui  renvoie  sa  femme  pai-ce  qn'il  la  soup- 
çonne seulement  d'avoir  des  relations  tout  ù  la  fois 
«tnltëres  et  incestueuses  avec  son  frère  Alcibindc  {2); 
—c'est  Protomachos  qui  divorce,  afin  de  pouvoir 
s'enrichir  par  un  mariage  avec  une  opulente  ëpiclêre, 
et  qui  croit  avoir  suflisamment  pourvu  aux  intérêts 
de  sa  prenûëre  femme  en  la  faisant  épouser  pur  Tun 
de  ses  amis  (3). 

Le  seul  frein  existant  à  la  multiplicité  des  divorces 
était  prëcisëment,  Isée  nous  l'apprend,  dans  l'obli- 
gation poar  le  mari  de  restituer  la  dot  qui  lui  avait 
été  apportée  (4).  —  Et  môme,  il  arrivait  quelquefois 
qœla  femme,  à  raison  des  fautes  dont  elle  s^tait 
i^dne  coupable  envers  son  mari ,  par  exemple  à 
'^ûonde  son  inconduite,  était  privée  du  droit  d'exiger 
h  restiintion  (5). 

(<)  Déoioitliène,  C  AVari-am,  S  B6,  R.  137&. 
{2;  L^s,  r.  AleibUuiem,  $  28,  D.  166. 

(1)  IMoiOilbène,  C.  EubuUdem ,  %  hi,T\.  1311.  —Cet  excinpl<* 

'NusparaU  répondre  d*une  façon  pôrcmploirc  h  l'observalion  sui- 

fvfedetf.  Desjardins  :  •  U  est  pit>bable  que,  de  part  et  d*autre, 

■Kjaite  cause étoit  nécessaire.  Autrement,  celui  qui ,  déjà  marié, 

toolailépouser  une  èrrixXTjps;  n^aurait  eu  qu'à  répudier  sn  femme.  i 

[ijoc,  ciLt  p>  iO.  ) 

Pliraslor,  qui  avait  épousé  la  Tdle  de  Ncaïra,  crovant  épouser  la 

fiite  de  Stéphane,  divorce  :  l*"  parce  qu*îl  a  été  trompé  sur  Tétat 

mil  de  sa  femme;  3*  parce  qu'elle  a  des  mœurs  lég^^cs  (Démos- 

Ihrne,  C.  Seœram^  %  5â,  R.  1362). 

{h)  Isée,  De  Pyrrhi  hereditate,  %  28,  D.  253. 

(5;  Nous  n'avons  ici  d'antre  autorité  que  \f.  Scliùmanu:  »  liailc 

iber  die  Frau  durdi  itir  Beiragcn  eiueu  gesetzliclicn  Grjiid  zur 


132  ÉTUDES 

C'était  là  toutefois  Texception.  La  restitatioD  p  telle 
était  la  règle  du  droit  commun.  N6(aoc  «cXt6ct,  iàv 
izv:d*^7Tr^  tvjv  vuvxtxa,  dbccSiSivaii  x^  «poixa  (I). 

§  2.  —  Le  divorce,  lorsqu'il  avait  lieu  par  la  volonté 
de  la  femme  {ii:6'ktv^ç)  ^  devait  reposer  sur  quelque 
cause  plus  ou  moins  sérieuse  (2). — On  ne  s'expli- 
querait point  sans  cela  la  nécessité  imposée  par  la 
loi  à  la  femme  de  s'adresser  à  l'archonte  pour  obtenir 
de  lui  l'autorisation  de  quitter  son  marL 

Dans  ce  cas  ,  aussi  bien  que  dans  celui  où  le  di- 
vorce avait  lieu  par  la  volonté  du  mari ,  la  femme 
ne  pouvait  point  exiger  la  restitution  des  objets  qai  loi 
avaient  été  donnés  en  faveur  du  mariage  :  Svtxa  toS 
YijJiou.  C'est  ce  que  nous  apprend  un  texte  dlsëe  (3), 
dont  nous  avons  plus  haut  généralisé  la  solution.  <p- 
Mais  de  ce  que  la  loi  avait  cru  devoir  s'expliquer  sur 
une  certaine  nature  de  biens ,  il  ne  faut  pas  conclure 
que  la  dot  restait  au  marL  Elle  devait  être  restituée, 
et  Démosthène  nous  en  fournit  la  preuve. 

Âphobus  avait  été  condamné  à  indemniser  le  grand 
orateur  du  préjudice  qu'il  lui  avait  causé  en  gérant 
mal  la  tutelle  qui  lui  avait  été  confiée.  Démosttiène , 

Scbeidang  gegeben,  i.  B.  dorch  Ehebruch,  so  war  Ihr  Mlgift 
ven»'irkt  ■  {GriechUche  Alterthûmer  ,  1861,  I,  p.  J^S.  ) 

(1)  Démosthène,  C.  Neœram,  $  52,  R.  1362. 

())  •  l\  n'est  point  honorable  pour  une  femme  de  se  séparer  de 
:M>n  mari.  • 

oi  Yàp  eùxXeelç  ixaX)^^^' 

•fjvaîÇiv (RuRipiDK,  .1fA//«,T.  sse-ss?.) 

(1;  Isée,  De  Pyvrhi  herettitale ,  %  35,  D.  25&. 


sut  LES  AHTIQUITfe  JURIDIQUES  D'ATHÈHES.  133 

ponr  obtenir  le  paiement  des  dommages  et  intérêts 
qni  Ini  étaient  dns  et  qu'il  réclamait  en  vain ,  fiit 
obligé  de  pratiquer  une  saisie  sur  les  biens  de  son 
débiteur  récalcitrant  Aphobns  s'entendit  alors  avec 
Onétor,  son  beau-firère,  pour  paralyser  la  procédure 
qoe  le  créancier  venait  de  commencer,  a  J'ai  marié 
ma  sœnr  à  Apbobus,  dit  Onétor,  et  je  lui  ai  constitué 
une  dot  Aujourd'hui  ma  sœur  a  demandé  et  a  ob- 
tenu le  divorce...  dbcoXeXoiiniCa^  Tfjç  dîeX^fiç.  Le  mo- 
ment de  la  restitution  est  donc  arrivé.  Mais  Aphobus 
ne  se  conforme  pas  à  ses  obligations  et  je  ne  puis 
recouvrer  la  dot...  t^  xpotxx...  xo)ii(oao6(xt  S'  où  8uva- 
(&CVOÇ.  L'immeuble  sur  lequel  vous  dirigez  des  pour- 
suites est  hypothéqué  à  la  sûreté  de  notre  créance  et 
noua  garantit  la  restitution.  Vous  ne  pouvez  donc  pas 
vous  bire  payer  sur  lui  au  détriment  de  la  dot(l).  • 
Si  Démosthène  conteste  la  vérité  des  foits  rappelés 
par  Onétor,  il  respecte,  quant  au  droit,  l'argumen- 
tation de  son  adversaire. 

§  3. — Après  les  explications  qui  précèdent,  nul  ne 
peut  mettre  en  doute  que  lu  restitution  se  produisit 
également  lorsque  le  divorce  avait  lieu  par  consen- 
tement mutuel. 

Voici  d'ailleurs 9  s'il  en  était  besoin,  le  témoignage 
dlsée  : — Ménéclès,  déjà  avancé  en  âge  et  n'espérant 
plus  avoir  d'enfiints,  ne  veut  pas  condamner  sa  jeune 
femme  à  ignorer  plus  longtemps  les  joies  de  la  ma- 
ternité. Malgré  leur  affection  réciproque,  et  non  sans 
un  vif  chagrin,  les  deux  époux  se  séparent  amiable- 

(i)  Dèmoslbèiie ,  C  Onetorem^h  S^*  ^  ^^^ 


IHl  ÉTl-UKS 

iiicuL  liiiiiiédiateinefit  après  cette  séparation,  Mé- 
néclès  s'empresse  de  restituer  à  son  ancienne  com- 
pagne la  dot  qu'elle  lui  avait  apportée  au  moment 
du  mariage.  M^vexAi^^  tiqv  Te  T:pzXta  iir.îfôcor.v  xÎTÎj,... 
xx'îTà  h/.iv.i,..  îtxi  Ta  )rp'jjt5ta  (4). 

§  4. — Nous  avons  dit  enfin  que  le  divorce  pouvait 
résulter  de  la  seule  volonté  d'un  tiers. 

Tantôt  ce  tiers  était  le  père  de  la  femme.  — 
Polyeuetc  se  brouille  avec  son  gendre  Léocrate ,  et, 
pour  se  vcngiM'  de  son  nouvel  ennemi ,  il  ne  trouve 
Heu  de  mieux  que  de  lui  enlever  sa  femme  et  de  la 
luarier  à  Spudias.    'A^sX^iâsvc;  tTjV   Oy^xTépa,  S{2«»at 

(Juclqueibis,  c'était  un  simple  piireut. — Lorsqu'une 
i'einmc  mariée  pci*daii  son  père ,  et  que ,  à  défaut 
d'enfants  uiAIes ,  elle  se  trouvait  appelée  à  recueillir 
sa  succession ,  le  plus  proche  parent  avait  le  droit 
lie  venir  dissoudre  le  mariage  et  d'épouser  l'épi- 
cière  (3). 

Mesure  que  nous  ne  saurions  trop  blâmer  si  nous 
la  jugions  au  point  de  vue  de  notre  civilisation  !  — 
Nous  avouerons  même  que  toutes  les  considérations 
religieuses  que  l'on  invoquait  pour  la  justifier  ne  nous 
touchent  que  fort  médiocrement.  Il  faut  que  le  désir 
de  ne  pas  voir  une  famille  s'éteindre  ait  été  bien 
puissant  chez  les  Athéniens,  pour  qu'ils  aient  permis 
a    ini  étranger  do  désunir  deux  époux ,  sans  s'in- 

1;   Iséc,  DeMmcciis  luret/iialv,  $  y,  D.  STi. 

(2)  Démosthëiic,  (\  Spudiam,  %  &,  R.  i029. 

(3)  Iséc,  Dt  Pyrrhi  hertdiiate,  {64,  D.  J58. 


SUR  LES  ANTIQUITÉS  JURimuUES  O'aTHKNES.         135 

<piéier  de  leurs  protestations  ni  de  leurs  résistances. 

Mieux  ?alait  encore  ,  croyons-nons ,  Tcxtinction  du 

colle  domestique ,  si  respectable  qu'il  pût  être,  que^ 
sa  conservation  an  prix  d'iit teintes  portées  tout  h  la 
fois  à  la  liberté  privée  et  h  l'intérêt  social 

Isëe  nous  révèle,  en  effet,  un  trait  de  mœurs  assez 
curieux,  qui  prouve  que  le  but  de  la  loi  était  parfois 
manqué.  Une  femme,  pour  laquelle  son  mari  avait, 
an  su  de  tous,  la  plus  vive  affection,  fut  appelée  h 
recueillir  Thérédité  paternelle.  Les  plus  proches 
parents  se  mirent  en  possession  des  biens  de  la 
succession ,  au  mépris  des  droits  de  la  fille  ;  et , 
lorsque ,  plus  tard ,  le  mari ,  prenant  en  main  les 
intérêts  de  sa  femme ,  vint  réclamer  :  «  Si  vous  ne 
savez  pas  vous  contenter  de  ce  que  vous  avez  déjà , 
lui  fut-il  répondu,  et  s'il  vous  faut  de  plus  la  succes- 
sion de  votre  beau-père,  nous  allons  user  de  notre 
droit  et  vous  séparer  de  votre  femme  •  (i).  La  loi 
était  si  formelle  que  le  malheureux  époux  dut  s'in* 
cHncr  devant  cette  indigne  spéculation ,  et  que ,  poui 
conserver  la  femme  qu'il  aimait ,  il  laissa  les  usur- 
pateurs jouir  paisiblement  des  biens  héréditaires. 

L'esprit  qui  avait  préside  à  In  rédaction  de  la  loi 
qui  nous  occupe  ne  permet  pas  de  supposer  qu'on 
laissât  la  dot  au  mari  pour  le  consoler  de  îron  veuvage 
anticipé.  —  Le  plu^  proche  parent  pouvait  certaine- 
ment exiger  tout  à  la  fuis,  la  restitution  de  la  dot  et 
In  restitution  de  la  femme. 

I)  Idée,  Ue  AHsIanhi  heretiitaU;  %  19,  D.  tOi^. 


\  3fi  ÉTUDES 


VU. 


La  restitution  de  lu  dot  se  produisait  en  dernier 
liou,  lorsque  les  biens  du  mari  étaient  coafisqnéB 
pour  i^tro  vendus  au  compte  du  Trésor  public. — La 
roninu^  pouvait  alors ,  comme  tout  autre  créancier , 
n^clamer  du  lise  le  montant  de  sa  dot  consistant  en 
«•lioscs  fongihlrs.  C'est  pour  cette  hypothèse  même 
(pi(«  VfityMoifujinm  magnuvi  nous  dit  formellement  : 

sTi'ii^  (I).  <  Il  était  permis  à  la  femme  de  venir  au 
pn*mior  rang  réclamer  ce  qui  lui  était  dû  à  titre  de 
dot.  » 

iVtto  réi'lamalion  avait  lieu  au  moyen  d'une  pro- 
roduro  spéciale  que  les  lexiques  désignent  sons  le 
nom  d'iv«;:{3xr,;jL;Aï  (i).  —  Otto  action,  dont  la 
oonnaissauoe  ap|Kirtonait  aux  I-jvSixs*  (3} .  se  diffë- 
ivnoiait  dos  actions  onlinaires ,  on  ce  que  le  deman- 
dour  idaus  noin*  hy|H^lht\<o ,  la  femme  représentée 
|KU'  son  xj:î;;^  devait*  au  début  do  Unslance,  déposer 
iino  sonnuo  égale  au  cinquième  de  celle  qu'elle  sou- 
louait  lui  iMrt^  duo. -^  1.  obligation  de  faire  ce  dépôt  • 
connu  sous   lo   nom  do    -xf«iTa£:Xr, ,   avait   pour 

r  l^l1l4<^L<A^|lNrslfe5l^piMT.<ail<s|arM.Bciicr  (Iwc^ffl 
-r^'r^>t-->  V-^^^*S«    •r,uwc;j5>r;  :vr.x-,  rs^i -rrs-.ti^ - 

^  5iN 


SDR  LES  AlITIQUITÉS  JURIDIQUES  D'ATHÈNES.         137 

cause  le  désir  d'empêcher  des  réclamations  plus  ou 
moins  mal  fondées  ;  car,  outre  qu'il  était  quelquefois 
difBcOe  an  créancier  de  se  procurer  des  écus  en 
qoanUté  suffisante ,  la  zapxxaTix^oXiQ  n'était  pas  res- 
tituée au  demandeur  lorsque  son  action  ne  triomphait 
point  des  résistances  du  Trésor  public  (1). 

Pour  justifier  sa  réclamation,  le  wpioç  de  la  femme 
disait  entendre  les  témoignages ,  soit  des  personnes 
qui  avaient  assisté  à  la  constitution  de  dot ,  soit  de 
celles  qui  avaient  figuré  au  contrat  d'afiectation  hypo- 
thécaire des  biens  du  mari  à  la  garantie  de  la  dot. 
Il  devait  même  fournir  des  cautions  (  i'^Jr^q  xata6oXif)) 
pour  assurer  au  Trésor  public  Ja  restitution  des 
sommes  qui  allaient  être  payées  par  lui  ;  précaution 
prise  pour  le  cas  où  ,  plus  tard ,  on  découvrirait  que 
les  exigences  de  la  femme  ne  reposaient  pas  sur  des 
bases  sérieuses,  et  que  les  juges  avaient  été  indaits 
en  erreur  par  de  £aux  témoignages  !  (2) 

Malgré  la  faveur  qui  s'attachait  à  la  créance 
de  la  femme ,  il  arrivait  fréquemment  que  ses  de- 
mandes, même  parfaitement  légitimes,  n'étaient 
point  accueillies.  La  dot  n'était  pas  restituée.  «  Nous 
sommes  dépouillés  de  la  dot  qui  nous  revenait ,  » 
s'écrient  les  clients  de  Lysias  :  'EaT6pri;i.évoi  lï  Tt)(; 
rpG'.x6^  Iqiiv  (3).  C'est  ce  qui  avait  lieu  le  plus  souvent, 
qnand  la  pénurie  du  Trésor  public  était  grande  (4), 
et   le  plus  sage  pcirti  à   prendre  aloi^s   était  de  se 


.1)  Harpocraiion,  %•  TrapaxaTxssXr; ,    éd.  Bekker,  p.  166. 

^3)  Etymoiogicum  imagnum^  3^0,  37. 

(3)  Lysias,  De  bonis  Ariêiophani$t  $  9,  D.   179. 

{h)  Lyaias,  De  bonis  Aristophanis ,  $  il. 


\  :I8  KTIDES 

t»irc,  si  l'on  ne  voulait  par  ses  exigences  s'expoeflr 
à  quelque  grave  accusation.—  Bien  [dns,  même  en 
temps  ordinaire ,  la  cause  de  ceux  qui  cherchaient 
A  amoindrir  les  ressources  du  fisc  ne  semblait  point 
digne  d'encouragement.  Aussi  n'était-il  pas  rare  de 
voir  le  demandeur  sacrifier  une  partie ,  souvent  fort 
considérable  de  sa  créance,  afin  de  faciliter  le  re- 
couvrement du  surplus  (1). 

—  Nous  venons  de  parler  de  la  dot  de  choses  fon- 
^iblcs.  —  Quant  aux  biens  dont  la  femme  était 
cl<;mcuréc  propriétaire  et  sur  lesquels  le  mari  n'avait 
ou  qu'un  simple  droit  d'usufruit ,  le  fisc  devait  les 
restituer  en  nature. 

Mais  il  pouvait  arriver  qu'ils  eussent  été  compris 
il  tort  dans  la  confiscation.  Par  quel  moyen  la  femme 
était-elle  remise  en  possession?  Au  moyen  d*une 
action  privée ,  désignée  sous  le  nom  d'ài»YP*P^Ç 
^iytXt  (2).— Cette  action,  sur  laquelle  nons  ne  pou- 
vons donner  beaucoup  de  détails ,  était-elle,  comme 
le  dit  M.  Meier  (3),  de  la  compétence  des  Onze  (oi 
'  EvBexa  )  ? — Nous  hésitons  beaucoup  à  le  croii^e  ,  et 
il  nous  semblerait  plus  rationnel  d'en  attribuer  la 
connaissanco  aux  -jvcixsi, — Celui  qui  était  convaincn 

(1)  I.Ttias,  De  hams  pubUcis  ,  5$  6  et  10,  D.  i75. 

(S)  Uarpocration,  v*  STOYpxçY;  «  n*iDdique  pts  il  est  vrai, 
cette  hypotb^  comme  rentrant  dans  la  V.xr^  3rr;'p2^iJ;.  <—  Mais 
iioiiscro\on5,  a\cc  M.  Meier  (/>c  fouis  dammalorum,  p.  208),  qa*il 
V  a  lieu  de  Vj  compreodir:  «  Hanc  actiooem...  tum  quoque  locam 
|Hito  habui$se,  cnm  quis  inler  bona  proscripti,  aat  errore  aal 
dolo  malo,  aliquid,  quotl  e  sub  bonis  esset,  descrîplaB  esse 
conlendebat  •  [Lk,  nf.,  p.  209.) 

(S)  l)r  U*Hii  dammatonrm^  p.  S09, 


SIR  LES  AHTIOCITÉS  JURIDIQUES  D'ATHÈNES.         139 

d'avoir  compris  à  tort  les  biens  de  la  femme  dans  lu 
eonfiscatioii  «  était  condamné  à  une  amende  de 
mille  drachmes  ,  et  déchu  pour  Ta  Tenir  du  droit 
d'dbcTfpipRv  (1). 


VIII. 


Noos  avons déjâ^  dans  le  cours  de  nos  explications, 
rencontré  quelques- unes  des  garanties  que  la  loi 
accordait  à  la  femme  athénienne  pour  la  restitution 
de  sa  dot ,  notamment  la  ;:pstxb^  Bixrj ,  la  aiTou  S^xr^ , 
la  Bfm]  dbcovpx^ç  et  rèv£rioxrj(i4Ax.  — 11  nous  reste  ù 
parler  maintenant  d'une  sûreté  particulière  connue 
soQS  le  nom  d'dhrsrCiiiijiAz. 

La  femme  mariée  ne  parait  [uis  avoir  eu,  à 
Athènes,  ainsi  que  cela  a  lieu  dans  notre  droit 
français  y  une  hypothèque  légale  ou  tacite  sur  les 
biens  de  son  mari  (â)  ;  mais ,  à  défaut  de  garantie 
résultant  de  la  loi  seule,  elle  avait  le  plus  souvent 
une  hypothèque  conventionnelle ,  et  c'est  cette  hypo- 
thèque que  l'on  désignait  sous  le  nom  d'i7:oT((i.T;(i.x. 
A?  lï  rpb^  TTjv  TTpotxa  u7;o0f|Xaî,  dil  Pollux ,  àT:ov.[L-i\\x7,zoL 
lxxXe?TO  (3). 

(1)  Démostbèiie ,  Adv,  IVicostratum,  $  1.  R.  12d6. 

(S)  M.  J.  CauTet  (!oc.  cU,^  p.  29)  émet  une  opinion  contraire. 
Mais  le  texte  d*Harpocralion  nous  semble  formel  dans  le  sens  que 
nous  avons  adopté  :  et  TrpcoyjXCVTâî  £?(i)0£5av  atT-tv  rapà  ts j 
zvBpcç  cojirsp  iviyupfv  v.  xffÇ  ::po'.y.b;  àïisv  f v"  aTrôT'iJLTiTai  . 
—  Cf.  Saidas. 

(3)  Onoma4tkoêt,  lil,  36.  —Cf.  Vlli,  iàt.—\.  aussi  Uesychius  : 
'AîWTtjjLïîixaTa-  il  xpcç  Tàç  çepvàç  C»zo6f,y^'.  ;  éd.  Alberti , 
p.  h9î. 


iiiO  ÉTUDES 

Au  moment  de  la  célébration  du  mariage,  le 
xuptoç  de  la  femme ,  qui  faisait  au  nom  de  celle-ci  la 
constitution  de  dot  (TCtATiOtç  èv  TcpoixC),  devait  prévoir 
le  cas  où,  lors  de  la  dissolution  du  mariage  par 
Tune  des  causes  que  nous  avons  indiquées,  le 
mari  insolvable  ne  pourrait  restituer  les  sommes  par 
lui  reçues.  —  Pour  se  prémunir  contre  cette  éven- 
tualité dangereuse  pour  la  fortune  de  la  femme,  le 
Yjl)p*.oi  exigeait  du  mari  une  garantie  hypothécaire 
fournie ,  soit  sur  ses  propices  biens  ,  soit  même  sur 
les  biens  d'un  tiers. 

Cette  affectation,  qui  (ainsi  le  voulait  la  législation 
hypothécaire  d'Athènes)  ne  pouvait  avoir  pour  olget 
que  des  immeubles  (clxCav  ^^  yj^pio^)  (i),  n'avait  pas 
besoin  d'être  constatée  par  des  actes  écrits  ;  elle  se 
produisait  le  plus  ordinairement  en  présence  de 
témoins,  qui,  au  jour  de  la  dissolution  du  mariage , 
venaient  déclarer  l'existence  de  la  convention  à  la- 
quelle ils  avaient  assisté. 

Le  législateur  athénien,  dont  la  sollicitude  fat 
toujours  si  grande  lorsqu'il  s'agissait  de  porter  à  la 
connaissance  des  tiers  les  droits  réels  qui  frappaient 
les  immeubles  (2) ,  avait  laissé  la  femme  sons  Tem- 
pire  du  droit  commun  d'après  lequel  les  hypothèques 

{i)  Voir  cependant  M.  Cauvct  {loc.  cit.,  p.  S9}.  —  Mais»  indé- 
pendamment des  teites  nombreux  relatifii  au  droit  ooromun  que 
Pon  trouvera  dans  noire  Étude  iur  U  Crédit  foncier  à  Aîhème$t 
p.  12  et  suiT.,  il  nous  suffit  de  rappeler  m  les  expitssioi»  em- 
ployées par  Harpocration  et  Suidas  :  «  bfiyiiipo^  oIkCov  ^  x^pCov. 
Tfjç  TpOirJb^  ^^(Gv,  disent-ils  Tun  et  fautre  (  v**  àmTti&ifiTai). 

(2)  Voir  noire  Étude  sur  le  Crédit  foneitr  à  Athhut,  Paris, 
18G6,  p.  G  et  suiv. 


SUR  LSS  AlfnOUirfS  JOBIDIQUES  D'ATHiNES.        i4i 

devaient  être  reodaes  pabliqaes.  ~La  femme  mariée 
était  donc,  comme  tons  les  autres  créanciers,  obligée 
de  révéler  son  hypothèque  conventionnelle  par  le 
moyen  des  Spot  (1). 

Nous  possédons  encore  quelques-uns  de  ces  mo- 
numents qui  se  sont  conservés  au  milieu  des  ruines 
de  TAttique.  —  Ceux  qu'il  nous  a  été  donné  de  con- 
naître se  différencient  des  5poi  ordinaires,  en  ce 
que  le  nom  de  l'archonte,  qui  servait  à  l'ajiplication 
de  la  maxime:  Prior  tempore^  potior  jure  y  ne  s'y 
rencontre  pas  toujours.  Peut-être  avait-on  pensé  que 
cette  énonciation  était  inutile,  les  intéressés  pouvant 
toujours  arriver  à  se  renseigner  par  d'autres  moyens 
sur  la  date  précise  du  mariage. 

n  ne  serait  pas  impossible,  toutefois,  de  se  fonder 
sur  ce  silence  des  5p9i  pour  soutenir  que  l'hypo- 
thèque de  la  femme  était  privilégiée  et  passait  avant 
celle  de  tous  les  antres  créanciers  (2).  —A  l'appui  de 
cette  première  argumentation,  on  pourrait  de  plus 
invoquer  le  témoignage  de  VEtymologicon  magnum  : 
lîÇîiv  8è  T^  -^aixt  icpoîTOv  tîjv  i^ecXoiiLéviQv  ^cpoixa  ÇriTeiv, 
%ax  ëiceiTx  T(^  SoyetoT^  (3).  «  La  femme  avait  le 
droit  de  venir  au  premier  rang  réclamer  ce  qui  lui 
était  dû  à  titre  de  dot;  après  elle  venaient  les  créan- 
ciers à  titre  de  prêt.  » 

(1)  Oo  en  trouve  la  preuve  dans  V Étude  déjà  cilèe,  p.  14* 
noie  S,  aiaai  que  dans  rinscripUon  que  nous  reproduisons  à  la  fln 
de  notre  Mémoire. 

(3)  Die  hypothekarisch  verûcherte  Milgia  durfle  nicht  durdi 
Privatglaubiger  de«  Ehemanos  bei  Goncursen,  und  aucli  nicht  bei 
ùSeaÊÏkber  Gûterriniiehung  gell&hrdet  werden.  »  (  Wachsmiitli  , 
Ueltemiuhe  Aiiertkwmkunde,  Z*  éd.,  t.  Il»  p.  178-179.) 

(3)  ZàO,  44. 


14^  KTunts 

Cependant  le  résultat  serait  tellement  contraire  à 
) 'esprit  général  de  la  législation  d'Athènes  qae  noai 
croyons  devoir  le  repousser.  —  A  quoi  bon,  en  effet, 
toutes  ces  mesures  ingénieuses  pour  assurer  le  crédit  ' 
foncier  ù  Athènes ,  si  la  rétroactivité  de  Thypothèque 
de  la  femme  pouvait  faire  tomber  les  droits  les  pins 
solidement  établis  ?  —  Nous  croyons  donc  que  l'hy- 
pothèque de  la  femme  datait  seulement  du  jour  du 
mariage,  et  qu'elle  devait  sincliner  devant  toutes  les 
hypothèques  qui  avaient  été  constituées  antérieure- 
ment (i). 

Démosthènc  ,  dans  son  pi*emicr  plaidoyer  contre 
Onétor,  va  nous  fournir  la  confirmation  de  cette  pro- 
position. —  Onétor  marie  sa  sœur  à  Aphobus;  mais 
il  craint  que  les  biens  de  celui-ci  ne  soient  hypo- 
théqués au  profit  do  son  ex-pupille  Démosthène,  et, 
par  précaution ,  il  garde  le  capital  de  la  dot  entre 
ses  mains ,  et  se  contente  d'en  payer  les  intérêts  à 
son  beau-frère  (2). — N'est-ce  pas  la  meilleure  preuve 
que  l'hypothèque  de  la  dot  eût  dû  s'incliner  devant 
l'hypothèque  antérieure  de  la  tutelle ,  et  que ,  par 
conséquent,  elle  n'était  point  privilégiée  7 

Il  est  vrai  que ,  plus  tard ,  lorsque  Démosthène  di- 
rigea des  poursuites  contre  les  biens  d' Aphobus, 
Onétor  se  présenta  comme  s'il  eût  réellement  payé 
la  dot,  et  soutint  qu'il  avait  sur  l'ancien  pupille  un 
droit  de  préférence  (3).  —  Mais  rien  ne  nous  dit  que 
les  craintes  originaires  d'Onélor  fussent  fondées  et 


(1)   M.  J.  Cauvct,  itK.  cit.,  p.  20. 

(S)  Démosthèiio,  T.  Onetorem,  I,  %  7,  R.  866. 

(3j  Démostliène,  T.  Onetor^m ,  I,  $  8,  R.  866. 


SDE  LSS  AKTIQUITKS  JURIDIQUES  d'aTIIÈNES.         143 

foe  iei  créances  de  Démosthèae  ne  fussent  pas  de 
sinples  créances  chirographaires.  —  D'autre  part , 
quelques-ânes  des  prétentions  d'Onétor  étaient  em- 
preintes d'une  si  grande  mauvaise  foi,  qu'il  serait  pé- 
riOeoi  de  se  fonder  uniquement  sur  elles  pour  en 
fiiire  sortir  an  droit  de  préférence  que  toute  i'éco- 
flomiede  la  législation  athénienne  semble  condamner. 
liS  rérité  doit  se  trouver  plutôt  dans  cette  réserve 
qoe  l'adversaire  du  grand  orateur  n'avait  cessé  de 
fflontrer,  et  qui  l'avait  décidé  à  ne  point  se  dessaisir 
deladoL 

Aiosi  donc^  la  femme  n'avait  qu'une  simple  hypo* 

(bègue  conventionnelle,   soumise  à  la  condition  de 

la  spécialité,  et  ne  pouvant  être  opposée  aux  tiers 

que  lorsqu'elle  s'était  révélée  par  des  inscriptions. 

Plus  d'un  économiste  contemporain  ne  ménagerait 

point  l'éloge  à  la  loi  qui  modifierait  en  ce  sens  notre 

Code  Napoléon ,  et  donnerait  par  là  les  satisfactions 

les  plus  grandes  aux  exigences  du  crédit  public. 


IX. 


La  dissolution  du  mariage ,  et  la  confiscation  des 
biens  du  mari,  voilà,  nous  l'avons  dit,  quelles  étaient 
les  causes  qui  fai$<iient  naître  l'obligation  de  restituer 
la  dot. 

Mais  la  restitution  devait-elle  avoir  lieu  aussitôt 
que  ces  causes  existaient?  -^Nous  croyons  qu'il  faut 
encore  distinguer  ici  entre  le  cas  où  la  dot  com- 
prenait des  corps  certains  et  celui  où  elle  était  com- 
posée de  choses  fongibles. 


I4i  ÉTUDES 

Pour  la  dot  de  corps  certains,  la  restitation  devait 
être  immédiate.  Puisque  le  mari  avait  dû  la  con- 
server en  nature,  il  l'avait  à  sa  disposition,  et  roctroi 
d'un  terme,  sans  offrir  ancnn  avantage,  ne  prëseo- 
tait  que  des  inconvénients. 

Mais  il  en  était  autrement  lorsque  la  dot  consistai! 
en  choses  fongibles.  Le  mari  pouvait,  en  effet,  ne 
pas  avoir  chez  lui  des  sommes  ou  des  quantités  suffi- 
santes pour  indemniser  ta  femme.  —  La  sœar  de 
Démosthène ,  par  exemple ,  avait  nne  dot  de  deax 
talents.  Eût-il  élé  d'un  bon  père  de  famille  de  garder 
improductive  cette  somme  représentant  plus  de  qua- 
rante mille  francs  de  notre  monnaie  ?  Le  mari  l'em- 
ployait à  des  placements  plus  ou  moins  productifs , 
dont  les  intérêts  permettaient  de  faire  face  aux  dé- 
penses de  la  famille.  Mais  le  jour  de  la  dissolution  da 
mariage  pouvait  ne  pas  coïncider  avec  le  jour  des 
échéances,  et  il  était  convenable  de  donner  au  mari 
le  temps  de  -poui*suivre  les  débiteurs  qui  avaient 
traité  avec  lui. 

Nous  croyons  donc  que  le  mari  (ou  ses  héritiers) 
jouissait  d'un  délai  pour  la  restitution  de  la  dot  de 
choses  fongibles.  —  Si ,  immédiatement  après  le  di- 
vorce accompli,  Ménéclès  rembourse  les  vingt  mines 
qui  formaient  la  dot  de  sa  femme ,  l'orateur  nous  fiiit 
remarquer  que  cela  tient  à  une  circonstance  parti- 
culière ,  son  ex-beau-frère  ayant  à  sa  disposition  de 
l'argent  qu'il  venait  de  recevoir  (1). 

On  n'avait  pas  voulu,  toutefois,  que 'la  concession 
d'un  terme  au  mari  fût  une  cause  de  préjudice  poor 

(1)  ls«e,  Dt  Memtelis  hereditate,  $9,D,  344. 


SUE  LES  ARTIQVITÉS  JURIDIQUES  D'aTHÈRES.         145 

la  femme.  Celle-ci  avait  le  droit  d'exiger  les  intérêts 
de  sa  dot,  et  le  taux  choisi  par  le  législateur  était 
pios  élevé  que  celui  des  prêts  ordinaires.  —  Les  in- 
térèt9  se  calculaient ,  en  effet»  snr  le  pied  de  neuf 
oboles  par  mois  {It:  èwé  '  'hôà'koiç)  ;  ils  étaient  donc  de 
dix-hoit  pour  cent  par  an  (1). 

La  convention  des  parties  pouvait,  il  est  vrai,  al- 
léger l'obligation  du  mari  et  diminuer  le  taux  des  in- 
térêts. —  Nous  voyons  Timocrate,  le  premier  mari 
de  la  femme  d'Aphobus,  stipuler  d'Onétor  qu'il  ne 
restituera  pas  actuellement  la  dot  de  sa  femme , 
mais  qu'il  en  paiera  les  intérêts  sur  le  pied  de  cinq 
oboles  par  mois  (  dix  pour  cent  par  an)  {^), 

La  femme  ou  ses  héritiei's  ne  devaient  point,  après 
la  dissolution  du  mariage,  rester  dans  une  inaction 
trop  prolongée,  s'ils  désiraient  conserver  le  droit 
d'exiger  la  restitution.  La  loi  athénienne  avait  en 
effet  soumis  à  une  prescription  de  vingt  ans  les 
actions  désignées  sous  les  noms  de  7:potxbç  Bixy;  et  de 
5tT0u  lixTf  (3).  —  Quant  à  rèvez(axT^|A;jLa  et  à  la  Bixrî 
dbTOYP*?»iÇi  T^ous  avons  peine  î\  croire  qu'elles  fussent 
recevables  pendant  un  si  long  espace  de  temps.  La 
faveur  qui  s'attachait  tonjoiirs  aux  intérêts  du  fisc 
avait  dû  faire  abréger  le  délai  à  l'expiiaMon  duquel 
la  déchéance  était  encourue. 

(i)  DémcMthène,    l\  Scœram,  $  5J.   R.  136 J.  -   C\  Àphobum, 
I,  S  17.  K.  818. 

7)  Démosthène,   /'.  Oneiortm,  I,  S  7,  R.  866. 
3    Isée,  De  Pyrrhi  hmedUale,  $  9.  D.  2ôl. 


iu 


14G    LTl'DES  SI  U  LKS  ANTIQIITES  JURIDIOUKS  D'aTUÈXE& 


INSCRIPTION 

extraite  cin  Cof pH«  iH»rripti9mmat%  G 

de  Bopckli,  t.  Il»  p.  lOST  9  a*  9tmt  m. 

OCTAICUlRlAiCTQNAnOTETI 

MIIM  K\1}NNÏ  K  HC  APETH  EÏCTH 

MUnUKAKAHl  KPlÎM  KN1}NKAIA 

NAKKlMENLîNTinoYPAMAIA 

^hroAlTEITniENACIlIAlYUONï 

KIUAPETHCTHCrYNAlKOCT 

IICNAYKPATOYCKAÏKATATACAI 

AeiïKACTACKElMENACENTÛI 

IKPJlTIli.A'hPOAÏTHCKAinAPE 

Y  N  O  M 1 AEIÏQ  ï  A  PX  ONTI  RAI  H 

APA  TUIHECMOeETEIKTHCI 

*i>  ti  N  r  i. 

N."i,x.:aT:-^ ,  xî:  x.iTi  tj;   ;:x^rrxx^  tx^  x£:xry2^  ev   tw 

a  ■•  •  •  •■■•    wm  B 

T  •  »>àrjv:viTr  KTrr.:û'-.T.. 

FRADVCTÎON . 
lai'.o::'.'  ,.:■■.■.;  ./..e  >-.::  ir>  :::,i .sons  taisant  partie 

■    i  !.. .  : .    ■  "<  V .  v  :  K  :  0.-.  vi  '.  :  V  ^  ^  1  t  r  ?  *=.  V^  iîi;>  ApLrvùite 
vi  V- .  -  :  .    \  ■..::.  ..     :•:>...>'    ^:-  v.::vtn:iocs  de- 

k  -  • 

•«  ■_*  •^» 

K« >.   T.v.c-    ..    «..'»—....■:. r*.  ..c>.  p..^  n.     9 


BOISGUILLEBERT , 

Par  M.  «I.  DEMIS, 

Profesmir  à  la  Fteulté  des  Lettres  de  Caen ,  membre  titulaire. 


Un  jour  .celait  en  i6î)7 ,  au  plus  fort  de  la  fïuern' 
que  Loois  XIV  ,  à  cause  du  d<!^sordre  de  ses  finances, 
soutenait  à  gi-and'peintî  contre  Guillaume  et  contre 
la  Ligue  dWugsbourg},  un  inconnu  >e  préseule  chez 
le  ronlrôleur-général  Pontclinrlrain ,  *  le  prie  de 
l'écouter ,  et  tout  de  suite  lui  dit  ([uM  va  l«^  prendre 
pour  un  fou,  qu'ensuite  il  verra  qu*il  mérite  att<aition, 
et  qu'a  la  fin  il  demeurera  rrmtent  de  son  svbtc'îme.  • 
Pontchartrîlin  ,  ajoute  S:iiul-Sim(>n  (jue  je  ne  fais 
ici  que  copier,  «  rebuté  de  tant  de  donneurs  d'avis» 
qui  lui  étaient  puss<'»s  par  h»<^  mains,  et  qui  était  tout 
salpêtre,  se  mit  à  rire,  lui  dil  luusquemenl  qu'il 
s'en  tenait  au  premier  (fi  savoir  qu'il  le  prenait  pour 
un  fou),  el  lui  tourna  le  dos.  »>  C'est  ain^i  que  ce 
contrôleur-général,  qui  savait  mieux  It»  Code  et  la 
Coutume  que  les  finances,  et  qui ,  depuis  qu'il  était 
au  ministère,  ne  vivait  qus  d'expédients  ruineux, 
éconduisit  le  seul  homme  qui  ,  avec  Vauban,  aimait 
assez  la  France  poui'  méditer  sérieusement  sur  les 
moyens  de  la  tirer  de  i'abime  où  elle  s'enfonc^'ail  ; 
cet  homme  était  Boisguillebert,  petit  magistrat  de 
Houen ,  le  vrai  père  de  l'Économie  politique 

Non   moins  léger»»  parfois  que  Ponlchartrain  ,   la 


148  BOISGUILLEBKRT. 

France  se  montre  ingi-ale  pt^iir  ses  enfants  les  plus 
dévoués:  c'est  ainsi  que  jusqu'à  nos  jours  elle  a  laissé 
dans  Tonibrc  cl  dans  l'oubli  lo  nom  do  cet  inventeur 
et  de  cet  excellent  citoyen.  Voltaire  lui  donne  à  peine 
quelques  lignes  ,  pleines  d'erreurs  ,  dans  sa  liste  des 
écrivains  dn  XVll*  siècle;  les  Dictionnaires  et  les 
Biographies  ne  le  connaissent  guère  mieux.  Mais  les 
économistes  et  les  historiens  commencent  à  lui  l'endro 
justice  ;  et  peu  à  peu  ce  nom  obscur  reprendra  la 
place  qu'il  n)érite  parmi  les  plus  nobles  et  les  plus 
purs,  à  coté  de  celui  de  Vauban  ,  dont  il  est  insépa- 
rable. Boisguillebert  me  parait,  avec  Desc^irtes,  l'au- 
teur fraucjais  du  XVII*  siècle  qui  eut  le  plus  d'inven- 
tion et  d'initiative. 

a  Son  admirable  livre  du  Détail  de  la  France ,  dit 
M iclielet  dans  i^a  grande  Histoire ,  précéda  de  dix 
ans  la  Dhne  Royale  de  Vauban  et  les  Mémoires  que 
Fénelon  envoyait  de  Cîimbrai  à  Vei*sailles.  Dans  ces 
mémoires,  que  voulait  Fénelon?  Soulager  le  peuple 
en  relevant  la  noblesse,  faire  le  traité  des  moutons 
el  dos  Inups.  Il  voulait  dans  le  Télémaque  pacifier  la 
société  en  rimmobilisiint  en  castes  invariables,  dont 
chacune  porterait  tel  habit  ;  Salente  est  copiée  sur  le 
pensionnat  de  Sl-Cyr.  Tout  cela  fut  écrit  visiblement 
pour  une  sociélê  de  grands  seigneurs.  Fénelon  en 
est  de  naissance.  C'esi  î^i  la  noblesse  qu'il  parle.  Avec 
plus  de  douceur  el  de  désintéressement ,  ses  idées 
ditrèreul  peu  de  celles  de  Saint-Simon  el  de  Boulain- 
villiers.  Btusmiillobert  parle  au  peuple,  à  tous.  C'est 
\\  Si»  première  el  redoutable  originalité.  •  C'est,  en 
clfeK  la  voix  delà  nation  qui  sVIève  au  milieu  de  la 
niisèro  uuivci<olle.   La  noiilovso  ol  les  privilégiés,  qui 


BOISliLILLEBkUT.  iiO 

commençaient  à  sentir  eux-mêmes  le  poids  d'un  des- 
potisme autrefois  si  brillant,  mais  ruineux  aujour- 
d'iuii ,  murmuraient  dans  le  secret  leui*s  plaintes  et 
leurs  espérances.  Boisgnillebert  cria  publiquement , 
et  prêta  an  peuple  sa  parole  hai-die  ,  comme  Jurieu 
avait  fait  dans  Les  Soupirs  de  la  France  esclave  :  le  ma- 
gistrat catholique  confirmait  par  de  tristes  réalités 
les  sinistres  avertissements  du  ministre  protestant 
Nous  reviendrons  plus  tard  sur  le  côté  révolution- 
naire de  Boisgnillebert,  si  contraire  aux  habitudes  du 
XVn*  siècle.  Examinons  d'abord  ses  écrits,  principa- 
lement son  Détail  de  la  France ,  au  point  de  vue  de 
notre  histoire  et  de  l'économie  sociale. 

La  cuerre  durait  depuis  huit  ans  (1689-1697)  contre 
la  Hollande,  l'Angleterre  et  l'Empire  coalisés;  nos 
finances,  absurdcment  conduites,  étaient  à  bout;  la 
misère  était  générale,  et  commençait  à  effrayer  parce 
qu*elle  atteignait  la  noblesse  et  le  roi  lui-même.  On 
l'attribuait  qui  à  une  cause,  qui  à  une  autre.  Les 
uns  accusaient  les  guerres  incessantes  du  règne  de 
Louis  XIV  ;  d'autres,  les  dépenses  de  ses  fêtes  et  de 
ses  somptueux  bâtiments  ;  ceux-ci ,  l'énormité  de  l'im- 
pôt ;  ceux-là ,  l'enlèvement  des  métaux  précieux  pîir 
l'étranger.  Tout  cela  avait  de  l'apparence  et  même 
quelque  vérité.  Mais  pei*sonne  ne  voyait  ou  n'osait 
dire  la  cause  permanente  de  l'horrible  misère  qui 
pesait  sur  le  pays.  Boisgnillebert  l'expliqua  en  deux 
mots.  La  consommation  est  défendue ,  la  consom- 
mation est  impossible. 

Jamais  acte  d'accusation  plus  formidable  n'a  été 
dressé  contre  l'nncien  régime  ;  non  que  Boisgnillebert 
ait  contre  Louis  XIV  et  f^es  ministres  les  préjugés  et 


lu  passion  de  Fénehm,  de  Saint-Simon  et  de  Boulain- 
villiois.  II  acceplo  on  paraît  accepter  la  royauté  avec 
le  (h'spoiisino  si  étondn  et  si  louixl  qni  en  était  sorti 
])arraMivnî  île  Richelieu  ,  de  Mazarin  et  de  Louis  XIV, 
romincî  si  r'élait  la  forme  naturelle  et  normale  de  la 
Con«litution  française  ;  il  n'attaque  point  la  nobleJ*se 
rnnime  inslihitiou  ;  il  peut  avoir  contre  le  clcrgJ  les 
pn-veutinns  et  1rs  (li>iiances  de  la  magistrature  et  du 
Tiers-Étal ,  mais  à  prine  les  laisse-t-il  échapper  en  nn 
mol  et  CdiiiMM»  en  |nssant  ;  ma<risirat,  il  est  natui'elle- 
mi'Ml  oxcMiiphle  la  ra^^e  ri  (li*s  fnrtfurs  de  S;iînt-Simon 
(MUitrr  1rs  rohiiis  ,  dont  il  ne  voit  peut-rtrr  pas  la  paii 
dans  Ir**  maux  qu'il  mrl  si  rx^urat^eusement  à  nn; 
mais  (  rttt»  ahsriicr  tir  passions  politique^  ou  pei*3on- 
iirlle>  rst  cr  qui  doniir  plus  dr  poids  el  de  loi  ce  à  ses 
.■uru>ali»>n> ,  crqui  m  irndla  piutêeplus  redoutable. 
r.ar  «  n*atlaquanl  ni  tritr  on  trllr  personne,  ni  telle  ou 
trlle  olassr  ilt*  la  soriélr .  il  sVn  prend  â  la  constitu- 
tion de  reltr  soci-lr ,  Irllr  que  lavaient  faite  Terreur 
el  riiiuoranrr  pins  rnrore  que  le  mauvais  vouloir.  Il 
a  vu  par  unr  intuition  de  tréuie,  ce  qu'Aristote  seul 
avait  romiu  paruïi  1rs  ancien-^  ei  ce  que  les  modernes 
ne  souprtuniaient  |kis»  le  rapport  étroit  el  profond 
du  rèuimr  rconumique  l't  dr  la  justice  dans  les  États; 
ri  Ir  prrmir:  il  sN'st  attaché  a  dr  montre  -^  qu'une 
laussr  lonstiîuîîou  rci'Uouiiqur  est  h'  p:incipelc  plus 
iVcoud  rt  Ir  plii>  inrsi<libîr  triniquile  et  de  ruine. 
Parlant  de  crttr  itlre  t«u:?t»  simple  rt  qui  était,  à  ce 
=  ,u'il  srudilr  »  aii-dr--u>  dr  rrs[uiî  de  ni»s  ministres 
kIos  î:n.=  :u\<.  qi.r  •.,i!>  U>  Mrns  du  m-jude  sont  inn- 
»i;e>  s'iUnr-*'  iousvviureut  fki>,  ou  bien  que  consom- 


BOI^-GrlL^^:B^:^T.  loi 

sëqaent  la  raine  de  la  consommation  est  la  ruine  de  la 
production  et  da  revenu ,  Boisguillcberl  montre  avec 
la  plus  saisissante  évidence  que  la  taille,  telle  (|u'elle 
était  établie,  était  une  véritable  défense  de  consommer, 
et  que  les  Aides  et  les  Douanes  rendaient  la  consom- 
mation impossible. 

La  Taille,  qui  n'était  autre  chose  qu'un  impôt  sur 
les  biens  en  général ,  semble  avoir  été  dans  l'origine 
et  dans  l'intention  de  son  auteur,  universelle  et  propor- 
tionnelle. Au  moins  Boisguillebert  interprète-t-il  ainsi 
cette  ordonnance  de  Charles  YIÏ  :  a  Voulons  égalité 
être  gardée  entre  nos  sujets  es  charges  et  faix  qu'ils 
ont  à  supporter,  sans  que  l'un  porte  ou  soit  contraint 
à  porteries  faix  et  charges  d'un  autre,  sous  ombre  de 
privilège  et  de  cléricature  ou  autrement  (1).  »  A  ces 
conditions  la  taille  n'aurait  pas  été  un  impôt  onéreux; 
et  Boisguillebert ,  qui  ne  la  fait  monter  qu'à  trente- 
six  raillions  pour  1697,  estime  qu'elle  aurait  pu  être 
Diciiement  doublée ,  triplée  et  quadruplée  sans  trop 
ac<iabtcr  les  sujets.  Mais  le  mal ,  c'est  d'abord  que  cet 
impôt  n'était  pas  universel.  Il  n'y  avait  guère,  en 
effet,  que  le  tiers  de  la  France  qui  y  contribuât; 
ensuite  ,  il  était  si  mal  réparti  qu'il  était  proportionnel 
en  niison  inverse  des  moyens  ou  de  la  rich(?sse.  Telle 
ferme  de  4,000  livres  de  rente  payait  dix  écus,  tandis 
qu'une  autre  de  400  livres  m  payait  cent  ;  la  première, 
dix  fois  plus  forte,  était  dix  fois  moins  imposée  ;  ce  qui 

(I)  Cette  interprétation  de  BoisgulUebeit  est  sans  doute  erronée. 
H  ne  s*agit  pas  ici,  je  pense.,  des  privilèges  des  nobles  ni  de  ceux 
de  lant  de  fondations  ecclésiastiques,  mais  de  ceux  des  roturiers  qui, 
k  titre  de  clercs  ou  à  tout  autre  titre,  se  prétendaient  exempts 
de  rimpdt. 


revient  a  (iiie  que  le  riclie  |>ayait  cent  fois  moins  que 
le  pauvHf. 

O;-  inif|iiit<:>  s'expliquent  par  la  mécaDÎqae  de 
l:i  ré[»iirfifion.  Le  Conseil  fixait  la  somme  à  laquelle 
r.Uni^iw  ^l'néralitf'^  dtail  imposée,  et  les  inteodants 
r.irlU*  que  devait  roumit'  cliaque  élection  de  la  gé- 
néralité («t  rliiiquf*  paroisse  de  l'élection.  Or«  dès 
que  rariV'l  du  (Idiiseil  était  arrivé,  chacun  faisait  sa 
cour  aux  intendants  pour  que  sa  paroisse  fût  favora- 
blerucut  trait<M; ,  sans  aucun  égaitl  aux  ressources 
quVlii^  pouvait  avoir.  Les  personnes  puissantes  et  en 
iMMlit  laisai«Mil  soulager  leurs  paroisses  aux  dépens 
des  auln*h,  <'l  cela,  malgré  les  efforts  de  quelques 
iutiMulnnts  hiru  intentionnés ,  mats  dont  la  justice 
iivail  i\ii  n'*d('i'  d(*vaut  la  puishance  de  tel  ou  tel  seî- 
untMir.  r.liaque  [taroisse  imposée  en  bloc,  c'était  aux 
rollerteursà  imposer  lesparliouliei*s.  Quand  la  p^iroîsse 
avait  êtr  bien  traitée  ,  il  fallait  d'abord  reconnaître  les 
MM'vioi'>  tlu  seiirtuMir  aupivs  do  l'intendant;  car  ses 
M'rvires  n'étaient  |k)s  ijft atuits ,  et  si  la  taille  n'allaît 
pa^  dans  W  Trésor  public  «  elle  allait  en  partie  dans 
son  rottre  particulier.  I>iins  tous  les  cas,  on  épargnait 
et  considéra  il  d  abord  les  tenuiers  du  sei loueur  de  la 
|KUiù«i>e  »  puis  ren\  des  i:entilsbommes  de  quelque 
consulcration ,  puis  ceux  qui  étaient  a  des  personnes 
de  justice  .  jusquaiix  prwureui^  et  aux  sertrents.  Les 
colici  leurs  >e  t'aisîiicnt  taiix*  la  cour  comme  on  l'avait 
faite  aux  intendants.  lîss<Meup\uenl  de  ceux  qu'ils  n*ai* 
inaicut  jMsou  qu*ds  jaUMiviienl.  Ils  ménageaient  leurs 
jKUvnts  et  auii>.  ncbes  ou  |\iuvrt*<s:  i'f  prenaient  de 
lardent  dc5  tiv-  cs«  c:  U  iv.oindrt'  corruption  ëtmit 
*e<  Sm^-»  ïv;ws  .iMxqoe^'^  t*s  <•*  Ui5s.fci,^nî  inviter.   Plu* 


BOISGIILLRBERT.  153 

on  était  paavre  et  sans  protection ,  plus  on  était 
chargé.  Le  fardeau  retombait  tout  entier  sur  les 
paysans ,  sur  les  artisans  et  sur  les  marchands ,  en  un 
mot  sur  les  personnes  qui  n'avaient  que  leurs  bras  ou 
leur  petite  industrie  pour  vivre  ,  selon  que  Ton  croyait 
pouvoir  en  être  payé ,  sans  s'inquiéter  si  on  les  rui- 
nait de  fond  en  comble. 

Toute  cette  cérémonie  de  la  répartition  deman- 
dant du  temps,  et  la  (aille  ne  rentrant  pas,  les 
receveurs  qui  avaient  érigé  en  revenant-bon  et  en 
revenus  ordinaires,  les  courses  d'huissiers  et  les 
contraintes  contre  les  paroissiens,  faute  de  paiement 
dans  le  temps  prescrit ,  ne  manquaient  pas  de  jouer 
leur  rôle.  Le  recouvrement  commençait,  et  les  collec- 
teurs ,  responsables  pour  leurs  paroisses  comme  les 
Curiales  aux  plus  mauvais  temps  de  l'Empire  romain, 
se  mettaient,  non  sans  tremblor,  en  campagne. 
Ckimme  il  n'y  avait  pas  de  corvée  plus  désagréable  et 
que  les  collecteurs  se  sentaient  peu  rassurés ,  ils  se 
présentaient  tous  ensemble ,  c'est-à-dire  sept  ou  huit 
par  paroisse,  chez  chaque  taillable,  et  on  les  voyait 
tmttre  ainsi  le  pavé  une  purtie  de  l'année ,  au  lieu  de 
s'occuper  de  leurs  affaires  qui  n'en  allaient  pas  mieux, 
sans  presque  rien  recevoir  que  des  injures  et  des  ma- 
lédictions. Les  contribuables  cachaient  toute  montre 
d'aisance  par  la  cessation  du  commerce  et  de  la  con- 
sommation ,  et  ne  payaient  que  sou  par  sou  après 
contraintes  et  exécutions.  Malheur  à  celui  qui  payait 
trop  bien  et  trop  vite  I  11  était  sur  de  voir,  l'année 
d'après,  sa  charge  doubler  et  tripler  et  d'être  ruiné. 

Cependant  (car  on  ne  sait  lesquels  étaient  le  plus  à 
plaindre,  des  collecteui^  ou  de  leurs  victimes),  les 
malheureux  collecteurs  étaient  accablés  de  frais  par 


loi  nMT-riMii.F.uKnT. 

les  receveurs.  Pour  empcclier  h's  huissiers  d'en  venir 
d'abord  à  des  exécutions  sur  la  paroisse,  on  les  ré- 
iralail  vi  on  leur  graissait  la  patte.  Si  enfin  l'argent 
ne  rentrait  pas  (  cl  cola  arrivait  souvent),  les  linissiers 
Taisaient  amener  tous  les  bestiaux  delà  paroisse,  sans 
s'incpiiéter  si  les  personnes  auxquelles  ils  apparte- 
naient avaient  ou  non  ai'<[uitté  leur  taille.  Il  fallait 
encore  de  l'argent  aux  huissiers  pour  qu'ils  n'ename- 
nassent  pas  les  bètes  trop  loin  et  qu'ils  ne  les  fissent 
pas  vendre  sans  délai. 

La  plupart  du  temps  ,  la  chose  se  lerniinail  par 
rcimprisoniHMiienl  des  collecteui's  qui  n'avaient  pas 
pu  comph'ter  les  n-ntrées.  Ou  bien  ils  obtenaient ,  à 
tbi-ce  d'argent  donné  aux  huissiers,  de  n'être  détenus 
que  dans  (piolque  hôtellerie  ;  ou  bien,  si  le  geôlier  tes 
réclamait  rt  aviiil  quehpie  crédit  auprès  des  niitorités, 
ilsétaient  jelésdîins  les  prisons  malsaines  des  villages, 
juiyanl  (piatre  deniers  par  jour  pour  coucher  sur  la 
paille  el  n'étant  ntuirriscpra  leurs  frais.  11  fallait  donc 
que  leurs  femmes  «m  leurs  enfants  fissent  des  trois  et 
(piatre  lieues  pour  leur  apporter  des  vivres.  Ils  ne 
sortaient  i;uère  de  pri»*on  ipn»  ruinés  de  boui'se  et  de 
santé.  Aussi  fuyait- on  ci»mme  la  peste  cette  charge 
honoriti(]ue  de  collecteur  :  beaueou[»  proposaient  d'a- 
Uindouner  tous  leurs  hi<Mis  aux  tinanciers  et  â  l'État 
pour  t'chapper  à  n«tte  corvée  :  «m  était  assez  généreux 
et  assez  htmiiète  pour  ne  pas  h»s  écouter,  vi  ils  étaient 
coitdamnés  à  ruiner  leuj<  concilovens  en  se  ruinant 
eux-mêmes  après  iîviûr  essuyé  tonte  sorte  d'avanies. 

Hoisjnuilleheit  a  bien  rai>on  de  conclure  qu'une 
iiuerre  continuelle  <erail  nnâns  a  eliargeaux  peuples 
qu'un  im|>ôt«  même  modéré,  comme  il  était  en  France, 
mais  exi^e  d'une   )Mivilie  fa«^*on.   Qu'en  résnltait-il  ? 


BOlSGriLLEBERT.  i5?> 

Outre  les  animositës  et  les  haines  qui  exaspéraient  les 
Vialntants  d'une  paroisse  les  uns  contre  les  autres, 
(quiconque  avait  quelque  chose  le  cachait  avec  soin 
^&xi  de  ne  pas  voir  ses  impôts  et  ses  misères  augraen- 
ier;  on  n'osait  plus  consommer;  on  évitait  d'avoir 
des  bestiaux  ;  on  ne   mettait  plus  d'engrais  sur  les 
terres  ;  les  médiocres  ébiient  abandonnées  et  demeu- 
raient en  friche  ;  les  meilleures  étaient  mal  et  à  demi 
cultivées;  chaque  année,  faute  de  consommation  et 
depiodnclÎQn,  réduisait  une  partie  delà  paroisse  à  la 
mendicité;  le  reste  n'en  était  que  plus  accablé  Tannée 
t^'après.  La  ruine  multipliait  la  ruine.  Imaginez,  dit 
^isgui Hébert,  un  rOuIier  qui  a  cent  mille  livres  pesant 
à  transporter  d(?  Lyon  à  Paris,  ot  qui,  au  lien  de  mettre 
ÇDarante  chevaux  h  sa  voilure,  n'en  mettrait  que  trois  : 
'1  les  crèverait  tous  les   uns  après  les  autres  sans 
arriver  an  terme  de  son  voyago  :  c'est  l'image  de  la 
France  et  de  ses  conducteurs. 

Les  sages ,  tout  en  déplorant  le  mal ,  nous  disent 
qae  c'est  un  mal  irrémédiable.  Les  sages  sont  des 
sots.  Qu'ils  comparent  les  villes  qui  ont  obtenu  un 
tfirif  et  celles  qui  n'en  ont  point.  Les  dernières  péris- 
sent. Les  autres,  quoique  n'ayant  obtenu  qu'à  des 
conditions  onéreuses  le  droit  de  se  taxer  elles-mêmes , 
reprennent  vie  et  tleurissenl.  Témoin  Hontleur,  et 
Pont-Audemer,  à  qui  Ton  a  imposé,  outre  l'argent 
qu'elles  donnent  au  roi,  de  biltir  chacune  un  port: 
ces  lieux  misérables  où  on  laissait  toutes  les  maisons 
en  ruine,  quand  ils  étaient  soumis  à  la  taille  ordi- 
naire, n'ont  pas  plus  tôt  joui  delà  concession  du  tarif, 
qu'il-  ont  recouvré  rnbondiinco  et  la  prospérité,  etijue 
Ton  y  a  plus  bAfi  on  quatre  ans  que  dans  les  trente 


I."»<î  ROr^il  ILLLBbltT. 

années  précédentes.  Pourquoi  n'accorde-t-on  pas  le 
tiirif  à  toutes  les  villes  qui  le  demandent  ?  C'est  que 
(;i*Ia  ne  ferait  pas  les  affaires  des  Imitants,  qui  ne 
|)eiivent  s'mrichir  «[u'autant  que  les  recouvrements 
sont  dilliciles,  parce  <|ue,  outre  les  revenant-bon 
des  contraintes  et  des  exécutions,  ils  se  font  faire  des 
r(»niises  par  le  Gouvernement.  Ils  vont  criant  partout 
que  le  tarif  accordé  aux  villes  ruine  les  campagnes  , 
et  on  les  croit  maljrré  rexpérience. 

Je  n'ai  t»ncore  n;produit  que  la  moitié  du  sombre 
Uibleau  tracé  par  Boisguillebert ,  en  en  conservant , 
autant  que  possible,  les  traits  et  les  couleurs.  Les 
Aides  et  les  Douanes  achevaient  ce  que  Boisguillebert 
appelle  Tieuvre  de  destruction  et  d'anéantissement 
i»oinmencée  par  la  Taille. 

Ij's  Aides  n  étaient  autre  chose  que  des  droits  tant 
sur  les  vins  ou  liqueurs  qui  se  vendaient  en  détail,  que 
sur  ceux  qui  se  vendaient  en  gros  dans  les  villes  on 
les  hou rgs  fermés  «  dmits  qui  avaient  varié  du  16*,  au 
li\  au  8"  et  au  4*  denier,  e  est-à-dire  de  6,â3  à  9,30, 
a  1 1  «50,  à  23  pour  cent  :  c'est  à  ce  taux  qu'ils  étaient, 
au  moins  pour  la  Normandie  .  à  Tépoque  où  écrivait 
l^oisguilletiert.  l>s  dnMts,  qui  ne  sont  guère  bien  éta- 
hlis  encore  de  nos  jours ,  an  raient  été  supportables  et 
n'auraient  point  suttipour  arrêter  la  consommation, 
>'ils  n'avaient  ]>;i>  été  pousses  plus  loin.  Mais  Tinia* 
&:ii\iUion  des  traitants  el  )vartisans  était  toujours  en 
travail  |v>ur  perlVvlioimer  limpiM  et  |Hmr  lui  faire 
ivndiv  le  plus  qu'il  pounail.  Le  quart  en  sus  et  la 
jau^^  xeiun;  sajouioi  an  denier  qualit" ,  l'impôt 
aîU  bientôt  presque  a li  tiei-s  do  la  marchandise;  et 
%\Mnmo  le  débit  dtVi  \in<  et   liqut^n^s  se  faisait  prin- 


BOISGUILLEBERT.  457 

cipaiement  dans  les  villes  et  lieux  clos  de  murs ,  les 
droits  d'entrée  pour  le  roi ,  pour  les  hôpitaux  et 
pour  les  villes,  venant  s'ajouter  aux  précédents,  com- 
posaient des  sommes  qui  excédaient  beaucoup  la 
valeur  de  la  marchandise,  surtout  pour  les  petits 
crûs.  Les  droits  dans  le  détail  étaient  vingt  fois  plus 
forts,  an  dire  de  Boisguillebert,  que  la  valeur  de  la 
denrée  en  gros.  Aussi  les  ouvriers  étaient-ils  réduits 
ou  à  ne  boire  que  de  Teau  claire,  ce  qui  anéantissait 
les  vignobles ,  ou  à  vendre  leurs  manufactures  (  ou 
objets  manufacturés)  beaucoup  plus  cher ,  ce  qui 
«inéantissait  le  commerce  étranger.  Les  débitants  es- 
sayaient mille  moyens  de  fraude  :  nouvelle  source 
de  vexations  intolérables  pour  eux.  Les  fermiers  des 
Aides  avaient  obtenu  des  édits  et  déclarations  por- 
tant que  les  procès-verbaux  de  leurs  commis  feraient 
foi  en  justice.  Ces  commis ,  auxquels  on  laissait  le 
tiers  des  amendes  et  confiscations^  et  qui  étaient  à 
la  fois  juges  et  parties  dans  les  contestations  rela- 
tives à  l'objet  de  leur  surveillance ,  tenaient  entre 
leui*s  mains  la  fortune  de  tous  les  hôteliers  de  leur 
district.  Ils  ne  permettaient  la  vente  et  le  débit  des 
vins  qu'à  ceux  à  qui  ils  les  vendaient  eux-mêmes. 
Ils  étaient  toujours  sur  les  bras  des  débitants,  visi- 
tant les  caves  trois  ou  quatre  fois  par  jour  pour 
s'assurer  de  combien  les  futailles  étaient  diminuées. 
lis  exterminaient  toutes  les  hôtelleries  et  auberges 
trop  éloignées  de  leur  résidence  :  de  sorte  qu'on 
faisait  souvent  des  sept  et  huit  lieues  sans  trouver 
où  apaiser  sa  faim  et  sa  soif.  Voilà  pour  les  vexations 
contre  le.«  débitants.  Quant  aux  particuliers  qui  veu- 
lent faire  eux-mêmes  leui-s   provisions,  il  leur  faul 


158  bOISGUlLLEBERT. 

pusser  par  toute  sorte  de  formalités  gênantes  :  aller 
chercher  leurs  déclarations  au  ])ureau  prochain  , 
prendre  une  attestation  de  la  quantité  de  vin  en 
voiture  ;  si  l'on  est  éloigné  ,  perdre  une  journée  à 
attendre  les  commodités  du  commis.  Une  fois  en 
route,  quaud  les  voituriers  arrivent  à  un  lieu  clos»  ils 
doivent  s'arrêter  à  la  porte ,  attendre  au  vent  et  à  la 
pluie  que  MM.  les  commis  et  jauge urs  aient  le  temps 
de  iaire  leur  oliico.  Si  les  jaugeui's  ne  s'accoixlent 
pas  avec  les  lettres  de  déclaration ,  présents  au 
commis  ou  confiscation  de  la  marchandise  et  de  la 
voiture.  Quand  on  aurait  juré  d'exterminer  de  France 
ie  commerce  dt?s  vins  ,  on  ne  s'y  serait  pas  pris  au- 
trement. Aussi  les  vignerons,  ne  pouvant  plus  vendre 
lears  denrées,  arrachent  les  vi^^nesen  maint  endroit: 
et  comme  le  terrain  n'est  point  propre  le  plus  sou- 
vent à  d'autres  cultures,  ils  le  laissent  en  friche.  De 
cette  manière,  toute  contrée  périt,  aussi  bien  celle 
qui  produit  des  vins  que  celle  qui ,  produisant  d'au- 
tres denrées ,  ne  peut  les  écouler  (mi  échangeant  son 
superllu  contre  ce  qui  lui  manque. 

Même  résultat  si  l'on  examine  les  douanes ,  qui 
ne  permettent  à  la  France  de  commercer  ni  avec 
l'Étranger ,  ni  avec  elle-même.  La  Normandie  avait 
de  fort  belles  fabi'i(|ues  de  chapeaux  ;  on  double  les 
droits  :  les  ouvrieis  passent  la  plnj)art  à  l'étranger 
et  la  fal)ri(jue  est  a  peu  près  ruinée.  Les  cartes  à 
jouer,  le  papier,  les  pip(*s  à  tahac,  les  baleines 
pour  vêtement ,  tons  objets  dont  la  France  four- 
nissait une  partie  de  l'Europe  et  de  TAmérique,  ont 
le  môme  sort.  Mais  le  comble  de  l'absurde  ,  ce  sont 
les  douanes  intérieures  et  toutes  les  entraves  qui  en 


BOISGUILLEBERT.  159 

résultent  pour  Je  coininerce.  Elles  sont  si  bien  en- 
tendues qu'on  meurt  de  faira  à  quelques  lieues  d'un 
endroit  où  les  blés  pourrissent  ou  bien  sont  prodigués 
à  d'autre»  usages  que  la  nourriture,  faute  de  pouvoir 
les  exporter.  Quels  rocoui-s  pouvait-on  avoir  conti*e 
les  fermiers  des  douanes  ou  contre  ceux  des  aides  ? 
Ils  avaient  obtenu  des  juges  particuliers  qu'ils  choi- 
sissaient et  nommaient  eux-mêmes  ,  au  lieu  de  la 
justice  ordinaire.  Aussi ,  leurs  violences  étaient-elles 
inconcevables  et  ne  pourraient  se  comparer  qu'aux 
rapines  de  Verres  et  autres  proconsuls  romains. 
«  Sous  prétexte  des  droits  du  roi,  s'écrie  Boisguiile- 
bert,  ils  traitent  la  Franc»;  en  pays  ennemi  et  qu'on 
ne  reverra  jamais,  dans  lequel  il  n'est  pas  extraor- 
dinaire de  démolir  une  maison  de  10,000  écus  pour 
en  tirer ,  en  vendant  le  bois  et  le  plomb ,  20  ou  30 
pîstoles  (4  ou  600  francs;,  que  le  propriétaire  doit  au 
fisc  et  qu'il  ne  peut  payer.  » 

El  l'on  s'étonne  de  la  langueur  du  pays,  de  la 
misère  univci-selle  !  Tous  les  remèdes  qu'on  y  apporte 
sont  insuliisants  ou  pernicieux.  Qu'a  produit  la 
vaisselle  d'argent,  réduite  en  monnaie?  Qn'aurait 
prodnit  toute  celle  du  royaume  ?  Voyez  si  les  Hottes 
du  Pérou  remédient  à  la  misère  de  l'Espagne  !  On 
a  donc  recours  aux  moyens  extraordinaires,  entre 
autres  à  de  nouvelles  créations  d  ollices.  Voilà 
sur  quels  misérables  et  funestes  expédients  vivent 
uos  ministres ,  qui  ne  savent  remédier  à  la  pauvreté 
du  roi  qu'en  élargissimt  les  plaies  du  royaume.  Car 
les  nouveaux  offices  diminuent  le  nombre  des  per- 
sonnes imposables,  et  il  faut  que  leur  taille  retombe 
sur    des   malheureux  qui  n'en  peuvent  déjà  plus  et 


160  BUlSGUiLL£B£fiT. 

qu'elle  abime  sans  ressource.  Quant  ù  remonter  a 
la  source  du  mal  et  à  en  parler ,  ce  n'est  pus  un 
moindre  crime  ,  aux  yeux  de  nos  ministres ,  que  de 
discuter  la  religion  en  Turquie.  Mais  il  n'est  pins 
temps  de  se  taire  :  le  mal  est  arrivé  aux  dernières 
limites,  il  faut  qu'on  sache  d'où  il  peut  provenir 
pour  savoir  d'où  pourra  sortir  la  guérîson.  Et  ici, 
comme  le  dit  Miclielct,  a  Boisguiilebert  montre  an 
grand  courage.  Il  dénonce  liardiment  les  financiers  et 
les  traitants  qui  ruinaient  le  pays  pour  leur  profit  et 
non  pour  le  roi ,  dont  l'intérêt  ne  peut  point  se 
séparer  de  celui  des  peuples.  Et  derrière  les  traitants 
il  voit ,  il  montre  la  main  des  princes  et  des  per- 
sonnes de  cour  qui  partageaient  avec  eux.  Pins  loin 
encore ,  on  remontant  dans  le  passé ,  il  voit  l'iîlglise. 
Elle  a  abusé  de  la  piété  et  du  zMe  des  princes  pour 
se  faire  donner  la  plus  grande  partie  du  domaine  qui 
jadis  dispensait  d'impôts.  Elle  a  enlevé  la  dime  aux 
rois  qui  ont  été  obligés  d'y  suppléer  par  la  taille  : 
qui  dit  cola  ?  Le  peuple.  Dans  ces  mémoires  . 
s'écrie  Boisguillol)ert ,  15,000.000  d'hommes  parlent 
contre  trois  cents  personnes  qui  s'enrichissent  de 
leur  ruine!  ■»  Le  principal  remède.  le  plus  simple, 
celui  qui  ou  quelques  heures  peut  rétablir  les  millions 
do  bien  qu'une  adminislralion  absurde  anéantit, 
c'est  do  rondn^  la  taille  générale ,  de  Télendre  à 
tous ,  princes .  nobles ,  clergé  ,  d  y  joindre  un  impôt 
uniforme  par  feux  ou  par  cheminées,  de  supprimer 
les  aides  et  les  douanes  intérieures ,  et  de  rendre 
par  là  le  mouvement  au  pays.  ,i  la  France  le  droit  de 
commercer  avec  la  Franci*. 

Boisguiilebert  nV<l  |V)slos<Miloorivain,aveo  Vaubnn, 


BOISGUILUEBEKT.  161 

qui  se  soit  ému  des  misères  de  son  temps ,  et  qui 
ait  aspiré  à   une  réforme.   Mais  nous  ne  trouvons 
^  générai,   dans  ces    réformateurs  de  la    fin   du 
XVII* siècle,  que  des  déclamations  ou  des  critiques 
aussi  vagues  que  passionnées  du  gouvernement  de 
I^oisXlVyle  tout  accompagné  de  plans  politiques 
plosoQ  moins  mêlés  de  préjugés  et  parfois,  il  faut  le 
<&e,d'enfantillages:  témoin,  la  république  plus  puérile 
encore  qu'idéale  de  Salente.   Il  est  beaucoup  parlé 
<^ns  ces  écrivains  d'opposition  de  la  tyrannie  des 
Citants,  plus  insupportable  encore  et  plus  révoltante 
9^6  celle  du  roi.  il  y  a  même   dans  Saint-Simon  ei 
(lans  Duguet ,  des  choses  éloquentes  sur  ces  odieux 
"Danciers,  qui  «  se  nourrissaient  de  la  substance  et 
des  larmes  du  peuple,  et  qui  en  exprimaient  jusqu'au 
sang  et  jusqu'au  pus.    »  Mais  rien  ne  nous  fait  pé- 
nétrer dans  cette  administration  si  dévorante  et  si 
ai)sarde.  Avec  Boisguillebert  nous  voyons,  nous  tou- 
chons tous  les  ressorts  de  cette  affreuse  machine  et 
la  nécessité  de  ses  résultats   si  désastreux  pour  le 
peuple  ;  par  la  simple  analyse  des  faits ,  et  comme 
le  dit  le  titre  de  son  livre,  par  le  Détail  de  la  France , 
il  nous  en  apprend  plus  que  les  plus  éloquentes  in- 
vectives. C'est  là  ce  qui  le  distingue  de  Fénelon,  de 
Duguet,  de  Boulainvilliei*s  et  de   Saint-Simon.  Sans 
haine  contre  Louis  XIV  qu'il  respecte   et  dont  rien 
ne  prouve  qu'il  ne  fût  un  sujet  obéissant  et  dévoué  , 
sans  passion  contre  ses  ministres  dont  il  se  plaît  à 
reconnaître  les  bonnes  intentions  en  déplorant  les 
erreurs  auxquelles  ils  sont  presque  fatalement  con- 
damnés, sans  prévention   enfin   ni  pour  ni   contre 
aucun  ordre  de  la  socitMé,  il  attaque  le  système  éco- 

11 


li>^  ROISGUILLEBERT. 

nomique  de  la  France  en  lui-même ,  et  s'étonae , 
non  pas  qu'il  ait  produit  tant  de  misères,  mais  qn'il 
nVn  ait  pas  produit  davantatre.  On  vondrait  sans 
tloute  que  sou  livre  fiU  moins  confus  et  moins  diffos, 
d'un  lanp^ajQ^e  plus  net  et  moins  embarrasse  ,  et  qu'il 
eût  plus  souvent  une  autre  éloquence  que  celle  des 
laits.  Son  ouvrage  y  eiU  certainement  ^agné,  et  aurait 
eu  plus  d'effet  sur  lopinion.  Mais  il  est  incomp<irable 
pour  la  connaissance  précise  des  choses.  Tous  les 
écrivains  du  XVll*si«Vle,  qui  ont  touché  aux  matières 
politiijuos  et  sociales,  s'en  tiennent  à  des  idées  géné- 
rales et  de  convention  :  dans  leur  délicatesse  littéraire, 
ils  seinhlent  craindre  de  souiller  leui  lieau  langage 
t»n  s*abais"5ant  au  détail,  ou  plutôt  ils  ne  le  voient 
pas  et  ils  s'enterment  dans  un  idéalisme  pompeux  et 
mairnitique ,  qu'il  ne  tant  pas  trop  monder,  de  penr 
iVy  t  mu  ver  le  néant.  La  PoUtiqu**  sacrée  de  Bossuel 
m*  dillere  |>;îs  en  cela  des  ouvrages  oubliés  du  P. 
Leniovne,  de  Séii -ut  et  de  tant  d*autres,  sur  les 
qualités  d'un  mi.  Au  lieu  de  démonter  un  à  un  tous 
les  ressorts  de  la  machine  politique,  au  lieu  de  faire 
iaualvse  et  l'anatoiuie  des  fonctions  sociales  et  de 
leui>«  rapports,  on  imagine  tout  d'abord  un  prince 
idéal  qu*on  surcharge  de  toutes  les  vertus ,  même  de 
celles  qui  lui  seraient  le  plus  inutiles,  pour  ne  piis 
diiv  le  plus  nui-'ibles  :  le  peuple ,  ses  droits ,  sa  vie 
laborieuse .  ses  lH*soins  et  ses  misères,  tout  s'éclipse 
et  disjxinùt  devant  ce  soleil  de  la  royauté.  On  est 
ébloui,  et  rien  de  plus.  Hoiss^uillebert  a  horreur  de  la 
spéculation  :  les  choses  de  i^ili tique  et  d'administni- 
tion  sont  choses  pratiques ,  et  la  pratique  seule  pent 
le<  «■ci.iiter.  lu  .lâii-  ultent  .  nu  aiti<;ui ,  un  commer- 


BOIflGTJILLEBBRT.  fth^ 

Ç®*^%,  rhomme  qui  a  inlen*ogé  et  pmtiqné  ces  difTë- 
^*^ts  corps  dVtat,  en  sait  plus  sur  les  sources  de  la 
^'^  «l  de  la  prospérité  des  peuples ,  cpie  les  ministres 
^^  lenrs  conseillers,  gens  spéculatifs  et  qui  n'ont  ja- 
'^^is  vu  de  près  la  réalité.  Aussi,  avec  quel  mépris  et 
4^ielle  indignation  Boisguillebcrt  ne  traite-t-ii  pus  la 
^ence  des  financiers,  de  ces  faiseurs  de  systèmes  ou 
^<i  ces  proposeurs  d'avis,  qui  ignorent  ou  veulent 
^KQorer  que  la  ricbesse  du  roi  est  inséparable  de  celle 
des  peuples,  et  qui   s'inquiètent  peu   que  tout  soit 
anéanti,  pourvu  que  le  ti-ésor  du  roi  se  remplisse  et 
qu'ils  fassent  eux-mêmes  fortune  à  l'ombre  des  inté- 
rêts sacrés  du  prince  !  Avec  quelle  ironie  il  parle  de 
ces  profonds  politiques  qui  veulent  à   toute  force 
que  le  blé  soit  à  bas  prix ,  comme  s'il  poussait  sans 
travail  et  sans  avances  d'argent,  ainsi  que  les  cham- 
pignons ou  que  les  truffes  !  C'est  à  MM.  de  Chevreuse 
et  de   Beauvilliers  que  s'adresse  directement  celle 
dernière  attaque  de  Boisguilleberl;  mois  elle  s'adresse 
aussi  indirectement  à  tous  ces  spéculatifs  improvisés, 
si  nombi*eux  dans  le  monde,  dont  l'ignorance  voit  le 
suprême  bien  de  l'État  dans  ce  qui  fait  réellement 
la  ruine  de  l'agriculture  et  par  suite  de  l'État  tout 
entier.  Nulle  part ,  que  je  «iche ,  les  mois  d'observa- 
tion et  d'analyse  ne  sont  prontmcés  dijus  les  écrits  de 
Boisguillebert  ;  mais  c'est  à  l'observation  et  «i  l'analyse 
seules  qu'il  a  recours  dans  ses  travaux  économiques. 
Il  se  sépare  en  cela  de  tous  les  écrivains  dogmatiques 
do  XVII*  siècle,  qui  procèdent  toujours  à  f»^an  et  par 
arguments,  à  la  façon  des  orateurs. 

One  résulte-t-il  de  cet  amour  de  la  pratique  et  de 
la  réalilé,  (fui  ron«luil  à  la  seule  mélhodo  rai-*oun.Ml>!i' 


164  B0ISGU1LL£B£RT. 

('t  féconde  dans  les  spéculations  politiques  ?  C'est  que, 
même  à   ne  considérer  dans  Boisguilleberl  que  la 
partie  polémique  et  critique ,  il  nous  fuit  connaître 
le  XVII'  siècle  sous  un  jour  tout  nouveau.  Il  faut  le 
dire  et  ne  pas  craindre  de  le  répéter  à  satiété ,  le 
grand  siècle  ,  comme  on  le  nomme ,  a  fait  illusion  à 
la  plupart  des  liistoricns  et  des  moralistes ,  et  cette 
illusion  dure  cncoro.  Ce  n'est  pas  seulement  sur  sa 
prospérité  qu'on  se  trompe,  séduit  parles  magnifi- 
cences de  la  cour  et  par  le  luxe  de  certaines  classes, 
et ,  je  l'avoue  ,  par  le  mouvement  industriel  et  com- 
mercial qui  signale  les  premières  années  du  règne 
personnel  de  Louis  XIV.  On  ne  s'aperçoit  pas,  en  effet, 
que  ce  mouvement  ne  pouvait  durer  longtemps  et  qu'il 
devait  nécessairement  faire  place  à  la  plus  profonde 
misère,  si  la  prohibition  ,  au  lieu  d'être  une  mesure 
transitoire  de  quelques  années,  devenait  un  système; 
si  la  manie  de  tout  n^glementer,  au  lieu  de  disparaître, 
prenait  tous  les  jours  des  proportions  plus  excessives; 
si  le  pays  continuait  à  être  divisé  de  lui-même  par 
des  douanes  intérieures;  si  enGn  les  impôts  conti- 
nuaient à  être  aliVrmés  à  des  compagnies  puissantes 
contre  lesi|uelle3  les  ordonnances  et  la  probité  des 
ministres  échouaient  toujours  à  la  longue.  Mais  on  se 
tromi)e  surtout  sur  le  degré  de  civilisation  de  cette 
époque.  Les  manières,  sans  doute,  étaient  polies,  les 
mœurs  galantes ,  les  sentiments  Uns  et  délicats,  les 
relations  privées  pleines  de  charmes  et  de  douceur; 
mais  le  sens  de  la  justice  et  de  l'humanité  est  absent 
du  gouvernement  et  de  l'administration ,  parce  que 
l'individu  est  inq)itoyablemenl  immolé  aux  intérêts 
bien  ou  mal  entendus  de  IKtaL  ou  plutôt  de  la  royauté 


BOISGmiXKBEHT.  165 

et  même  de  la  personne  du  roi.  II  sembluil  que  tout 
le  monde  acceptât  comme  une  vérité  d'Évangile  cette 
insolente  parole  de  Louis  :  «  L'État,  c'est  moi.  »  Si  je 
voulais  citer  quelques  parties  de  la  correspondance 
de  Colbert,  particulièrement  au  sujet  de  sa  fameuse 
mui-ine  à  rames  de  la  Méditerranée,  ou  bien  quelques 
passages  des  Larmes  de  Chambrun ,  ministre  protes- 
tant, on  serait  étonné  qu'une  inhumanité  si  brutale 
pût  subister  dans  une  société  si  polie  et  à  tant 
d'égards  si  éclairée.  Mais  il  n'est  pas  nécessiiire 
de  sortir  de  notre  auteur  ni  des  exemples  que  j'ai 
déjà  cités.  Vous  avez  payé  votre  taille  ;  vous  ré- 
pondrez solidairement  pour  les  gens  de  la  commune 
qui  ne  l'ont  pas  acquittée.  Le  roi  ne  peut  perdre  ses 
droits,  et  vos  bestiaux  seront  vendus  pêle-mêle  avec 
ceux  des  autres.  Vous  avez  été  nommé  collecteur  à 
votre  coips  défendant  :  il  faut  que  vous  fournissiez 
aux  gens  du  roi  l'argent  que  vous  n'avez  pas  reçu  ; 
sinon ,  vous  pourrirez  sur  la  paille  d'une  prison  hu- 
mide, et  encore  faudra-t-il  que  vous  vous  nourrissiez 
à  vos  frîds,  quoique  l'État  vous  prenne  et  votre  temps 
et  votre  liberté.  Vous  ne  pouvez  apporter  le  montant 
de  votre  taille,  cette  maison  que  vous  possédez  et  qui 
est  peut-être  tout  votre  avoir  paiera  pour  vous.  Le 
bois  et  le  plomb  qui  entrent  dans  sa  construction  fe- 
ront bien  la  valeur  de  votre  cote.  Je  ne  sais  pas  si  l'on 
a  jamais  poussé  plus  loin  l'absurde  dans  la  violation 
du  droit  individuel  et  de  l'humanité.  Et  c'était  le  bon 
temps ,  le  grand  règne  !  Ah  !  nous  devons  nous  féli- 
citer que  la  philosophie  du  XVIIl*  siècle  et  la  Révo- 
lution, que  les  aveugles  ne  cessent  de  maudire,  aient 
balayé,  pour  notre  dijj:nilé  d'hommes  comme  pour 


166  U01SGU1LL£BEHT. 

notre  ti-anquillitc ,  ce  régime  du  droit  divin  avec  se:? 
courtisans,  ses  courtisanes  de  haut  pairage  et  ses  bai- 
biles  à  travailler  un  royaume  en  finances  ! 

Mais  le  Détail  de  la  France  n'est  pas  seulement 
négatif  et  critique  :  il  est  surtout  remarquable  par 
rallirroati(m  et  le  clair  pressentiment  de  la  plupart 
des  principes  de  la  science  économique.  Nul  n'a  mienx 
expliqué  que  Hoisguillebeit  la  fonction  de  la  monnaie 
dans  les  échanges ,  et  quelle  est  son  utilité  relative. 
Hoisguillebert  parle  quelquefois  comme  si  l'argent 
produisait  la  ricliessi'  ;  mais  il  ne  faut  pas  s'y  tromper  : 
s'il  insiste  sur  les  prodigieux  effets  que  produit  l'ar- 
;:reut  en  circulant ,  il  n'ignore  piis  qu'en  lai-méme 
l'argent  n'est  rien  ,  et  que  c'est  indirectement  par  le 
travail  qu'il  piiie  et  qu'il  surexcite,  qu'il  est  le  prin- 
cipe de  la  richesse.  Après  avoir  défini  la  richesse, 
une  ample  jouissance  des  besoins  de  la  vie  ,  l'écono- 
miste normand  décrit  ainsi  le  rOle  du  numéraire  : 
((  L'argent  n'est  absolument  d'aucun  uscige  pur  lui- 
même  ,  n'étant  propre  ni  à  se  nourrir ,  ni  à  se  vêtir, 
et  nul  de  tous  ceux  qui  le  recherchent  avec  tant 
d'avidité,  et  à  qui,  pour  y  parvenir,  le  bien  et  le  mal 
sont  indifférents ,  n*est  porté  dans  cette  pourMiite 
qu'afin  de  s'en  dessaisir  aussitôt ,  pour  se  procui'«r 
les  besoins  de  son  état  ou  de  sa  subsistance.  *L'ai*gent 
((  n'est  donc  tout  au  plus  et  n'a  jamais  été  qu'un 
moyen  de  recouvrer  les  denrées,  parce  que  lui-même 
n'est  acquis  que  ]>ar  une  vente  précédente  de  den- 
rées, cette  intention  étant  généralement,  tant  dans 
(Tux  qui  le  reijoivenl  que  dans  ceux  qui  s'en  dessai- 
sissent :  en  sorte  (|ue  si  tous  les  besoins  de  la  vie  se 
n'dnisiiiont  à   trois  t\\\  fiualrr  espèces,   l'échange  se 


BOlSGUILLËBEliT.  IU7 

t'ai$>aiit  iiuiuëdiuleiiient  et  troc  pour  Irnc ,  ce  qui  ^e 
pratique  même  encore  en  bien  des  contréej? ,  les  mé- 
taux, aujourdliui  si  précieux,  ne  seraient  d'aucune 
utilité.  M  Ce  n'est  donc  que  «  commcgarunt  tout  au  plus 
des  échanges  et  de  lu  tradition  réciproque  que  l'argent 
a  été  appelé  dans  le  monde  ,  lorsque  la  corruption  et 
la  politesse  eurent  multiplié  les  besoins  de  la  vie^  de 
trois  ou  quatre  espèces ,  qu'ils  étaient  dans  son  en- 
fance ,  jusqu'à  plus  de  deux  cents  où  i's  se  trouvent 
aujourd'hui  :  ce  qui  fait  que ,  n'y  ayant  pas  moyen 
que  le  commerce  et  le  troc  s'en  fassent  de  main  en 
main,  comme  dans  ces  temps  d'innocence,  et  le  ven- 
deur d'une  denrée  ne  trafiquant  pas  le  plus  souvent 
avec  le  marchand  de   celle  dont  il  a   actuellement 
besoin  et  pour  le  recouvrement  de  laquelle  il  se  des- 
saisimit  de  la  sienne,  rar<^^ent  alors  vient  au  secours 
et  la  i*ecette  qu'il  en  fait  de  son  acheteur  lui  est  une 
procuration  ,  avec  gamntie  ,  que  son  intention  sera 
eflcctuëe  en  quelque  lieu  que  se  trouve  le  marchand, 
et  cela  pour  autant  et  sur   un  prix  courant  et  pro- 
portionné à  ce  qu'il  s'est  dessaisi  les  mains  de  la 
denrée  dont  il  était  propriétaire  ;  voilà  donc  l'unique 

fonction  de  l'argent H   faut    bien  faire  une  rô- 

tlexion  ,  savoir  que  cette  fonction  est  si  peu  singu- 
lière à  l'argent,  quelque  idée  qui  régne  au  contraiio, 
qu'il  n'en  fait  pas  la  dixième  partie,  et  même  la  cin- 
quantième dans  les  temps  d'opulence,  qui  n'est  autre 
chose  qu'un  grande  consommation  ,  c'est-à-dire  une 
très-grande  richesse.  Le  papier  ,  le  parchemin  ,  el 
même  la  parole  en  font,  encore  une  fois,  cinquante 
fois  plus  que  lui  ;  ainsi ,  on  a  grand  tort ,  dans  les 
occasions  de  misère,  dr  mettre    la  causi?  des  désor- 


no  lUMSiJl  ILLEBLKT. 

de  proclic  «MI  luiiclie  los  autres  propriélés» ,  i]uolle> 
ifirrllcs  soitMit,  par  une  sorte  de  contagion  invincible, 
l'n  peuple  s'inia^iiie  qu'en  frappant  de  taxes  énormes 
les  ma  relia  udises  étrangères  .  il  enricliit  son  propra 
t'oninierre,  et  il  ne  s'apereoit  pas  que,  s'il  n'achète 
pas  aux  élrtin.uors,  le.s  étrani;:ers  a  leur  tour  ne  lui 
acheltMit  plus,  et  (pu*  tout  son  surplus  lui  devient  non 
seulement  inutile,  mais  dommageable,  parce  que  les 
produits  de  son  a<;riculture  et  de  son  industrie, 
n'ayant  |»oint  de  déitouelié  ,  perdent  de  leur  valeur: 
et  ainsi  Tespèce  de  [u-op(u-tion  qui  doit  être  entre  les 
prix  des  marchandises.  |)our  que  les  ditlerents  pro- 
duclenrs  y  trouvent  leur  conqite ,  venant  à  >e 
ronqtn*  «  ))orte  la  |>erturhation  dans  tout  le  corps  de 
l'Klat. 

((  11  y  a  euciue,  dit  ll<»is^uillel»ert,  une  attention  à 
l'ail e,  qui  est  que  ce  déstudre  durera  éternellement 
si  ce  traiie  (»u  cet  écluiu«;e  ,  si  nécessaire  et  si  utile  , 
ne  se  lait  avec  un  protit  réciproque  de  toutes  les  (lar- 
lies,  c'est-à-dire  tant  des  vendeurs  que  des  aclieleurs, 
^<iit  qu(*  h'  conuuiMce  se  tasse  ^u\r  le  canal  de  l'urgent 
ou  par  troc  d<'  denrée  à  deinée;  et  celui  qui  prétend 
l'aire  autremtMit.  nnn->eulemeut  ruine  son  correspon- 
liant .  mais  se  détruit  lui-nuMm*.  Si  le  pi*euiicr  labou- 
reur, tratitpiant  uniquement  avec  le  pasteur,  ne  lui 
avait  p;is  vnulu  dtunier  as>ez  de  blé  pour  se  nourrir, 
pendant  ipi'il  eut  exiué  de  lui  tout  son  vtMeraent  né- 
ct»ssaire,  tiriMles  dépiuiiilesttes  bètes,  non-seulement 
il  lauiait  l'ait  momir  tie  t'aim,  mais  il  aurait  lui-même 
péri   dans   la  ^uili*   de    froid,  en    detru'^ant  le  seul 
«Mi\rier   de   n»  l>e>oiu    >i    pres>ant .   siivoir   le  véte- 


IHllSGUILLEBKKT.  17 1 

•  Et  cette  harmonie  d'une  nécessite,  si  indispensable 
alors  entre  ces  deux  liomuies ,  est  de  lu  même  obli- 
gation entre  plus  de  deux  cents  professions  qui  com- 
posent aujourd'hui  ie  maintien  de  la  France.  Le  bien 
et  le  mal  qui  arrivent  à  tontes  en  particulier  est  soli- 
daire à  toutes  les  autres,  comme  la  moindre  indis- 
position survenue  à  l'un  des  membres  du  corps 
humain  attaque  bientôt  tous  les  auti*es  et  fait  par 
suite  périr  le  sujet,  si  on  n'y  met  ordre  incontinent.  •> 

Ainsi,  selon  Boisguilleberl,la  condition  économique 
de  Tordre  comme  de  la  richesse  sociale,  c'est  l'échange 
d'homme  à  homme ,  de  peuple  à  peuple ,  sur  le  pied 
de  l'égalité,  de  manière  que  les  deux  parties  con- 
tnictamtes  v  trouvent  leur  avanta<i:e.  Mais  comment 
pourra  s'établir  et  se  maintenir  cette  égalité,  l'homme 
ne  cherchant  (jue  son  intérêt  et  croyant  trouver  son 
profil  dans  le  détriment  d'autrui?  La  nature  y  a 
pourvu.  Laissez  pleine  liberté  aux  échanges,  et  du 
choc  des  intérêts  sortira  l'équilibre,  la  justice  :  a  II  est 
nécessaire,  dit  Boisguillebert,  que  chacun,  tant  en  ven- 
dant qu'en  achetant ,  trouvi»  également  sou  compte . 
i;'est-à-dire  que  le  profit  soit  justement  partagé  entre 

l'une  et  l'autre  de  ces  deux  situations Mais  c'est  a 

la  nature  seule  à  y  mettre  cet  ordre  et  i\  y  entre- 
tenir la  paix  ;  toute  autre  autorité  gilte  tout  en  vou- 
lant s'en  mêler,  quelque  bien  intentionnée  qu'elle 
soit.  » 

Boisguillebert  était  donc  euneuii  de  ces  mille  règle- 
ments qu'on  avait  mis  autour  du  commerce  français, 
et  qui ,  au  lieu  d'être  des  lisières ,  comme  ou  l'uspé- 
rait ,  pour  le  soutenir  dans  sa  marche  ,  n'étaient  que 
de.s  i»nlravesqui  paralysaient  ses  mouviMuents.  Aussi. 


ilû  DOliiiGUILLEBEi&T. 

confondant  Colbert  avec  ses  maladroits  imitateurs ,  il 
lo  juge  en  toute  circonstance  avec  une  sévdritc  qui 
touche  à  l'injustice.  D'ailleurs ,  les  principes  au  nom 
desquels  il  condniilne  le  grand  ministre  et  le  système 
restrictif  et  probitif  qui,  à  tort  ou  à  raison ,  paraissait 
son  oeuvre ,  sont  aussi  vrais  qu'ils  sont  humains.  Ils 
étaient  absolument  neufs  à  son  époque.  Si  on  les 
compare  à  ceux  de  Duguet  et  de  Fénelon,  pournepsis 
parler  de  Saint-Simon  et  de  Bouiainvilliei*s,  Bois^iile- 
hcrt  ])araîtra  un  homme  qui  pense  au  milieu  d'enfants 
qui  bégaient.  Duguet ,  quoique  d'une  imagination 
fleurie,  plutôt  que  forte  et  solide,  ne  va  pas  jusqu'à 
donner  dans  les  utopies  du  Télémaqiœ;  mais  il  œ 
serait  pas  opposé  à  quelque  bonne  loi  soniptuaire , 
c'est-à-dire  à  quelque  chose  d'aussi  chimérique  et 
d'aussi  puéril ,  que  ce  beau  règlement  de  Mentor 
{  pour  n'en  citer  qu'un  seul),  qui  condamnait  comme 
Iripon  tout  marchand  ayant  mis  dans  le  commerce 
(dus  de  la  moitié  de  son  bien.  C'est  ainsi  que  Pénelou 
entendait  \v.  commerce  ;  pour  l'assurer  et  le  rendre 
honnête ,  il  supprimait  tout  d'abord  le  crédit  qni  en 
est  l'Aine.  Les  docleui-s  en  théologie,  qui  se  mêlaient 
d'économie  comme  de  tant  d'autres  choses,  se  mon- 
traient tout  aussi  éclairés.  Je  ne  veux  point  rappeler 
leur  éti-ange  décision ,  rendue  en  Sorbonne  une  dou- 
zaine d'années  après  la  publication  du  Détail  de  la 
Fraiwe ,  par  laquolle  le  roi  était  déclaré  propriétaire 
de  tous  les  biens  de  ses  sujets  et ,  par  conséquent , 
niaitre  den  user  et  abuser  selon  son  bon  plaisir. 
Mais  nous  voyous  ces  savants  docteurs ,  dans  phi- 
sieurs  assemblées  du  clergé,  condamner  de  par  saint 
Thomas  tout  iuléri^t  comme  usuraire.  C'était  aussi 


BOIS&UILLEBBRT.  1 73  • 

I  opnion  de  Bossoet,  qui  a  môme  laissé  un  petit  écrit 
sur  ce  gujet.  Ces  graves  tiiéologiens  étaient  si  pro- 
fondément versés  dans  les  questions  d'économie, 
qu'aucun  d'eux  ne  s'avisait  de  celte  vérité  élémen- 
taire, que  rintérét  de  Targent  n'est  ni  plus  ni  moins 
légitime ,  ni  plus  ni  moins  contraire  à  la  justice  et  à 
i'/iomanité,  que  la  rente  d'un  champ  ou  d'une  maison. 

II  est  vrai  qu'on  rencontre  dans  Pénelon,  dans  Mas- 
sillon,  comme  dans  Labruyère  ,  c'est-à-dire  dans  les 
écrivains  illustres  de  la  fin  du  XVII*  siècle,  un  sen- 
timent qui  est  trop  étranger  à  leurs  prédécesseurs. 
Les  conseils  pour  la  Direction  de  la  conscience  (fun 
roi  respirent  une  humanité  inconnue  à  Pascal  et  à 
Bossuet.  Jamais  on  n'a  écrit  de  pages  plus  vivement 
senties  sur  la  communauté  humaine  ou  snr  la  soli- 
darité qui  unit  entre  eux  les  hommes  et  les  peuples. 
Mais  ce  qui  n'est  dans  Fénelon  qu'un  sentiment ,  est 
déjà  dans  BofsguiUebert  une  vérité  qui  a  la  valeur 
d'une  donnée  et  d'une  théorie  scientifiques. 

Les  Conseils  pour  la  direction  d'un  roi  frappent  sensi- 
blement le  cœur  et  l'imagination  ;  et  cependant  ils 
laissent  la  même  impression  vague  que  le  traité  de 
Nicole  sur  la  paix  parmi  les  hommes.  De  même  qu'en 
lisant  l'opuscule  de  Nicole  ,  nous  voyons  bien  que 
rien  n'eBt  plus  désirable  que  la  concorde,  mais  sans 
apercevoir  les  moyens  de  l'établir,  parce  que  les 
causes  qu'il  assigne  à  nos  inimitiés  et  à  nos  luttes 
sont  le  plus  souvent  chimériques  ;  de  même ,  tout  en 
nous  faisant  vivement  sentir  les  liens  qui  unissent 
naturellement  les  hommes  et  qui  ne  devraient  cesser 
de  les  unir ,  Fénelon  laisse  subsister  la  cause  éter- 
nelle qui  nous  divise,  je  veux  dire  ce  faux  préjugé 


1 7i  ftlISGUILLBBKRT. 

(lu  sens  roinmiiii,  que  lo  bien  et  le  pmfit  de  Tun 
no  peuvent  se  faire  que  par  le  mal  et  un  détriment 
de  Taulre.  Or,  loucliez  tant  que  vous  le  voudrez  leR 
(CPurs  par  de  belles  paroles  de  charité  et  d'amoar;  H 
u  y  a  point  de  raisons  de  sentiment,  il  n'y  n  point  de 
raisons  mystiques  qui  puissent  prévaloir  contre  ce 
fatal  préjugé.  Boistçuillebert  s'est  élevé  le  premier 
fontre  celte  erreur  univei'sellement  réi^indue  ;  il  a  le 
premier  mis  en  lumière  que  le  commerce  n'était  es- 
senliellenienl  et  par  nature  qu'un  échange  oi^  le» 
deux  iKirties  cen tractantes  doivent  tronver  lenr 
compte  ,  mais  qu'il  ne  pouvait  être  utile  à  l'un  et  â 
l'autre  ([u'autant  qu'il  se  pratiquait  librement;  et 
qu'enfin  pour  mettre  dans  les  coRurs  l'humanité  et  la 
concorde,  il  fallait  d'abord  laisser  la  solidarité  s'éta- 
blir entre  les  intérêts  par  le  cours  naturel  des  choses. 
Seul  il  donne  un  fondement  solide  h  ces  sentiments 
d'humanité  ([ui  charmaient  l'imagination  et  le  cœnr 
de  Fénelon  ;  ce  fondement,  c'est  la  solidarité  naturelle 
des  intérêts  entre  les  individus  d'une  même  nation  et 
entre  les  ditt'érents  peuples.  II  retrouve  et  il  démontre 
cette  vérité  que  Sully  avait  entrevue  lorsque  ce 
ministre  disait  à  H«'nri  IV,  pour  s'opposer  t\  l'introduc- 
lion  du  mûrier  tlans  notre  pays  :  «  En  premier  lieu. 
Sire ,  Votre  Ma  je>ité  doit  mettre  en  considération 
qu'iiutant  qu  il  y  a  de  divers  climats  ,  régions  et  con- 
trées, autant  semble-t-il  (fue  Dieu  les  ait  voulu  diver- 
sement faire  abonder  en  certaines  propriétés  ,  com- 
modités, flenrées,  matières,  arts  et  métiers  spéciaux 
et  particuliers  ,  qui  ne  sont  point  (choses)  communes 
ou  pour  le  moins  de  telle  bouté  aux  autres  lieux,  afin 
qnr  par   h»  c(»ininerc('  et   tratic  de  ces  choses,  donf 


BOISGVILLEBERT.  175 

les  ans  ont  «ibondance  et  les  autres  disette ,  la  fré- 
quentation, conversation  et  société  humaine  soient 
entretenues  entre  les  nations,  tant  éloignées  pussent- 
elles  être  les  unes  des  autres ,  comme  ces  f^rands 
voyages  anx  Indes  orientales  et  occidentales  en  ser- 
vent de  preuve.  »  Voilà  ce  qui  n'occupait  guère  la 
pensée  de  Biilzac,  de  Pascal  et  de  Bossuet,  et  ce  que 
ne  soup<;;onnaieut  pas  davantage  les  génies  déjà  plus 
humains  de  la  fm  du  X\IV  siècle ,  les  I^ibruyère ,  les 
Duguet,  les  Fénelon  et  les  Saint-Simon,  Voilà  ce  que 
devaient    vulgariser   nos    économistes    français    du 
XVIII*  siècle  •  que  l'on  a  trop  Siicrifiés  à  Adam  Smith 
et  à  récole  anglaise  ;  car  ils  sont  les  seuls  ciiez  qui 
la  science  économique  soit  véritablement  est  pleine- 
ment  Téconomie  politique  et  non  je  ne  sais  quelle 
routine  empirique  étrangère  à  la  justice,  au  bien  ou 
au  mal  des  sociétés.  Or,  Boisguillebert  est  incontesta- 
blement le  devancier  et  le  promoteur  des  belles  con- 
ceptions des  physiocrales.  iVe^i  de  lui  san^  doute  que 
le  docteur  Quesnai  a  tiré  une  partie  de  ses  idées,  en 
leur  imprimant  plus  de  profondeur  et  de  précision 
scientifique  et  surtout  plus  de  netteté  incisive.  On 
ne  fait  donc  que  rendre  justice  à  Boisguillebert  en 
disant  que  cet  obscur  magistrat    de  Koucn ,  à  qui 
Pontcharlrain  tournait  le  dos  comme  à  un  rêveur 
^l  à  un  fou,  est  le  père  de  la  science  économique, 
à  peine  soupçonnée  de  l'antiquité  et  du  moyen-âge. 
Notre  inventeur,  comme  il  devait  bien  s'y  atten- 
dre, prêcha  dans  le  désert,  et  la   paix  qui   se  fit 
Tannée  même  où  fut  publié  le  Détail  de  la  France 
ne  changea  rien  à  la  situation  économique  du  pays. 
Ot^pendant,  Chamillai'*! ,  successeur  de  Ponlchartiain 


■I 

i 


i7G  BOISGUILLEBERT. 

et  plus  incapable  que  lui,  s*il  est  possible ,  montra 
du  moins  quelque  bonne  volonté  et  sembla  penser  j 
mettre  sérieusement  à  l'étude  la  grave  question  sou 
levée  par  Boisguillebert.  Il  fit  ordonner  en  1701  Téta 
blissement  d'un  conseil  général  du  commerce ,  com 
posé  de  quatre  conseillers  d'État ,  de  deux  maltrei 
des  requêtes  et  de  douze  des  principaux  commerçanti 
du  royaume. 

Les  délégués  du  commerce  remirent  bientôt  ai 
Conseil  des  mémoires,  où  sont  franchement  débat- 
tus les  avantages  et  les  inconvénients  de  la  libertc 
commerciale.  Nous  avons  encore  neuf  de  ces  mé- 
moires. Un  seul ,  celui  des  délégués  de  Rouen ,  se 
prononce  pour  le  système  prohibitif.  Les  autres  (ceux 
des  délégués  de  Dunkerque,  de  Nantes,  de  la  Ro- 
chelle, de  Bordeaux,  de  Bayoïme,  du  Languedoc, 
de  Lyon  et  de  Lille)  sont  hostiles  au  régime  de  Gol- 
bert,  et  sans  traiter  la  question  générale  de  la  pro- 
duction et  des  finances  comme  Boisguillebert ,  con- 
firment une  partie  de  ses  vues.  «  11  faut ,  y  est-il  dit , 
revenir  de  la  maxime  de  M.  de  Colbert,  qui  préten- 
dait que  la  France  peut  se  passer  de  tout  le  monde. 
C'est  aller  contre  la  nature  et  contre  les  décrets  de 
la  Providence^  qui  a  distribué  des  dons  différents  aux 
peuples  différents  pour  les  obHger  à  entretenir  un 
commerce  réciproque,  à  se  rechercher,  à  s'entr'aider 
par  un  échange  mutuel  des  biens  qu'ils  possèdent , 
et  à  former  des  relations  d'amour  au  lieu   de  ces 
haines  qu'entretient  la  guerre  commerciale  des  tarifs. 
Voilà  l'origine  du  commerce  et  ce  qui  le  perfectionne. 
Ce  n'est  plus  un  commerce  que  de  fournir  nos  den- 
rées et  nos  manufactures  aux  étrangei-s,  et  de  ne  tirer 


BOISGUILLEBERT.  177 

d'eoxffne  de  l'argent.  Les  étrangers  nous  renvoient 
guerre  pour  guerre.  Nous  repoussons  leurs  marchan- 
dises, ils  repoussent  les  nôtres,  et  nos  manufactures 
n'en  sonffrent  pas  moins  que  notre  agriculture  qui 
o'a  pins  de  débouchés  pour  le  surplus  de  ses  denrées. 
C'est  la  liberté  qui  est  l'âme  et  Téléraent  de  tout 
commerce  ;  c'est  le  défaut  de  liberté  qui  cause  l'ex- 
trême abaissement  où  le  commerce  est  actuellement 
rédait.  Qu'on   favorise   nos  produits  par  des  taxes 
ïDodiques  sur  ceux  des  étrangers;  on  le  conroit.  Mais 
lorsqu'une  manufacture  est  née  viable ,  qu'elle  peut 
écouler  ses  produits  sur  les  marchés  soit  du  dedans, 
soit  du  dehors,  elle  n'a  pas  besoin  d'ùtre  appuyée 
par  des  impositions  et  de  grands  droits.  Que  si  elle 
ne  peut  s'établir  et  subsister  avec  des  droits  modi- 
ques ,  elle  doit  être  considérée  comme  voulant  s'en- 
richir aux  dépens  du  public.   »  Tous  les  délégués 
étaient  d'ailleurs  unanimes  pour  que  les  conimerçnnts 
fussent  entourés  de  plus  de  considération  et  moins  en 
butte  aux  vexations  des  fermici's  do  l'État  et  des  gens 
de  justice.  Le  député  de  Bordeaux  disait  à  ce  sujet 
que,  pour  échapper  à  de   telles  avanies,  Ions  ceux 
qui  avaient  amassé  que^iuc  fortune  se  retiraient    des 
affaires  :  de  sorte  que  le  commerce  était  fait  par  des 
jeunes  gens  sans  fonds  ,  s<ms  crédit,  sans  expérience, 
ce  qui  causait  journellement  des  banqueroutes.   Ces 
députés  du  commerce  auraient  sans  doute  approuvé 
la  pensée  de  Vauban  qui,  vers  la  môme  époque,  pro- 
posait «  d'accorder  la   noblesse  à  tout   marchand , 
lequel  en  commerce  aurait  gagné  200,000  écus  bien 
prouvés,  à  condition  de  continuer    le    même    com- 
lurrce,  sa  vie  durant.   » 

12 


178  BOISGUILLEBERT. 

Mais  Chamillart  et  ses  commis  en  savaient  sans 
doute  plus  long  sur  le  commerce  que  Vanban,  que 
Boisguillebert,  que  les  principaux  commerçants  eux- 
mêmes  ,  et  tandis  que  les  hommes  les  plus  entendus 
réclamaient  la  liberté,  le  gouvernement  français  pro- 
hiba l'entrée  de  la  plupart  des  mai-chandises  anglaises 
et  frappa  de  droits  exorbitants  celles  dont  l'impor- 
tation était  autorisée.  Cependant,  cette  même  année 
1701 ,  la  guerre  s'était  rallumée  à  l'occasion  de  la 
succession  d'Espagne  ,  et  bientôt  la  misère  et  la  dé- 
tresse devinrent  plus  générales  ot  plus  profondes  que 
dans  la  guerre  précédente.  Boisguillebert  revint  à  la 
charge  et  lança  son  Factum  de  la  France  (1707  ). 

Ce  nouveau  mémoire  avait  été  précédé  de  quelques 
mois  par  la  publication  de  la  Dîme  royale  de  Vanban, 
dont  je  dirai  quelques  mots,  afin  défaire  comprendre 
les  circonstances  dans  lesquels  Boisguillebert  ne  crai- 
gnit pas  de  publier  son  second  ouvrage  ,  ainsi  que  le 
rapport  des  travaux  économiques  du  glorieux  maré- 
chal et  du  modeste  magistrat,  ces  deux  frères  d'armes 
dans  la  défense  du  bien  public.  Vanban ,  qui  depuis 
longues  années  travaillait  à  sa  Dîme  royale  y  non-seu- 
lement avait  pu  profiter  du  livre  de  Boisguillebert,  mais, 
si  nous  en  croyons  Saint-Simon ,  il  avait  voulu  voir, 
entretenir  lauteur,  et  n  peu  attaché  à  ses  propres 
vues,  il  avait  retouché  et  perfectionné  son  ouvrage 
sur  ceux  de  l'auteur  du  Détail  de  la  France,  «•  Il  le 
citait  avec  éloge  dans  sa  Préface,  «r  La  vie  errante 
que  je  mène  depuis  quarante  ans  et  pins ,  dit-il  , 
m  ayant  donné  occasion  de  voir  et  visiter  pttjsieurs 
fois  et  de  plusieurs  façons ,  la  plus  grande  partie  des 
provinces   de    co    royaume ,  tanlAt   seul  avec   mes 


BOIS&CIiLEBERT.  179 

domestîqoes ,  et  tantôt  en  compafs^nie  de  qnelques 
ingénîeors,  j*ai  soavent  eu  occasion  de  donner  car- 
rière à  mes  réflexions  et  de  remarquer  le  bon  et  le 
meoYais  du  royaume,  d'en  remarquer  l'état  et  la 
sitaatioii,  et  celui  du  peuple  ,  dont  la  misère  ayant 
sonTent  excité  ma  compassion ,  m'a  donné  lieu  d'en 
rechercher  la  cause.  Ce  qu'ayant  fait  avec  beaucoup 
de  soin,  j'ai  trouvé  qu'elle  répondait  parfaitomeut  à 
ce  qu'en  a  écrit  l'auteur  du  Détail  de  la  FrancCy  qui 
a  développé  et  mis  au  jour  fort  naturellement  les 
abus  et  mai-&çons  qui  se  pratiquent  dans  l'imposition 
et  la  levée  des  tailles,  des  aides  et  des  douanes  pro- 
viDcialee.  Il  serait  à  souhaiter  qu'il  en  eût  fait  autant 
des  affaires  extraordinaires,  de  la  capitation  et  du 
prodigieux  nombre  d'exempts  (ou  privilégiés)  qu'il  y 
a  présentement  dans  le  royaume,  qui  ne  lui  ont 
guère  moins  causé  de  mal  que  les  trois  autres  qu'il 
nous  a  si  bien  dépeints.  Il  est  certain  que  ce  mal  est 
poussé  à  l'excès  et  que  si  l'on  n'y  remédie ,  le  menu 
peuple  tombera  dans  une  extrémité  d'où  il  ne  se  re- 
lèvera jamais,  les  grands  chemins  de  la  campagne  et 
les  rues  des  villes  et.bourgs  étant  pleins  de  mendiants, 
que  la  faim  et  la  nudité  chassent  de  chez  eux  ».  Con- 
firmant pleinement  le  Détail  de  la  France  pour  tout  ce 
qui  touche  à  la  critique  de  l'administration^  la  Dîme 
rayale  nous  otfre  cette  analyse  résumée  de  la  répar- 
tition de  la  richesse  dans  le  royaume.  «*  Par  tontes 
les  recherches  que  j'ai  pu  faire  depuis  plusieurs 
années  que  je  m'y  applique,  j'ai  très-bien  remarqué 
que,  dans  ces  derniers  temps,  près  de  la  dixième 
partie  du  peuple  est  réduite  à  la  mendicité  et  mendie 
effectivement  ;  que  des  neuf  antres  parties  ,  il  y  en  a 


180  BOISGUILLEBEET. 

cinq  qui  ne  sont  pas  en  état  de  faire  l'aumône  à 
celle-là,  parce  qu'elJes-mémes  sont  réduites,  à  Irès- 
peu  de  chose  près  ,  à  cette  malheureuse  condition  ; 
que,   des  quatre  autres  parties  qui  restent,   trois 
sont  fort  malaisées  et  embarrassées  de  dettes  et  de 
procès ,  et  que  dans  la  dixième  où  je  mets  tous  les 
gens  d'épée,   de  robe,  ecclésiastiques  ou  laïques, 
toute  la  noblesse  haute,  la  noblesse  distinguée ,  les 
gens  en  charge  militaire  et  civile,  les  bons  marchands, 
les  bourgeois  rentes  et  les  plus  accommodés ,  on  ne 
peut  pas  compter  sur  cent  mille  familles  ;  et  je  ne 
croirais  pas  mentir  quand  je  dirais  qu'il  n*y  en  a  pas 
dix  mille,  petites  ou  grandes ,  qu'on  puisse  dire  être 
fort  à  leur  aise  ;  et  qui  en  ôterait  les  gens  d'affaires , 
leurs  alliés  et  adhérents  couverts  et  découverts ,  et 
ceux  que  le  roi   soutient  de   ses  bienfaits ,  quelques 
mai-chauds,  etc.,  je  m'assure  que  le  reste  serait  en 
petit  nombre.  »  Vauban    rappelle    plutôt    qu'il   ne 
développe  ce  que  Boisguillebert  dit  de  la  taille,  des 
aides  et  des    douanes.    Il    s'accorde  avec    lui  sur 
presque  tous  les  principes  économiques ,  mais  en  y 
insistant  moins,  à  savoir  :  que  le  travail  est  le  principe 
de  la  richesse ,  et  l'agriculture  le  travail   par  excel- 
lence; que  les  taxes  indirectes  nuisent  à  l'entretien 
du  peuple,  au  commerce  et  à  la  consommation  ;  que 
la  Hberté  de  l'industrie  et  du  commerce  est  un  bien 
et  que  toutes  les   entraves  qu'on  y  apporte  sont  un 
grand  mal  ;  qu'il  est  insensé  de  pousser  à  l'accrois- 
sement  des  classes    improductives    de    la    société 
(prèti*es,  olUciers  de  justice,  etc.);  et  qu'enfin  on 
doit  toujours  se  tenir  en-deçà  plutôt  qu'au-delà  des 
limites  que  la  raison  commande  à  l'impôt.  Mais  il  est 


BOISGUILLEBJSRT.  184 

^n  point  sur  lequel  Vauban   est   plus  net  que  Bois- 

iNUebert  lui-même.  L'impôt,  tel  que  l'entend  celui- 

^*>  doit  sans  doute  être   universel  et  proportionnel. 

*«is  cela    n'est    énoncé   qu'incidemment    dans  le 

-^^ildela  France  y  et  comme  perdu,    noyé  dans  ce 

"^^e  diffus.  Vauban  fait,  de  cette  universalité  et  de 

*^^te proportion,  le  principe  nécessaire  de  toute  justice 

^i^tributive  dans  l'État.   Il  le  jelte   en  tête  de  sa 

"^me  royale  et  dès  la  préface;  il  y  revient  à  tout 

l^^opos,  comme  à  un  axiome  incontestable,  comme  à 

^^  règle  suprême  de  toute  équité  et  de  toute  bonne 

administration.  C'est,  selon  lui,  «  une  obligation  natu- 

^ûe  aux  sujets  de  toutes  conditions,  de  contribuer  à 

proportion  de  leui*  revenu  ou  de  leur  industrie ,  sans 

qu'aucun  d'eux  puisse  raisonnablement  s'en  dispenser, 

et  tout  privilège  qui   tend  à  l'exemption   de  cette 

contribution  est  injuste  et  abusif,   et  ne  peut  ni  ne 

doit  prévaloir  au  préjudice  du  public.  •  Mais  je  ne 

veux  point  faire  l'analyse  de  la  Dime  royale  ;   ce  qui 

précède  suffit  pour  faire  entendre  les  rapports  de  cet 

ouvrage  et  du  Détail  de  la  France. 

La  DiME  ROYALE  fut,  de  plus,  l'occasion  de  la  publi- 
cation coui-ageuse  du  second  mémoire  de  Boisguil- 
lebert.  Ceux  qui  profitaient  des  abus  furent  effrayés 
du  livre  de  Vauban,  surtout  à  cause  de  l'autorité  que 
la  haute  position  du  général  pouvait  donner  à  ses 
idées.  Leurs  clameui*s  émurent  les  ministres  et  le  roi  ; 
Vauban  reçut  le  prix  de  son  patriotisme  :  il  fut  dis- 
gracié. Que  les  dures  paroles  que  Saint-Simon  prête 
au  roi  soient  vraies  ou  fausses,  que  Vauban  soit  mort 
du  chagrin  de  sa  disgrâce  ou  de  maladie,  peu  importe. 
Il  est  constant  que  la  Dime  royale  fut  prohibée  par 


48:2  BOlblrClLLËBKRT. 

un  arrêt  du  Conseil  do  14  février  1707,  comme  con- 
tenant plusieurs  choses  contraires  à  Tordre  et  usage 
du  royaume;  arrêt  qui  fui  renouvelé  le  19  mars, 
parce  que  le  livre  n'en  était  que  plus  recherché. 

Boisguillebert  aurait  pu  se  tenir  pour  averti  et 
garder  un  silence  prudent.  Mais  il  parait  ayoir  été 
une  de  ces  généreuses  natures  que  l'obstacle  irrite  et 
que  le  danger  attire.  Il  ne  put  se  contenir  et  lança 
son  Factura  de  la  France  et  son  Supplément  au  Détail, 
qui  ne  tardèrent  pas  à  lui  valoir  la  vengeance  d'en 

•j  haut. 

j  Le  Factum  de  la  France  n'était  théoriquement  que 

I  le  Détail  refondu  ;  mais  il  en  différait  au  point  de  vue 
.  pratique  en  ce  que  Tauteur ,  sans  renoncer  à  la  ré- 
forme de  la  taille  et  à  la  suppression  des  aides  et 

II  douanes ,  proposait  de  remplacer  provisoirement  ces 
■j  deux  impôts  par  une  capitation  générale  et  percep- 

I  tible  en  argent ,  du  dixième  du  revenu  de  tous  les 

1  biens  meubles  et  immeubles.  Il  en  différait  surtout 

par  le  ton.  Quoiqu'on  trouve  dans  le  Détail  de  ter- 
ribles phrases  telles  que  celle-ci  :  «  Dans  ces  Mé- 
moires, 15,000,000  d'hommes  parlent  contre  trois 
cents  contredisants  qui  s'enrichissent  de  leur  ruine;  » 
cependant  ce  premier  ouvrage  est,  en  général,  écrit 
j  avec  une  certaine  mesure  qui  sent  l'homme  d'étude 

H  et  de  science ,  et  non  le  mécontent  et  le  tribun.  Mais 

I  le  Factum  respire  la  fureur  du  désespoir  et  une  âpreté 

révolutionnaire  que  le  XYII*  siècle  n'avait  encore  vue 
que  dans  les  pamphlets  de  Jurieu.  «  Vous  ne  llrei 
rien  de  si  éloquent  dans  les  hommes  de  89 ,  dit  Mi- 
chelet,  non  pas  même  dans  Mirabeau ,  que  la  préface 
du  Factum  de  Boisguillebert  en  1707.  Il  y  a  là  à  la 


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fiOiS6lILL£BERT.  t8.S 

fo»  ramertome  du  grand  myeateurinëconnii,  l'esprit 
tUtespërë  de  la  Sibylle  qui  revient  une  seconde  fois 
à  ses  oracles:  ce  sont  les  menaces  de  Cassandre, 
mais  avec  la  sombre  menace  du  temps  nouveau  qui 
vient  en  vengeur.  »  Voici  la  substance  de  cotte  pr^- 
fiwc  On  s'est  ri  de  mon  premier  livre  et  je  m*y  at- 
teodais:  «  U  y  avait  encore  de  rbnile  dans  la  lampe.  » 
I^  entrepreneurs  d'avis  pouvaient  encore  se  payer 
gnosement  de  leurs  maudites  inventions  et  acheter 
la  protection  des  puissances.  «  Aujourd'hui,  tout  a 
pnafin,  ^ute  de  matière...  Comme  la  France  a  la 
S^uigrène,  ou  si  Ton  veut  la  pierre  dans  les  reins ,  il 
faot,  poar  la  guérison,  user  d'incisions  dans  le  vif 
et  d'opérations  très-violentes  dans  les  parties  les  plus 
'lobles,  les  remèdes  ordinaires  n'étant  plus  de  saison 
^^  se  trouvant  beaucoup  au-dessous  de  iî^  force  du 

^^ Le  peuple,  dont  je  ne  suis  que  l'avocat, 

P'^pose  de  fournir  à  tous  les  besoins  ordinaires  ou 
^^traordinaires  de  l'État,  pourvu  que  la  saisie  qui  est 

l***  ses  biens  soit  levée Que  Ton  suspende  un  peu 

'^^e  de  ridicule  et  d'extravagance  que  peut  jeter 
^^  pareille  proposition  dans  l'esprit  d'une  infinité  de 
^nde.  Que  l'on  songe  que  le  grand  saint  Augustin 
^     Lactance  n'ont  pas  acquis  beaucoup  d'honneur  à 
^^iter  de  fou  et  d'insensé  un  évèque  nommé  Virgile, 
^^i,  dans  leur  siècle,  vint  annoncer  les  antipodes, 
^^lomb  reçut  le  même  traitement  de  toutes  les  cours 
"  «  l'Europe,  avant  d'être  écouté  et  aidé  par  quelques 
^^rticuliers  en  Espagne.  Coperaic,  au  siècle  dernier, 
^ut  menacé  du  feu  par  toute  la  théologie  sur  l'expo- 
sition de  son  système,  quoique  aujourd'hui  le  plus 
imiversellement  reçu Eh  bien  !  pour  tempérer  la 


186  HOISGUMLKBKKT. 

impôt  qui  excède  quatre  fois  «es  forces?  Faiil-il  at^- 
tendre  la  paix  pour  sauver  la  vie  à  deux  ou  trois 
cent  mille  victimes  qui  périssent  au  moins  tons  les 
ans  de  misère,  surtout  dans  l'enfance...  ?  Faut41  at- 
tendre la  paix  pour  mettre  le  roi  en  état  de  payer  les 
officiers  à  point  nommé ,  aOn  que  ceux-ci  soient  en 
pouvoir  de  faire  leurs  recrues  et  de  bonne  henre? 
Faut-il  attendre  la  paix  pour  donner  assez  de  secours 
au  roi  «  afin  que  par  un  engagement  considérable  on 
fasse  des  soldats  volontaires  et  Ton  ne  mène  pins  des 
forçats  liés  et  garroUés  à  Tarmée,  comme  on  fiùt  aux 
galères  et  même  au  gibet?  Faut-il  attendre  la  paix 
pour  purger  rÉtat  des  billets  de  monnaie  qui ,  par  le 
déconcertement  qu'ils  apportent  dans  le  commerce , 
coûtent  quatre  fois  plus  par  an  que  la  valeur  de  tontes 
les  sommes  pour  lesquelles  on  en  a  créé ,  quatre  fois 
plus  que  la  guerre  étrangère?...  •  Sully  avait  une 
bien  autre  guerre  sur  les  bras,  et  en  quelques  années 
il  rétablit  les  finances  par  des  changements  plus  con- 
sidérables et  plus  difficiles  que  ceux  qu'on  demande. 
Mais  Sully  était  Sully  ;  et  nos  ministres  sont  entourés 
de  gens  qui  ont  l)esoin  que  le  fen  soit  aux  quatre 
coins  du  royaume ,  d'incendiaires  qui  se  font  ample- 
ment payer  pour  de  pareils  services. 

A  cette  terrible  Pbilippique ,  les  ministres ,  même 
Chamillart  qui  était  l>on  homme ,  furent  outrés  :  le 
Factum  de  la  France  fut  condamné  et  prohibé  par  on 
arrêt  du  13  mars  1707 ,  et  l'auteur  exilé  an  fond  de 
l'Auvergne.  C'était  la  mine  de  Boisguillebert ,  qni 
n'avait  d'autre  bien  que  sa  cliarge.  Suint-Simon  et 
d'autres  amis  s'employèrent  pour  parer  le  coup  ;  ib 
obtinrent  que  Boisguillebert  fit  le  voyage  d'Anvergne 


BdSblîILLEMUlT.  i87 

seukinent,  pour  obéir  à  an  ordre  émané  qui  ne  pouvait 
pht«e  retenir,  et  qu'il  serait  rappelé  dès  qu'on  serait 
iofiraë  de  son  arrivée  an  lien  prescrit.  Boisgaillebert 
f»  fot  qnitte  pour  une  absence  de  deux  mois ,  pour 
one  verte  mercuriale  à  son  retour  et  pour  une  sus- 
pesMo  de  ses  fonctions^  qui  n'eut  pas  d'effet.  H  n'é- 
crÎTit  plus  rien ,  mais  il  resta  convaincu  jusqu'à  sa 
nertqa'îl  n'avait  exposé  que  des  idées  justes  et  utiles. 
11  se  contenta  de  donner  «  en  1712,  une  nonvelle  édi- 
dition  de  tons  ses  Mémoires  sous  le  titre  de  Testament 
poiàifHe  de  Vauban ,  dans  l'espoir  que  le  nom  de  ce 
grand  homme  servirait  de  passe-port  à  la  vérité. 

En  effet ,  il  ne  fiiut  pas  séparer  les  noms  de  Bois- 
gaillebert et  de  Vauban:  ils  sont  tous  les  deux,,  au 
XVII'  fflècle,  les  devanciers  du  XVIIP  et  de  la  Révolu- 
lion.  Tâchons  cependant  d'assigner  à  chacun  sa  place 
^t  de  montrer  en  quoi  ils  diffèrent  et  se  complè- 
IniL  Quoique  convenant  en  général  sur  l'ensemble 
^It  réforme  qu'ils  demandaient,  Vauban  et  Bois- 
goillebert  ne  font  pas  précisément  la  même  œuvre. 
Vauban  suppose  connu  le  Détail  de  la  France  qu'il  se 
conlenle  d'approuver  et  de  résumer*,  et  tout  son 
^ort  est  de  montrer  ce  qu'il  faudrait  faire  et  com- 
ment il  le  faudrait  faire.  Sa  Dîme  royale  est  un  véri- 
lable  projet,  avec  calculs  et  devis,  à  l'adresse  du  roi. 
1^  ^tail  de  la  France ,  le  Facium ,  l'opuscule  sur  les 
*^^»et  la  dissertation  sur  la  nature  de  la  richesse 
^^1  plutôt  des  critiques  violentes,  quoique  justes, 
"**  système  de  l'administration  française ,  la  pre- 
™'ère  protestation  de  la  science  ou  du  bon-sens  éco- 
nomique contre  l'esprit  6scal.  Plus  intéressantes  et 
P"^  instructives  que  la  lïtme  royale ,  les  œuvres  de 


188  HOISULlLLEBJilUT. 

fioisguiliebert  auraient  été  moins  utiles  à  un  niinlsti^e 
qui  eût  voulu  commencer  la  réforme  de  notre  ré- 
gime financier  ;  en  contenant  plus  de  principes , 
elles  contiennent  moins  de  notions  exactes  et  pré- 
cises sur  les  moyens  à  prendre  pour  établir  la  juste 
répartition  et  la  facile  levée  de  Timpùt.  Voulez-vous 
connaître  l'état  économique  de  la  France  à  la  fin  du 
XVIP  siècle,  voir  les  commencements  et  les  premiers 
principes  de  la  science  nouvelle ,  dont  Boisguillebert 
fut,  comme  il  se  nomme  lui-même,  le  Christophe 
Colomb  :  prenez  le  Détail  et  le  Factiim  de  la  France. 
Voulez-vous,  au  contraire,  vous  rendre  compte  de 
la  possibilité  de  la  réforme  demandée  par  Van  ban  et 
par  Boisguillebert  :  lisez  la  Dhne  royale.  La  rëfonne 
n'y  est  plus  une  simple  vue  spéculative  »  elle  y  est 
toute  préparée  ;  le  plan  en  est  tout  dressé  ;  il  ne 
reste  qu'à  l'appliquer  Boisguillebert  s'adresse  sur- 
tout au  public ,  à  la  nation.  Fonctionnaire  et  tout 
dévoué  au  roi  comme  à  la  France,  Vauban  s'adresse 
surtout  au  gouvernement.  Aussi  le  ton  des  deux 
écrivains  est-il  fort  difiérent.  Vaubtm  reste  toujours 
calme  et  respectueux  ;  à  peine  laisse-t-il  échapper 
quelques  fortes  paroles  contre  les  traitants  et  sous- 
traitants  qui ,  «  après  mille  friponneries  punissables, 
marchent  la  tête  levée  dans  Paris  avec  autant  d'or- 
gueil que  s'ils  avaient  sauvé  l'État  o  Boisguillebert , 
avec  le  même  respect  pour  la  royanté,  n'a  pas  la  même 
retenue  ;  il  essaie  en  vain  de  maîtriser  son  indiioia- 
lion  pour  ne  laisser  parler  que  les  faits  et  la  logique. 
Quoi  qu'il  fasse, il  est  plein  de  passion,  ironique,  in- 
cisif, mordant,  souvent  même  éloquent  dans  sa  dif* 
fusion  et  dans  son  style  plus  que  négligé.  Il  a  l'acéent 


BOISOmLLEBERT.  489 

^re  d'an  mécontent  et  d'un  opposant.  Ce  qui  carac- 
^ériae  Vaaban  dans  ses  écrits  comme  dans  sa  vie, 
cest  l'amour  de  l'ordre,  mais  de  l'ordre  fondé  sur 
I&  jostice,  avec  la  plus  hante  rectitude  de  jugement. 
Ce  qoi  caractérise  Boisguillebert ,  c'est  la  haine  vi- 
gonrease  du  désordre ,  de  l'injustice ,  de  l'absurdité. 
L'on  a  l'accent  d'un  tribun,  de  l'homme  du  Tiers-État 
bs  de  l'oppression  ;  l'autre,  celui  d'un  conseiller  et 
d'on  serviteur  dévoué  du  gouvernement ,  qui  dit  la 
véritë  avec  fermeté ,  mais  sans  passion  et  unique- 
ment parce  que  c'est  son  devoir  de  la  dire. 

Ni  l'on  ni  l'autre  ne  pensent  d'ailleui*s,  comme 
Pënelon  ou  Saint-Simon ,  à  modifier  la  constitution 
politique  de  l'État ,  à  limiter  en  rien  l'autorité  du 
w'iella  toute-puissance  des  ministres.  Et  cependant 
ils  sont  autrement  révolutionnaires  que  Saint-Simon , 
que  Fénelon,  que  Boulainvilliers.  Quel  changement 
plus  radical  pouvait-on  introduire  dans  l'état  social 
de  la  France ,  que  la  suppression  des  privilèges  et 
l'égalité?  C'était  là  qu'allait  l'universalité  propor- 
tionnelle de  l'impôt.  Lorsque  le  comte  de  Boulaiu- 
villiers,  sous  la  Régence  .  se  mêle  de  questions  éco- 
nomiques et  financières,  lui  aussi  il  cherche  à  sup- 
pnmerou  à  modifier  la  taille:  mais  il  veut  pourtant 
qn'on  en  conserve  un  tiers  sur  les  roturiers.  Pour- 
^ï'ïoi ?  Kst-ce  parce  (fue  c'est  juste  ou  utile?  Nulle- 
™^nL  C'est  afin  de  rappeler  aux  roturiers  qu'ils  «  ne 
''Ont  que  les  valets  de  l'État  ;  les  nobles  seuls  sont 
<^^loyens  »  La  taille  était  la  ligne  de  démarcation  la 
pins  profonde  entre  la  noblesse  et  la  roture.  Il  y 
^^3it  encore  deux  peuples  dans  l'État  :  la  noblesse , 
*^xenipie  de  taille?,  qui  prétendait  descendre  de   la 


190  B019(H)ILLKBB1T. 

nation  victorieuse  et  tenir  ses  privilèges  de  la  con- 
quête ,  et  Ja  roture,  riche  ou  pauvre,  mais  taiUaUe 
et  corvéable  à  volonté,  qui  descendait  du  people 
vaincu  ou  des  serfs  affranchis,  à  beaux  deniers 
comptant ,  par  la  noblesse  ou  par  le  roi.  Les  dea^ 
tructeurs  de  la  féodalité,  Louis  XI,  Richelieu, 
Louis  XIY ,  l'avaient  laissée  subsister  en  partie ,  et 
quoi  qu'on  dise,  Tunité  de  la  nation  française  était 
loin  d'être  accomplie.  Sans  parler  de  ces  douanes 
intérieures  qui  séparaient  sur  chaque  point  du 
royaume  la  France  de  la  France,  et  qui ,  par  le  plus 
monstrueux  assemblage ,  ajoutaient  les  maux  de  la 
division  du  moyen-âge  à  ceux  de  la  centralisation 
modei-ne ,  déjà  poussée  à  l'excès ,  le  roturier ,  sur 
qui  retombaient  toutes  les  charges,  et  qui  n'avait  qae 
son  travail  ou  ses  bras  ,  pouvait-il  se  considérer 
comme  appartenant  à  la  même  nation  que  les  privi- 
légiés,  qui  n'avaient  qu'à  se  laisser  vivre  sans  rien 
faire  en  dévorant  le  travail  d'autrui  7  Louis  XIV  avait 
bien  soumis  tout  le  monde  à  la  capitation  à  cause 
des  nécessités  de  la  guerre ,  mais  il  s'était  formelle- 
ment engagé ,  la  guerre  une  fois  terminée ,  à  sup^ 
primer  cet  impôt,  qui  égalait  la  roture  et  la  noblesse, 
comme  s'il  n'était  qu'une  suspension. indispensable, 
mais  contraire  à  la  justice,  des  droits  et  privilèges  des 
seigneurs.  Or,  le  principe  qui  est,  sous  tous  les  pro- 
jets de  Boisguillebert ,  celui  que  Yauban  met  en 
tète  de  son  ouvrage ,  comme  la  simple  expression  de 
la  justice  étemelle,  c'est  que  tout  le  monde,  princes, 
ducs  et  pairs,  noblesse,  haute  magistrature  et  clergé, 
contribue  chacun  pour  sa  part  aux  besoins  de  l'État, 
proportionnellement  à  ses  revenus  ou  à  ses  facultés. 


B0I»1ULL£RBIIT.  191 

Toat  prÎTilége  est  injnste ,  abusif,  et  ne  peat  ni  ne 
doit  être  toléré.  Boisgaillebert  et  Vauban  étaient 
donc«  je  le  répète ,  révolatîonnaires  à  leur  manière  : 
mais  tandis  que  Saint-Simon,  Boulainvilliers  et 
Fénélon,  ces  révolutionnaires  à  reculons,  tentaient 
de  ressusciter  ce  qn'on  pourrait  d'un  passé  cher  à 
leur  imagination ,  Vauban  et  Boisguillebert  lui  por- 
taient le  dernier  coup,  en  effaçant  tout  privilège 
BDÈre  les  différents  citoyens,  toute  inégalité  entre 
les  provinces.  Ils  achevaient  réellement  Tœuvre 
ébauchée  par  Richelieu  et  Louis  XIV.  Aussi ,  je  ne 
comprends  pas  ce  mot  de  Saint-Simon  :  «  Il  n'y  eut 
que  les  impuissants  et  les  désintéressés  pour  Vau- 
ban et  Boisguillebert .  je  veux  dire  l'Église  et  la  no- 
Uesse  ;  car ,  pour  les  peuples ,  ils  ignorèrent  qu'ils 
avaient  touché  à  leur  salut ,  que  les  bons  bourgeois 
seuls  déplorèrent.  »  Certes ,  la  noblesse  et  le  clergé , 
si  Saint-Simon  ne  se  trompe  pas^  étaient  bien 
aveugles  ou  bien  généreux  ce  jour-là.  Quant  aux  bons 
bourgeois,  s'il  ne  s'agijt  que  des  gens  de  robe  in- 
téressés dans  les  affaires  de  finances ,  ils  auraient  en 
effet  déploré  le  salut  des  peuples  qui  eussent 
échappé  à  leurs  rapines.  Mais  le  reste  de  la  bour- 
geoisie eût  applaudi  ;  et  la  robe  elle-même  n'eût  pas 
tant  tenu  à  être  exempte  des  impôts ,  si  la  taille 
n'avait  pas  été  comme  la  marque  de  la  flétrissure  et 
de  la  servitude.  Mais  comment  le  roi  ne  comprit-il 
pas  que  cette  universalité  et  cette  proportion  de 
l'impôt ,  outre  sa  justice  et  ses  avantages ,  était  le 
complément  logique  de  tout  son  règne  de  vile  bour- 
geoisie ,  comme  l'appelle  Saint-Simon?  C'est  qu'il 
était  le  premier  des  gentilshommes  du  royaume .  le 


192  HOISGUILLEBEHT. 

roi  des  gentilshommes ,  et  qu'une  noblesse  sans  prU 
viléges  n'eût  pas  été  une  assez  digne  décoration  de 
son  trône.  Si  Tégalité  dans  les  charges  de  l'État  eût 
rabaissé  la  noblesse  au  rang  de  la  bourgeoisie  ,  tout 
le  monde  étant  peuple  ,  Louis  n'aurait  plus  été  que 
le  roi  de  la  roture.  Son  amour  du  despotisme  n'alla 
pas  jusque-là  :  il  ne  put  effacer  dans  son  cœur  et 
dans  son  esprit  les  préjugés  du  gentilhomme. 

Ce  fut  peut-être  un  bonheur  pour  la  France.  Plu- 
sieurs générations,  il  est  vrai,  eurent  encore  à  souffrir 
horriblement  du  réj^imc  fiscal^  le  plus  absurde  et  le 
plus  odieux  qui  ait  existé  depuis  les  proconsuls  ro- 
mains des  derniers  jours  de  la  République.  L'indus- 
trie et  rafjçriculturc  continuèrent  A  languir ,  tous  les 
germes  de  prospérité  publique  à  avorter  ou  plutôt  à 
demeurer  en  réserve.  Mais  le  mal  trouvait  sa  limite 
eu  lui-même  ;  les  prodigalités  de  la  cour  s'arrêtaient, 
faute  d'argent  Supposez  que  l'on  eût  sincèrement 
mis  en  pratique  les  principes  de  Boisguillebert,  au 
Heu  de  les  appliquer  à  demi,  comme  fit  Desmarets, 
successeur  de  Ghamillart  :  on  eût  vu  sans  aucun 
doute,  comme  le  proclamait  notre  économiste,  toutes 
les  forces  vives  du  pays ,  débarrassées  enfin  des  en- 
traves qui  les  étouffaient,  prendre  un  essor  inattendu, 
le  travail  se  ranimer  avec  une  prodigieuse  énergie , 
toutes  les  terres  rendre  tout  ce  qu'elles  pouvaient 
porter;  l'industrie,  ravivée  tant  par  le  commerce 
intérieur  que  par  le  commerce  étranger,  atteindre  & 
une  hauteur  où  elle  n'était  jamais  arrivée,  même 
sous  les  beaux  jours  si  courts  du  ministère  de  Col- 
hert.  Mais  pour  qui  les  arts .  les  métiers ,  la  terre 
cnssent-ijs  li-nvailh',  et  si  j'osn  l«»  dire,  sué  à  l'onvi  ! 


BOISGITILLEBERT.  103 

Toutes  les  richesses  de  la  nation  ne  seraient-elles  pas 
restées  à  la  merci  d'un  homme  et  de  sa  cour? 
Plus  le  pays  eût  produit,  plus  les  dépenses  improduc- 
tives et  folles  se  fussent  accrues.  Tout  fût  venu  se 
perdre  dans  ce  gouffre  sans  fond  des  fantaisies  royales, 
et  bientôt  ce  n'est  plus  de  langueur  que  la  France  eût 
été  malade,  c'est  d'épuisement,  à  moins  d'adopter 
pour  loi  fondamentale  du  royaume,  cette  proposition 
extravagante  de  Saint-Simon,  de  déclarer  les  rois 
éternellement  mineui^s  et  les  dettes  de  la  royauté 
éteintes  avec  la  vie  du  roi.  Voilà  ce  que  ne  voyait  pas 
Vanban  qui ,  tout  patriote  qu'il  était ,  confondait  voi 
peu  trop,  comme  Louis  XIV,  le  royaume  avec  la 
royauté.  Boisguillebert  semble  avoir  eu  le  pressen- 
timent de  ce  danger,  lorsqu'il  donne  sans  cesse  en 
exemple  la  Hollande  et  TAngleterre ,  où  les  peuples , 
selon  son  expression ,  disposent  d'eux-mêmes.  Mais 
il  s'enferme  trop  dans  les  questions  purement  finan- 
cières et  économiques.  Aussi,  quoiqu'il  puisse  pa- 
raître plus  avancé  que  Voltaire,  Montesquieu  et 
Rousseau  à  certains  esprits  qui  font  bon  marché  des 
formes  politiques,  je  crois  que  son  œuvre,  si  Ton 
regarde  la  réalité  et  non  la  théorie  pure ,  n'a  vrai- 
ment de  prix  qu'autant  que  prévalent  les  principes 
politiques  de  la  philosophie  du  XVIII*  siècle.  La 
liberté  industrielle  et  commerciale ,  dont  il  a  si  bien 
vu  la  portée,  et  dont  Montesquieu  et  Rousseau  ne 
tiennent  pas  assez  de  compte,  ne  peut  avoir  sa 
fécondité  salutaire,  qu'autant  que  le  peuple  lient  lui- 
même  et  tient  bien  réellement  les  cordons  de  la 
bourse  :  autrement  dit ,  hors  de  la  liberté  politique, 
elle  ne  me  parait  que  la  liberté  d'arriver  plus  rnpidc- 

13 


4  94  BOISGUILLEBERT. 

ment  et  plus  savuranient  à  un  épuisenienl  complet  et 
irrdmédiablc.  Je  n'entends  point,  par  ces  réserves, 
ravir  à  Boisgiiillebert  l'invention  d'une  des  sciences 
les  plus  fécondes  et  les  plus  utiles  ;  je  dis  seule- 
ment,  pour  terminer ,  qu'elle  ne  mérite  le  grand 
nom  d'économie  politique,  qu'autant  qu'elle  s'unit 
aux  principes  libéraux  de  la  Révolution. 


NOTICE 


SIK 


LÉON    THIESSÉ. 


P.%K    M.    BKBWILLI 

Membre  correspondu  nU 


-40<- 


J'ai  couiiu  l>eaucoiip  riioiunio  lioiiorahle  et  lioii, 
le  litténiteur  distingué  dont  j'entreprends  d'esquis- 
ser la  vie.  Mêmes  relations  sociales,  unîmes  amitiés, 
mêmes  afliliations ,  même  foi  politique  et  littéraire , 
fi^quentc  communauté  de  travaux ,  tout  nous  a 
rapprochés  d'abord ,  tout  a  par  la  suite  entretenu 
notre  liaison  ,  que  durant  trente-six  ans  aucun 
nnage  n'a  troublée.  Lui  donner  un  souvenir,  c'est 
donc  acquitter  une  dette  d'atlection  en  même  temps 
que  de  justice.  Du  reste,  je  n'abuserai  point  des 
di-oits  que  cette  affection  pourrait  me  donner  :  je 
ne  viens  point  écrire  une  histoire ,  mais  tracer  un 
précis  sommaire:  il  sullira,  j'ose  l'espérer,  pour 
faire  apprécier  son  talent  et  pour  recommander  sa 
mémoire. 

Léon  Thiessé  naquit  à  Rouen  en  1794.  Son  père, 
avociit  estimé ,  ancien  membre  du  Conseil  des  Cinq- 
Cents  et  du  Tribunal,  où  il  avait  connu  mon  ex- 
cellent  beau-père    Andrieux,  portait   dans  la   poli- 


196  NOTice 

tique   des   iddcs    francbciucnl    libérales ,    dans    lu 
société   des    manières   ouvertes    et    bienveillantes 
Léon  fit  de  bonnes  études  au  collège  de  Rouen.  A 
peine  venait-il  de  les    terminer  que  déjà  la  voca- 
tion littéraire  se  déclarait  on  hii.  Un  poème  sur  les 
catacombes  de   Paris,  une  élégie  sur  la  mort    de 
Jacques    Delillc,    qu'alors    des   pygmées   littéraires 
n'aflectaient   pas   ridiculement  de  mépriser,  furent 
en  i813  ses  premiers   essais.   Il  lit  aussi    quelques 
vers  latins  et  traduisit  avec    une   élégante   Gdélité 
une    des    plus   jolies   pièces    d'Arnault,    La  Feuille 
de  chêne.   Venu  à  Paris  pour  suivre  la  carrière  des 
lettres,  il  y  fut  accueilli  par  Tex-tribun    Bailleul , 
bomme   obligeant,    ancien   collègue   de  son  père, 
et  qui   faisait   aloi-s ,   avec   son  frère  rimprimeur , 
le  Journal  du  Commerce,  feuille   assez  peu   répan- 
due, et  qui   pourtant   devint  pour  les  deux  frères 
une  occasion  de  ibrluno.  Les  journaux  alors  étaient 
à  la    discrétion   d'une   police   arbitraire.   Il    arriva 
que   le    Constihtfionnel,   le  seul  journal  libéml  de 
l'époque   et  dont   le   débit  avait  été  immense  dès 
le  premier  jour  de  sa    publication,  se   vit   suppri* 
mer  pour  quelque  peccadille.    Il  fallut  aviser  à  le 
faire  revivre  au   moyen  d'une    métamoi*phose.   On 
y  parvint  en  acbetant,  au  prix  d'une  action  donnée 
h  cbacun  des  frères  Bailleul,   le  Journal  du  Com* 
nierce ,  (\\x\  ^  liéritant  des  abonnés  ^\x  Constitutionnel^ 
d'inconnu    qu'il   était ,  devint  en    un  jour  le  plus 
acclieuté  des  journaux  de  Paris. 

Lié  avec  des  journalistes,  Thiessé  se  troava  natu- 
rellement attiré  vers  la  presse  périodique.  A  cette 
époque ,  des  écrivains  que  gênait  la  censure  imagi- 


sra  LÉON  THiEssK.  fin 

nërent,  pour  rélader,de  publier  des  recueils  qui. 
ne  paraissant  qu'à  des  époques  irrégulières ,  échap- 
paient aux  définitions  de  la  loi.  Le  signal  fut  donné 
par  les  auteurs  du  vieux  Mercure  de  France^  qu'ils 
rajeunirent  sous  le  titre  de  Minerve  française^  et  qui, 
grâce  à  son  nouveau  mode  de  publication ,  put  pa- 
mitre  sans  être  censurée.  La  récente  liberté  de  ses 
allures,  le  talent  de  ses  rédacteurs^  entre  lesquels 
on  comptait  Etienne  et  Benjamin  Ckinstant,  lui  valu- 
rent tout  d'abord  un  succès  qui  alla  croissant  de 
jour  en  jour.  Tbiessé  suivit  leur  exemple  :  il  publia 
les  Lettres  normandes ,  que  d'abord  il  rédigea  presque 
seul,  et  qui,  sans  égaler  la  Minerve  en  distinction 
littéraire,  méritèrent  et  reçurent  un  favorable  accueil. 

C'est  par  là  que  se  fit  notre  connaissance.  Vers  ce 
temps,  je  venais  d'obtenir  à  l'Académie  française  le 
prix  proposé  pour  l'éloge  de  RoUin,  et  cette  heu- 
reuse chance  avait  donné  au  nom  du  jeune  lauréat 
une  notoriété  de  quelques  jours.  Tbiessé ,  qui  cber- 
cliait  à  compléter  sa  rédaction ,  me  proposa  d'en 
fiiîre  partie.  J'acceptai.  Je  donnai  quelques  articles  à 
son  recueil.  Plus  tard,  je  fus  son  défenseur  en  Cour 
d'assises.  A  quelle  occasion  ?  Le  voici. 

Une  loi,  peu  sage,  puisque,  sous  couleur  d'hono- 
rer un  prince  infortuné ,  elle  attisait  des  ressenti- 
ments qu'il  eût  fallu  éteindre,  établissait  une  commé- 
moration funèbre,  le  jour  anniversaire  de  la  mort  de 
Louis  XVL  Arrivant  le  21  janvier  1820,  Thiessé  , 
dans  sa  feuille ,  blâma  cette  loi  comme  impolitique. 
L'article,  qu'après  plus  de  quarante  an?  je  viens  de 
relire  avec  des  veux  certes  bien  détachés  de  toute 
prévention  ,  n'offrait  rien  d'ofTonsif  ni  dans  lo  fond  ni 


198  NOTICE 

dans  Ja  forme.  Un  fatal  incident  vint  l'empoisonner. 
A  quelques  jours  de  là,  le  duc  de  Berry  fut  as- 
sassiné par  le  fanatique  Louvel.  A  l'instant,  la  contre* 
révolution  éclata  en  cris  de  rage  ,  ardente  à  saisir  ce 
prétexte  d'attaquer  un  ministre  dont  la  modération 
lui  était  odieuse.  Tout  libéral  fut  pour  elle  un  com- 
plice de  Louvel,  qui  n'avait  point  de  complices;  et 
ce  qui  la  veille  était  innocent  se  t^uva  soudain  cou- 
pable. I/auleur  de  l'article  et  son  imprimeur  Foulon 
se  virent  traduits  devant  un  jury ,  sous  le  triple  grief 
d'attaque  formcUe  à  l'inviolabilité  du  roi ,  d'outrage 
à  la  morale  [)ul)lique  et  de  provocation  à  la  déso- 
béissance aux  lois. 

Foulon  cliarirea  de  sii  défense  mon  confrère  et 
mon  aini  Hlanchet.  Tliiessé  aurait  désiré  avoir  pour 
défenseur  Du  pin  l'ainé  ,  que  plusieurs  procès  poli- 
tiques avaient  dès  loi-s  rendu  célèbre.  A  sa  prière, 
je  fis  une  démarche  auprès  de  l'éminent  iiyocat , 
qui ,  cela  se  comprend ,  aima  mieux  réserver  son  ta- 
lent et  son  autorité  pour  des  luttes  plus  éclatantes. 
A  son  défaut ,  Thiessé  remit  sii  cause  entre  mes 
mains.  Alors  le  jury  était  nommé  par  le  pouvoir. 
qui  savait  le  composer  de  manière  à  ne  pas  souvent 
perdre  ses  procès.  Les  inculpés  furent  pourtant  ab- 
sous sur  les  deux  chefs  les  plus  graves,  mais  ils 
n'évitèrent  pas  une  condamnation  sur  le  chef  de  pro- 
vocation n  la  désobéissance  aux  lois.  Celte  condamna- 
tion ,  du  reste  assez  légère  ,  et  qiii  pour-  Thiessé  se 
réduisit  à  un  mois  de  prison  qu*il  obtint  de  passer 
dans  une  maison  de  santé ,  ne  le  rendit  pas  fort 
malheureux  et  n'arrêta  point  la  publication  des. 
Loffrrs  normfindf*.<.    Mois,  <»n  res  l<»nips  «h»  réaction. 


SUR  LÉON  THI£SSÉ.  199 

leur  existence  ne  pouvait  plus  guère   se  prolonger. 
Une  loi  survînt  qui ,  faisant  bon  marché  des  garan- 
ties constitutionnelles,    rétablissait   la    censure    et 
Vétendait  aux  écrits  semi-périodiques.  En  présence 
de  cet  arbitraire  ,  la  Minerve  dnt  l'énoncer  à  jmnûtre 
el  les  Letire$  normandes  l'accompiignèrent  dans  la 
tombe. 

En  cessant  cette  publication  ,  Thiessé  ne   donna 
point  sa  démission  de  journaliste.  Il  continua  d'écrire 
àfkHi  le  Cotistituiionnei ,  qui  avait  repris  son  premier 
litre,  lorsque  ,  sous  le  ministère  de  Serre ,  la  presse 
eut  quelques  jours  de  liberté  ,  et  où  je  me  retrouvai 
son  collaborateur ,  à  côté  de  M.    Barrière,  l'élégant 
^1  ingénieux  collecteur  des  Mémoires  sur  la  Révo- 
lution française.  Si  mon  nom  se  trouve  associé  an 
swn  sur  le  titre  de  l'ouvrage,   c'est  par  le  vœu  de 
*V.  Barrière ,  à  qui  en  appartient  la  pensée  et  la  plus 
grande  part  d'exécution.  Tliiessé  concourut  aussi  à 
ce  travail ,  ainsi  qu'à  la   collection   des   Mémoires 
dramatiques ,  autre  publication   de  M.   Barrière.  Il 
donna  également  des  soins  à  la  collection  des  clas- 
siques français ,    «entreprise    par    les   libraires  Bau- 
douin. Lorsque  d'autres  libi-aires,  Lecointe   et  Du- 
rey,  firent  paraître  à  leur  tour  une  collection  de  ré- 
sumés historiques,  il  composa  pour  eux,  en  1824  celui 
de  riiistoire  de  Pologne  ,  en  1825  celui  de  l'histoiro 
de  Normandie,  en  1826  celui  de  l'histoinî  de  la  Ré- 
volution  française ,   qui  comptent   parmi   les  meil- 
leurs. Dans  ces  travaux ,  qui  auraient  pu  n'être  que 
mercantiles,   Thiessé  apportait  les  aptitudes    et   la 
conscience  du   vrai   littérateur.    Aussi    put-il    à    bon 
droit  se  fonder  sur  ces  titres  ])our  se  piésonlor  ,   ou 


âOrt  NOTICK 

cette  même  année  18^6 ,  à  la  Société  phîlotechnique, 
qui  se  fit  un  honneur  de  Tinscriro  au  nombra  de  ses 
membres.  Me  sei*a-t-il  permis  de  rappeler,  à  titre 
d'affectueux  souvenir,  ([ue  c'est  sur  mon  rapport 
que  son  admission  fut  prononcée  ? 

Dans  cette  Sociélé ,  qui  comptait  sur  son  tableau 
les  noms  d'Andrieux^  de  C.  Delà  vigne,  de  Pongervîlle, 
de  Philippe  Dupin,  Thiessé  se  fit  bientôt  une  place 
distinguée.  Il  y  occupa  pendant  un  semestre  le  fau- 
teuil de  la  présidence,  et  loi-sque  la  retraite  regrettée 
du  respectable  Villenave  laissa  vacantes  les  fonctions 
de  secrétaire-perpétuel ,  c'est  à  lui  qu'elles  furent 
confiées. 

Parmi  ces  préoccupations  de  la  politique,  de  l'his- 
toire, de  la  critique  littéraire,  son  goût  pour  la 
poésie  ne  s'était  pas  éteint.  Il  s'exerçait  à  traduire 
en  vers  les  plus  beaux  morceaux  de  la  Pharsale,  Un 
instant  même  il  se  sentit  porté  vers  la  littérature 
dramatique.  J'ai  souvenir  d'avoir,  en  compagnie  de 
juges  plus  compétents  que  moi ,  d'Andrieux  ,  de 
Picard,  je  crois  mémo  de  Lemercicr.  assisté  chez 
lui  à  la  lecture  d'une  tragédie  tirée  de  nos  annales. 
L'auteur  recul  de  ces  maitres  des  conseils  mêlés  d'en- 
couragements. Poui'tanl,  je  n'ai  piis  appris  que  sa  pièce 
ait  été  présentée  au  théâtre.  Mais  en  1828,  il  fit  jouer 
à  rOdéon  une  tragédie  des  Francs-Juges,  et  si  le  succès 
n'en  fut  pas  éclatant,  il  fut  au  moins  de  ceux  dont 
un  débutant  peut  encore  s'honorer.  On  applaudit 
avec  justice  un  style  ferme  et  pur,  des  caractères 
bien  dessinés  ,  une  situation  touchante  qui  rappelait, 
sans  le  répéter,  le  quatrième  acte  de  Mahomet  Je 
crois  ih'-iimnoin.s  ijn»»  1  auteur  s'était   trompé  sur  sa 


SUli    LÉON   THIËSSË.  201 

donnée  dramatîqae.  Sans  doute ,  Tidëe  de  rendre 
odienx  le  sombre  et  sanglant  tribunal  qui  efTraya 
quelque  temps  la  Germanie  est  la  premièi^e  qui  se 
présente  à  l'esprit.  Mais  il  faut  se  méfier  des  pre- 
mières idées ,  qui  ne  sont  pas  toujours  les  plus  fé- 
condes. Dans  cette  donnée ,  point  de  nœud ,  de  sus- 
pension, de  péripétie;  partant  point  d'intérêt,  point 
de  dénonement.  Mais  qu'en  des  temps  barbares,  un 
puissant  oppresseur  soit  sur  le  point  d'accabler 
l'innocent  sans  appui  ;  qu'au  moment  où  le  crime  va 
se  consommer  un  mystérieux  vengeur  vienne  frapper 
le  persécuteur  et  sauver  la  victime ,  là  je  reconnais 
les  conditions  du  drame  ;  je  crains ,  j'espère  ,  je  suis 
ému.  Instruit  par  des  réflexions  nouvelles,  sans  doute, 
dans  un  second  ouvrage  ,  l'auteur  eût  fait  mieux  en- 
core; mais  de  graves  événements  politiques  vinrent 
faire  diversion  aux  jeux  de  la  littérattire. 

1830  était  arrivé.  N'ayant  pu  dominer  ni  cor- 
rompre les  élections,  la  royauté  était  décidément 
entrée  en  lutte  avec  le  pays.  Des  ordonnances  ve- 
naient de  briser  la  liberté  électorale  et  la  liberté  de 
la  presse,  l^  lil>erté  résista.  Quarapte-ijuatre  jour- 
nalistes protestèrent  :  Tbiessé  fut  de  ce  nombre  (1). 
C'était  jouer  sa  tète  ;  la  Révolution  triomphante  l'en 
récompensa  par  des  fonctions  publiques. 

La  sous-préfecture  de  Brest ,  l'une  des  premières 
de  France,  lui  fut  d'abord  olierle.  Appelé  bientôt  à  la 
préfecture  des  Deux-Sèvres  ,  il  administra  ensuite  le 
département  du  Jura  et  plus  tard  celui  des  Basses- 
Alpes.  Dans  ces  diverses  résidences ,  l'hommo  se  fit 

1)  Voir  Ws  Mtmoivei  de  M.  Veroo. 


202  NOTICE 

aimer ,  lo  t'nnctionnairc  se  fît  estimer.  Son  adminis- 
Iralion  tut  piutout  éclairée  et  bienveillante.  Dans  ses 
rappodt^,  toujours  lumineux,  la  forme  littéraire 
n'ùtait  rien  à  la  solidité  du  tond.  Cependant,  en 
1843,  sii  mise  a  la  retraite  fut  prononcée.  Quel  en 
fut  le  motif?  Je  n'ai  pu  le  savoir.  Ce  ne  fut  point  un 
hiûme  de  sa  conduite  administrative ,  car  la  retraite 
tut  accompagnée  d'une  pension  ,  que  le  pouvoir  n'est 
pas  dans  Tusagc  d'accorder  aux  fonctionnaires  dont 
il  (st  mécontent.  Quelques-uns  en  ont  accusé  la  trop 
grande  siuiplicité  de  ses  manières,  qui,  convenables 
dans  un  simple  particulier,  n'étaient  peut-être  pas 
au  niveau  de  ce  qu'exigent  les  nécessités  de  la  re- 
présentation dans  le  premier  magistrat  d'un  dépar- 
ten)ent.  Rendu  à  la  vie  privée ,  dans  des  conditions 
qiii  lui  assuraient  l'aisiince  avec  la  liberté  ,  Tliiessé 
reviiït  à  la  littérature  ,  sa  vieille  amie.  Il  reparut  en 
f8i4  à  la  Société  pliiloteclniiqne,  qui  fut  heureuse  de 
le  revoir  après  quinze  ans  d'absence ,  et  qui  lui  dé- 
cerna la  présidence  pour  le  premier  semestre  de 
1846.  11  apporta  plus  d  une  l'ois  d'agréables  tributs  à 
ses  séances  publiques  ;  il  enrichit  d'intéressantes 
comumnications  ses  séances  particulières ,  dans  les- 
quelles il  récita  plusieurs  fois  des  fragments  de  sa 
traduction  de  Liicain  ,  doublement  remarquables  et 
par  un  style  mule  et  ferme ,  et  par  un  sentiment  vrai 
de  l'original.  Du  reste,  Thiessé  non  plus  que  son 
confrère  Bignan,  qui  comme  lui  s'est  exercé  sur  la 
RharsnlCy  ne  se  proposant  pas  de  tout  traduire  dans 
cette  «euvre  d'un  pénie  grand  ,  mais  inégal  dans  Sti 
grandeur.  Il  complail  s  attacher  aux  morceaux  d'élite 
ri  lier  i-es  IVamnenl^  par  UNI'  version  en    pnise.   Le 


SUR      LÉON   THIESSÉ.  203 

temps  lai  u  manque  pour  acbcver  ce  Irnvail ,  qui , 
à  juger  d'après  ce  que  nous  avons  entendu,  fût 
deTenu  son  principal  titre  de  gloire. 

En  1853  il  écrivit ,  à  la  prière  d'une  honorable 
famille ,  une  élégante  biographie  d'Éticnne .  l'aca- 
démicien et  le  député.  Nous  étions  loin  de  penser 
que  cet  écrit  dût  être  son  dernier  ouvrage.  L'auteur 
avait  à  peine  accompli  sa  soixantième  année.  Sa 
santé  n'avait  point  faibli ,  son  esprit  n'avait  point 
décliné,  son  ardeur  au  traTail  était  toujours  la 
même  ;  lorsqu'au  mois  d'avril  i8o4 ,  atteint  par 
l'épidémie  cholérique  qui  sévissait  aloi-s  dans  Paris.. 
il  fut  ravi  en  vingt-quatre  heures  à  sa  famille  ,  aux 
lettres  et  à  l'amitié. 

Jeune  encore ,  Thiessé  s'était  uni  à  une  femme 
d'une  aimable  figure  et  d'un  aimable  caractère.  11 
en  ent  deux  enfants  :  un  fils ,  dont  la  constitution  dé- 
licate inspira  longtenjps  des  craintes  heureusement 
dissipées  aujourd'hui  ;  une  fdle  qui  promettait  d'être 
charmante  et  qui  mourut  avant  d'avoir  atteint  l'ado- 
lescence. 


DES  AFFINITES 


DE 


LA  LANGUE  BASQUE 

AVEC  LES  IDIOMES  DU  NOUVEAU-MONDE , 

Par  m.    h.   DE  CHARENCEY, 

Membre  correspondanL 


'.^sAA/V\ArLrVAAAArv/>^' 


M.  le  docteur  Priiner-Bey  a  déjà  donné ,  dains  le 
Bulletin  de  la  Société  d'anthropologie ,  un  savant 
mémoire  sur  l'atlinitéde  la  langue  basque  avec  celles 
du  Nouveau-Monde.  Dans  le  présent  travail,  com- 
posé avant  que  nous  eussions  eu  connaissance  de 
celui  de  M.  Pruner-Bey ,  nous  nous  eflPorcerons  sur- 
tout de  comparer  le  Basquf;  aux  idiomes  du  groupe 
Algique.  La  question  des  ressemblances  existant  entre 
ridiomc  Euskarien  et  les  dialectes  américains  a  plus 
d'une  fois  attiiiS  Tattenlion  du  monde  suivant.  G.  de 
Humboldt  signale  un  certain  nombre  de  rapports 
entre  les  groupes  linguistiques,  mais  il  ne  les  regarde 
pas  comme  fort  probants.  Ils  proviennent  surtout , 
dit-il ,  de  ce  que  les  langues  se  sont  arrêtées  juste 
au  même  point  de  développement  linguistique.  Ce 
^eul  fait  serait  déjà  assez  étrange.  Dès  les  pi'emiers 
âges  de  rhumanité.  chacune  des  principales  souches 
iinj2:nistiques  m  fsl  arrivée  à   un   jminl  de  dévelop- 


URGUE  BASÛI3£  LT  IDIOMES  Dl'  MOUVfAU-MONDE.      20Ti 

pemeot  spécial  qae  toutes  les  autres  ou  ont  dépasse 
on  n'ont  jamais   atteint  ;   et    voici  deux  groupes 
didiomes  qui,  depuis  cette  époque  jusqu'à  nos  jours, 
ont  conservé  une  presque  identité  dans  le  mode  de 
strnclure  grammaticale.  D'ailleurs,  les  autres  familles 
de  langues  que  nous  connaissons  n'ont  japiais  suivi 
nne  marche  absolument  régulière,  ni  unilbrrae.  L'en- 
fance des  idiomes  ,  on  peut  Tallirmer  hardiment ,  a 
été  aussi  diverse    de   race  à  race ,  que  peut  l'être 
leur  maturité.  Les  idiomes  sémitiques,  par  exemple, 
l)eaacoap  en   avance  sur  tous  les  autres  dialectes 
coonus,  quant  à  leur  mode  de  flexion  interne  des 
voyelles,  laissent  bien  loin  dernère  eux,  à  cet  égard, 
les  idiomes  indo-européens  les  plus  développés.  Au 
contraire ,  sous  le  rapport  de  la  déclinaison  ,  ils  se 
montrent  fort  en  i*etard  et  n'atteignent  pas  au  même 
point  que  les  langues  ouraliennes ,  chez  lesquelles 
le  pronom  est  susceptible  de  tlexion  casuelle.  Nous 
sommes  donc  fondé  à  croire  que  la  seule  similitude 
de  génie  grammatical  dos  deux  idiomes ,  lorsqu'elle 
s'étend  à  un  grand  nombre  de  points  et  n'est  d'ail- 
leurs point  contrebalancée   par  des  différences  im- 
portantes, constitue  à  elle  seule  une  grave  probabilité 
en  faveur  de  l'unité  originelle  de  ces  mêmes  idiomes. 
Du  reste,  la  ressemblance  qui  existe  entre  le  Basque 
et  certains  dialectes  américains  n'est  pas ,  comme 
nous  l'allons  voir,  bornée  au  seul  génie  grammatical. 
On  peut  atiirmer  que,  parmi    toutes   les  familles 
américaines,  la  famille  Algiqne,  comprenant  le  De- 
laware,  l'Algonquin  ,  le  Chippeway,  l'illinois,  l'Abé- 
naki,  etc.,  est  celle  qui  nous  ofifre  le  plus  d'affinité  avec 
le  Basque.  Cela  est  un  fiiit  important  à  signaler.  Ce 


âO<)  DES    AFFINITÉS   DE   LA    LANGl'E  BASQUE 

sont  prëciséiiiGut  les  deux  groupes  de  langues  par- 
h^es  sur  les  cotés  opposés  de  TAtlantique  qui  paniis- 
seni  se  rapprocher  le  plus  Tun  de  Ttiulre. 

l)*ahord,  «piant  au  systènie  phonétique,  les  lan- 
gues canadiennes,  ainsi  que  le  Basque ,  ne  font  point 
usage  du  son  F,  Elles  répugnent  également  à  toute 
liaison  ,  les  consonnes  muettes  et  liquides,  dans  la- 
quelle les  liquides  se  trouveraient  à  la  fin  d'jun  mot. 

Dans  les  idiomes  canadiens ,  ainsi  qu'en  Basque, 
nous  retrouvons  généralement  la  structure  agglo- 
mérante ,  l'emploi  des  postpositions  ;  mais  tout  cela 
n'est  pas  le  plus  important.  Il  existe  un  procédé  uni- 
forme dans  la  manière  de  former  les  mots  composés, 
lequel  semble  à  peu  près  étranger  aux  autres  familles 
linguistiques  de  l'Ancien-Monde.  Loi^sque  deux  mots 
s'unissent  ])our  former  un  composé,  souvent  la  partie 
radicale  de  la  seconde  de  ces  formations  s'efface. 
Par  exemple  ,  en  Basque ,  hilhun ,  crépuscule  ,  pour 
hil  egun  (litl.  mortna  dies),  —  Hemeretzi,  dix-neuf, 
pour  hnmar( decem)  et  bederatzi  (novem).  —  Orzanz^ 
tonnerre  (  litt.  bruit  du  nuage) ,  de  ortz ,  nuage  et 
nzanz,  bruit.  —  Odotsa  (même  signifîcat. )  de  odéî , 
odoi,  nuage ,  et  olsa ,  bruit.  De  même  en  Delaware  , 
lenape y  un  indigène,  un  Indien  ,  de  lenni,  indigène  , 
et  apé,  marcher  debout  ;  litt. ,  la  créature  qui  se  tient 
debout,  l'homme.  —  Piiapé,  jeune  garçon,  de  piisitt^ 
castus,  et  lenapé,  homme.  De  même  encore  dans  un 
très-grand  nombre  d'idiomes  de  l'Amérique  du  Nord. 
Par  ex.  :  en  Dacotah,  tintata ,  vers  la  prairie  ;  de 
tinta n  prairie,  et  yatu  ^  vers.  —  En  Obbjibeway,  to- 
toshaboy  vin  ;  de  toto,  lait,  et  shominaho^  grappe  (litt., 
lait  de  la  grappe).  —  En  Arlrqiie,  cttmoff*iili ^  couleur 


ATEC  LES   IDIOMKS   DU   NOUVEAT'-IIONDE.  207 

brune ^ de  camotli j  patate  ,  et  tiajjalii,  couleur  (  iitt.  , 
couleur  de  patate  ;. 

On  troDve  des  exemples  de  ce  mode  de  formation 

dans  les  langues  les  plus  diverses,  mais  seulement  à 

l'état  de  Irès-rares   exceptions,   par  ex.:    en  latin 

>wfc»pourfMwi  voio;  malo^  pour  magis  vola:  en  fran- 

Ç<ûs(djios  le  langage  vulgaire),  matnzelie,  pour  ma- 

àenmelk;  en  grec ,  ïû^peci) ,  prendre  vivant ,   pour 

CôdvoYpeci);  en  latin  encore,  manubrium,  hacbe,  pour 

nnp  vieille  forme,  manus  haben'um,  ce  que  Ton  tient  à 

lamnin.^En  Allemand,  beim^  zvm,  chez,  auprès, pour 

M  dm;  zu  dem.  —En  Flamand  on  Néerlandais,  vant , 

du,  pour  van  het  —  En  Espapmol ,  ttsiffd,  pour  vuestra 

ffureed;  ucencia ,  pour  vuestra  ecceHicia,  —  En  Arabe  , 

RaçtmUah^  prophète  de  Dieu  (pour  Raçoui  ei  Allah). 

"En  Japonais,  anatfi  ^  je,   moi;   kotiata  ,  Ui,   toi; 

smata  ,  i\ ,   lui  pour   ano  kata  ,  kono  ha  la  ,  so^io  kata 

(Jitt.,    cette  place;  cette  place-ci  ;  cette  place-là), 

kûiyé,  cabane,  pour  ko  iijé  (Htt.,  petite  maison^. 

Dans  les  patois  de  l'Amérique  du  Nord,  la  plupart 
des  mots  sont  formés  ainsi.  En  Basque,  ce  procédé 
d'élimination  ,  quoique  moins  souvent  employé,  l'est 
encore  intîniment  plus  qut^  dans  les  autres  idiomes 
de  r Ancien-Monde  ,  et  s'il  n'est  pas  aussi  «général 
quVn  Delaware,  cela  tient  sans  doute  à  rintluence 
indo-européenne. 

Il  V  a,  toutefois,  nnrore  une  (hslinction  à  établir 
pnti"e  l'Kskuara  et  les  langues  algiques.  Li»  premier 
de  ces  idiomes,  n'etuphne  guère  le  proctWb'î  il'élimi- 
nation  que  pour  les  composés  des  deux  substantifs 
ou  d'un  nom  et  d'im  adjectif.  Au  contraire ,  les  dia- 
lectes   améri<*ains   s'en    servant    pour    foruier    des 


itVi  DES   AFFINITÉS   HE    LA    L4NGLE   BASOrE 

membres  de  phrase  ou  parfois  des  phrases  entières, 
ou  pour  unir,  comme  nous  l'avons  vu  en  Dakotah , 
un  substantif  à  une  postposition ,  par  ex.  :  Lenapé 
kifannïtowit ,  toi  qui  es  Tètre  suprême  ;  de  kitchi, 
grand  ;  manitou ,  esprit  et  wit ,  désinence  verbale  ; 
kitagichgouk ,  espèce  de  serpent  qui  ne  sort  que  la 
nuit  ;  de  kitamen,  craindre,  gichouk,  soleil  et  ackgouk, 
serpent  ;  koidigalchiz ,  nom  d*amitié  que  l'on  donne 
aux  animaux  domestiques  .  aux  jeunes  chats,  aux 
jeunes  chiens;  de  A',  tu,  toi;  woulit^  joli,  jolie; 
achgaty  patte  et  chiz  ^  thialc  diminutive  (litt.,  toi,  la 
jolie  petite  patte).  Il  est  vraisemblable,  qu'ici  encore^ 
le  contact  avec  les  peuples  indo-européens  a  dû  dé- 
terminer les  Basques  à  restreindre  l'emploi  du  procédé 
en  question,  tandis  que  chez  les  nations  barbares 
du  Nouveau-Monde ,  il  a  conservé  son  extension 
primitive. 

Très-probablement ,  les  règles  de  composition  ont 
été  la  conséquence  du  penchant  qui  porte  les  sau- 
vages à  restreindre  le  nombre  de  leurs  radicaux  , 
comme  s'ils  craignaient  de  charger  leur  mémoire  et 
par  conséquent ,  à  multiplier  le  nombre  des  mots 
composés.  Au  contraire ,  les  races  qui  ont  toujours 
vécu  dans  un  état  de  civilisation  relative  ,  ont  aussi 
gardé  un  nombre  considérable  ,  non -seulement  de 
racines,  mais  encore  de  radicaux,  et  se  sont  bornées 
à  leur  joindre  des  désinences  dérivatives.  L'usage  de 
procéder  par  mots  composés ,  rendant  le  discours 
prolixe  outre  toute  mesure ,  on  dut  chercher  un 
moyen  de  l'abréger  et  Ton  n'en  trouva  point  de 
meilleur  que  d'éhminer  une  partie  de  ces  mêmes  com- 
posants. En    un  mot,    tandis    que   Thommc  cîvihsé 


AVEC  LES  IDIOMES  DU   NOUVEAV-MUNDE.  :209 

emploie  une  quantité  considérable  de  mots  isolés , 
soBceptibles  d'entrer  dans  toutes  les  phrases,  l'homme 
sauvage  se  tient  à  un  certain  nombre  de  combinai- 
sons verbales,  susceptibles  de  rendre  les  idées  les 
pins  usuelles.  On  remarquera,  en  effet,  que  le  Basque 
comme  les  idiomes  américains,  est  fort  pauvre  en 
radicaux ,  et  qu'il  supplée  volontiers  à  cette  lacune  , 
au  moyen  de  composés.  Nombre  d'idées ,  rendues 
dans  les  dialectes  indo-européens  par  les  dérivés,  le 
sont  en  Basque  au  moyen  de  radicaux  combinés,  ex.  : 
belhaun^  genou ,  de  belhar^  front  et  oin,  pied ,  yariegi^ 
banc  (litt.,  demeure  où  l'on  s'asseoit),  de  ^ar,sedere 
et  tegi ,  domus  ;  araisfegi ,  prison  ,  de  har ,  harlv , 
capere,  captus,  et  tegi  ^  domus. 

Les  idiomes  canadiens  admettent  comme  l'Ëskuara 
la  distinction  entre  le  genre  rationnel,  et  le  genre  irra- 
tionnel. En  Basque ,  par  ex.  ,  la  désinence  inessivo 
bailthan  est  spéciale  aux  êtres  doués  do  raison  ;  les 
désinences  tan^ean^  etan  ,  le  sont  aux  objets  non 
doués  de  cette  faculté ,  ou  même  aux  êtres  raison- 
nables ,  mais  alors  désignés  in  génère ,  non  in  specie» 
Ainsi ,  l'on  pourra  dire  gizùnetan ,  in  homine  ,  mais 
il  faudra  toujours  dire  Yinkoahailthan,  in  Deo;  Marin- 
Itailthan ,  in  Maria. 

Dans  les  langues  américaines ,  comme  en  Basque, 
le  genre  rationnel  serait  plutôt  ce  que  l'on  peut  ap- 
peler le  genre  noble,  par  opposition  au  genre  inanimé 
ou  ignoble ,  mais  il  comprend  un  plus  grand  nombre 
de  mots  qu'eu  Basque.  Tous  les  objets  animés^  ra- 
tionnels ou  non,  et  certains  objets  inanimés,  à  raison 
de  leur  noblesse  ou  de  leur  utilité ,  sont  classés  par 
les  Canadiens  dans  le  genre  animé.  D'autres  idiomes 

li 


2\0  DES  AFFINITÉS  DE   ÎA   LANGUB  BA9QCJB 

américains  se  rapprochent  plus  à  cet  égard  da  Bas- 
que :  ainsi,  l'Iroquois  classe  dans  le  genre  noble , 
Dieu,  les  anges  et  tout  ce  qui  est  mâle  dans  l'espèce 
humaine  seulement. 

Une  différence  à  signaler  entre  les  idiomes  cana- 
diens et  l'Eskuara,  c'est  que  chez  les  premiers  la 
distinction  générique  n'a  pas  lieu  pour  les  noms  an 
singulier.  Ceci ,  du  reste ,  se  retrouve  dans  beaaconp 
d'autres  dialectes  du  Nouveau-Monde,  par  ex.  :  en 
Dakotah ,  où  les  noms  du  genre  noble  seuls  pren- 
nent  le  signe  du  pluriel,  qui  est  pi;  en  Qiricbé, 
les  noms  d'objets  inanimés  ne  prennent  jamais  la 
finale  en  aà,  ob ,  ib,  ub^  qui  marque  le  môme 
nombre. 

Les  idiomes  algiques ,  eux  ,  possèdent  une  double 
désinence  plurielle,  celle  en  al^  ar  ou  an  pour  le 
genre  ignoble,  et  celle  en  ak^  ek  ou  k  pour  le  genre 
noble.  Ex.  :  En  Lenapé,  tchoiens,  oiseau  et  tckoiensak 
oiseaux.  Cette  finale  ak  ou  ek  est  la  désinence  gé- 
nérale du  pluriel  en  Basque.  Par  ex.  :  gizon,  homme 
eigizoîiak,  les  hommes.  On  pourrait  supposer  qn'À 
l'origine,  cette  finale  ai,  ek  du  pluriel  était  réservée 
en  Basque  aux  noms  du  genre  noble. 

La  déclinaison  ne  se  retrouve  guère  dans  les  dia- 
lectes américains ,  tandis  qu'elle  est  très-développée 
en  Basque.  Je  serais  porté  à  croire  que,  dan^  ce 
dernier  idiome ,  elle  n'est  pas  primitive ,  qnelqae  ex- 
tension qu'elle  ait  prise  par  la  suite.  Il  ne  faut  pas 
oublier  qu'en  effet,  cette  déclinaison,  se  laît  en 
grande  partie  au  moyen  de  l'article  a  final  et  Ton 
peut  supposer  qu'ici  il  y  a  eu  influence  indo-^eiiro- 
péenuo.  On  sait  que  le  Hongrois  a  pris  du  Polonais  le 


AVKC  LES  IDIOVKS  hll  NOUVEAV-MONDE.  2H 

prénom  a  oa  a:;  el  en  a  fait  anc  sorte  d'article  dont 
les  aatres  idiomes  finnois  sont  dëponi-vus. 

Dn  caractère  assez  général  des  langues  améri- 
caines, c'est  de  posséder  des  termes  diiférents  pour 
les  degrés  de  parenté  suivant  le  sexe  de  la  personne 
qui  parle  ou  dont  Ton  parle.  Ainsi ,  en  Algonkin  , 
kanù  signifie  frère  de  frère  seulement  et  non  frère 
de  sœur;  iikiky  au  contraire,  signifie  exclusivement 
sœur  de  la  sœur.  Ceci  se  retrouve  scrupuleusement 
conservé  en  Basque  ,  mais  pour  un  seul  cas.  Une 
femme  y  désigne  sa  sœur  du  nom  d'Ahispa  ;  la  sœur 
d'an  homme  est  Arreba.  Il  est  vraisemblable  qu'à 
l'origine,  ce  procédé  était  plus  usité  en  Ëskuara. 

Enfin  ^  l'on  sait  que  dans  les  idiomes  algiques  ,  les 
noms  se  conjuguent  et  prennent  un  grand  nombre  de 
flexions  qui ,  dans  les  idiomes  de  l 'Ancien-Monde, 
seraient  propres  au  verbe.  Ainsi,  Zabie^  Xavier  et 
Zabieban,  Xavier  qui  était,  Xavier  que  j'ai  connu,  mais 
qui  est  mort  et  Zabiegoban,  feu  Xavier  que  je  n'ai  pas 
connu.  La  plupart  des  désinences  du  nom  se  peuvent 
également  donner  au  verbe;  par  ex.:  la  finale  fok  qui 
marqne  doute,  possibilité.  En  Basque,  nous  iH^ti'ouvons 
quelque  chose  de  tout  semblable.  î^    finale    ize^ 
par  ex.  ,   qui   est  le  signe  habituel    de    l'infinitiH 
Z^^tm/z«a,  accompagner  (de /o^tm,  compagnon),  se 
trouve   aussi    prise    comme    finale   nominale.  ■  Sa- 
garra  j    pomme  et  Sagartze,    pommier.     Le    nom 
prend  une  finale  de  futur.  Par  ex.  :  Emazte ,  femme 
et  Emaztegaia,  femme  future,  fiancée.  Le  signe  de 
rimparfait  sert  exactement,  comme  en  Algonkin,  à 
rendre  l'idée  de  défunt^  feuy  lorsqu'il  est  uni  à  un  nom. 
Ex.  :  fli/a,  père  ;  aitazena,  feu  le  père,  et  zen^  il  était, 


2\2  DES  AFFJNITÉS   DE   LA    LANGUE   BASQUE 

il  fut.  De  même  en  algonkin,  pour  la  finale  6cm  ;  ex.  : 
Micen,M\che\  ;  Miceniban, déîuni  Michel  ;  nisakiUm^îe 
Taime  et  ni  sakitonaàan,  je  Taimais.  On  sait  que  dans 
quelques  autres  idiomes  du  Nouveau-Monde ,  le  nom 
prend  régulièrement  les  signes  du  passé  et  du  futur 
(en  Guarani^  par  ex.)-  Le  système  de  numération  ca- 
nadien rappelle,  à  plus  d'un  égard,  le  système  basque. 
Ainsi,  en  Ëtchemin ,  le  nombre  9,  pechkokem,  semble 
être  en  relation  étroite  avec  bechkon ,  un ,  comme  en 
Basque  àai^  un  avec  bederatsi^  neu£  Nous  aurions 
peut-être  quelques  raisons  de  croire  que  ce  procédé 
a  été  dès  Torigine  suivi  par  tous  les  peuples  Lenapés. 

On  a  été  tenté  de  retrouver  chez  les  Basques ,  une 
tendance  au  système  quinaire ,  dans  ce  fait  que ,  à 
partir  de  cinq  et  jusqu'à  neuf  inclusivement,  les 
noms  de  nombre  sont  marqués  d'une  finale  t  ou  tsf 
dont  les  autres  sont  dépourvus.  On  pourrait  trouver 
quelque  chose  d'analogue  en  Algonkin,  où  ces  mêmes 
nombres  sont  marqués  par  la  finale  SasSL 

Le  système  vigésimal^  si  souvent  uni  au  système 
quinaire,  existe  en  Basque.  Par  ex.  :  binvgei  40  (litt., 
2  fois  20).  "-Birrogei  eta  kamar,  50  (litt.,  40+10).  — 
Hif^rurogei,  60,  etc.  (litt,  3  fois  20).  Il  existe  égale- 
ment dans  les  idiomes  de  la  famille  Maya-Quiché. 
Par  ex.  :  en  Maya,  20,  kal  ou  hunkal;  80,  cankal 
(litt.,  4  fois  20);  mckal ,  120  (6  fois  20).  —  Mais 
comme  il  se  rencontre  également  en  Breton,  par  ex.  : 
triugent,  00  (litt.,  3  fois  20).— ^iYclo  ugeni,  180  (litt., 
9  fois  20)  ;  qu'on  en  retrouve  des  vestiges  dans  le 
Français  quatre-vingts,  quinze-vingts,  et  que  d'un 
autre  côté  il  manque  en  Algonkin,  où  il  est  remplacé 
par  le  système  décimal ,  nous  n'osons  pas  tirer  des 
conclusion?  do  cptto  coïncidence. 


AVIC  LES  IDIOMES  DU   NOUVEAU-MONDE.  243 

Les  pronoms  personnels  en  Basque  et  en  Algonkin 
offrent,  je  ne  dirai  pas  nne  grande  ressemblance  mais 
une  identité  presque  absolue.  On  en  pourra  juger  par 
le  tableau  suivant  : 

Je.      NL  iVi.-Lenapé  n*.-Gliippeway,  nm,  etc. 

Tu.     Aï  (pour  £t).  iCî.-LeDapé  it\-Chippeway  kin,  etc. 

IL       Hou.  0. 

Nous.  Gu.  Ki 

Ces  affinités  existent  à  un  degré  plus  ou  moins 
prononcé  dans  toutes  les  langues  algiques.  Dans  les 
idiomes  du  groupe  Chiclûmèque  ou  Aztèque ,  la 
f*  personne  est  toujours  marquée  par  un  n  initial. 
Enfin,  en  Quiche  et  en  Maya,  la  i'"  personne  du 
pluriel  est  ka  ou  ca.  Quant  à  la  finale  t ,  qui  exprime 
la  i'*  personne  du  singulier,  nous  en  parlerons 
plus  loin. 

Dans  les  langues  algiques  (  et  généralement  dans 
tous  les  idiomes  américains],  les  personnes  se  pré- 
posent au  verbe  comme  dans  la  conjugaison  syn- 
copée de  TEskuara,  par  ex.  :  en  Lenapé.  n  pendamen, 
j'entends  ;  k'  pendamen ,  tu  entends  ;  de  même  ,  en 
Basque  nathor ,  je  viens  ;  hatlun*  ,  tu  viens  ;  noua 
je  m'en  vais;  houa  ,  tu  t'en  vas  (conjugaison  intran- 
sitive syncopée). 

Un  des  caractères  des  langues  canadiennes ,  c'est 
d'être  exclusivement  pronominales  ;  je  m'explique,  le 
Lenapé  dira,  par  ex.:  noch^  mon  père  ;  koch^  ton  père, 
mais  il  ne  pourrait  rendre  l'idée  de  père  isolée  et 
non  accompagnée  du  pronom.  Cela  se  retrouve  dans 
beaucoup  d'autres  dialectes  de  l'Amérique  du  Nord. 


ili  DES   AFFINITÉS  DE   LA   LANCvUt   BASQUE 

1^8  missionnuires  qui  vouliii*ent  traduire  les  prières 
cbrétieuDes  en  langue  Huronnc ,  étaient  obligés  de 
rendre  ainsi  le  Gloria  Patri  ;  gloire  à  notre  Père ,  et 
à  son  Fils ,  et  à  leur  Saint-Esprit  Les  idionaes  méri- 
dionaux, quoique  plus  libres  dans  leur  allure,  accolent 
toujours  le  pronom  plus  ou  moins  intimement  au 
nom.  En  Pokonchi,  par  ex.,  le  nom  est  intercalé 
dans  le  pronom:  tziquïn,  oiseau ,  et  kiiziquintak  ^ 
leur  oiseau  {ki-tak,  leur). 

Le  Basque  incorpore  également  le  pronom  au 
verbe,  au  moins  à  certains  temps ,  par  ex.  :  zen  ou 
zan  ,  il  était  et  ninizan,  j'étais.  On  remarquera  qu'en 
Algonkin ,  le  pronom  prend  quelquefois  comme 
en  Basque,  un  n  euphonique,  par  ex.  :  Basque  « 
hintzan,  tu  étais,  pour  ki  zan;  en  Algonkin,  nind 
apinaban ,  pour  nt  apinaban.  Enfin,  à  la  conjugaison 
transitive  du  Basque ,  le  pronom  régime  direct  ne 
peut  pas  s'isoler  du  verbe.  L'Eskuara  dira  bien  :  yatm 
dotogia^  litt.,jc  le  mange,  le  pain;  mais  il  manque 
d'une  forme  propre  à  rendre  notre  phrase  simple, 
je  mange  le  itain.  Les  Basques  sont  si  habitués  à  cette 
fusion  du  régime  et  du  verbe,  qu'ils  la  regardent 
comme  exprimée  dans  les  autres  idiomes.  Un 
Basque  auquel  on  demaude  en  Français  :  as-tu 
fermé  la  porte ,  vous  répondra  toujours  :  j'ai  fermé  et 
non  je  l'ai  fermée. 

On  reconnaît  \ti  cette  répugnance  des  races  bar- 
bares pour  les  idées  abstraites,  cette  tendance  à  ne 
considérer  les  objets  qu'au  point  de  vue  concret, 
tendance  qui  parfois  s'unit  à  une  richesse  excessive 
dans  l'expression  des  moindres  nuances  de  la  pensée. 

On  s'est  plu  à  voir  une  distinction  l'adica le  entre 


ATIC  IBS  IMOMBS  OU  NOUVBAU-MOIIDB.  215 

le  BuqHe  et  les  idiomes  américains,  dans  ce  feît  que 
IMoara  dit- tonte  sa  conjugaison  au  moyen  de 
l'aaxiiiaire  être  et  ûcoeèt ,  tandis  que  les  dialectes  ca- 
nadiens ne  connaissent  point  le  verbe  substantif. 
Ao8«,  M.  Dnponcean  dëelare-t-il  n'avoir  pu  traduire 
dans  aucune  kngue  de  cette  famille  la  plinise  bi- 
bliqae  :  -  Je  sais  celai  qni  suis.  »  Cette  divergence , 
après  examen  »  semblera  peut-être  moins  tranchée 
(/u'ou  ne  croirait  au  premier  coup-d 'œil.  IJ  est  dou- 
(eux  qu'il  y  ait,  à  proprement  parler,  des  verbes  en 
Bdsqae.  Aïz,  que  Ton  traduit  par  je  suis,  est  le  mé- 
diatif  régulier  de  ni,  je  on  moi  veut  dire  littéralement 
par  moi,  de  moi  ;  g^re,  nous  sommes,  n'est»  suivant 
toutes  les  apparences,  que  pour  gura  et  forme  l'ailatif 
de  gu ,  nous.   Son  sens  véritable  est  donc  ^î  nous , 
vers  nùuâ.  11  conviendrait^  sans  doute,  de  traduire 
l'expression  ethorten  naiz ,  je  viens ,  par  in  t(o  verure 
per  me.  La  présence  du  radical  iz  dans  izan  semble, 
il  est  vrai ,   contredire  cette  hypothèse  et  accuser  In 
présence  du  radical  être.  Il  serait  possible  d'abord 
qn'iz  ne  fût  qu'une  Gnale  prise  comme  radical.  Cet 
étrange  procédé  n'est  peut-être  pas  sans  exemple 
en  Basque,  et  le  mot  gai^  gaia^  matérinux,  ce  qui  est 
propre  à  devenir  (  par  ex.  :  dans  emaztegaia ,  femme 
future,  fiancée),  pourrait  bien  se  rattacher  à  la  flexion 
A'a,  par^   vers.  Je  ne  sais  si  l'on  ne  trouverait  pas 
quelque  chose  d'analogue   en  Turc  pour  le    verbe 
substantif,  dont  certaines  formes  se  rapprochent  des 
suffixes  possessives.  Si  même  Ton  admet  que  la  syl- 
labe iz  constitue  un  radical  verbal  il  est  bien  difficile 
de  ne  le  pas  rapprocher  du  radical  sanscrit  as  (asmi, 
je  suis)  et  de  n'y  pus  voir  un  de  ces  emprunts  sans 


ilt>  UES  AFFINITÉS  DE  LA   LAlf(H)E  BASOUX 

nombre  faits  par  l'Ëskuara  aux  dialectes  indo-euro- 
péens. II  est  donc  permis  de  croire  que  le  système 
de  conjugaison  actuelle  du  Basque  n'est  pas  le  sys- 
tème primitif  9  qu'il  a  été  précédé  par  un  autre  tout 
différent.  L'adoption  du  verbe  auxiliaire  aurait  été 
de  la  part  des  Basques  une  tentative  pour  rapprocher 
leur  idiome  de  cjpux  des  nations  voisines.  Bancroft 
nous  parle  de  je  ne  sais  plus  quel  dialecte  des  États- 
Unis  ,  lequel  s'est  forgé,  à  l'exemple  de  l'Anglais,  un 
verbe  être  dont  il  était  à  l'origine  dépourvu.  L'em- 
ploi du  pronom  de  la  3*  personne ,  pour  former  le 
verbe  auxiliaire,  n'est  sans  doute  pas  dans  la  langue 
maya  ou  yucatèque  ,  plus  ancienne  que  la  conquête 
espagnole.  On  voit  que  bien  des  idiomes  (  peut-être 
tous  )  n'ont  pas  senti  à  l'origine  le  besoin  d'exprimer 
la  notion  du  verbe  par  excellence.  Ils  n'en  sont  arri- 
vés à  ce  point  que  par  suite  d'un  perfectionnement 
plus  ou  moins  lent.  Quelques  langues  américaines  , 
telles  que  le  Péruvien  et  le  Sioux  ou  Dacotah  possé- 
daient d'ailleurs  le  verbe  substantif.  Dans  ce  dernier 
idiome  même ,  il  s'emploie  avec  le  participe  pour 
former  une  sorte  de  conjugaison  analogue  à  la  con- 
jugaison descriptive  du  Magyar  et  du  Lapon  ,  ainsi 
qu'à  la  conjugaison  intransitive  du  Basque. 

Un  point  de  contact  très-digne  d'être  signalé  entre 
TËskuara  et  les  dialectes  américains  ,  c'est  la  distinc- 
tion  si  tranchée  entre  les  conjugaisons  transitive  et 
intransitive,  par  ex.  :  en  Algonkin,  ni  sakidjike^ 
j'aime,  et  nisakiha,  je  l'aime.  En  Maya,  ces  deux  con- 
jugaisons ont  des  pi'onoms  différents.  Il  y  a  toutefois 
ceci  à  remarcïuer.  Chez  les  peuples  du  Nouveau-Monde, 
la  conjugaison  intransitive  renferme  tous  les  verbes 


AYK  LES  IDKHfES   DU  NOUYEAU-MONDE.  217 

non  munis  d'an  rëgîme  direct,  qu'ils  soient  par  leur 

nature  actife  ou  neutres^  on   passifs;  en  Basque, 

elle  ne  contient  que  les  yerbes  passifs  ou  neutres. 

Quant  aux  verbes  actifs,  ils  sont  toujours  foroé- 
meat  accompagnés  d'un  régime  direct  et  rentrent  par 
conséquent  dans  la  classe  transitive. 

Enfin ,  le  pronom-régime  ,  soit  direct,  soit  indirect 
&it  dans  les  deux  groupes  d'idiomes  partie  intégrante 
du  verbe  ;  ce  qui  rend  la  conjugaison  extraordi- 
nairement  compliquée. 

Noos  remarquerons  que  le  pronom  de  la  i^*  per- 
sonne incorporé ,  en  Basque  ,  se  présente  sons  une 
forme  toute  spéciale.  11  consiste  en  un  i  final  ;  ex.  : 
dut,  je  l'ai;  zaïi,  il  m'est,  il  est  pour  moi.  Dans  un 
dialecte  du  sud  des  États-Unis ,  dont  nous  ne  nous 
rappelons  plus  le  nom  (le  Chikassais  ou  le  Cherokee, 
je  crois),  le  t  initial  marque  le  pronom  de  la  1'*  per- 
sonne. Il  a  probablement  aussi  en  Basque ,  existé 
primitivement  sous  sa  forme  isolée. 

L'imparfait,  nous  l'avons  déjà  dit  dans  les  langues 
canadiennes ,  consiste  dans  la  particule  finale  ban  , 
ex.  :  ni  sakihaban^  je  l'aimais ,  qui  signifie  également 
moi*t,  défunt;  ex.  :  Zabieban,  défunt  Xavier.  En 
Basque,  la  3*  personne  du  singulier  de  l'imparfait 
indicatif  est  zen ,  zan  qui  a  le  mémo  son  de  feu  , 
défunt ,  ex.  :  ai  ta  zena,  défunt  le  père  ;  ethorten  zen 
se  rend  littéralement  par  defunctum ,  m  tco  venire, 
il  venait  La  i"  et  la  2*  personne  du  même  temps 
semblent  provenir  de  la  fusion  du  pronom  personnel 
avec  ce  radical ,  par  ex.  :  nintzan,  j'étais  pour  niz  zan, 
litl.  />er  me  defunctum:  le  désir  d'éviter  la  réunion  des 
deux  sifflantes  parait  avoir  été  la  cause   de  Tinter- 


ii8  DES  AFFINITÉS  DE   LA   LANGUE  BASQUE 

calation    de    Vu    dont    nous    avons    cité    quelques 
exemples  «lu  sein  des  langues  canadiennes.  Quant  à 
la  3'  personne  zen,  elle  nous  offre  un  radical  dépourvu 
de  lout  pronom.  Celte  omission  du  pronom   de  la 
3'  personne  du  singulier  se  retrouve  à  chaque  pas 
dans  les  dialectes  du  Nouveau-Monde ,  par  ex.  :  en 
Groenlandais,  angekog  ,  grand ,  et  il  est  grand.  En 
Mexicain  tlapia^  un  gardien  el  il  garde.  En  Algonkin, 
ni  sakidjike  y  y  aima  ,  et  sakidjike,  il  aime.  Du  reste, 
les  langues  somitiques  cl  touraniennes  nous  offrent 
plus  d*un  exemple  de  ce  procédé,  par  ex.  :  en  Turc, 
sever ,  amans  ou  amat.  En  Basque  et  en  Algonkin  , 
la  2*"  et  la  3'  personne  du  pluriel  possèdent  un  signe 
spécial   qui    n'existe   pas  pour  la   1*^'  personne  du 
même  nombre.  Si  sur  ce  point  Taccoi'd  est  remar- 
quable, les  désinences  toutefois  n'offrent  point  d'ana- 
logies ,    quant  au  son,   dans  les  deux    groupes  de 
langues.  Elles  sont  te  ou  de  en  biisque,  ex.  :  zeraie, 
vous  clés  ;  dira  ou  dirade ,  ils  sont  ;  mais  géra ,  nous 
sommes  ;  8^3  en  Algonkin  ;  ex.  :  ki  sakitonaSa,  vous  les 
aimez  ;  o  sakitonaSa ,  ils  les  aiment  ;  mais  ni  sakHo- 
nanan,  nous  les  aimons. 

La  finale  iocative  ko  ou  go  m  en  Basque  une  valeur 
future,  ex.  :  izango  naiz.  futurus  sum  ;  pro  xt^  esse 
sum.  Nous  trouvons  en  Chippeway,  la  syllabe  go 
marque  du  futur  ,  mais  intercalée  entre  le  pronom  et 
le  verbe,  ex.  :  ninondoni,  y euiend& ,  et  ningônandotn , 
j'entendrai.  Peut-être,  du  reste,  cette  analogie  n'est- 
elle  que  le  fruit  du  liasard  ;  le  go  devient  ga  en 
Algonkin,  ex.  :  7Ùnga  sakihn,  je  l'aimerai. 

Nous  serions  bien  tcmémire  sains  doute  ,  en  pré- 
tendant établir  la  moindie  analogie  entre   la  finale 


AVEC  LES  IDIOMES  DU  NOC VEAU-MONDE.  219 

soeiative  ib'  da  Basqae  qui ,  quelquefois  a  une  valeur 
de  tempe  présent,  par  ex.  :  hettziareki  erran  dut,  il  n)*a 
dit  en  arrivant  (litt.,  avec  l'arrivée),  et  le  ki,  gi  marque 
du  passé  dans  les  dialectes  algiques ,  par  ex.  :  en 
Chippeway  nin  gi  n<$fidbmj'ai  entendu;  en  Alj^onkin 
nimkiha^  je  l'aime,  et  nin  gi  sakiha,  je  l'ai  aimé.  On 
concevrait  cependant  que  )e  sociatif  puisse  assez 
indifféremment  se  transformer  en  signe  de  présent 
00  de  passé. 

L'optatif  basque  est  marqué  pnr  la  syllabe  za  on  fia 
iolercaJée  avec  n final,  par  ex.  :  yan  degti,  nous  l'avons 
mangé   et  yan    dezagun^    que  nous    le   mangions. 
L'Algonkin   fait  usage   pour  le  conditionnel   de   la 
syllabe  da ,  également  intercalée  ,  ex.  :  ninda  sakiha, 
je  l'aimerais.  Mais  je  soupçonnerais  la  forme  améri- 
caine de  se  rattacher  plus  directement  à  l'optatif  du 
verbe  éire  en  Basque,  marqué  |)ar  la  syllabe  nd,  di , 
intercalée,  ex.  :  niz  ,  je  suis ,  et  tiadin ,  que  je  sois  , 
hadinj  que  tu  sois. 

Certaines  conjonclions  sont  unies  an  vcîrbe  sous 
forme  de  simples  finales  dans  ces  deux  groupes  de 
langues  ,  ex.  :  en  Basque  ,  nizalarik ,  tandis  que  jt; 
suis;  nizolakoz,  piirce  que  je  suis;  en  Algonkin, 
sakihntc/iy  s'il  l'aime. 

En  Basque,  ainsi  qu'en  Algonkin  ,  certaines  foi-mes 
verbtiles  peuvent  être  à  la  fois  transitives  et  intran- 
sitives, par  ex.  :  en  Ëskuara,  nmu  ,  je  suis  (forme 
respectueuse),  et  nuzu ,  vous  m'avez  (vous  singulier 
et  respectueux);  en  Algonkin  ,  sakiha,  il  est  aimé  et 
avec  le  pronom  ni  suki/uiy  jeraiine.  Ceci  nous  t'ait  voir 
(pie  les  dialectes  canadiens  pas  plus  que  le  Basque 
n'ont  senti   bien   nettement  la   dislinclion   entre   le 


220     DES  AFFINITES  DE  LA  LANGUE  BASQUE 

passif  et  l'actif;  ni  sakiàoy  se  doit  rendre  littérale- 
ment par  moi ,  il  est  aimé  ;  c'est-à-dire  ,  je  taime.  En 
Basque,  nous  trouvons  quelque  chose  de  tout-à^&it 
semblable.  Le  cas  nommé  actif  et  qui  le  plus  géné- 
ralement est  une  forme  du  sujet ,  peut  anssi  remplir 
le  rôle  d'un  véritable  ablatif,  ex.  :  nik  egin  dut^  je 
l'ai  fait  (ego  factum  babeo)  et  nik  egina^  ce  qae  j'ai 
fait  (ego  factum,  per  me  factum). 

On  conçoit  combien  la  conjugaison  doit  être  com- 
pliquée en  Basque  et  dans  les  idiomes  américains. 
  tout  cet  enchevêtrement  de  personnes  accolées  aa 
verbe,  ils  ajoutent  une  grande  variété  de  mode. 
L'infinitif,  qui  en  Basque  est  remplacé  par  une  sorte 
de  nom  verbal,  ne  parait  point  exister  du  tout  dans 
les  dialectes  canadiens.    • 

Les  conjonctions  isolées  se  rencontrent  asses  rare- 
ment dans  ces  idiomes  ,  souvent  elles  consistent  en 
désinences  ajoutées  au  verbe  ainsi  que  nous  l'avons 
dit  ;  quant  aux  prépositions,  elles  se  placent  le 
plus  souvent  après  le  mot  et  deviennent  ainsi  de 
vraies  postpositions.  Cette  règle  est  plus  fidèlement 
observée  dans  certains  groupes  d'idiomes  améri- 
cains que  dans  les  langues  algiques. 

En  Algonkin  et  dans  un  grand  nombre  de  dialectes 
du  Nouveau-Monde ,  l'adjeclif  précède  le  nom  el  ce 
dernier  seul  prend  la  marque  du  pluriel.  Ex.  :  matcki 
animotch ,  un  mauvais  chien  et  matchi  animoickak^  de 
mauvais  chiens.  En  Basque,  l'adjectif  peut,  il  est 
vrai ,  précéder  ou  suivre  le  substantif;  mais  lorsqu'ils 
sont  unis ,  l'un  des  deux  $eul  revêt  la  forme  plu- 
rielle. Ex.  :  gizon  guziak ,  tous  les  hommes  et  non 
pas  f/izmak  guziak.  On  trouverait  cependant  à  celte 


AVEC  LKS  mOMES  DU   NOUVEAU-MONDE.  224 

règJe,  en  Basque,  quelques  exceptions  peut-être  plus 
apparentes  que  réelles.  Les  langues  touraniennes,  ou 
dn  moins  un  assez  grand  nombre  d'entre  elles ,  nous 
oflrent  la  même  particularité ,  mais  chez  elles ,  elle 
s'étend  plus  loin  encore  ,  puisque  la  désinence  du 
temps  ne  s'applique  qu'an  dernier  des  participes  qui 
se  suivent  dans  une  phrase. 

Un  des  caractères  les  plus  étranges  de  la  langue 
basqoe,  c'est  sa  faculté  de  former  à  Tinfini  des  mots 
composés  ou  surcomposés,  en  ajoutant  et  combinant 
l'article  final  a  et  les  désinences  du  participe  en  tu, 
de  l'infinitif  du  nom  verbal  en  tze;  ex.  :  etrege^  roi; 
erregea,   le   roi;  erregearen,   du  roi;  erregearentze , 
devenir  celui  du  roi;  de  là  erregearentzea ,  erregen- 
rentzearena,  etc.,  et  ainsi  de  suite  ,  nous  le  répétons, 
jusqu'à  l'infinL  L'emploi  de  l'article  final  a  puissam- 
ment contribué  à  développer  ce  procédé  au  sein  de 
ia  langue,  et  bien  qu'il  soit  peut-être  d'origine  argo- 
européenne ,  il  donne  à  TEskuara  une  physionomie 
nullement  indo-européenne.  On  dirait  qu'en  philo- 
logie ,  comme  en  chimie ,  le  mélange  a  parfois  pour 
eifet  de  donner  naissance  à  des  composés  doués 
de  propriétés  différentes  de  celles  que  nous  rencon- 
trons chez  les  composants.  Les  langues  américaines, 
uon  pourvues  de  Tarticie,  ne  jouissent  pas  ou  du 
moins  ne  nous  ont  pas  paru  jouir  de  cette  faculté  de 
former  des  surcomposés  ;  mais  elles  peuvent,  ce  qui  les 
rapproche  un  peudeTEskuara,  verbiser  beaucoup  de 
noms  et  d'adjectifs  surtout ,  en  préfixant  un  pronom. 
C'est  ce  que  nous  remarquons  en  Mexicain,  en   Iro- 
quois ,  dans  les  langues  algiques.  En  Algonkin,  par 
exemple,  rien  de  plus  facile  que  de  transformer  un 


226  DES  AFFINITÉS  DE  LA   LANGUE  BASQUE 

paraître  douteuses ,  le  plus  grand  nombre  ne  l'est 
point ,  et  le  lecteur  voudra  bien  nous  pardonner 
quelques  erreurs  de  détail  que  l'état  encore  si  peu 
avancé  des  études  américaines  rendait  presque  iné- 
vitables. Passons  maintenant  aux  données  fournies 
par  Tethnographie  et  la  science  anthropologique. 

La  race  cuivrée  n'offre  pas  une  très-grande  fixité  ; 
elle  n'est  pas^  nous  disait  un  savant  antbropologiste, 
aussi  nettement  c^iractérisée  que  la  race  noire  ou  la 
race  jaune.  Néanmoins ,   les  peuples   indigènes  du 
Nouveau-Monde  se  ressemblent  tous  en  un  point  : 
ils  ont  la  chevelure  raide,  noire,  cassante  ;  la  coupe 
du  cheveu  examinée  au  microscope  est  plus  ou  moins 
arrondie,  au  lieu  d'aifecter  la   forme  ovale  propre 
aux  peuples  caucasiques,  ou  d'être  en  ellipse  allongée 
comme  chez  le  Nègre.  Ce  caractère  de  la  chevelure 
(et  on  peut ,  à  ce  sujet ,  consulter  le  mémoire  si  cu- 
rieux de  M.  le  docteur  Pruner-Bey)  se  retrouve  chez 
les  peuples  mongoliques  ;  mais  il  existe  également 
chez  le  Basque.  Les  habitants  des  Pyrénées  ne  s'y 
trompent  point  et  reconnaissent  parfaitement  un  vrai 
Basque  à  sa  chevelure  toujours  un  peu  raide  et  cas- 
sante.  Le  cheveu   criniforme   se  retrouve ,    dit-on  , 
chez  un  certain  nombre  d'habitants  du  Valois  que 
Ton  s'accorde  à  reconnaître  comme  les  descendants 
des  premiers  peuples  de  l'Europe  et  les  frères  des 
Ibères.  Nous  n'insisterons  pas  sur  quelques  autres 
caractères  typiques  ;  par  exemple  ,   la  sévérité  du 
regard  contrastant  avec  Texpression  gracieuse  du  bas 
du  visage ,   cliez  le  Basque  comme  chez  certaines 
tribus  américaines ,  l'œil  fendu  en  amande  et  parfois 
tr^s-léffèrement  relevé  à  l'angle  antérieur,  ainsi  qne 


AVEC  LES  IDIOMES  DU  HOUVEAt-mmiB.  227 

noofl  l'avons  pa  remarquer  chez  un  certain  nombre 
de  Labcmrdins  (  ce  caractère  ne  parait  point  exister 
dans  la  Soole.  Les  Souletins ,  à  en  juger  par  leurs 
traits  pliysiqaes ,  sont  des  Celtes ,  bien  qu'ils  aient 
adopté  Tnsage  de  l'Eskuara.  Tous  ces  caractères,  en 
effet ,  se  retrouvent  an  sein  de  trop  de  races  diffë* 
rentes  pour  offrir  beaucoup  d'importance. 

L'usage  de  la  couvade,  en  vertu  duquel  sitôt  qu'une 
femme  accouchait,  le  mari  se  devait  mettre  au  lit ,  a 
existé»  nous  dit  Chaho,  dans  quelques  cantons  du  pays 
basque-espagnol  où  il  était  sans  doute  fort  ancien. 
Oa^Ie  retrouva  chez  les  indigènes  des  Antilies ,  chez 
les  Brésiliens ,  où  il  a  le  caractère  d'une  véritable  in- 
stitution religieuse.  Malheureusement^  on  le  rencontre, 
malgré  son  étrangeté ,  un  peu  partout ,  et  dès  lors , 
il  perd  beaucoup  de  son  importance  ethnographique. 
Les  anciens  ont  signalé  son  existence  chez  les  Tiba- 
réniens  du  Caucase ,  et  il  n'est  pas  inconnu  ,  dit-on  , 
aux  MiaxhUeu,  les  montagnards  aborigènes  de  l'Em- 
pire chinois  (i). 

Je  ne  crois  pas  qu'il  convienne  de  s'ëtayer  beau- 
coup sur  certains  usages  funéraires  communs  aux 
aborigènes  de  l'Europe  et  aux  mces  américaines  ; 
les  Brésiliens,  par  exemple^  comme  les  premiers  habi- 
tants de  la  Scandinavie,  donnaient ,  affirme-t-on ,  au 
cadavre,  en  l'ensevelissant,  la  même  posture  qu'a 
le  fœtus  dans  le  sein  de  sa  mère. 

On  siiit  que,  chez  les  peuples  primitifs,  l'émigra- 
tion est  la  principale  cause  de  la  perte  de  la  civi- 
lisation. Les  Germains,  au  temps  de  Tacite,  étaient 

(1)  Voir,  à  cet  égard,  les  OEuvi-es  du  dwleur  Virey, 


228  DE8  AFFINITES  DE  LA  LANGUE   BASOUE 

sans  doute  moins  avancés  que  les  Argos  du  XV*  siècle 
avant  notre  ère.    Si  nous  nous  réglons  sur  ce  prin- 
cipe ,  nous  serons  fortement  tentés  de  chercher  sur 
les  rives  de  l'Atlantique  Tongine  des  races  du  Nou- 
veau-Monde. A  mesure  que  Ton  s'avance  de  l'est  à 
Touest,  les  germes  de  civilisation  se  montrent  de 
moins  en  moins  développés.  On  ne  retrouve  plus , 
par  exemple ,  chez  les  peuples  habitant  à  l'ouest  des 
montagnes  rocheuses ,  Tusage  des  Totems  ou  signes 
héraldiques  des  tribus ,  les  cérémonies  d'initiation 
pour  les  jeunes  gens ,  ni  l'existence  d'une  douide 
classe  de  chefs ,   les  uns  commandant  pendant  la 
paix ,  les  autres  pendant  la  guerre.  Ajoutons  que  les 
instruments  de  l'Age  de  pierre  en  Europe  ressemblent 
singulièrement  à  ceux  que  se  fabriquent  encore  au- 
jouM'hui  certaines  tribus  américaines ,  et  que,  sous 
ce  rapport,  l'atiimté  est  plus  grande  entre  notre  Oc- 
cident et  le  Nouveau-Monde  qu'elle  ne  serait  par 
exemple  entre  l'Afrique  ou  l'Australie  et  l'Europe. 
Nous  ne  parlerons  ici  qu'en  passant  de   l'âge  de 
cuivre,   qui  parait  avoir  existé  en  Europe  comme 
époque  intermédiaire  entre  l'âge  de  pierre  et  l'âge 
de  bronze.  Cet  âge  de  cuivre  se  retrouve  en  Irlande 
et  dans  le  nord  de  l'Espagne.  Or  ^  les  peuples  de 
l'Amérique  les  plus  civilisés  ne  l'avaient  point  dé* 
passé ,  et  à  l'exception  de  quelques  tribus  du  Groen- 
land^ qui  autant  que  je  me  rappelle  fabriquaient  di- 
verses armes  au  moyen  du  fer  métorite ,  nul  peuple 
américain  n'employait  ce  dernier  métal. 

Que  l'on  ne  s'étonne  pas,  du  reste,  de  voir  l'Amë-r 
rique  peuplée  au  moyen  de  colons  européens  de 
l'Age  de  pierre  ou  de  cuivre.  Toutes  les  îles  de  la 


ATEC  LES   IDIOMES   DU  NOUVEAU-MONDE.  229 

Polynésie  ont  reçu  des  colonisateurs  qui  n'étaient 
pas  plus  avancés  en  fait  d'industrie. Les  Néo*Zélandaî8y 
lesquels  n'employaient  que  la  pierre ,  le  bois,  l'os  ou 
l'arête  de  poisson,  contruisaient  bien  des  pirogues 
pouvant  contenir  cinquante  personnes.  Les  aborigènes 
de  l'Europe  pouvaient  certainement  en  faire  autant. 
Que  l'on  suppose  une  de  ces  embarcations  contenant 
deux  ou  trois  familles,  transportée  par  les  vents 
jusqu'en  Amérique ,  cela  n'a  rien  d'extraordinaire. 
Ne  savons-nous  pas  qu'une  petite  embarcation  chargée 
de  vins,  qui  faisait  le  commerce  entre  les  diverses  îles 
Canaries  fut  entraînée  par  une  bourrasque  jusqu'à  la 
Trinitad ,  bar  lo  venio ,  dans  les  Antilles ,  ou  l'équi- 
page aborda  encore  vivant  ?  Ne  sait-on  pas  qu'Alvarès 
Cabrai,  parti  pour  explorer  les  côtes  africaines,  fut 
jeté  par  la  tempête  sur  les  rives  brésiliennes  dont  il 
fit  ainsi  la  découverte  involontaire  ?  £t  pour  prendre 
un  exemple  plus  frappant,  au  milieu  du  dernier 
siècfe,  une  barque  esquimaude  fit  naufrage  sur  la 
cdte  d'Ecosse ,  où  son  propriétaire  vécut  plusieurs 
années.  On  a  de  bonnes  raisons  de  le  croire  :  ces 
Indiens  dont  parle  Strabon  et  qui  avaient  été  jetés 
par  les  vents  à  l'embouchure  du  Wesor,  n'étaient 
sans  doute  ,  eux  aussi,  que  des  Grocnlandais ,  bien 
que  quelques  auteurs  se  soient  plu  à  y  voir  des 
Slaves  ou  des  Vendes. 

Ces  émigrants  arrivant  en  petit  nombre,  sans  être 
accompagnés  d'animaux  domestiques  autres  que  le 
chien  (il  est  à  remarquer  du  reste  que ,  d'après  les 
recherches  les  plus  récentes,  c'était  le  seul  servi- 
teur que  possédassent  les  hommes  de  l'âge  de  pierre 
dans  le  nord  de  l'Europe),   n'ayant  pas  songé  à 


::•■.'  ;  :••> .   durent 

•   î-  •  «Lf-  leurs  moven« 

•-    iKir  constfquenl, 

_    ^-     :.:  revanclie,    Irou- 

'i>:-fait    inhabité  , 

_-     -  ;:incipal    obslael»- 

-     z:::'^-i' ?ns  ,  c'est-à-dif  *= 

..^     -     •.    >:•! ,   ils  durent   se 

,  -  .:    -lyidilé  sur  toute    la 

-■     en  quelijues  siècles. 

■•     fc*  trouva  peupl'V.'  par 

. .  •  >   ie   Labrador  ;-.:>7u  an 

■  :  ..V  population  chez  le> 

■*.     *Vtrt    rapide ,   coninie 

.■•;•.   cas.  Les  espèces  ani- 

.  .r/     eile-mème ,   en     verln 

^     ...  :\»ture,  tendent  toujours 

■lUS   vite    que   l'espace    à 

>       Able.    C'est    ainsi    qiî'au 

.  ^  :...  -.aires  est  supérit'ure  dans 

*.     -  a  ce  qu'elle  est  dans  les 

>*^ .  c'est  ainsi  (pie  tous  les 

.♦.  r.  le  chillrc  de  leurs  habi- 

;,    -f..-;  chaque  demi-sircle.  C'est 

'  7-;i    dans    un   autre   ordre 

,;   \    domestiques  abandon- 

-  >  .i.in?  les  îles  et  sur  (juelques 

...    f:v.oricain,     tonnaient     déjh 

v.^;..'»    .ri">-peu    d'années   après   la 

i.r  irand  continent  entouré  par 
^    ...:  n*aboi*dait  guère  qu'à  la  suite 


AVEC  LES   IDIOMES   DU   NOUVEAU-MONDE.  231 

d'accidents  ou  de  naufrages,  les  premiers  arrivants 
comptent  seuls  quant  à  la  population. 

En  effet,  avant  que  de  nouvelles  embarcations, 
chargées  d'émigrants  des  deux  sexes,  aient  pu  aborder 
en   Amérique,  de  longs  siècles  peut-être  s'étaient 
déjà  écoulés,  et  les  tribus  primitives  avaient  eu  le 
temps  de  se  répandre  un  peu  partout.  L'imperfection 
des  connaissances  nautiques  chez  les  anciens  ne  leur 
avait  pas  permis  d'entretenir  des  relations  suivies 
avec  le  Nouveau-Monde,  en  admettant,  ce  qui  est 
probable ,  que  quelques  navigateurs  grecs  ou  phéni- 
ciens l'aient  touché  sur  divers  points.  Ils  ne  pou- 
vaient donc  ni  y  porter  de  colonies  ni  y  faire  d'inva- 
sions qui  fussent  de  nature  à  altérer  d'une  manière 
sensible  le  sang  des  anciens  habitants.  Les  naufmgés 
qui  y  furent  jetés  par  la  suite  s'empressèrent  de  faire 
ce  que  l'on  a  toujours  fait  eu  pcireille  circonstance  : 
au  lieu  de  se  retirer  dans  les  bois  pour  y  vivre  à 
l'écart ,  ils  cherchaient  asile  chez  les  tribus  les  plus 
voisines  :  s'ils  y  étaient  bien  accueillis,  ils  se  mariaient 
avec  des  femmes  indigènes,  et  ne  tardaient  pas  à  se 
fondre   complètement    avec    leui-s    nouveaux    com- 
patriotes. Tout  au  plus  reconnaissaient-ils  l'hospitahté 
reçue  en  répandant  chez  ceux  qui  les  avaient  ac- 
cueillis quelques  idées  nouvelles,  quelques  germes 
de  civilisation ,  ou  bien  se  constituaient-ils  en  castes 
savantes  et  sacerdotales.  On  sait  l'histoire  de  ce  nau- 
fragé anglais  qui ,  jeté  sur  la  côte  d'Australie  ,  s'était 
constitué  chef  de  la  tribu  voisine,  et  lui  avait  appris  à 
construire  avec  plus  de   soin  ses  huttes  et  à  confec- 
tionner des  vêtements  plus  confortables.  Autant  le 
contact  de  la  civilisation  est  funeste  au  barbare  lors- 


•  ,    ï>     •£    LA    LANGUE   BASOTE 

..^r^    :e   ia  race  la  plus  avancée  sont 

_  •»-.••:    vuipactc,  autant  il  lui  est  avanta- 

^^•r      :».«iiiiue  civilisé  se  présente  seul  ou 

-  ,    **,-<:^*  Nous  n'aurions  pour  notre  part, 

.^  i.iiice  a  attribuer  à  quelques  naufragés 

_  _-c-.  jpouais,  chinois  ou  indous,  une  cer- 

.  t  uLTT  >ur  le  développement  de  la  civilisation 

..    ..c     .  ly  a  que  quelques  années,  une  jonque 

^j..-^    Il  eiee  sur  les  côtes  de  la  Californie,  et  le 

;•.  -'^t  produit  plus  d'une   fois   depuis  la 

-^  ->«<'£  piobable  que  les  rives  de  l'Atlantique 

..   'i,.  t    paiement,  mais  à  une  époque  fort  reculée, 

.>     .va>  indo-européens  et  peut-être  même  celtes. 

u;j>    \,»iiquorous  volontiers  par  là  la  présence  de 

*c.^u<.>  ladicaux  aryaques  dans  les  langues  algi- 

.t5<  ':5\    .  Breton,  skofa ,  échauder,  brûler  ;  sÂ'ow/, 

*^>4.t#i .  eu.  dans  la  plupart  des  idiomes  lenapés.  — 

\^,:.i.    tinii.»-le  ,  aimer  en  Algonkin  ;  .voÂya ,  amour 

u   >iit>4.nt.  —  Lenapé ,  irigwam^  maison;  Skr.  vu; 

^u.     -^.o^t  un  radical  signifiant  habiter,  d'où  le 

,^*.   .  v:>  pour  iCixc;  (fonne  archaïque);  le   latin 

.,  ,w^    ;;w..  .  etc. ,  etc. 

,  ^ÇKiiioii  plus  généralement  admise  qui  fait  des- 
T,«iu-  ^»d  on  totalité,  soit  en  partie,  les  Américains 
;,  ..vii>  asiatiques,  nous  semble  diflicilement  sou- 
l•l^»csl^  Lo?'  idiomes  américains  n'ont  offert  jusqu'à 
,     ,'ui  ^'le  do  bien  faibles  analogies  avec  ceux  de 

v.t-îHo  OiMOUt,  tandis  que  leur  génie  grammatical 

.^     ajV»^KÎu'    singulièrement  de   l'Kskuara.    D'un 

..v^v  .-io.  i'yttKnilé  surprenante  qu'au  point  de  \iie 

Vluuxi^uo  iK»us  présentent  les  races  du  Nouveau- 


ATic  LES  iMons  r^  ?K.:cTi^r-«<9SC.         2SS 


Uonde  est  on  indice  bien  pgi«waiit  ea  fiiTesr  ée  Icmr 
imite  origineDe.  On  cooiçoit.  en  effet,  ^'■apesfie 
eonqaénnt  et  cirîlisë  amuDe  les  BcaûB  ûl  pa 
impoeer  sa  langue  à  la  plupart  des  natioBS  de  i'Otei- 
dent.  On  ne  s'expliquerait  point  qn'im  tel 
ait  pa  se  prodaiie  an  sein  de  tribiB 
lëes  et  presque  sans  contact  les  mies  avec  les 
Si  llnlluence  de  la  civilisation  aztêqoe  a  a  pas  été 
assez  poissante  poor  £ûre  disparaître  la  moititade  de 
dialectes  en  TÎgueor  sur  le  platean  de  l' Anaknac  « 
comment  veut-on  que  des  peuplades  srosâêres  et 
ignorantes  aient  propagé  leurs  idiomes  chez  d'antres 
peuplades  de  race  asiatique  et  e£Eicé  ainsi  tous  les 
vestiges  d'une  colonisalion  venue  de  TOrient?  Si 
donc    les   idiomes  américaia<    se  rattachent  à  un 
groupe  unique ,  c  est  que  les  nations  chez  lesquelles 
ils  sont  en  vigueur  ont,  elles  aussi,  une  commune 
origine.  D'ailleurs,  les  colons  asiatiques  n'auraient-ils 
pas  apporté  avec  eux  leur  système  graphique,  Tusaçe 
de  certains  animaux  domestiques?  Mais,  dira-t-on, 
ils  venaient  de  la  Sibérie ,  ont  passé  par  le  détroit  de 
Behring  et  étaient  à  peu  près  aussi  barbares  que 
les  indigènes  !   Remarquons  d'abord  qu*il  n'existe 
qu'une  seule  population  commune  aux  deux  conti- 
nents, ce  sont  les  Tchouktchis  pécheurs,  lesquels 
sont  Esquimaux  par  leur  langue ,  leur  type  physique 
et  leur  manière  de  vivre.  On  ne  doit  pas  les  con- 
fondre avec  les  Tchouktchis  nomades ,  qui  possè- 
dent des  troupeaux  de  rennes  comme  les  autres  races 
de  la  Sibérie  et  se  rattachent  d'ailleui-s  par  leur  lan- 
gage à  la  souche  Touranienne.  Les  races  de  l'Amé- 
rique, au  contraire,  n'ont  jamais  su  domestiquer  le 


232 


•*    i::  \  -; 


(]Uf  h 


I  •» •- 


ii'iiii'ilsi'jii»-* .  japonAi*.  cLn-i^*  <.*i 
i*iiiii.'  inîiuenL»?  ?>ur  k  dèTrioppesK 
iiir\ii..iini.'.  Il  n'y  .<  qae  qûel'jcei 
japHniiiM*  tut  jetif*?  «nr  le?  cy:«s 
riji'iiif  fait  *Wt  ppjduit  pin* 
rlêcouviTlt*. 

IJ  t'<.t  a^N'Z  [iiobaifle  qD« 
ciiit  l'i'rii  éualoment.  mais  «•. 

fies  cuiriiH  iado-européeQ^ 
.\nu>  i'Xj»IJt|iiei-oas  rolont. 

q(iek]uo>  ni(iic<iux  aiya*: 

(jnc:?.  Ex.  :  Breton,  fl>'' 

skoutm  Jeu,  dans  hkpl'i 

Stikili,  aimc-le,  aiuifi 

iMî  Sanscrit.  —  Lenaj. 

pour  nï.esl  un  raii. 

cnîc  5ÎX5;  pour  c:  >:- 

nW/.<.  elc, ,  etc. .  »i'. 
L'opinion  plu?  .• 

cendre  soi!  en  :  ■• 
de  colon?  a^i  ' 
tenab!»?.  Le> .«. 

r-xî>:nr  ••;. 
.*   rar-i-rvi 


T   îTie 

i£-"?i    isi^  a 

Tsas»    r     -   îîr 
•sar     f      •  "ilîrr 

j..      'S  •!!•? 


'••  ♦     .• 


.-.    r'..r-:::-2  jr 

et  ..i  connaissance. 
.  !i  ion  ne  discerne 


•..::i 


I  diiiK- 
.iiiiilK-. 

l'iiih'iii- 


"  (!•'  l'iiili-hi- 

iVL>niiir>.    .Il-    ne 

..rn.-iil    mis..    .11 

.l'iil  roiiniic  il'-  l[i 

■  initr  ..|  .1...  |..ni|.^ 

-Ifiis  t>xem].lfs,  .-11.- 

.iiniis  cli.-it  les  Ci».,-*, 

-  tliPZ  iimiii. 

loiii-s  sniiisà  ilis)iii!;ii<<i' 

■.;■»,  c'':st-!i-clin^  la  icpri-- 

•riiiinnissaïK'i'  ,  do  vt:  qnils 

.  c'est-A-din-   l'iissi'iilinu'iii  , 

;   el  selon   eux,   la  ppiisi><' 

iicoiirsde  la  îjvTïîiï  ol  di'  lu 


Icliois,  dans 


::7&»  £<30t'lSSES  1>SYC1I0U)GIQIIKS. 


Ouels  ^nl  SCS  ctfels  ,  et ,  si  je  puis  ainsi 
.•j^    ^<s  ed!et$  philosophiques  ? 

«  eî^cic  d'exclusion  est  assurément  la  maladie  la 
Aa>  jrciiuiire  aux  philosophes.  La  nature  des  choses 
^  A>fta  .«f$  meUi*e  en  présence  de  plusieurs  faits ,  de 
.HU^««fa^s  principes ,  de  plusieurs  états ,  de  plusieurs 
..tj^.tw':t:'iv>«  ele. ,  par  je  ne  sais  quel  aveuglement 

■ivu^dirv.  ils  ne  voient  jamais  qu'un  seul  fait,  un 
><a;  *^rtucipe,  un  seul  étal ,  un  seul  caractère.  C'est 
..iis<  qu'ils  ont  toujours  réduit ,  en  logique ,  toutes 
re^    ucvIkhJ***  il  une   seule   méthode  ;  en   morale , 

..^    iL>>  *t.>rinoipes  d action,  motifs  ou  mobiles,   à 

u    >«;v:;    ;»rincipe  d action.    C'est   ainsi   que,   dans 

,  .v-ï.  *^:î    qui    nous  iK^cupe ,    ils    n'ont    presque 

.iio.s  x^  ^auu  >eul  des  trois  degrés  de  la  faculté 

s*  .- -A.w  lo> uns  lii  ct^rtitude,  les  autres  Topinion,  les 

K  u  iv»>  >v:>lèuie*  *  é^lement  exclusifs ,  égale- 
«4K-U»  auv  Ceux  qui  nVot  vu  que  la  certitude,  qui 
.•<»i9<Hi«  que  /c>iH4t  huuula  est  assez  puissant  pour 
,,,i\.T  i  d  cviiuude  :>ur  toutes  choses,  même  les 
^u>  .  u»^  ws,  *jit*me  lej  pi  us  arxlues ,  ont  fondé  une 
.v\u»iK'  ^ui  jrsah:îH;*  *•.»«<  les  |voblèmes  par  de  ban- 
.««1AV.X  «%tiî«iKi.:%>(h>  ou  (v&r  des  négations  non 
^s*^«a<  M«^K'%\K>    c  e>«.  le  do^mati^me. 

.^^v  ô«t  (  *ii*'  ^'jl  H^'xe  i.VpiakMi«  dont  la  mesure 
vt  ^  ^«.vV«.Hti:i.-.  ^tii  ^u;s«rut  que  lesprit  humain, 
A-  .N  sr^i  ;m^v»'^X\*i'u.  ue  {N^ut  dépasser  la  sphère 
s^.  M*»!^  -v>-  ^v^ijvvvUrv>*  qu'ù  doit  mettre  une  res- 
.^.v>^  V  ^^4a:9w  >t:^  jJijruiijL;AMiiS,  a  tootes  ses  néga- 
^.  ^x.  M%  %iwi  i^tv'  itxvrittie  où  tous  les  protilèmes 
>>»    ^-x  X.  vUi'v»»''^ .  ■•*?  "^  kU*^  M^utions  qui   ne 


ESQUISSES  PSYCIIOLMvlQUES.  259 

sont  que  plus  ou  moins  vraisemblables  :  c'est  le  pro- 
babilisme. 

Geox  qui  n'onl  vu  que  le  doute ,  qui  pensent  que 
l'esprit  humain,  radicalement  vicieux,  loin  de  pou- 
voir légitimement  affirmer  ou  nier,  ne  peut  môme 
pas  légitimement  conjecturer,  ont  fondé  une  doc- 
trine qui  écarte  tous  les  problèmes ,  même  les  pins 
simples ,  comme  insolubles  :  c'est  le  scepticisme. 

Telles  sont  les  trois  grandes  aberrations  où  les 
philosophes  ont  été  conduits  en  mutilant  la  facullë 
de  croire,  en  la  réduisant  arbitrairement  à  l'un  de 
ses  trois  degrés ,  à  l'exclusion  des  autres. 


LA    CERTITUDE,   L'ÉVTDENCB  ,    LE   DOGMATISME. 


La  certitude  est  la  faculté  de  croire  s'exerf^ant 
avec  sa  plus  grande  intensité;  c'est  la  croyance  à 
son  maximum.  Certitude  veut  dire  adhésion  com- 
plète, absolue 9  inébranlable  ,  foi  invincible,  convic- 
tion à  toute  épreuve.  C'est  ainsi  que  je  suis  certain 
de  mon  existence  personnelle^  sans  que  le  plus 
habile  sophiste  du  monde  soit  capable  de  me  faire 
hésiter  sur  ce  point,  el  dire  :  peut-être  je  me  trompe, 
peut-être  je  crois  exister  et  n'existe  pas  ,  peut-être  je 
suis  une  ombre,  une  chimère  un  rien.  C'est  ainsi 
que  je  suis  certiiin  de  l'existence  de  mon  corps  et  do 
celle  des  corps  étrangers,  sans  que  tous  les  raisonne- 
ments de  Berkeley  et  des  idéalistes  de  tons  les  temps 
et  de  lontesles  espèces  puissent  m'inspirer  la  moindre 
inquiétude  et  me  faire  chanceler  un  seul  instant  Lu 


274  ESOnSSKS  FSYCHOUMilOtSS. 

di^ieux  progrès  des  sciences  physiques  et  naturelles? 
La  manière  constante  dont  se  produisent  sous  nos 
yeux  ses  principaux  phénomènes.  Rien  de  plus.Lisezles 
plus  profonds  traites,  vous  n'y  apprendrez  pas  ce  que 
c'est  que  la  lumière,  ce  que  c'est  que  la  chaleur,  ce 
que  c'est  que  l'électricité,  ce  que  c'est  que  lé  magné- 
tisme :  les  plus  savants  n'en  savent  rien.  Ils  sont  ré- 
duits à  se  payer  de  mots ,  absolument  comme  ceux 
qui  n'ont  pas  la  prétention  de  savoir  quelque  chose. 
Pendant  combien  de  temps  nous  a-ton  parlé  très- 
sérieusement  de  tluides  impondérables ,  matériels 
sans  les  qualités  de  la  matière  ?  Ils  s'étaient  même 
singulièrement  multipliés,  ces  ûuides,  et,  après  avoir 
pénétré  dans  notre  organisation,  pour  lui  donner  la 
vie ,  ils  n'avaient  pas  dédaigné  de  s'insinuer  dans 
l'intérieur  de  nos  meubles  les  plus  modestes ,  pour 
leur  donner  le  mouvement ,  et  bientôt  la  parole.  Au- 
jourd'hui ,  on  parait  y  avoir  renoncé ,  même  pour 
expliquer  l'électricité^  la  chaleur  et  la  lumière.  Sic 
transit  gloria  mundif  On  suppose  partout  répandu  un 
éther  dont  la  nature  est  inconnue ,  qui  vibre  on  ne 
sait  comment ,  sous  l'action  ignorée  du  soleil  ou  de 
quelque  auti*e  corps,  et  dont  les  vibrations,  en  frap- 
pant l'œil ,  lui  font  voir  la  lumière ,  en  frappant  la 
main ,  lui  font  sentir  la  chaleur.  Certes  ,  je  suis  plein 
de  respect  pour  cette  nouvelle  hypothèse ,  dont  je 
vois  les  physiciens  fort  contents ,  je  la  trouve  beau- 
coup plus  belle  que  l'ancienne  ;  mais  je  me  répète 
tout  bas  le  mot  de  Fontenelle  :  n  Les  théories  ne  sont 
qu'une  manière  plus  douce  d'être  ignorant  » 

Et  si  nous  sommes  si  mal  instiiiits  de  cette  nature 
actuelle ,  au  sein  de  laquelle  nous  vivons  actuelle- 


BSODISSIS  PSTGHOLOGlOUfcS.  S75 

ment,  combien  sommes-nous  plus  ignorants  encore 
de  son  passé ,  sur  leqfuel  nons  faisons  de  si  raenreii- 
leoeee  eappoeitions,  avec  l'aide  de  la  géologie  et  sur- 
font de  la  paléontologie,  science  née  d'hier,  mais 
qui  grandit  vite ,  et  que  j'ai  regret  de  voir  baptisée 
d*Qn  nom  si  barbare  I  Combien  nous  sommes  plus 
ignorants  encore  de  son  avenir,  à  moins  qu'après 
avoir  fait  les  mondes  avec  ces  flocons  de  matière  ne- 
balense  qui  voyagent  dans  l'espace,  on  ne  fasse  de 
la  matière  nébuleuse  avec  les  mondes  I 

Sommes-nous  beaucoup  plus  avancés  sur  nous- 
mêmes,  sur  l'homme?  J'ai  bien  peur  qu'il  n'y  ait 
encore  là,  même  ià,  plus  d'une  énigme  dont  le  mot 
n'est  pas  trouvé,  et  ne  le  sera  pas  de  si  tôt.  Quest-ce 
que  la  vie?  Un  mouvement  mécanique?  ou  Iq  pro- 
priété particulière  de  chaque  organe  ?  ou  un  principe 
indépendant  ?  ou  l'action  inconsciente  de  l'âme  ?  Ces 
questions  sont  débattues  depuis  dps  siècles,  sans 
jamais  recevoir  de  solution  définitive  ;  et  naguère 
encore ,  Montpellier  et  Lyon  rompaient  des  lances 
dans  le  champ-clos  du  vitalisme  et  de  l'animisme;  . 
Paris  regardait;  et  rien  ne  se  décidait.  —  Qu'est-ce 
que  la  volonté?  est-elle  toujours  libre?  La  liberté 
elle-même ,  qu'est-elle  ?  Comment  demeure-t-eile  en- 
tière sous  l'intluence  toute-puissante  du  tempérament 
et  du  climat  ?  Gomment  s'éclaire-t-elle  des  lumières 
de  la  raison ,  sans  rien  perdre  de  son  autonomie  ?  Et 
mille  autres  problèmes ,  auxquels  on  répond  par  des 
conjectures ,  lesquelles  suscitent  des  conjectures 
contraires,  dans  un  combat  sans  trêve,  où  le  vain- 
queur de  la  veille  est  presque  toujours  le  vaincu  du 
lendemain. 


â76  ESQUISSES  PSYCHOLOtilQUES. 

Goiinaissiint  si  mal  la   nature ,  si  mal  l'homme , 
comment  connaitrions-nous   bien  Dieu  ?   Ah  !    sans 
doute,  quelques-uns  de  ses  attributs,  surtout  ceux 
qu'on  appelle  dans  l'école  intellectuels  et  moraux, 
brillent  d  nos  yeux  d'un  éclat  qui  fait  pâlir  le  soleil , 
dans  les  merveilles  de  la  nature  ,  ou  se  font  profon- 
dément sentir  au  milieu  de  notre  cœur ,  dans  la  dou- 
leur et  la  joie ,  dans  une  généreuse  pensée ,  dans  le 
commandement  de  la  conscience  :  Fais  cela  I  Mais 
que  ces  quelques  notions  sur  Dieu  sont  loin  de  satis- 
faire notre  esprit ,  et  de  répondre  aux  questions  qu'il 
se  pose  comme  par  une  nécessité  naturelle  I  Quelle 
est  la  véritable  nature  de  Dieu,  et  pour  ainsi  dire, 
son  essence  ?  Ce  n'est  pas  un  corps  :  est-ce  donc  un 
esprit?  Sans  doute,  mais  qui  diffère  infiniment  de 
l'esprit  humain,  et  par  conséquent  dont  nous  n'avons 
aucune  idée,  ainsi  que  l'a  remarqué  Fénelon.  Quand, 
comment,  pourquoi  a-t-il  créé  le  monde?  Et  qu'est-ce 
que  créer  ?  faire  quelque  chose  de  rien ,  oui  ;  mais 
qui  osera  dire  qu'il  comprend  cela?  Ce  monde,  le 
crée-t-il  éternellement ,  ou  pendant  un   temps  ?  le 
crée-t-il  infiniment  ou  entre  deux  bornes  ?  le  crée-t-ii 
le  meilleur  possible  ou  seulement  très-bon?  Ques- 
tions effrayantes,  ù  donner  le  vertige  aux  plus  fermes 
esprits  !  Combien  de  fois  les  ai-je  agitées  dans  ma 
pensée,  et  combien  de  fois  me  suis-je  écrié,  dans  un 
indéfinissable  tourment  d'esprit  :  Mystère  !  mystère  ! 
mystère  ! 

Voilà  notre  science ,  voilà  la  science  humaine ,  et 
Ton  voit  combien  elle  est  petite  par  l'étendue ,  sur- 
tout si  on  la  compare  au  dogmatisme  qui,  n'igno- 
rant rien  de  Dieii ,  n'ignore  rien  du  monde  et  a  ré- 


ESQUISSES    PSYCHOLOGIQUES.  S77 

ponae  à  tout.  Elle  est  petite ,  mais  elle  a  du  moins 
cela  de  bon  qu'elle  use  raisonnablement  de  la  raisun, 
et  qne  si  elle  ne  i-ësout  que  quelques  problèmes  à 
peine,  du  moins  elle  les  résout  d'une  manière  sensée. 
Elle  a  encore  un  avantage ,  dont  il  ne  faut  pas  lui 
bîre  un  mérite ,  car  il  lui  vient  de  Dieu .  non  de 
lliorome,  mais  dont  il  faut  tenir  compte,  car  il  en 
&it  le  prix  :  les  problèmes  qu'elle  résout  sont  préci- 
sément ceux  que  nous  avons  le  plus  grand  besoin  do 
résoudre. 

En  effet,  je  distingue  deux  catégories  de  questions: 
celles  qui  n'ont  qu'un  intérêt  spéculatif,  celles  qui 
ont  un  intérêt  moral.  Je  ne  saurais  me  passer  d'avoir 
une  réponse  a  ces  deraières.  Il  faut  que  je  sache  si 
mon  âme  est  spirituelle  et  séparable  d'avec  mon 
corps  ;  il  faut  que  je  sache  si  la  vie  présente  n'est 
qne  le  prologue  d'un  drame  sublime  qui  se  joue  sur 
on  autre  théâtre  ;  il  faut  que  je  sache  si  le  monde  a 
Doe  cause  ,  l'homme  un  juge  ,  l'infortuné  un  père  ;  il 
faut  que  je  sache  si  je  suis  destine  à  la  pourriture 
et  aux  vei's  ,  ou  à  la  résurrection  et  à  la  gloire.  Otez- 
moi  ces  connaissances,  et  me  voilà  dans  la  vie  comme 
an  aveugle  dans  un  labyrinthe  aux  mille  détours, 
sans  un  fil  pour  diriger  ses  pas,  sans  une  voix  pour 
l'avertir  ou  pour  l'encourager.  Donnez-les  moi ,  tout 
me  devient  clair  et  facile  ,  et  je  m'avance  d'un  pied 
sur,  dans  un  chemin  tracé,  vers  un  but  connu  et 
désiré.  Or,  ces  questions  capitales,  vitales,  la  science 
humaine ,  la  science  raisonnat)le  les  résout  ;  celles 
qu'elle  ne  résout  pas  sont  celles  qui  n'importent  pas. 

Et ,  en  effet ,  qu'ai-je  besoin  de  s» voir  comment 
Dieu  s'y  prend  pour  créer  le  monde  ?  S'il  a  corn- 


278  ESUUISSËS  PSYCHOLOGIQUES. 

mencé  de  le  créer  il  y  a  six  mille  ans,  ou  six  millions 
d'années ,  ou  plus  encore  ?  S*il  Ta  renfermé  dans  un 
petit  espace,  ou  répandu  sans  mesure  dans  les  plaines 
siins  limites  d'un  vide  sans  fm  7  S'il  Ta  fait  bon  ,  ou 
très-bon,  ou  tellement  bon  qu'il  ne  pouvait  être  meil- 
leur ?  Qu'ai-je  besoin  de  pénétrer  dans  les  impéné- 
trables profondeurs  de  son  ineffable  essence  ?  Je  puis 
ignorer  tout  cela ,  je  puis  adorer  sans  comprendre , 
je  puis  sacrifier  sur  Tautcldu  Dieu  inconnu  des  Athé- 
niens que  visita  TApôtre. 

Je  trouve  un  grand  enseignement  dans  le  livre  de 
Job.  Dieu  a  permis  h  l'esprit  du  mal  d'éprouver  la 
vertu  de  Job  ,  qui  habitait  la  terre  de  Hiis.  Job  est 
sur  le  fumier.  Ses  amis  accourent  pour  le  consoler. 
Ils  lui  piuient  de  la  justice  de  Dieu  et  des  crimes  des 
hommes.  Mais  Job  se  proclame  innocent ,  s'indigne 
de  l('i  prospérité  des  impies  ,  et  accuse  celui  qui  dis- 
pense les  biens  et  les  maux.  Tout  à  coup  une  voix, 
qui  n'est  pas  celle  d'un  homme  ,  se  fait  entendre  dn 
miheu  d'un  tourbillon  :  a  Quel  est  ce  mortel  qui 
obscurcit  la  sagesse  par  des  discours  insensés?  n  Et 
Job,  renouvelé  soudain,  répond  :  t  Oui,  j'ai  voulu 
expliquer  des  merveilles  que  je  ne  comprenais  pas , 
des  prodiges  qui  surpassaient  mon  intelligence.  Par- 
don ,  mon  Dieu  !  C'est  moi-même  que  j'accuse  ;  je 
ferai  pénitence  dans  la  poussière  et  la  cendre.   » 

■V. 

l'opinion  ,   LA   PaOBABIUTÉ  ,    LE  PROBABILISME. 

L'opinion  est  la  faculté  de  croire,  se  contenant  dans 
de  certaines  limiter,  et  donnant  ou  refus^int  sonadhé- 


ESQUISSES  PSTCHOLOC^IUUKS.  279 

sion  sealement  en  partie.  C'est  ainsi  que  ,  voyant  un 
oli^et  à  une  grande  distance  à  travers  champs ,  et  ne 
le  voyant  qae  d'une  manière  confuse ,  j'ai  l'opinion 
que  c'est  un  arbre,  c'est-à-dire  je  crois  que  c'est  un 
arbre  ,  avec  cette  réserve  que  peut-être  ce  n'est  pas 
un  arbre.  C'est  ainsi  que,  lisant  VHiadej  et  y  remar. 
quant  des  disparates ,  j'ai  l'opinion  qu'Homère  n'a 
pas  existé ,  c'est-à-dire  je  crois  qu'Homère  n'a  pas 
existé  ,  avec  cette  réserve  que  peut-être  il  a  existé. 
L'opinion,  comme  il  parait  par  cette  définition  et  ces 
exemples ,  c'est  la  faculté  de  croire  hésitante  ,  oscil- 
lante ,  s'exercant  et  se  déterminant  dans  le  vague. 

Ce  caractère  de  l'opinion  se  montre  clairement 
dans  les  formules  par  lesquelles  elle  s'exprime.  Ces 
formules  ne  sont  jamais  ni  l'aiiirmation  simple ,  ni 
la  négation  simple ,  mais  l'aifirmation  et  la  négation 
mitigées  ,  tempérées,  atténuées  par  des  mots  qui  en 
restreignent  la  portée.  L'opinion  ne  dit  pas  :  ceci  est 
un  arbre ,  mais  :  il  y  a  beaucoup  à  parier  que  ceci 
est  un  arbre.  Elle  ne  dit  pas  :  Homèie  n'a  pas  existé , 
mais  :  il  y  a  bien  des  raisons  qui  donnent  à  penser 
qu'Homère  n'a  pas  existé.  Toutes  façons  de  parler 
où  se  peint  l'inquiétude  d'uji  esprit  qui  croit ,  sans 
pouvoir  croire  entièrement,  complètement,  absolu- 
ment. 

Telle  est  la  nature  de  l'opinion  :  elle  est  chance- 
lante, flottante ,  incapable  de  se  fixer.  Platon  l'a  dé- 
crite, non  sans  exactitude,  en  l'opposant  à  la  science. 
Ënchantons-nous,  en  passant ^  de  ce  poétique  et  élo* 
quent  parallèle. 

"  La  science,  dit-il,  est  fixe,  stable,  inébranlable; 
l'opinion  vacillante  est  toujours  sur  le  point  de  s'éva- 


280  ESQL1SS£S   PSVCUOLOGIOUKS. 

Douîr.  On  peu  comparer  l'opiDion  aux  statues  de 
Dédale,  qui,  mues  par  uu  ressort  caché,  sont  toujours 
en  train  de  s'échapper,  si  l'on  n*a  la  préGaution  de 
les  enchaîner.  On  peut  la  comparer  à  l'esclave 
impatient  du  joug,  et  toujours  fuyant,  si  on  ne  le 
retient  dans  des  liens  solides.  L'opinion  a  la  même 
mobilité ,  la  même  instabilité.  On  peut  même  dire 
que  c'est  là  son  essence,  sans  laquelle  elle  n'est  plus. 
Si  on  Tenchaine  dans  les  liens  de  la  causalité  et  du 
raisonnement,  elle  devient  fixe  et  constante,  mais 
elle  devient  la  science. 

((  Rien  de  si  commun  que  Topinion  ,  même  vraie  ; 
c'est  le  lot  de  la  foule.  Rien  de  si  rare  que  la  science; 
c'est  la  propriété  des  dieux,  et,  sur  la  terre,  le  pri- 
vilège du  très-petit  nombre.  Ceux  que  l'opinion  sa- 
tisfait ,  les  amateurs  de  l'opinion  ,  appelons-les  philo- 
dojues;  ceux  qui  n'attachent  de  prix  qu'à  la  science 
méritent  seuls  le  beau  nom  de  philosophes. 

d  Quelle  différence  entre  les  uns  et  les  autres  !  Les 
premiei*s  concentrent  toute  leur  curiosité  dans  les 
yeux  et  les  oreilles  ;  ils  se  plaisent  à  entendre  de 
belles  voix ,  à  voir  de  belles  couleurs ,  de  belles 
figures ,  et  tous  les  ouvrages  de  l'art  et  de  la  nature 
où  il  entre  quelque  chose  de  beau  ;  mais  leur  Ame 
est  incapable  de  s'élever  jusqu'à  l'essence  du  beau 
et  de  s'y  attacher.  Qu'est-ce  que  la  vie  d'un  honune 
qui,  à  la  vérité,  connaît  de  belles  choses,  mais  n'a 
aucune  idée  de  la  beauté  en  elle-même ,  et  n'est  pas 
capable  de  suivre  ceux  qui  voudraient  la  lui  faire 
connaître  ?  Est-ce  un  rêve  ?  Est-ce  une  réalité  ? 

»  Le  philosophe,  au  contraire,  ne  se  laisse  séduire 
ni  aux  vaincs  apparences  ni  aux  vains  plaisii'S.  Il  n'est 


ESQUISSES  PSYCHOLOGIQUES.  28i 

pas  de  ceax  qoi  semblent  avoir  loué  leurs  oreilles 
pour  entendre  tons  les  chœurs ,  qui  courent  à  toutes 
les  têtes  deBacchus,  inconsolables  s'ils  en  manquaient 
une  seule.  Non,  il  n'a  de  goût,  il  n'a  de  passion  que 
ponr  la  vérité.  Il  sait  se  frayer  un  passage  à  travers 
tontes  les  difficultés,  toutes  les  objections,  comme  un 
brave  dans  la  mêlée.  Par-delà  toutes  les  choses  im- 
parftltement  belles ,  il  atteint  h  Tétemelle  beauté , 
qui  n'a  ni  décadence  ni  accroissement;  qui  n'est  point 
belle  dans  telle  partie ,  et  laide  dans  telle  autre  ; 
qui  n'a  point  de  forme  sensible,  un  visage,  des  mains  ; 
qui  n'est  point  telle  pensée  ou  telle  science  particu- 
lière; mais  qui,  absolument  identique  et  invariable 
par  elle-même ,  est  comme  la  source  toujours  pleine 
d'où  découlent  sans  cesse  les  éphémères  beautés  de 
ce  monde.  Par-delà  toutes  les  choses  imparfaitement 
bonnes,  il  atteint  au  bien  lui-même  ;  au  bien ,  le  roi 
du  monde  intelligible,  comme  le  soleil  Test  du  monde 
visible;  au  bien,  qui  donne  son  prix  à  tout  ce  qui  en 
a;  au  bien,  principe  de  toute  intelligibilité  et  de  toute 
essence,  quoiqu'il  soit  lui-même  infiniment  au-dessus 
de  l'essence.  Par-delà  tout  ce  qui  nait  et  renaît  in- 
cessamment, sans  exister  jamais,  il  s'élève  à  la  con- 
templation de  l'Être  véritable ,  éternellement  ini- 
mnable ,  éternellement  un  ;  il  boit  à  longs  traits ,  il 
s'enivre  à  la  coupe  de  l'existence  et  de  l'unité  (1).  o 
n  y  a  toutefois  dans  ce  parallèle  quelque  chose  que 
Platon  attribue  à  l'opinion  ,  et  qui  ne  lui  convient 


(1)  Voir  le  Titnie ,  le  Ménon ,  le  Hanqvul  et  la  Hépublique,  Pour 
toute  ceUe  théorie  de  l'Opinion  et  de  la  Science,  voir  mon  Histoire 
Hts  théorie»  tie  l'entendement  tians  l'antiquité,  p.  170-177. 


282  KSUUISSES  PSYCHOLOGIQUES. 

pas.  L'opinion  ne  pénètre  pas ,  selon  lui ,  dans  la 
sphère  des  choses  divines ,  mais  elle  règne  eiclasi- 
vemcnt  dans  celle  des  choses  naturelles  et  humaines. 
Or,  il  n'est  pas  exact  de  dire  que  l'opinion  ne  pénètre 
pas  dans  la  sphère  des  choses  divines  ;  et  il  ne  Test 
pas  non  plus  de  dire  qu'elle  règne  exclusivement 
dans  celle  des  choses  naturelles  et  humaines. 

J'ai  déjà  exposé  que,  dans  ma  conviction,  nous 
n'avons  et  ne  pouvons  avoir  sur  Dieu  qu'un  très-petit 
nombre  de  connaissances  purement  rationnelles.  Je 
me  demande  maintenant  si  toutes  ces  connaissances 
sont  accompagnées  de  certitude.  La  plupart ,  oui  ; 
toutes ,  non.  Je  connais  avec  certitude  l'existence  de 
Dieu  ;  et  comme  cette  existence  m'est  révélée  dans 
ses  principaux  attributs ,  je  connais  avec  certitude 
ses  principaux  attributs.  Je  connais  avec  certitude  la 
Providence  ,  c'est-à-dire  le  gouvernement  dn  monde 
par  Dieu.  Mais  lorsque  je  veux  pénétrer  dans  la  na- 
ture intime  et  l'essence  des  attributs  divins,  dans  la 
nature  intime  et  l'essence  de  la  Providence  divine , 
alors  si  la  connaissance  ne  m'abandonne  pas ,  du 
moins  la  certitude  m'abandonne.  Fénelon  a  écrit  sur 
l'intelligence  divine  un  profond  chapitre  qu'il  a  in- 
titulé :  Science  de  Dieu,  i  ni  toujouiis  lu  ce  chapitre 
avec  admiration  ;  mais  lorsque  je  m'interroge  et  me 
demande  :  l'explication  de  Fénelon  nous  représente- 
t-elle  bien  l'intelHgence  divine  telle  qu'elle  est  ?  je 
trouve  en  moi ,  non  plus  la  certitude ,  mais  simple- 
ment l'opinion.  De  même  pour  la  libei-ié  divine. 
Est-ce  une  liberté  d'inditi\^rence  ?  est-ce  une  liberté 
de  convenance  ?  Je  ne  demeure  pas  dans  le  doute 
entre  ces  deux  points  ;  je  préfère  l'un  à  l'auti-e ,  mais 


ESQUISSES  l'SVCUOLOG10UK&   .  283 

de  Cette  préférence  hésitante  qai  n'est  pas  la  cer- 
titude, qui  est  simplement  l'opinion.  L'opinion  n'est 
donc  pas  bannie  de  la  sphère  des  choses  divines. 

Elle  ne  règne  pas  exclosiyement  dans  la  sphère 
des  choses  naturelles  el  humaines.  11  faut  même  dire 
qu'elle  n'y  règne  pas  plus  qu'ailleurs.  Sans  doute . 
bien  des  problèmes ,  dont  l'objet  est  la  nature  ou 
rhomme ,  n'ont  encore  reçu  que  des  solutions  plus 
ou  moins  vraisemblables  ;  mais  il  ne  faut  rien  exa- 
gérer ,  et  nous  connaissons  de  la  nature  et  de  nous- 
mêmes  une  infinité  de  choses  avec  une  inébranlable 
certitude.  L'existence  des  corps ,  leurs  qualités  géné- 
rales et  particulières ,  leurs  principaux  phénomènes 
et  les  principales  lois  de  ces  phénomènes  ;  la  nature 
spéciale  des  corps  organisés  ;  les  différentes  espèces 
vivantes  et  leurs  caractères  distinctifs  ;  les  astres  et 
leur  cours  ;  enfin  tout  ce  qui  fait  partie  des  sciences 
physiques  et  naturelles,  nous  le  croyons  certaine- 
ment. Beaucoup  d'espnts  contestent  encore  à  la 
science  de  l'homme  sa  valeur  scientifique  ;  il  est  ce- 
pendant difficile  de  nier  que  nous  connaissions  cer- 
tainement notre  existence  spirituelle,  notre  qualité 
d'êtres  pensants,  d'êtres. libres,  de  personnes  morales 
et  d'agents  responsables.  Il  est  difficile  de  nier  que 
nous  connaissions  certainement  ce  qui  se  passe  en 
nous.  Celui  qui  dit:  je  souiire,  trouverait  à  bon  droit 
ridicule  qu'on  vint  lui  dire  :  ètes-vous  bien  sûr  de 
souffrir?  Et  s'il  dit  :  je  souffre  cruellement,  il  aurait 
fort  raison  de  trouver  mauvais  qu'on  lui  répondît  : 
je  vous  demande  bien  pardon ,  vous  vous  trompez , 
▼oufi  souffrez  fort  peu.  Or  ,  si  nous  savons  certaine- 
ment les  phénomènes  qui  ont  lieu  en  nous,  nous 


284  ESQUISSES   PSYCHOLOGIQUES. 

savons  cerUiinement  aussi  comment  ils  ont  lieu ,  et 
par  conséquent  nous  sommes  en  état  de  déterminer 
certainement  leurs  lois.  Voilà  bien  des  certitudes 
psychologiques.  C'est  donc  une  profonde  eri'eur  de 
déclarer  que  nous  ne  pouvons  avoir  que  de  simples 
opinions  sur  Tbommc  et  la  nature. 

La  vérité ,  la  voici.  L'opinion  est  un  degré  de  la 
faculté  de  croire  qui  peut  se  rencontrer ,  et  qui  se 
l'encontre  en  effet  dans  toutes  les  sphères  où  s'exerce 
Tesprit  humain.   Elle   se  rencontre   dans  la  sphère 
physique,  car  nous  ne  connaissons  pas  toujours  assez 
bien  les  corps,  et  leurs  qualités,  et  leurs  phénomènes 
pour  atteindre  jusqu'à  la  certitude  :  nous  nous  arrê- 
tons alors  à  Topinion.   Elle  se  rencontre   dans  la 
sphère  morale,  car  nous  ne  nous  connaissons  pas 
toujours  assez  bien  nous-mêmes ,  et  nos  facultés ,  et 
leurs  manifestations,  pour  atteindre  jusqu'à  la  certi- 
tude :  nous  nous  arrêtons  alors  à  l'opinion.  Elle  se 
rencontre  dans  la  sphère  métaphysique  ,  car  nous  ne 
connaissons  pas  toujours  assez  bien  l'Être  suprême , 
et  ses  attributs ,  et  ses  rapports  à  nous  et  au  monde 
pour  atteindre  jusqu'à  la  certitude  :  nous  nous  arrê- 
tons alors  à  l'opinion.  Exemples.  Les  corps  sont-ils 
divisibles  à  l'infini,  comme  on  le  disait  au  XVll'  siè- 
cle ;  ou  bien  sont-ils  formés  d'éléments  indivisibles, 
d'atomes,  suivant  le  langage  des  anciens?  Je  réponds 
que  j'incline  à  croire  qu'ils  sont  composés  d'atomes. 
Voilà  l'opinion  dans  la  sphère  physique.  La  volonté 
est-elle  également  libre ,  soit  qu'elle  ait  affaire  à  un 
motif  unique  ,  ou  à  plusieurs  motifs  de  inéme  ordre , 
comme  deux  passions ,  ou  à  plusieurs  motifs  d'ordres 
différents  et  opposés,  comme  l'intérêt  et  le  devoir? 


ESQUISSES  PSTCHOLOGIOt'ES.  285 

Je  réponds  que  j'incline  à  croire  qu'elle  est  plus  vé- 
ritablenient  libre  dans  le  dernier  cas  que  dans  les 
deux  premiers.  Voilà  Topinion  dans  la  sphère  morale. 
Dieu  crëe-t-il  le  monde  par  un  acte  éternellement 
répété,  conmie  le  pense  Descartes ^  ou  par  un  acte 
éternellement  unique ,  comme  le  veut  Leibnitz  ?  Je 
réponds  que  j'incline  à  croire  qu'il  le  crée  par  un 
acte  éternellement  unique.  Voilà  l'opinidtt  dans  la 
sphère  métaphysique.  D'où  l'on  voit  qu'il  est  très- 
permis  de  distinguer  une  opinion  physique  ,  une 
opinion  morale,  une  opinion  métaphysique,  comme 
on  a  distingué  une  certitude  physique ,  une  certi- 
tude morale ,  une  certitude  métaphysique. 

On  conçoit  de  même  que  l'opinion  est  tantôt  immé- 
diate et  tantôt  médiate  ,  selon  qu'elle  naît  à  la  suite 
d'une  faculté  ou  d'une  opération  en  exei*cice.  A  ce 
point  de  vue^  comme  au  précédent,  elle  se  divise 
encore  de  la  même  manière  que  la  certitude.  Elle  n 
donc  des  espèces ,  et  les  mêmes  espèces. 

L'accord  ne  se  borne  pas  là.  Les  espèces,  dans 
l'opinion ,  ainsi  que  dans  la  certitude  ,  sont  exté- 
rieures. Elles  n'atteignent  pas  l'opinion  elle-même, 
qui  demeure  semblable  dans  tous  les  cas.  Avoir  une 
opinion ,  c'est  toujours  avoir  une  opinion ,  qu'il 
s'agisse  de  la  nature,  ou  de  l'homme,  ou  de  Dieu; 
que  l'on  connaisse  par  une  faculté  se  développant 
intuitivement ,  ou  par  une  opération  s'exerçant  dis- 
cursivement.  Ce  qui  est  différent,  c'est  l'objet,  c'est 
le  travail  de  Tespril  ;  ce  n'est  pas  l'opinion.  L'opinion 
est  partout  et  toujours  identique. 

Mais  elle  n'est  pas  égale ,  et  par  là  elle  s'oppose 
manifestement  à  la  cortitude.  l^  certitude  n'a  pas  de 


286  ESQUISSES   PSYCHOLOGIOUES. 

degrés  ;  ropinion  en  n ,  et  en  nombre  indéfini.  Kntre 
une  très-ferme  opinion*,  voisine  de  la  certitude ,  et 
une  opinion  très-chancelante ,  voisine  du  doute ,  il  y 
a  des  intermédiaires  innombrables.  Il  serait  impossible 
de  les  compter.  Mais  nous  les  connaissons  parfaite- 
ment par  notre  expérience  personnelle,  et  nous 
avons  mille  fois  chaque  jour  senti  notre  opinion  se 
fortifier  et  s'atfaiblir,  monter  et  descendre  dans  Tin- 
tervalle  indéfini  qui  sépare  les  deux  états  extrêmes 
de  la  faculté  de  croire  '  le  doute  et  la  certitude. 

En  veut-on  un  exemple  familier  ?  Je  me  promène 
dans  une  plaine.  J'aperçois  bien  au-delà  de  la  distance 
où  Tœil  humain  voit  clairement  et  distinctement, 
j'aperçois  un  objet ,  sans  pouvoir  même  conjecturer 
quel  il  est.  Est-ce  un  homme  ?  Est-ce  un  pommier  ? 
Est-ce  une  charue ?  Est-ce  un  cheval?  Je  n'en  sais 
absolument  rien.  Je  ne  formule  donc  aucun  jugement. 
Je  suis  dans  le  doute.  Mais  je  fais  quelques  pas,  et  il 
vient  un  moment  où  l'objet  me  pnnitt  ressembler 
plutôt  à  un  homme  qu'à  autre  chose  :  à  ce  moment-là 
nait  l'opinion.  Je  fais  un  pas  de  plus ,  je  vois  un  peu 
mieux,  et  mon  opinion  s'alfermit.  Un  nouveau  pas, 
et  elle  s'afiermit  encore.  Supposez  que  je  fasse  cent 
pas  avant  de  voir  avec  une  clarté  et  une  distinction 
parfaites,  et  mon  opinion  s'affermira  cent  fois.  Enfin, 
quand  l'objet  sera  près  de  moi ,  et  que  je  recon- 
naîtrai avec  la  dernière  netteté  toutes  les  formes  du 
corps  humain,  l'opinion  cédera  la  place  à  la  cer- 
titude. 

Veut-on  noter  cette  marche,  ce  progrès,  ces  varia- 
tions de  l'opinion  avec  une  précision  toute  mathéma- 
tique? Prenons   aux   mathématiciens   leur  exemple 


ESOL'ISSES  PSYGHOLUtilQUBS.  287 

favori.  It  y  a  dans  une  urne  cent  boules,  dont  soixante 
blancbes.  Mon  opinion  est  que  j'extrairai  une  boule 
blancbe.  Faites  qu'il  y  ait  soixunte-dix  blanches,  mon 
opinion  se  fortifie  dans  la  même  proportion.  Faites 
qnll  y  en  ait  quatre-vingts ,  elle  se  fortifie  encore  ; 
qaatre-vingt- dix ,  elle  se  fortifie  toujours.  Quatre- 
vingt-dix-neuf,  elle  est  tout  ce  qu'elle  peut  être. 
Cent,  ce  n'est  plus  l'opinion ,  c'est  la  certitude. 

Mais  c'est  trop  insister  sur  une  cbose  si  simple  ;  et 
l'on  comprend  de  reste  que  la  variabilité  est  un  ca- 
ractère inhérent  k  la  nature  même  de  l'opinion. 

Telle  est  l'opinion ,  considérée  en  elle-même.  Mais 
d'où  vient-elle?  Lorsque,  nous  avons  une  opinion, 
pourquoi  avons-nous  une  opinion,  et  pourquoi  avons- 
nous  une  opinion  plus  ou  moins  ferme?  J'ai  déjà 
répondu  à  cette  question.  Loi-sque  nous  avons  une 
opinion,  c'est  que  l'objet  de  notre  connaissance  est 
probable,  et  si  nous  avons  une  opinion  plus  ou  moins 
fenne,  c'est  qu'il  est  plus  ou  moins  probable.  La  raison 
et  la  mesure  de  l'opinion  est  dans  la  probabilité. 

Quest-ce  que  la  probabilité? 

Les  philosophes  et  les  mathématiciens  l'ont  égale- 
ment définie  :  les  premiers  avec  une  diffusion  qui 
manque  de  lumière ,  les  seconds  avec  une  précision 
qui  manque  d'étendue. 

Voici  comment  Locke  s'exprime  : 

«  La  probabililt'  ost  la  vraisemblance  qu'il  y  a 
qu'une  chose  est  vc-rilahle,  ce  terme  même  désignant 
une  proposition  pour  U\  confirmation  de  laquelle  il  y 
a  des  preuves  pro[)ros  à  la  faire  passer  ou  recevoir 
pour  véritable.  » 


!288  ESQUISSES  PSYCUOLÛGlQUESf. 

Plus  loin,  il  ajoute  que  la  probabilité  «  roule  tou- 
jours sur  des  propositions  que  quelques  motifs  nous 
portent  à  recevoir  pour  véritables ,  sans  que  nous 
connaissions  certainement  qu'elles  le  sont  • 

Et  enfin ,  plus  loin  encore  :  «  Une  proposition  est 
en  elle-même  plus  ou  moins  probaMig,  selon  que 
notre  connaissance ,  que  la  certitiide  de  nos  obser- 
vations ,  que  les  expériences  constantes  et  souvent 
réitérées  que  nous  avons  faites,  que  le  nombre  et  la 
crédibilité  des  témoignages  conviennent  plus  ou 
moins  avec  elle ,  ou  lui  sont  plus  ou  moins  con- 
traires. » 

Suivant  Laplace ,  la  probabilité  est  »  le  rapport  du 
nombre  des  cas  favorables  à  celui  de  tous  les  cas 
possibles.  »  En  sorte  que  la  probabilité  se  représente 
parfaitement  bien ,  dans  la  langue  des  cbitires ,  par 
«  une  fraction  dont  le  numérateur  est  le  nombre  des 
cas  favorables,  et  dont  le  dénominateur  est  le  nombre 
de  tous  les  cas  possibles.  » 

Laplace  éclaircit  ceci  par  plusieurs  exemples.  Je 
choisis  le  suivant,  qui  est  le  plus  simple  : 

u  Supposons ,  dit-il ,  que  Ton  projette  en  Tair  une 
pièce  large  et  très-mince,  dont  les  deux  grandes  faces 
opposées  ,  que  nous  nommerons  croix  et  pik ,  soient 
parfaitement  semblables.  Cberchons  la  possibilité 
d'amener  croix  une  fois  au  moins  en  deux  coups.  Il 
est  clair  qu'il  peut  arriver  quatre  cas  également  possi- 
bles^ savoir,  croix  au  premier  et  au  second  coup  ;  croix 
au  premier  coup,  etpï/é  au  second;  pile  au  premier 
coup,  et  croix  au  second  ;  enfin,  pik  aux  deux  coups. 
Les  trois  premiers  cas  sont  favorables  à  l'événement 
dont  on  ciierche  la  probabilité  qui ,  par  conséquent , 


BSOUISSIS  PSYCHOLOGIQUES.  âS9 

est  égftle  à  3/4  ;  en  sorte  qu'il  y  a  trois  contre  un  à 
parier  que  croix  arrivera  au  moins  une  fois  en  deux 
ooaps.  • 

Laplace  explique  en  outre  que  la  probabilité  (comme 
l'évidence)  n'est  pas  dans  les  choses  absolument, 
mais  dans  les  choses  en  rapport  avec  l'esprit ,  dans 
les  choses  connues.  Ce  qui  le  prouve ,  dit-il ,  c'est 
qu'elle  dépend  autant  de  l'état  de  l'esprit  que  de 
cehii  des  choses.  Et  il  éclaircit  encore  cela  par  un 
exemple. 

«  Supposons  que  l'on  ait  trois  urnes  A ,  B ,  C , 
dont  nne  ne  contienne  que  des  boules  noires ,  tandis 
que  les  deux  autres  ne  renferment  que  des  boules 
blanches  ;  on  doit  tirer  une  boule  de  l'urne  G ,  et 
l'on  demande  la  probabilité  que  cette  boule  sera 
noire.  Si  l'on  ignore  quelle  est  celle  des  trois  urnes 
qui  ne  renferme  que  des  boules  noires,  en  sorte  que 
l'on  n'ait  aucune  raison  de  croire  qu'elle  est  plutôt 
C  que  B  ou  A,  ces  trois  hypothèses  paraîtront  éga- 
lement possibles  ;  et  comme  une  boule  noire  ne  peut 
être  extraite  que  dans  la  première  hypothèse ,  la 
probabilité  de  l'extraire  est  égale  à  uù  tiers.  Si  l'ou 
sait  que  l'urne  A  ne  contient  que  des  boules  blan- 
ches ,  l'indécision  ne  porte  plus  alors  que  sur  les 
urnes  B  et  C,  et  la  probabilité  que  la  boule  extraite 
de  l'urne  G  sera  noire  est  un  demi.  Enfin,  cette  pro- 
babilité se  change  en  certitude  ,  si  l'on  est  assuré 
que  les  urnes  A  et  B  ne  contiennent  que  des  boules 
blanches.    } 

Gertes ,  ces  définitions  et  explications  de  Laplace 
sont  autrement  précises  et  exactes  que  celles  de 
Lncke.  Mais  ne  laissent-elles  pas  cpperulanl  quelque 

ly 


290  ESQUISSES  PSYCHOLOGIQUES. 

chose  à  désirer  da  côté  de  retendue  ?  Toute  proba- 
bilité est-elle  de  nature  à  s'exprimer  par  une  fraction 
dont  le  numérateur  est  le  nombre  des  cas  favorables, 
et  le  dénominateur  celui  des  cas  possibles  ?  Gela 
supposerait  deux  choses  :  l""  que  Ton  connaît  toujours 
exactement  le  nombre  des  cas  favorables  ;  2*  que  Ton 
connaît  toujours  exactement  le  nombre  des  cas 
possibles.  Or ,  si  ces  deux  conditions  se  réalisent 
dans  les  exemples  abstraits,  comme  celui  de  Tume 
et  des  boules,  comme  celui  de  la  pièce  de  monnaie 
à  deux  faces  lancée  en  Tair,  il  n'en  est  plus  de  même 
dans  les  exemples  Irès-concrels  que  fournit  la  vie 
oi^dinaire.  Voici  un  navigateur  qui  met  à  la  voile 
pour  aller  explorer  dans  des  mers  inconnues  ,  au 
milieu  de  périls  qu'on  ne  peut  prévoir ,  quelque  île 
dont  on  soupçonne  l'existence  :  quelle  est  la  pro- 
babilité de  son  retour  ?  Comment  déterminer  tous  les 
cas  favorables?  Comment  déterminer  tous  les  cas 
possibles?  Comment  poser  la  fraction?  Il  y  a  là 
évidemment  une  sorte  de  probabilité  vague ,  et  qui 
ne  se  laisse  pas  chiffrer.  J'imagine  que  c'est  cette 
seconde  espèce  de  probabilité,  négligée  par  Laplace, 
que  M.  Cournot,  à  l'article  Probabilité  du  Dictionnaire 
des  sciences  philosophiques^  nomme  probabilité  philoso- 
phique^ en  la  distinguant  de  celle  qu'il  appelle  proba- 
bilité mathématique^  dont  le  propre,  dit-il,  est  de  se 
ramener  à  une  évaluation  numérique  des  chances. 

D'un  autre  côté,  Laplace  ne  parle  jamais  que 
d'événements  futurs.  Or  ,  la  probabilité  n'est  pas 
concentrée  dans  ce  cercle  étroit;  elle  se  rencontre 
dans  toutes  les  sphères  où  s'exerce  l'esprit  humain. 
Tel  objet  entrevu  à  une  grande  distance  est  proba- 


ESQUISSES  PSYCHOLOGIQUES.  â9i 

blement  un  cheval.  La  volonté  humaine  n'est  proba- 
blement Hbre,  dans  toute  l'acception  de  ce  mot,  que 
dans  la  préférence  donnée  à  un  motif  sur  un  autre 
motif  d'ordre  totalement  différent.  Lu  liberté  divine 
est  probablement  une  liberté  de  convenance.  Ces 
exemples  prouvent  à  la  fois  que  la  probabilité  ne 
réside  pas  seulement  dans  les  faits,  mais  aussi  dans 
les  êtres  et  lenrs  propriétés  ;  et  qu'elle  pourrait  se 
partager  en  probabilité  physique,  probabilité  morale, 
probabilité  métaphysique.  11  est  facile  de  concevoir 
qu'on  distinguerait  également,  si  on  y  trouvait 
quelque  intérêt,  une  probabilité  immédiate  et  une 
probabilité  médiate.  Mais  ces  divisions  n'ont  aucune 
importance,  ce  qui  fait  qu'on  ne  les  trouve  étabUes 
nulle  part 

Ce  qui  a  de  l'importance  ,  et  ce  qui  est  établi 
partout,  c'est  la  variabilité  de  la  probabilité,  laquelle 
nous  e.Kpllque  la  variabilité  de  l'opinion.  La  proba- 
bilité, en  eifet,  a  mille  degrés.  Et  cela,  on  peut  le 
rendre  parfaitement  sensible  au  moyeu  du  système 
d'évaluation  employé  par  Laplace.  Supposez  que  le 
dénominateur  de  la  fraction  exprimant  la  probabilité 
soit  le  nombre  100  :  il  y  aura  autant  de  degrés 
possibles  dans  la  probabilité  qu'il  y  a  de  fractions 
différentes  depuis  ^j^^q  jusqu'à  ^^/joo-  Supposez  que 
le  dénominateur  de  la  fraction  (exprimant  la  proba- 
bilité soit  1000  :  il  y  aura  autant  de  degrés  possibles 
dans  la  probabilité  qu'il  y  a  de  fractions  ditférenles 
depuis  Viooo  jusqu'à  ^^^/,ooo-  ^^  probabilité  vague 
que  M.  Cournot  baptise  du  nom  de  probabilité  phi- 
losophique ,  d'une  façon  assez  peu  polie  pour  les 
philosophes,  n'est  pas  moins  variable  :  la  seule  dififé- 


292  ESQUISSES  PSYCHOLOGIQUES. 

rence,  c'est  que  ses  degrés  divers  demearent  dans 
le  vague  comme  elle. 

Est-il  besoin  de  faire  observer  que  nous  retrouvons 
ici,  entre  l'opinion  et  la  probabilité,  le  même  pa- 
rallélisme que  nous  avons  précédemment  constaté 
entre  la  certitude  et  l'évidence  ?  Est-il  besoin  d'ajouter 
que  la  raison  de  ce  parallélisme  est  la  même  dans 
les  deux  cas^  et  que  l'opinion  devait  tenir  ses  divi- 
sions et  ses  caractères  de  la  probabilité^  où  elle  a  son 
origine  ? 

Faut-il  faire  remarquer  qu'il  résulte  des  considé- 
rations ci-dessus  exposées  que ,  parmi  les  choses 
divines,  humaines  ,  naturelles  ,  il  en  est  un  grand 
nombre  que  l'esprit  humain  connaît  de  façon  à 
avoir  une  opinion,  parce  qu'elles  lui  apparaissent  avec 
probabilité,  comme  il  en  est  un  grand  nombre  qu'il 
connaît  avec  certitude,  parce  qu'elles  lui  apparaissent 
avec  évidence  ?  Et  ne  voit-on  pas  que,  s'il  y  a  tantôt 
certitude  ,  tantôt  opinion  dans  nos  connaissances, 
parce  qu'il  y  a  tantôt  évidence  et  tantôt  probabilité 
dans  leurs  objets,  cela  est  tout  ensemble  la  condam- 
nation du  dogmatisme,  que  nous  jugions  à  la  fin  du 
précédent  chapitre ,  et  du  probabilisme ,  que  nous 
allons  juger  en  terminant  celui-ci  ? 

Je  n'appelle  pas  probabilisme  la  doctrine  qui  fait  sa 
légitime  part  à  l'opinion  et  à  la  probabilité,  mais 
bien  celle  qui  met  l'opinion  et  la  probabilité  partout, 
en  bannissant  la  certitude  de  notre  esprit,  et  l'évidence 
des  objets  qu'il  aperçoit  Je  n'appelle  pas  probabi- 
lisme la  doctrine  qui  dit  :  il  y  a  des  choses  probables, 
comme  il   y   en  a   d'évidentes;  il  y  a  des  choses 


ESQUISSES   PSYCHOLOGIQUES.  293 

qall  finut  croire  simplement  jusqu'à  l'opinion,  comme 
il  y  en  a  qu'il  faut  croire  avec  certitude ,  mais  celle 
qui  dit  :  rien  n'est  évident ,  tout  est  probable  ,  plus 
on  moins  ;  il  ne  fout  rien  affirmer  ou  nier  avec  cer- 
tîtode,  mais  s'arrêter  toujours  à  l'opinion  avec  plus 
on  moins  de  confiance. 

Sur  quoi  repose  un  si  étrange  système  ? 

Sur  une  fousse  analyse  des  objets  de  nos  connais- 
sances, et  sur  une  fausse  analyse  de  notre  esprit. 

Sur  une  fousse  analyse  des  objets  de  nos  connais- 
sances. —  Selon  les  probabilistes,  les  objets  que  nous 
apercevons  sont  de  telle  nature  que  nous  ne  pouvons 
absolument  pas  les  connaître  clairement  et  distincte- 
ment, c'est-à-dire  avec  évidence.  Voici  un  corps.  Un 
corps ,  c'est  une  chose  étendue  :  concevez-vous  clai- 
rement et  distinctement ,  avec  évidence ,  une  chose 
étendue?  Est-elle  composée  d'une  série  de  points 
étendus  :  alors,  chacun  de  ces  points  étant  lui-même 
une  chose  étendue,  la  même  question  se  pose  de 
nouveau:  qu'est-ce  qu'une  chose  étendue?  Est-elle 
composée  d'une  série  de  points  inétendus  :  alors,  il 
font  expliquer  comment  une  réunion  de  parties  iné- 
tendues peut  former  un  tout  étendu.  Cette  difficulté, 
fut-elle  seule ,  suffirait  à  établir  que  les  corps ,  par 
leur  nature  même ,  se  refusent  à  être  connus  avec 
évidence. 

Voici  un  tas  de  blé  :  quoi  de  plus  facile  à  connaître, 
et  à  bien  connaître  ?  allez-  vous  dire.  Pas  si  facile , 
réplique  le  probabiliste.  De  quoi  se  compose  un  tas 
de  blé  ?  De  grains  de  blé.  Mais  combien  faut-il  de 
grains  pour  faire  un  tas?  Il  en  faut  beaucoup.  En 
êtes-vous  bien  sûr  ?  Otez  à  ce  tas  un  grain  ,  y  a-t-il 


294  ESQUISSES  PSYCHOLOGIOCES. 

tas  encore?  Oui.  Otez  encore  un  grain,  y  a-t*il  tas 
encore  ?  Oui.  Otez  toujours  un  nouveau  grain  ,  il 
viendra  un  moment  où  il  n'y  aura  plus  tas.  Un  grain 
(le  plus  faisait  donc  le  tas.  Il  suffit  donc  d'un  grain 
pour  taire  un  tas.  Encore  une  difficulté  qui  fait  bien 
voir  que  les  corps,  par  leur  nature  môme,  se  refhsent 
à  ^Ire  connus  avec  évidence. 

On  démontrerait  de  la  même  manière,  et  sans  plus 
d'efforts ,  que  les  esprits ,  humain  ,  divin,  et  autres  , 
s'il  y  iMi  a  ,  se  refusent  h  être  connus  avec  évidence. 
Il  ne  reste  donc  plus  que  la  probabilité. 

Sur  une  fausse  analyse  de  notre  esprit.  —  Selon  les 
{U'obabilistes ,  lorsque  l'esprit  se  juge  certain,  il  se 
lait  tout  simplement  illusion.  Qu'il  examine  avec  soin 
cette  prétendue  certitude,  et  il  se  verra  forcé  d'en 
raliattro.  Vous  êtes  certain  que  ce  corps  a  telle  forme  : 
pourquoi  ?  pîu*ce  que  les  sens  vous  le  montrent  avec 
cette  forme.  Mais  ne  peut^l  pas  se  faire  que  vos 
sens,  dans  des  circonstances  difféi-cntes,  vous  le  mon- 
livnl  avec  une  forme  ditt*érente  ?  n'avez-vous  pas 
mille  exemples  de  cette  variabilité  de  vos  sens  ?  Vous 
iHes  certain  que  le  soleil  se  lèvera  demain  :  poui*cjuoi  ? 
paive  que  cola  s  est  trouvé  vrai  jusqu'ici.  Ce  qui  a 
été  dfùl-il  donc  toujours  être ,  [>ar  cela  seul  qu'il  a 
été?  Notre  soleil  ne  s'éleindra-t-il  donc  jamais? 
D'auti^^s  soleils  u*ont-ils  pas  déjà  cessé  d'envoyer  la 
lunnèn>  et  la  clialeur  à  d'autres  terres  ?  Enfin ,  quelle 
q\io  soit  la  chose  dont  vous  vous  disiei  :  j'en  suis 
certain ,  n\  a-t-il  pas  toujours  quelque  chance  pour 
que  vous  vons  soyei  trompé  «  l'esprit  humain  étant 
essentiellement  impar&it  ?  Il  n  y  a  donc  pas  de  certi- 
Imte  vêrilaWo.  Il  ne  reste  donc  plus  qne  l'opiDion. 


ESQUISSES   PSYCHOLOGIQUES.  295 

Telle  est ,  saof  les  détails  et  les  développements  , 
l'argamentation  sur  laquelle  se  fonde  le  probabilisme. 
Et  l'on  voit  par  là  combien  cette  doctrine  est  mal 
assise  et  chancelante.  Toutes  ces  raisons  contre  l'évi- 
dence et  la  certitude  sont  les  plus  pauvres  raisons  du 
inonde.  Qu'importe  que  nous  sachions  ou  ne  sachions 
pas  quels  sont  les  éléments  constitutifs  des  corps?  et 
eo  quoi  cela  empéche-t-il  que  nous  les  percevions 
clairement  et  distinctement?  Qu'importe  que  nous 
puissions  on  ne  puissions  pas  déterminer  précisément 
le  nombre  de  grains  nécessaires  pour  former  un  tas 
de  blé  ?  et  en  quoi  cela  empèche-t-il  que  nous  ne 
voyions  clairement  et  distinctement  s'il  y  a  tas  ou  s'il 
n'y  a  point  tas  ?  Quelles  misérables  arguties  ! 

Je  ne  suis  pas  certain  ,  quoique  je  pense  l'être. — 
En  vérité ,  il  est  bien  singulier  que  vous  sachiez 
mieux  que  moi  si  je  suis  certain  ou  si  je  ne  suis  pas 
certain  !  Je  ne  suis  pas  certain  que  ce  corps  ait  cette 
forme,  parce  que  mes  sens  sont  variables. — Oui,  mes 
sens  varient ,  lorsque  les  circonstances  varient ,  par 
exemple,  la  distance,  pour  les  yeux;  mais,  placés 
dans  les  circonstances  favorables ,  ils  sont  constants  à 
eux-mêmes  ,  et  nous  montrent  toujours  les  objets 
avec  la  même  forme ,  qui  est  la  véritable.  Je  ne  suis 
pas  certain  que  le  soleil  se  lèvera  demain.  —11  faut  s'en- 
tendre. Je  ne  suis  pas  certain  que  le  monde  existera 
demain^  le  monde  actuel  ;  mais,  supposé  qu'il  existe, 
je  sois  certain  que  le  soleil  se  lèvera  demain.  D'une 
manière  générale,  on  n'est  jamais  certain,  parce  qu'il 
y  a  toujours  quelque  chance  d'erreur  dans  nos  con- 
naissances, à  cause  de  notre  naturelle  imperfection. 
—  Je  vous  demande  bien  pardon.  Lorsque  je  soulevé 


296  EsonssKs  psychologiques. 

avec  poiiie  un  corps  pesant,  je  connais  l'existence  de 
ce  corps  posant  sans  aucune  chance  d'erreur,  et  je 
suis  i^arfaitement  certain.  Lorsque  j'éprouve  une  vive 
d(uilour«  un  profond  chagrin ,  je  connais  ma  douleur, 
mon  chagrin  sans  aucune  chance  d'erreur ,  et  je  suis 
ixirfaiteniont  certain. 

D'ailleurs ,  lorsque  les  probabilistes  installent  l'opi- 
nion (M  la  probabilité  ti  la  place  de  la  certitude  et  de 
Tt^'idonco  niées  et  méconnues,  ils  ne  savent  ce  qu'ils 
font.  0^i*^^t-iM'  qtie  l'opinion  ,  sans  la  certitude  ? 
quVstMM'  que  la  probabilité,  sans  l'évidence? deux 
chosos  impossibles ,  deux  choses  qui  ne  se  peuvent 
C!mc«»voir.  Kn  etlet .  l'opinion  n'existe  que  par  son 
rapport  à  la  certitude  ;  c'est  une  moindi*e  certitude. 
\a\  pn>l>abilité  n'existe  que  par  son  rapport  à  l'évi- 
liouoo  ;  oVst  une  moindre  évidence.  Otez  la  certitude 
ot  révidence ,  plus  d'opinion  et  plus  de  probabilité. 
tUox  la  lumière,  plus  de  crépuscule. 

1,0  probabilisme  que  je  viens  d'exposer  et  de  dis- 
cuter est  le  probabilisme  pur  ou  absolu,  qu'on  pour- 
rait appeler  le  probabilisme  antique.  Mais  il  existe  un 
pmbabilisme  mitigé ,  c'est-à-dire  qui  met  la  proba- 
bilité et  l'opinion  partout ,  excepté  en  un  endroit,  et 
c'est  le  probabilisme  moderne.  Il  naît  au  XVllI*  siècle 
et  se  développe  au  XIX*.  Il  bégaie  dans  les  Éléments  de 
philosophie  de  d'Alembert ,  parle  haut  et  ferme  dans 
V Essai  philosophique  sur  les  probalnlites  de  Laplace ,  et 
s'exalte  dans  V Essai  sur  les  fondements  de  nos  confiais^ 
naissances  de  M.  Cournot.  Tout  outrecuidant  et  arro- 
gant qu'il  est,  on  peut  le  renfermer  tout  entier  dans 
cette  simple  proposition  :  la  physique ,  l'histoire ,  la 
psychologie ,  toutes  les  sciences  naturelles ,  morales, 


ESQUISSES   PSYCHOLOGIQUES.  297 

politiques ,  se  meuvent  et  roulent  dans  le  cercle  des 
probabilités  ,  sans  jamais  pouvoir  trouver  une  issue 
pour  en  sortir  ;  elles  enchaînent  des  opinions  à  des 
opinions,  sans  jamais  pouvoir  trouver  un  degré  pour 
monter  plus  haut  :  les  seules  mathématiques  sont  en 
possession  de  l'évidence  et  de  la  certitude. 

Quel  est  le  sens  de  ce  privilège  réservé  exclusive- 
ment aux  mathématiques?  y  faut-il  voir  une  sorte 
dinfatnation  des  mathématiciens?  a-t-il  une  raison 
pins  sérieuse  et  plus  profonde  ? 

Il  ne  faut  pas  se  le  dissimuler ,  les  sciences  au- 
jourd'hui sont  fort  personnelles,  et  fort  disposées 
chacune  à  ramener  tout  à  soi.  La  philosophie,  dans 
ses  livres ,  dans  ses  chaires ,  s'adjuge  sans  façon 
la  prééminence  sur  toutes  les  sciences,  qu'elle  traite 
même  quelquefois  assez  cavalièrement.  A  leur  tour, 
les  autres  sciences  regardent  avec  quelque  dé- 
dain la  philosophie ,  qu'elles  prétendent  régenter. 
La  médecine  en  fait  volontiers  une  dépendance  de 
la  physiologie  ;  l'histoire  naturelle ,  un  chapitre  de 
la  zoologie  ;  et  l'analyse  mathématique ,  une  appli- 
cation particulière  du  calcul  des  probabilités.  La 
république  des  sciences  est  en  pleine  anarchie  ; 
toutes  veulent  commander  ,  et  pas  une  obéir. 

Mais  cela  ne  sullit  pas  à  expliquer  pourquoi  les 
mathématiques  refusent  l'évidence  et  la  certitude  à 
toutes  les  autres  sciences,  condamnées  par  elles  à 
n'être  que  des  tissus  de  conjectures.  Celte  exor- 
bitante prétention  vient ,  selon  moi  ,'  du  sens  trop 
étroit  donné  par  les  mathématiciens  aux  mots  évi- 
dence et  certitude. 

En  effet,  dans  les  mathématiques,  l'évidence  et  la 


298  ESQUISSES  PSYCHOLOGIQUES. 

certitude   ont  un  caractère  particulier  ,   qui  ne  se 
retrouve  pas  ailleurs.  Elles  se  rapportent  à  des  vérités 
nécessaires.  Les  axiomes  sont  des  vérités  nécessaires, 
et  les  théorèmes  eux-mêmes  ,  une  fois  démontrés , 
sont  des  vérités  nécessaires.  Il  suit  de  là  que,  dans 
les  mathématiques,  ce  qui  est  évident  n'est  pas  seu- 
lement clair  et  distinct ,  mais  ne  peut  pas  ne  pas 
être  :  il  suit  de  là  que  ,  dans  les  mathématiques , 
lorsque  nous  sommes  certains,  non-seulement  nous 
ne  doutons   ni    n'hésitons,    mais  nous  ne  pouvons 
ni  douter  ni  hésiter.  Telle  est  Tévidence  des  vérités 
nécessaires,  telle  est  la  certitude  des  vérités  néces- 
saires.  Que  font  les  muthématiciens  ?  Ils  prennent  cette 
évidence  des  vérités  nécessaires  pour  toute  l'évi- 
dence ;  ils  pi*enneut  cette  certitude  des  vérités  néces- 
saires pour  toute  la  certitude  ;  et,  ne  les  rencontrant 
pas  dans  les  autres  sciences,  qui  se  composent  de 
vérités  contingentes,  ils  déclarent  que  Tévidence  et 
la  certitude   sont  le  privilège  exclusif,  le  glorieux 
monopole  des  sciences  exactes  ;  que,  hors  de  là,  il 
n'y  a  plus  que  probabilité  dans  les  choses,  et  opinion 
dans  l'esprit.  Et  ils  fondent  le  probabilisme ,  et  ils  se 
font  les  disciples  du  bel  esprit  Caraéade  ,  et  ils  se 
trompent. 

Eneflfet,  est-ce  que  les  vérités  contingentes  ne 
sont  pas  évidentes  aussi?  Est-ce  que  nous  n'y  adhé- 
rons pas  aussi  de  cette  adhésion  complète  et  en- 
tière qui  est  la  certitude?  Ce  corps  pourrait  ne 
pas  être ,  sans  doute  ;  mais  il  est  évidemment.  Son 
existence  ne  m'est  pas  moins  évidente ,  bien  que 
contingente,  que  ce  théorème ,  les  trois  angles  d'un 
irimigle  sont  égaux  à  deux  droits,  bien  que  nécessaire. 


PSYCHOLOGIQUES.  299 

Et  je  ne  sais  pas  moins  certain  que  ce  cori>s  eiiste  , 
tont  en  concevant  qu'il  pourrait  ne  pas  exister,  que 
je  le  sais  qae  ki  trois  angles  d'un  triangle  sont  égaux 
ndeiux  droit»  ^  tout  en  concevant  qu'ils  ne  peuvent 
pas  ne  pas  leur  être  égaux.  Il  y  a  donc  certitude  et 
évidence  dans  toutes  les  sciences,  quoique  les  unes 
soient  nëeeseaires,  et  les  autres  contingentes. 

Et  véritablement,  ce  serait  uno  étrange  chose 
qoe  l'évidence  et  la  certitude  ne  se  trouvassent  point 
précisément  où  nous  avons  le  plus  besoin  de  les 
trouver.  Ce  n'est  pas  moi  qui  médirai  des  mathé- 
matiques :  je  les  admire ,  malgré  l'ennui.  Je  sais  ce 
qu'elles  valent.  Mais  si  elles  ont  une  haute  impor- 
tance spéeolative  ,  et  même  pratique ,  par  leurs 
applications  ;  toujours  est-il  qu'elles  sont  sans  intérêt 
mornL  Au  contraire,  la  science  de  Thomme,  celle  de 
la  société ,  et  même  celle  de  la  nature  dans  ses  rap- 
ports à  la  société  et  à  Thomme,  ont  cet  intérêt  moral 
an  suprême  degré.  Je  prends  donc  la  liberté  de  les 
préférer.  C'est  donc  là  que  j'ai  surtout  besoin  de  ren- 
contrer l'évidence  et  d'atteindre  à  la  certitude.  On  en 
pensera  ce  qu'on  voudra  ;  mais  s'il  me  fallait  choisir 
entre  la  moindre  des  vérités  morales  et  toutes  les 
vérités  mathématiques  ,  je  choisirais  sans  hésiter  la 
moindre  des  vérités  morales. 

tî  -■  ■  V 

LE   DOUTE  ,   LA    POSSIBILHÉ  ,    LE   SCEPTiaSME. 

Le   doute  est  le  contraire  de  la  certitude,  à  tel 
point  «|iron    le   nomine  encore  Vincertitude.   Or ,  la 


300  ESQUISSES  PSYCHOLOGIQUES. 

certitude,  c'est  la  faculté  de  croire  à  son  maximum: 
donc  le  doute ,  c'est  la  faculté  de  croire  à  son  mmi- 
mum.  La  certitude  ,  c'est  la  faculté  de  croire  donnant 
absolument  son  adhésion  :  donc  le  doute  ,  c'est  la 
faculté  de  croire  refusant  absolument  son  adhésion. 
En  d'autres  termes  ,  le  doute  ,  c'est  la  faculté  de 
croire  qui,  placée  entre  le  pour  et  le  contre ,  n'in- 
cline pas  plus  vers  l'un  que  vers  l'autre ,  mais 
demeure  eu  parfait  équilibre.  Les  étoiles  sont-elles 
en  nombre  pair  ou  impair?  Si  je  lance  cette  pièce  en 
l'air,  aurai-je  croix  ou  pile?  Je  ne  crois  pas  plus 
à  l'une  de  ces  alternatives  qu'à  l'autre,  je  ne  prends 
pas  parti,  je  doute.  Le  doute,  c'est  la  croyance  qui 
ne  se  prononce  pas ,  faute  de  raison  pour  se  pro- 
noncer. 

Donc,  il  ne  faut  pas  confondre,  comme  on  le  fait 
si  souvent,  le  doute  avec  l'esprit  négatif.  Douter  est 
une  chose,  et  nier  une  autre  chose.  L'athée  nie 
l'existence  de  Dieu,  le  matérialiste  nie  l'existence  de 
l'esprit,  le  fataliste  nie  l'existence  de  la  liberté  :  ni 
l'athée,  ni  le  matérialiste,  ni  le  fataliste  ne  doutent. 
Dans  leur  pensée,  ils  sont  certains  qu'il  n'y  a  pas  de 
Dreu,  pas  d'esprit,  pas  de.  liberté  ,  comme  ,  dans  la 
vôtre,  vous  êtes  certains  qu'il  y  a  un  Dieu,  des  esprits, 
des  êtres  libres.  Toute  la  différence  ,  c'est  que  leur 
certitude  est  de  mauvais  Uloi.,  et  la  vôtre  de  bon 
aloi. — De  même,  ce  qu'on  appelle  en  style  religieux 
l'incrédulité  n*est  pas  le  doute.  L'incrédule  déclare 
faux  le  dogme  que  vous  déclarez  vrai  ;  il  est  certain 
comme  vous,  quoique  en  sens  contraire  ;  il  ne  doute 
pas.  Le  protestant  ne  doute  pas  plus  que  le  catho- 
lique ,  le  mahométan  ne  doute  pas  plus  que  le   chré- 


E9QUISSKS  PSTCUOLOGIQUES.  30i 

tien.  CelaUIà  doute  philosophiquement  qui,  trouvant 
d'égales  difficultés  à  admettre  ou  à  rejeter  la  spiri- 
tualité de  l'âme ,  ne  Tadmet  ni  ne  la  rejette,  et  de- 
meure en  suspens  entre  le  matérialisme  et  le  spiri- 
tualisme. Celui-là  doute  religieusement  qui,  considé- 
rant tour  à  tour  deux  religions ,  et  ne  trouvant  pas 
plus  de  raisons  de  se  ranger  à  Tune  qu'à  l'autre,  ne 
se  range  ni  à  l'une  ni  à  l'autre,  et  demeure  en  suspens 
entre  les  deux  symboles.  Le  doute  ,  pour  le  définir 
ane  dernière  fois,  c'est  la  croyance  qui  s'abstient , 
c'est  Vabstention,  suivant  l'expression  grecque. 

Ce  caractère  du  doute  se  montre  assez  dans  les 
formules  par  lesquelles  il  s'exprime.  Ces  formules  ne 
sont  ni  l'affirmation  ni  la  négation  ;  elles  ne  marquent 
même  aucune  tendance  ni  à  Tune  ni  à  l'autre.  Inter- 
rogez un  sceptique;  si  c'est  un  Grec  ,  Fyrrhon  ou 
l'un  des  siens,  il  vous  répondra  invariablement: 
«  Pas  plus  ceci  que  cela ,  »  ou  :  «  Je  ne  détermine 
rien  ;  »  si  c'est  un  moderne,  un  Français,  Montaigne, 
il  vous  répondra  :  «  Peut-être  !  »  «  Que  sais-je  ?  » 
Toutes  façons  de  parler  où  l'on  reconnaît  un  esprit 
qui,  soUicilé  à  droite  et  à  gauche  par  d(îs  raisons 
d'égale  valeur,  ne  penche  ni  à  droite,  ni  à  gaucfie, 
et  demeure  immobile,  pareil  à  la  balance  dont  les 
deux  plateaux  sont  également  chargés. 

Quoique  opposé  à.  la  certitude ,  le  doute  a  ce- 
pendant quelque  chose  de  commun  avec  elle.  11  est 
comme  elle  absolu ,  invariable.  11  a  une  mesure  fixe, 
et  qui  ne  change  pas.  Quelles  que  soient  les  per- 
sonnes ,  quels  que  soient  les  cas,  il  est  toujours  égal, 
parce  qu'il  ne  peut  ni  croître  ni  décroître.  Cela  res- 
sort de  la  définition  même  du  doulo.  C'est  l'équilibre 


302  SSOUISSES  PSYCIIOU)aiQU£S. 

de  la  croyance  entre  le  oui  et  le  non  :  or ,  iféqniHbre 
est  une  chose  essentiellement  fixe,  puisqu'il  consiste, 
ici,  à  occuper  une  sorte  de  point  mathématique  égale- 
ment distant  de  l'affirmation  et  de  la  négation.  C'est 
la  croyance  qui  s'abstient  :  or ,  l'on  ne  s'abstient  pas 
plus  ou  moins ,  comme  on  ne  fait  pas  plus  ou  moins 
silence.  Il  faut  donc  répéter  du  doute  ce  qui  a  été  dit 
de  la  certitude  :  il  est  ou  il  n'est  pas  ;  mais,  du  moment 
qu'il  est ,  il  est  sans  restriction  ,  sans  plus  ni  moins , 
il  est  entier,  il  est  invariable,  il  est  absolu.  Si  le  doute 
avait  des  degrés ,  s'exprimerait-il  par  les  mots  de 
Pyrrhon  et  de  Montaigne  ? 

Je  dirai  encore  ,  comme  je  disais  de  la  certitude  : 
la  meilleure  preuve  que  le  doute  est  toujours  égal 
est  dans  l'observation  de  soi-même.  Sur  le  point  de 
savoir  si  les  étoiles  sont  en  nombre  pair  ou  impair, 
sentons-nous  notre  doute  plus  grand  aujourd'hui 
qu'hier  ?  Nous  sentons-nous  douter  davantage  d'une 
chose  que  d'une  autre  dont  nous  doutons  aussi? 
Sentons-nous  le  doute  grandir  ou  rapetisser  en  nous  ? 
Avons-nous  d'abord  un  demi-doute ,  puis  trois-quarts 
de  doute;  puis  un  doute  entier?  ou  bien  avons-nous 
d'abord  un  doute  entier,  puis  trois-quarts  de  doute, 
puis  un  demi-doute?  Ces  questions  sont  ridicules, 
tant  il  est  vrai  que  le  doute  ne  varie  pas,  que  le  doute 
n'a  pas  de  degrés. 

Si  par  là  il  ressemble  à  la  certitude ,  par  là  aussi 
il  diffère  de  l'opinion.  Nous  savons,  en  effets  que  l'opi- 
nion a  des  degrés  en  nombre  innombrable.  Or , 
quand  on  y  réfléchit ,  on  reconnaît  sans  peine  que  , 
s'il  en  est  ainsi ,  c'est  qu'il  en  devait  être  ainsi.  En 
effet,  qu'est-ce  que  la  certitude  ?  le  mortmum  de  lu 


ESQUISSES  PSYGHOLO&IQUES.  303 

croyance.  Qu'est-ce  que  le  doute  ?  le  minimum  de  la 
croyance.  Qu'est-ce  que  ropinion?  tout  l'intervalle 
qni  sépare  ces  deux  extrêmes.  Mais  deux  choses  sont 
évidentes  :  c'est  qu'un  maximum  et  un  minimum  ne 
peuvent  absolument  pas  avoir  de  degrés  ;  c'est  que 
l'intervalle  qui  les  sépare  doit  en  comprendre  mille. 
n  était  donc  également  nécessaire  et  que  la  certitude 
et  le  doute  fussent  invariables ,  et  que  l'opinion  fût 
variable. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  doute  n'a  pas  de  degrés.  A-t-il 
des  espèces  ?  Il  en  aurait,  si  l'on  voulait,  et  les  mêmes 
que  la  certitude  et  l'opinion.  On  peut  douter  de  la 
nature  d'un  corps ,  de  la  loi  qui  régit  telle  ou  telle 
faculté  de  l'âme,  du  caractère  de  tel  ou  tel  attribut 
de  la  Divinité  ;  rien  n'empêcherai  tdonc  qu'on  ne  distin- 
guât un  doute  physique  ,  un  doute  moral ,  un  doute 
métaphysique.   On  peut  douter  du  résultat  obtenu 
intuitivement  par  une  faculté ,  comme  du  résultat 
obtenu  discursivement  par  une  opération  ;  rien  n'em- 
pêcherait donc  qu'on  ne  distinguât  un  doute  immé- 
diat ou   direct,  et  un  doute  médiat  ou  indirect.  Les 
logiciens  n'ont  pas  plus  fait  ces  distinctions  pour  le 
doute  que  pour  l'opinion.  Pourquoi?  parce  qu  ils  ne 
se  sont  guère  occupés  ni  du  doute  ni  de  l'opinion  , 
tandis  qu'ils  se  sont  beaucoup  occupés  de  la  certi- 
tude. Cette  raison  est  la  seule  et  la  vraie.  Ces  distinc- 
tions ,  qu'il  s'agisse  de  la  certitude  ,  ou  de  l'opinion  , 
ou  du  doute ,  sont  également  fondées,   il  faut  dire 
aussi,  pour  tout  dire,  qu'elles  le  sont  également  peu, 
et  que  la  certitude,  l'opinion  et  le  doute,  qu'ils  soient 
physiques,  ou  moraux,  ou  métaphysiques,  qu'ils 
soient  immédiats  ou  médiats ,  directs  ou  indirects , 


ESQUISSES  PSTCHOLOGIOUES.  307 

sans  doute  la  naïve  exclamation.  Un  Hollandais  l'en- 
tretenait  des  particularités  de  la  Hollande  ;  il  lui  dit , 
après  plusieurs  autres  choses ,  que  dans  son  pays 
Teau  durcissait  quelquefois  si  fort  pendant  la  saison 
la  pins  froide  de  Tannée  que  les  hommes  marchaient 
dessus  ;  et  que  cette  eau,  ainsi  durcie ,  porterait  des 
éléphants ,  s'il  y  en  avait  «  Jusqu'ici ,  s'écria  le  roi , 
j'ai  cru  les  choses  extraordinaires  que  vous  m'avez 
dites ,  parce  que  je  vous  estimais  homme  d'honneur 
et  de  probité  ;  mais  présentement  je  suis  assuré  que 
vous  mentez.  > 

D'Âlembert  a  pris  une  sorte  de  malin  plaisir  à 
mettre  en  relief  l'aveuglement  des  hommes  ,  surtout 
des  savants,  qui  trop  souvent  oubliefut  combien  leur 
science  est  petite,  grande  leur  ignorance  ,  et  démon- 
trent le  mieux  du  monde ,  c'est-à-dire  le  plus  ridicu- 
lement du  monde,  l'impossibilité  du  possible. 

«  Question.  —  On  demande  s'il  est  possible  qu'un 
pépin  de  fruit ,  rais  en  terre  ,  produise,  au  bout  d'un 
certain  nombre  d'années  ,  un  arlire  du  même  genre 
que  celui  d'où  le  fruit  a  été  tiré. 

«  Réponse. —  Il  est  évident  que  cela  est  impossible  ; 
comment  le  moins  peut-il  produire  le  plm  ?  a  moins 
qu'on  ne  veuille  donner  le  démenti  à  l'axiome  que 
k  tout  est  plus  grand  que  sa  partie, 

a  Autre  question.  —  On  prétend  avoir  trouvé  le 
secret  d'une  petite  poudre  qui  a  cette  propriété  :  que, 
quand  il.  tombe  une  étincelle  dessus ,  cette  poudre 
éclate  avec  grand  bruil ,  et  peut ,  quoique  en  assez 
petite  quantité  ,  renverser  par  son  explosion  des  édi- 
fices considérables.  On  demande  si  la  chose  est  pos- 
sible. 


308  ESQUISSES    PSYCHOLOGIQUES. 

«  Réponse,  —  Gela  est  impossible  par  tous  les 
principes  de  la  mécanique.  Pour  qu'une  petite  masse 
en  renverse  une  grande ,  il  faut  au  moins  que  cette 
petite  masse  soit  douée  d'une  vitesse  énorme.  Et 
comment  une  étincelle  peut-elle  communiquer  une  si 
grande  vitesse  à  un  amas  de  grains  de  poudre  en 
repos  ?  car,  d'un  côté,  cette  étincelle  est  beaucoup 
moindre  que  l'amas  de  grains  de  poudre ,  et  de 
l'autre,  la  vitesse  avec  laquelle  elle  tombe  sur  cetamas 
de  grains  est  peu  considérable.  Il  faut  donc  encore 
renvoyer  ce  prétendu  fait  au  catalogue  des  fables.  * 

Ainsi  nous  nous  faisons  souvent  illusion ,  et  nous 
sommes  sujets  à  d'étranges  méprises  sur  la  possibilité 
de  fait  ;  mais  elle  n'en  est  pas  moins  ce  que  nous 
avons  dit  ,  à  savoir:  ce  qui  ^  n'impliquant  pas  contra- 
diction ,  nous  paraît  être  en  outre  dans  la  nature  des 
choses.  Nous  voilà  donc  édifiés  cl  sur  la  possibilité  de 
droit,  et  sur  la  possibilité  de  fait ,  par  conséquent  sur 
la  possibilité  en  général. 

Mais  ce  qui  détermine  le  doute  en  nous ,  ce  n'est 
pas  la  possibilité,  c'est  la  simple  possibilité,  La  simple 
possibilité,  c'est  la  possibilité  toute  nue,  réduite  à  elle- 
même.  On  conçoit  en  effet  qu'une  chose  probable  est 
à  plus  forte  raison  possible ,  en  sorte  que  dans  les 
choses  probables  la  possibilité  se  trouve  unie  à  la 
probabilité.  De  même  une  chose  évidente  est  à  bien 
plus  forte  raison  encore  possible,  en  sorte  que  dans 
les  choses  évidentes  la  possibilité  se  trouve  unie  à 
l'évidence.  Or,  quand  la  possibilité  est  unie  à  la  pro- 
babilité ,  celle-ci  fait  naître  l'opinion  ;  et  quand  la 
possibilité  est  unie  à  l'évidence ,  celle-ci  fait  naître  la 
certitude.  Il  faut  que  la  possibilité  soit  seule ,  sans 


ESQUISSES  PSYCHOLOGIQUES.  309 

mélange  ,  toute  simple ,  pour  produire  son  propre 
effet,  qui  est  le  doute. 

Telle  est  donc  la  simple  possibilité,  origine,  cause, 
principe  et  raison  du  doute.  Maintenant,  cette  simple 
possibilité  a-t-elle  des  degrés  ?  cette  simple  possibilité 
a-t-elle  des  espèces  ? 

Mon  intention  n'est  pas  d'arrêter  le  lecteur  à  ces 
questions  peu  intéressantes  en  elles-mêmes,  et  deve- 
nues monotones  par  la  répétition.  J'y  réponds  en 
deux  mots,  et  je  dis  : 

La  simple  possibilité  n'a  pas  de  degrés  et  n'en  peut 
pas  avoir.  Par  là ,  elle  ressemble  à  l'évidence  ,  et  dif- 
fère de  la  probabilité. 

La  simple  possibilité  pourrait  avoir  des  espèces 
comme  l'évidence ,  comme  la  probabilité  ,  et  les 
mêmes.  Mais  il  n'y  aurait  aucun  avantage  à  mar- 
quer ces  distinctions ,  et  nous  ne  les  marquerons  pas. 

Je  remarque  seulement  qu'il  y  a  entre  la  simple 
possibilité  et  le  doute  le  même  parallélisme  que  nous 
avons  déjà  observé  entre  la  probabilité  et  l'opinion , 
entre  l'évidence  et  la  certitude  :  parallélisme  néces- 
saire ,  puisque  la  simple  possibilité  et  le  doute ,  la 
probabilité  et  l'opinion ,  Tévidcnce  et  la  certitude 
sont  dans  la  relation  de  la  cause  à  reflet  ;  puis- 
qu'il est  dans  la  nature  de  toute  cause  d'engendrer 
un  effet  semblable  à  soi. 

Je  remarque  encore  que  si  le  doute  est  réel ,  il  ne 
Test  pas  plus  que  l'opinion,  réelle  aussi^  que  la  certi- 
tude, réelle  aussi  :  d'où  il  suit  a  priori  qu'un  système 
qui  met  le  doute  partout,  sans  faire  leur  légitime 
part  à  l'opinion  et  à  la  certitude,  est  un  faux  système. 
Voilà  le  scepticisme  condamné. 


3i0  ESQUISSES    PSYCBOIjOGIQUES. 

Je  n'entends  pas  par  scepticisme  une  doctrine  qui 
ne  se  prononcerait  pas  sur  les  choses  qui ,  se  montrant 
à  nous  comme  simplement  possibles ,  sont  naturelle- 
ment Tobjet  du  doute ,  mais  affirmerait  et  nierait 
d'ailleurs  ,  avec  restriction  les  choses  qui  paraissent 
probables ,  sans  restriction  celles  qui  paraissent  évi- 
dentes. Une  telle  doctrine ,  c'est  le  bon-sens  même, 
et  je  n'y  pourrais  trop  applaudir. 

J'appelle  scepticisme  la  doctrine  désespérée  qui , 
méconnaissant  l'excellence  de  l'esprit  humain,  dé- 
clare tous  les  problèmes  insolubles  ,  refuse  de  répon- 
dre aux  questions  les  plus  simples ,  sous  prétexte 
qu^elles  dépassent  la  portée  de  notre  intelligence  ,  et 
nous  condamne  systématiquement  à  un  doute  uni- 
versel et  sans  remède.  J'appelle  scepticisme  la  doc- 
trine d'un  Pyrrhon,  d'un  Enésidème,  d'un  Sextus,  en 
Grèce;  d'un  Pascal,  au  XVII*  siècle;  d'un  David 
Hume ,  en  Angleterre  ;  d'un  Emmanuel  Kanl ,  en 
Allemagne.  Voilà  le  scepticisme  que  je  repousse  au 
nom  de  la  raison  calomniée,  insultée,  et  sur  le  compte 
duquel  il  importe  que  chacun  soit  édifié. 

Le  scepticisme  est  double.  Je  dislingue  un  scepti- 
cisme vulgaire  et  un  scepticisme  transcendant. 

Le  scepticisme  vulgaire  se  résume  dans  les  deux 
thèses  que  voici  : 

i*»  L'esprit  humain  ,  considéré  en  lui-même ,  est 
mal  organisé  ;  il  est  vicieux  ; 

2'  L'esprit  humain ,  comparé  à  son  objet ,  est  sans 
proportion  avec  lui  ;  il  est  impuissant 

D'abord ,  l'esprit  humain ,  considéré  en  lui-même  , 
est  mal  organisé,  et  vicieux.  En  effet,  la  contradiction 
s'y  montre  partout ,  et  sous  toutes  les  formes.  Exa- 


ESQtllSSSS  PSTCHOUXÏIQUES.  311 

minet  individaeliement  chacune  des  facultés  particu- 
lières dont  il  est  composé,  elle  se  contredit  elle- 
même  ;  examinez  ces  facultés  dans  leurs  rapports , 
elles  se  contredisent  réciproquement. 

Les  sens  se  contredisent  eux-mêmes.  Regardez  le 
même  objet  à  dix  pas ,  et  à  mille  pas ,  vous  le  verrez 
successivement  grand  et  petit,  rond  et  angulaire. 
Regardez  un  bâton  dans  Tair  et  dans  Teau  ,  vous  le 
verres  droit  dans  Tair,  et  brisé  dans  Teau.  Touchez 
un  corps  de  feiUe  dimension  de  l'extrémité  de  vos 
deux  doigts  placés  naturellement  l'un  à  côté  de 
Pftûtre ,  vous  le  sentirez  unique  ;  touchez-le  de  Tex- 
trémîté  de  vos  deux  doigts  entrecroisés ,  vous  le  sen* 
tlrex  double. 

Le  raisonnement  se  contredit  lui-même.  A  qui 
n'est'il  pas  arrivé ,  en  raisonnant ,  d'aboolîr  à  une 
certaine  conclusion,  et  puis  en  raisonnant  de  nouveau, 
d'aboutir  à  la  conclusion  contraire  ?  C'est  en  raison- 
nant que  Caméade  prouvait  qu'il  y  a  une  justice,  et 
c'est  encore  en  raisonnant  qu'il  prouvait  qu'il  n'y  a 
pas  de  justice.  Et  tous  les  joni's  ,  dans  nos  tribunaux, 
c'est  en  raisonnant  que  quelqu'un  prouve  la  culpabi- 
lité de  l'accusé  ,  en  raisonnant  que  quelqu'un  prouve 
son  innocence. 

La  mémoire  se  contredit  elle-même.  Interrogée  à 
deux  reprises  sur  le  même  événement  passé  ^  il  n'est 
pas  rare  qu'elle  nous  le  représente  de  deux  manières 
tont-à-fait  différentes.  Elle  varie  sur  la  date ,  elle 
varie  sur  les  circonstances  ,  elle  varie  sur  les  carac- 
tères, et  quelquefois  sur  tout  cela  en  même  temps. 

Les  sens  et  le  raisonnement  se  contredisent  réci- 
proquement. Les  sens  nous  disent  que  le  soleil  a  un 


3J2  ESOLISSES  PSYCHOLOGIQUES. 

pied  de  diamètre ,  et  le  raisonnement  qu'il  est  des 
milliers  de  fois  plus  gros  que  la  terre.  Les  sens  nous 
disent  que  le  soleil  tourne  autour  de  la  terre  immo- 
bile, et  le  raisonnement  que  la  terre  se  meut  autour 
du  soleil  en  repos.  Or,  si  Tintelligence  se  contredit  de 
la  sorte  ,  par  chacune  de  ses  facultés ,  et  par  toutes , 
elle  est  donc  mal  organisée ,  elle  est  donc  vicieuse. 

Mais  ce  n'est  pus  tout.  Comparé  à  son  objet,  Tes- 
prit  humain  est  sans  proportion  avec  lui ,  et  impuis- 
sant. En  effet,  quel  est  Tobjet  de  Tcsprit  humain  ? 
lui-même  d'abord  ;  ensuite  tout  ce  qui  Tentoure,  c'est- 
à-dire  la  nature  ;  enfm  le  commun  principe  de  la  na- 
ture et  de  l'homme,  c'est-à-dire  Dieu?  Or  ,  quel  rap- 
port y  a-t-il  entre  ces  deux  termes  ?  et  vouloir 
comprendre  un  tel  objet  avec  un  tel  esprit  ,  n'est- 
ce  pas  une  prétention  analogue  à  celle  d'un  homme 
qui  voudrait  saisir  la  terre  entre  ses  deux  bras  ? 

Je  n'accuse  plus  l'esprit  d'être  vicieux,  peu  m'im- 
porte. J'admets  au  contraire  pour  un  instant  qu'il  est 
organisé  de  manière  à  ne  rien  laisser  à  dc'siror; 
toujoui^s  est-il  incontestable  qu'il  est  essentiellement 
limité,  qu'il  n'a  qu'une  portée  essentiellement  res- 
treinte. C(»mment  donc  cet  esprit  embrasserait-il  ce 
monde,  qui  n'a  peut-être  pas  de  bornes,  et  Dieu  qui, 
certainement,  n'en  a  pas?  Gomment,  avec  une  vue 
si  courte,  étendrait-il  ses  regards  à  l'infini?  Et  s'il 
ne  saisit  de  son  objet  qu'une  partie  infiniment 
petite,  comment  ne  s'en  ferait-il  pas  une  idée  dé- 
fectueuse, ou  même  absurde?  Donc,  l'esprit  humain 
est  natureilomont  et  nécessairement  impuissant. 

Vicieux  par  lui-même ,  impuissant  dans  son  i-ap- 
port  à  un  objet  infuii  ,  quelle   peut-être  la  valeur 


ESQUISSES  PSYCHOLOGIQUES.  313 

des  connaissances  qu'il  nous  fournit?  El  quel  parti 
le  sage  doit-il  prendre,  si  ce  n*est  de  s'abstenir  de 
croire,  c'est-à-dire  de  douter? 

Tel  est .  en  abrégé  ,  le  scepticisme  vulgaire. 

Le  scepticisme  transcendant  consiste  en  une  thèse 
unique,  et  cette  thèse  unique  ,  la  voici  : 

L'esprit  humain  ne  fùt-il  ni  vicieux  ni  impuissant, 
seniit  suspect ,  sans  jamais  pouvoir  cesser  de  l'être. 

En  effet,  où  est  la  garantie  de  l'esprit  humain? 
Chacune  de  ses  facultés  est  conséquente  à  elle-même 
dans  toute  la  série  de  ses  développements  :  fort  bien  ! 
Ses  diverses  facultés  s'accordent  dans  une  harmonie 
que  rien  ne  trouble  :  à  la  bonne  heure  !  Il  est  très- 
capable  de  percevoir  le  monde  et  de  concevoir  Dieu  : 
à  merveille  !  Mais  tout  cela  ne  me  suûlt  pas,  car  tout 
cela  me  laisse  un  soupçon  :  qui  m'assure  que  cet  es- 
prit me  représente  véritablement  les  choses  telles 
qu'elles  sont  ?  Qui  m'assure  qu'il  ne  me  montre  pas 
carré  ce  qui  est  rond  ,  rouge  ce  qui  est  jaune  ,  bon 
ce  qui  est  mauvais ,  vrai  ce  qui  est  faux  ?  que  Dieu 
ne  l'a  pas  constitué  de  telle  sorte  que  le  reflet  qu'il 
reçoit  de  la  réalité  soit  un  reflet  infidèle ,  semblable 
à  celui  que  projette  dans  une  eau  agitée  la  forme 
d'un  objet  qui  s'y  réfléchit?  Remarquez  que  je  n'ai 
aucun  moyen  de  me  délivrer  de  ce  soupçon,  de  me 
démontrer  la  légitimité ,  la  véracité  de  mon  intelli- 
gence. Car,  avec  quoi  ferais-je  celle  démonstration  ? 
Avec  mon  intelligence.  Or,  c'est  mon  inleUigence  qui 
est  en  cause.  Le  cercle  vicieux  est  flagrant,  comme  il 
est  inévitable. 

Ainsi  donc],  je  ne  sais  si  mon  inleUigence  est  fidèle 
ou  infidèle ,  vérace  ou  trompeuse  ;  je  ne  puis  absolu- 


3Si  BLAlfCHET. 

eflfet ,  ayant  eu  l'occasion ,  vers  la  même  époque, 
de  répéter,  en  les  variant,  les  expériences  dltard , 
il  soumettait  au  jugement  de  TAcadémie  des  scien- 
ces et  de  l'Académie  de  médecine  ses  belles  et  ingé- 
nieuses études  sur  «  La  gymnastique  vocale  et  audi- 
tive ,  considérée  comme  moyen  d'opérer  chez  le 
sourd-muet  le  développement  de  l'ouïe  et  de  la 
voix.  M  Ce  qu'il  y  avait  de  lout-à-fait  neuf  dans  cette 
nouvelle  méthode,  c'était  l'emploi  des  instruments 
de  musique  pour  l'éducation  de  l'oreille.  Voici ,  à  cet 
égard ,  comment  Blanchet  expliquait  les  phénomènes 
physiques  et  physiologiques  qui  en  étaient  la  consé- 
quence : 

«  U  n'y  a  pas  de  son  simple  dans  la  nature.  Tout 
son  est  un  composé  de  vibrations  multiples,  produites 
par  l'air  ou  le  toucher  sur  certains  corps,  repercutées 
ensuite  dans  l'atmosphère  ambiante  et  ainsi   trans- 
mises à  l'oreille  par  une  égale  succession  de  vibrations 
aériennes  dites   «   ondes  sonores.    »  Ces  vibrations 
aériennes  ,    quand  le    nerf  acoustique    est    frappe 
d'atonie  ou  de  paralysie,  peuvent  encore  être  perçues 
et  transmises  au  cerveau  par  l'ébranlement  du  réseau 
nerveux  épanoui  sur  toute  la  suiface  de  l'épiderme. 
$ont-elles  trop  peu  accentuées  pour  émouvoir  ce 
réseau ,  elles  deviendront  perceptibles ,  même  pour 
le  sourd  incurable,  au  contact  immédiat  des  corps 
vibrants.  Une  fois  peignes,  il  en  résulte  pour  le  sourd- 
muet  une  sensation  agréable  ou  pénible  qui,  pour 
n'être  pas  identique  à  celle  du  son  recueilli  et  peut- 
être  modifié  par  l'appareil  auditif,  n'en  est  pas  moins 
l'effet  résultant  d'une  même  cause  extérieure,  et  n'en 
parvient  pas  moins  au  cerveau.  De  là  un  double  phé- 


BLAIfCHBT.  323 

nomène  :  1**  impression  tactile  des  ondes  sonores; 
2*  perception  intellectuelle  de  ces  mêmes  ondes. 
Qaand  la  sensibilité  de  Toreille  n'est  pas  complète- 
ment abolie,  on  conçoit  qu'indépendamment  du  trai- 
tement médical  approprié  à  la  nature  des  causes  qui 
ont  pu  engendrer  la  surdité ,  des  exercices  acous- 
tiques ,  sagement  gradués ,  contribueront  d'une  ma- 
nière efficace  à  fortifier  le  sens  affaibli  Qui  ne  sait 
que  toutes  nos  facultés  se  ruinent  par  l'inaction  et 
se  maintiennent  ou  grandissent ,  au  contraire ,  en 
fonctionnant?  » 

Telle  est  la  théorie  de  Blanchet,  et,  pour  en  rendre 
l'application  pratique  plus  facile,  il  avait  inventé  le 
moyen  de  mesurer  avec  une  précision  mathématique 
le  degré  de  sensibilité  auditive  du  sujet,  au  début  du 
traitement  à  la  fois  médical  et  gymnastique ,  et  les 
progrès  de  cette  sensibilité  sous  l'intluence  de  ce 
double  traitement.  Il  ^y  avait  là  le  germe  de  l'éton- 
nante révolution  qu'il  devait  opérer  plus  tard  dans 
l'éducation  des  sourds-muets.  Or,  l'ingénieux  et  hardi 
novateur  avait  tout  au  plus  vingt-quatre  ans ,  et  ses 
traits  juvéniles  accusaient  un  âge  encore  moindre  ! 

Mais  Blanchet,  s'il  avait  le  don  de  l'invention, 
éprouvait ,  on  peut  le  dire ,  le  besoin  de  la  vulga- 
risation. Aussi  ouvrit-il  dans  le  Quartier-Latin  une 
clinique  pour  les  maladies  des  yeux  et  des  oreilles , 
inaugurant  ainsi ,  aux  portes  mêmes  de  la  Faculté , 
un  cours  qui  manquait  à  son  programme  officiel. 
L'enseignement  du  jeune  maître ,  que  la  mort  seule 
devait  interrompre,  n'attirait  pas  seulement  les  élèves 
avides  de  s'instruire  ;  il  avait  le  même  attrait  pour  les 
vétérans  de  la  science.  Quant  aux  malades  qui  vc- 


324  BLANCHIT. 

naienl  aussi  réclamer  ses  soins,  leur  nombre,  chaque 
année,  dépassait  le  chiffre  de  dix  mille. 

Et  ce  n'est  pas  seulement  des  conseils  gratuits  qu'il 
leur  donnait.  Il  faisait  sur  place  les  petites  opé- 
rations, à  domicile  les  grandes,  sans  jamais  réclamer 
ni  même  accepter  d'honoraires  sous  aucune  forme. 
Sous  ce  rapport,  je  connais  de  lui  plusieurs  traits 
de  désintéressement  et  de  générosité  qui  prouvent 
qu'il  avait  le  cœur  aussi  haut  placé  que  le  talent 

C'est  au  milieu  et ,  on  peut  le  dire ,  par  le  fait  de 
ces  consultations  incessantes,  que  Blanchet  médita 
et  unit  par  obtenir  une  des  plus  importantes  réformes 
qui  aient  amélioré  le  sort  des  aveugles  et  des  sourds- 
muets.  Rappelons-en  les  principales  circonstances  : 

Par  suite  des  règlements  alors  en  vigueui' , 
n'étaient  admis  dans  les  écoles  créées  pour  ces  infor- 
tunés ,  que  ceux  dont  l'infirmité  était  déclarée  incu- 
rable. Qu'en  résultait-il?  C'est  que  des  mères  ame- 
naient chaque  jour  à  Blanchet  leur  enfant  menacé 
de  perdre  la. vue  ou  l'ouïe  ,  non  pas  pour  qu'il  tentât 
de  les  guérir,  mais  au  contraire  pour  qu'il  attestât 
par  certificat  leur  incural)ilité ,  seule  condition  qui 
pût  leur  faire  ouvrir  les  portes  des  internats.  D'un 
autre  côté ,  des  élèves  de  ces  mêmes  internats  ,  no- 
tamment des  sourds-muets ,  lui  étaient  amenés  clan- 
destineùient  par  leurs  mères  pendant  les  vacances , 
afin  qu'il  leur  donnât  des  soins  pour  une  surdité 
imparfaite  qui  n'avait  été  exagérée  que  dans  le  but 
d'obtenir  leur  admission,  mais  qui ,  par  suite  de  cette 
prétendue  incurabilité ,  n'était  dans  l'établissement 
l'objet  d'aucun  traitement.  Blanchet  crut  avec  raison 
qu'il   était  de  son  devoir  d'appeler  sur  ces  faits  l'at- 


BLÀNGHBT.  325 

tention  de  l'autorité.  Il  demanda  qu'on  admit  dans 
les  écoles  spéciales  créées  pour  eux  tous  ces  jeunes 
infirmes ,  quel  que  fût  le  degré  de  leur  infirmité , 
afin  qu'aucun  ne  fût  privé  des  bienfaits  de  l'éduca- 
tion, n  demanda  de  plus  que  ,  pendant  leur  séjour 
danff  ces  écoles,  on  s'occupât  de  guérir  ceux  qui 
paraîtraient  guérissables ,  ou  de  soulager  ceux  qui 
paraîtraient  susceptibles  de  soulagement 

Son  appel  fut  entendu ,  et  le  ministre  de  l'intérieur 
institua,  en  1845,  une  commission  chargée  de  véri- 
fier ses   expériences   sur  la  curabilité  de   certains 
états  regardés  jusqu'alors  comme  incurables.  Cette 
commission ,  qui  comptait  dans  son  sein  les  hommes 
les  plus  compétents ,  reconnut ,  après  de  longues  et 
attentives  épreuves ,   l'efficacité   pratique    des   mé- 
thodes employées  par  Blanchet.  C'est  à  la  suite  du 
rapport  dans  lequel  elle  consigna  ces  heureux  ré- 
sultats ,  que  le  ministre  de  l'intérieur  créa  pour  lui 
la  place  de  chirurgien  de  l'Institut  des  sourds-muets , 
pour  le  traitement  de  la  surdi-mutité.  A  la  même  date, 
le  même  ministre  lui  confia  la  mission  de  traiter, 
à  l'Institution  des  aveugles ,  lous  les  enfants  suscep- 
tibles de  guérison  ou  d'amélioration. 

Ce  fut  presque  au  lendemain  de  cette  double  no- 
mination qu'eut  lieu  la  révolution  de  Février.  Peu 
de  temps  après  éclata  cette  terrible  insurrection  de 
Juin  qui ,  durant  trois  jours ,  ensanglanta  la  capitale. 
Placé,  on  peut  le  dire ,  au  plus  fort  de  la  mêlée  et 
de  la  fusillade ,  —  il  demeurait  à  cette  époque  sur 
le  boulevard  Bonne-Nouvelle ,  et  la  barricade  de  la 
porte  St-Denis  nécessita ,  pour  être  enlevée ,  un  véri- 
table assaut  —  il  s'empressa  d'organiser  une  ambu- 


S26  BLAIICBKT. 

lance  ,  et  là  ,  se  multipliant  à  toute  heure  du  jour  et 
de  la  nuit ,  il  prodigua  ses  soins  à  de  nombreux 
blessés,  sous  quelque  drapeau  qu'ils  eussent  cora* 
battu.  Mais  jetons  un  voile  sur  ces  douloureux  sou- 
venirs. U  nous  faudrait  rappeler ,  à  côté  du  dévoue- 
ment dont  Blanchet  fit  preuve,  l'ingratitude  ou 
plutôt  le  mauvais  vouloir  dont  on  usa  envers  lui ,  et 
cela  parce  qu'après  la  lutte  et  au  moment  de  Ten- 
qnéte,  il  refusa  de  se  montrer  homme  de  parti. 
Comme  si  la  discrétion  à  l'égard  do  ceux  qu'il  a  soi- 
gnés n'était  pas  pour  le  médecin  le  plus  noble  des 
privilèges  et  le  plus  sacré  des  devoirs  ! 

Le  11  décembre  1848,  le  ministre  de  l'intérieur,  à 
la  demande  de  Blanchet ,  soumit  à  l'appréciation  de 
l'Académie  de  médecine  une  série  de  questions  rela- 
tives à  la  surdité.  Il  s'agissait  surtout  de  faire  sanc- 
tionner par  ce  corps  savant  les  expériences  sur  les- 
quelles la  commission  administrative  s'était  si  favo- 
rablement prononcée.  Mais  un  point  complètement 
neuf  exigeait  un  examen  et  un  contrôle  approfondis , 
c'était  celui-ci  :  «  Y  aurait-il  avantage  à  ce  que  les 
élèves  imparfaitement  sourds  fussent  appelés  à  rece- 
voir une  éducation  spéciale  donnée  exclusivement 
par  des  professeurs  parlants ,  lesquels  les  exerce- 
raient à  l'étude  de  la  parole?  »  C'était ,  comme  on  le 
voit ,  rompre  en  visière  avec  toutes  les  traditions  du 
passé  ,  et  provoquer  non  plus  une  innovation,  mais 
une  révolution  véritable  dans  les  idées  aussi  bien 
que  dans  les  méthodes.  Cinq  commissaires  furent 
nommés  ;  mais,  malgré  l'activité  dont  ils  firent 
preuve,  leur  travail  exigea  près  de  quatre  années. 

Ce  fut  en  1852  .seulement    que    le    rapporteur, 


BLAMCfiÈT.  32^ 

M.  Piorrj ,  en  donna  lecture  à  TAcadémie  et  en  for- 
ttialâ  !^  conclosions,  en  réponse  aox  séries  de  quéë- 
tiôAS  posées  par  le  ministre.  On  ne  saurait  guère 
imaginer  une  approbation  plus  explicite  ni  plus 
nette  du  système  de  Blanchet  et  des  moyens  non- 
veaoi  qu'il  proposait  pour  les  rendre  plus  efficaces. 
C'est  alors  que  la  discussion  commença.  Ai-je  besoin 
d'ajouter  qu'elle  fut  vive,  ardente,  passionnée,  et 
que  plus  d'une  fois  les  questions  de  personne  do- 
minèrent les  questions  de  science  7  L'Académie 
pourtant  n'était  appelée  à  se  prononcer  que  sur  la 
matérialité  de  certains  faits  ;  or ,  ces  faits ,  la  com- 
mission en  témoignait  pour  les  avoir  vus  et  touchés, 
et,  à  moins  de  mettre  en  doute  la  probité  et  la  saga- 
cité de  pareils  témoins ,  choisis  par  l'Académie  elle- 
même  et  pris  dans  son  propre  sein  y  il  fallait  les  en 
croire  et  alors  les  conséquences  coulaient  de  source. 
Mais  se  flatter  que  les  choses  se  passeraient  de  la  sorte, 
c'eût  été  compter  sans  la  routine,  les  amours- 
propres  froissés ,  les  oppositions  systématiques  et  \éi 
partis-pris  d'avance.  Aussi  jamais  peut-être  vicloir« 
ne  fut  achetée  au  prix  de  luttes  plus  orageuses  ni 
plus  fertiles  en  incidents  de  toute  nature. 

Parmi  ces  incidents  ,  quelques-uns  ,  par  une  heu- 
reuse diversion ,  prouvèrent  qu'une  plaisanterie  de 
bon  goût  a  quelquefois  plus  d'effet  qu'un  argumcn  . 
scientifique.  Qu'on  en  juge  par  le  trait  suivant: 

L'un  des  adversaires  les  plus  véhéments  de  Blan- 
chet ,  le  professeur  Malgaigne ,   prit  jour  avec  lu 
pour  constater  de  visu  les  faits  en  discussion  devant 
l'Académie.   Il  fut  convenu  que  le  rendez-vous  au- 
rait lieu  chez   notre  confrère.   Malgaigne  arrive  à 


328  BLANGHET. 

l'heure  dite ,  mais  le  domestique  lui  répond  que  son 
maître  est  sorti,  et  il  le  fait  entrer  dans  le  saloa  où 
se  trouvait  déjà  une  antre  personne.  Ces  deux  Mes- 
sieurs ne  tardèrent  pas  à  lier  conversation,  et 
bientôt  celle-ci ,  de  banale  qu'elle  était  d'abord,  prit 
un  caractère  tout-à-fait  intime.  Cependant  Blanchet 
rentre  et  se  confond  eu  excuses  sur  son  inexactitude. 
Mais  Malgaigne  lui  répond  avec  courtoisie  que, 
grâce  à  son  interlocuteur,  le  temps  ne  lui  a  pas 
paru  long  ;  puis  il  le  prie  de  le  rendre  témoin  de 
Texpérience  annoncée.  — L'expérience  !  mais  depuis 
un  quart-d'heure  vous  l'avez  sous  les  yeux.  —  Com- 
ment cela  ?  —  C'est  bien  simple.  La  personne  avec 
qui  vous  venez  de  vous  entretenir  avec  tant  d'intérêt 
est  un  sourd-muet  de  naissance  qui  entend  assez  bien 
par  le  mouvement  de  vos  lèvres  et  s'exprime  assez 
nettement  par  la  gymnastique  de  son  gosier,  pour  que 
vous-même  n'ayez  pu  soupçonner  son  infirmité. 

C'est  ainsi  que ,  par  cet  innocent  artifice  ,  Blanchet 
triompha  d'une  opposition  que  n'avaient  pu  vaincre 
ni  les  témoignages  ni  les  faits  les  plus  probants. 

Nous  avons  dit  que  quatre  années  s'écoulèrent  de- 
puis le  moment  où  Blanchet  soumit  ses  travaux  au 
jugement  de  l'Académie  ,  jusqu'à  l'époque  où  celle- 
ci  leur  donna  sa  sanction.  Ces  quatre  années,  il 
les  employa  à  étendre  et  à  perfectionner  son 
œuvre. 

Dès  1849 ,  il  fondait  en  faveur  des  sourds-muets  et 
des  aveugles  cette  Société  d'assistance  et  de  prévoyance 
qui  a  pris  en  peu  d'années ,  sous  sa  généreuse  ira- 
pulsion,  un  si  grand  développement.  Procurer  à  tous 
ces  malheureux  des  secours  médicaux  ou  alimen- 


BLANGHET.  329 

laires»  do  travail  à  ceux  qui  sont  en  état  de  travailler, 
l'instraction  religieuse ,  morale  et  intellectuelle  à 
tons,  une  profession  et  un  pécule  au  sortir  des 
écoles ,  des  conseils  judiciaires  aux  familles  qui  les 
réclament  :  tel  est  le  but  de  cette  admirable  insti- 
tution. 

A  peine  commençait-elle  à  fonctionner  que  Blan- 
chet  reçut  du  Gouvernement  la  mission  d'aller  étudier 
en  Belgique  et  en  Allemagne  les  écoles  de  sourds- 
muets  et  d'aveugles ,  le  régime ,  la  discipline  et  les 
diverses  méthodes  d'enseignement  qui  y  sont  pra- 
tiquées. On  peut  lire  dans  son  Traité  de  la  surdi-mu- 
tité le  rapport  si  substantiel  dans  lequel  il  consigna 
les  résultats  de  sa  mission.  Ce  traité,  qui  parut  en 
1852 ,  fut  suivi ,  à  de  courts  intervalles ,  de  divers 
mémoires  sur  l^es  moyens  de  généraliser  V éducation  des 
sourds-muets  et  des  aveugles.  Blanchet,  s'appuyant 
sur  Tautorité  de  faits  incontestables ,  prouva  jusqu'à 
l'évidence  qu'au  lieu  de  laisser  tant  de  pauvres  in- 
firmes croupir  dans  l'ignorance  et  la  paresse  qu'elle 
entraîne  forcément  apros  elle  ,  il  était  très-facile  au 
contraire  de  les  instruire.  Il  démontra  également 
l'utilité  de  donner  aux  jeunes  sourds-muets  des  pro- 
fesseurs parlants  qui  exerceraient,  selon  les  méthodes 
allemandes,  ceux  qui  auraient  de  l'aptitude  à  l'ar- 
ticulation, et  apprendraient  à  tous  à  lire  la  parole 
sur  les  lèvres.  Enfin ,  au  lieu  de  les  condamner  à 
vivre  ensemble ,  loin  du  monde  réel ,  et  à  ne  s'ex- 
primer qu'à  l'aide  de  signes  inconnus  du  pins  grand 
nombre  ,  il  eut  voulu  les  faire  vivre  de  la  vie  com- 
mune au  milieu  des  élèves  parlants ,  et  même  leur 
faire  ouvrir  les  écoles  primaires. 


330  BLA!ICHET. 

Écoutons-le  luMoérae  exposer  le  but  et  la  portée 
de  ces  philanthropiques  réformes  : 

u  Jusque  dans  ces  derniers  temps .  les  efforts  de» 
bienfaiteurs  des  <ourds-muets  et  des  aveuides  s'étaient 
concentrés  sur  les  moyens  de  leur  donner  rédocation 
à  Taide  de  divers  systèmes  et  de  méthodes  plus  on 
moins  ingénieuses  d'ailleurs,  mais  qui  toutes  ayaient 
le  erare  inconvénient  de  les  séparer  de  leurs  Ik- 
milles.  du  milieu  dans  lequel  ils  étaient  nés,  de  les 
plac«T  dans  des  internats  spéciaux,  où  ils  n'ayaient 
de  rapports  qu  entre  eux,  ne  communiquaient  qu'à 
Taide  de  signes  de  convention,  incompris  des  voyanL^ 
et  des  entendants  :  de  sorte  que.  malgré  le  lèle  et  la 
capacité  dos  maîtres,  ils  pouvaient  oublier  le  sen- 
tinrent  do  leurs  devoirs  envers  leurs  parents,  prendre 
on  motiauco  cette  société  dont  ils  étaient  isolés, 
sVxalter  dan<  le  sentiment  do  leur  individualité,  pour, 
le  plus  souvent .  a  la  sortie  de  leurs  écoles,  s'étioler 
et  s  atTaisser  dans  leurs  luttes  avec  les  besoins  de  la 
vie.  Il  faut  ajouter  que  ce  irenre  d'éducation  est  tel- 
lement dispendieux  que .  malgré  les  libéralités  et  les 
sacrifices  do  lÊtat,  des  départements  et  des  com- 
munes ,  un  tiers  à  peine  des  intéiessês  est  appelé  *  y 
|Vïrticiper. 

*  l'n  autre  inconvénient  non  moins  grave  et  înévi- 
lable  des  internats  spéciaux  était  de  ne  s'ouvrir  à  l'élève 
qu'a  un  ûge  trop  avance,  à  l'Age  où  souvent  s'achèTC 
réducatiou  dos  parlants ,  et  de  le  laisser  livré  ainsi 
trop  lonctemps.  sans  règle,  sans  frein,  ;'•  tous  ses  pen- 
chants, et  privé  des  moyens  do  communication  intel- 
lectuelle et  morale,  qui  seuls  auraient  pu  faire  cesser 
son  isolement  et  remédier  à  son  état  exceptionnel.  • 


BLANCHST.  331 

Voilà  le  mal.  Il  va  maintenant  en  formuler  le  re- 
mède «  qni  se  réduit  à  ceci  : 

«  Donner  Tëducation   aux  sourds-muets  et   aux 

u  aveugles  en  les  conservant  à  leurs  familles ,  afin 

t  d'y  maintenir  les  rapports  d'aifection  et  le  culte  des 

f  devoirs  réciproques  que  la  loi  naturelle  et  la  loi  di- 

c  vine  imposent  aux  parents  comme  aux  enfants  ;  la 

u  leur  donner  dans  les  écoles  communales  au  milieu 

«  des  voyants  et  des  entendants,  de  manière  à  ne  pas 

«  s'exposer  à  rompre  les  liens  sociaux  qui  unissent 

€  tons  les  hommes  et  les  portent  à  se  considérer  comme 

•  frères;  la  leur  donner,  par  des  moyens  qui  mettent 

9  infirmes,  parlants  et  entendants ,  en  communion 

«  constante  ;  enfin  la  leur  donner  à  tous,  dès  le  jeune 

I  âge  et  en  quelque  sorte  sans  frais  exceptionnels.  » 

Blanchet  ajoutait  : 

t  Tout  sourd-Timet  intelligent  dont  l'appareil  vocal, 
a  la  vue ,  le  toucher ,  les  nerfs  sensitifs  sont  à  Tétat 
«  normal,  peut  acquérir  la  parole  (quel  que  soit  le 
«  dialecte)  et  la  faculté  de  la  lire  sur  les  lèvres;  de 
t  même  tout  aveugle  doué  d'intelligence  est  suscep- 
«  tible  d'éducation;  l'aveugle  sourd-muet  peut  aussi 
«  obtenir  ce  bienfait ,  lors  même  que  ses  perceptions 
«  sont  réduites  au  tact.   » 

Telle  est  la  méthode  de  Blanchet,  et  il  eût  été 
dltficile ,  ce  me  semble ,  d'exprimer  de  meilleures 
choses  en  de  meilleurs  termes.  Ne  croyez  pas  du 
reste  que ,  comme  beaucoup  de  novateurs ,  il  ail 
tout  d'abord  imaginé  d'emblée  un  système,  puis  en- 
suite se  soit  efi'orcé  d'y  plier  les  faits,  au  besoin,  en 
les  violentant.  Non.  Ce  furent,  au  contraire ,  les  faits 
eux-mêmes  qui,  à  mesure  qu'ils  se  succédèrent,  lui 
permirent  d'édifier  son  système. 


3S2  BLÀNCHET. 

Dès  1847,  c'est-à-dire  avant  d*être  nommé  chi- 
rurgien de  l'Institution  impériale  des  soards-muets , 
il  avait  commencé  sans  bruit  ^  dans  une  modeste 
école  de  la  rue  St-Lazare,   Tapplication  on  plotôt 
répreuve  de  sa  méthode  d'enseignement  mixte.  Après 
quelques  tâtonnements,  la  tentative  réussit,  et,  en 
4852,  s'ouvrait  sous  un  nouveau  maître  formé  par 
lui  une  nouvelle  école,  laquelle  recevait,  parmi  les 
enfants  voyants,  entendants  et  parlants,  les  petits 
aveugles  et  les  petils  sourds-muets  du  quartier.  Deux 
ou  trois  ans  plus  tard ,  quatre  écoles  primaires  fonc- 
tionnaient à  Paris  d'après  ce  même  système.  Le  pro- 
blème devait  donc  être  regardé  comme  résolu ,  pro- 
blème essentiellement   humanitaire  ,  puisque  ,    en 
France  seulement,  c'est  par  trente  et  quarante  mille 
qu'il  faut   compter    le   nombre  de  sourds-muets  et 
d'aveugles  fatalement  voués,  d'après  les  anciennes 
méthodes  qui  ont  l'internat  pour  base ,  à  l'ignorance, 
à  l'oisiveté  et  à  la  misère.  L'expérience,  en  effet,  n*a 
que  trop  prouvé  que  les  pensionnaires  de  ces  in- 
ternats, une  fois  rendus  à  la  société,  ne   peuvent 
tirer  aucun  parti  de  l'éducation  spéciale  qu'ils  y  ont 
reçue.  Combien  pourraient  s'écrier  avec  amertume , 
comme  Ovide  exilé  chez  les  Scythes  :  a  Je  suis  un 
barbare  ici,  car  personne  ne  me  comprend  :  d 

Barbanis  hic  ego  sum,  quia  non  intelligor  illis. 

Ces  premiers  essais ,  bien  que  sur  une  modeste 
échelle,  eurent  un  immense  retentissement ,  et  tout 
Paris,  on  peut  le  dire,  s'en  émut.  Le  Conseil  muni- 
cipal nomma  une  commission  pour  s'enquérir  de  leur 


BLANGHET.  333 

exactitude.  Or,  celle-ci  constata,  d'une  part,  que  le 
voisinage  des  infirmes  n'apporte  aucun  trouble  dans 
l'école  et  contribue  au  contraire ,  de  plus  d'une  ma- 
nière y  aux  progrès  des  voyants  et  des  parlants  ;  et , 
d'autre  part,  que  les  infirmes  eux-mêmes  y  puisent 
une  instraction  plus  solide  et  à  beaucoup  moins  de 
frais,  et  de  plus  y  apprennent,  ce  qu'on  ne  peut 
apprendre  dans  les  internats ,  la  sociabilité.  Aussi , 
sur  le  rappoit  de  sa  commission  où  réspire  une  sorte 
d'enthousiasme,  le  Conseil  éleva-t-il  au  rang  d'écoles 
municipales  les  établissements  privés  qui  avaient  pris 
cette  utile  initiative ,  et  introduisit-il  progressivement 
le  nouveau  système  dans  d'autres  écoles;  mais  celles- 
là    subventionnées.    Elles    fonctionnent  aujourd'hui 
dans  Paris  au  nombre  de  douze  et  ont  été  distribuées 
de  telle  sorte  qu'aucun  enfant  aveugle  ou  sourd-muet 
ne  saurait  désormais  être  privé  de  ce  mode  d'édu- 
cation. Mais  ce  n'est  pas  tout  La  Société  d'assistance 
et  de  prévoyance,  fondée  par  Blanchet,  suit  avec 
sollicitude  les  progrès  des  élèves ,  les  récompense  à 
la  fin  de  chaque  année,  et,  au  sortir  de  l'école,  facilite 
l'apprentissage  et,  après  l'apprentissage,  le  place- 
ment. 

Le  Gouvernement  comprit  que  Paris  ne  pouvait 
conserver  le  monopole  de  ses  précieuses  innovations. 
Seulement,  avant  de  prendre  les  mesures  voulues 
pour  les  généraliser,  il  dut  faire  étudier  la  marche 
et  les  progrès  des  écoles  mixtes  qui  fonctionnaient 
ainsi  dans  les  divers  quartiers  de  la  capitale.  Ce  fut 
seulement  après  quatre  années  d'observations  inces- 
santes que  l'épreuve  parut  décisive ,  et  peut-être 
fallut-il  ,   pour   qu'on   en    fit   bénéficier   les   autres 


334  BLAHCHIT. 

parties  de  l'Empire,  qu'un  ancien  président  du  Conseil 
municipal,  M.  Delanglc,  arrivât  au  ministère.  Le 
ministre  exposa ,  dans  une  circulaire  par&itement  . 
motivée,  la  simplicité  et  les  avantages  du  mode 
d'éducation  organisé  par  Blanchet.  Il  invita  les  préfets 
à  solliciter  des  conseils  généraux  une  allocation  des- 
tinée à  envoyer  à  Paris ^  pendant  les  vacances,  quel- 
ques instituteurs  ou  institutrices  des  écoles  normales, 
pour  y  étudier  la  méthode  et  rappliquer  ensuite  dans 
leurs  départements.  Cet  appel  du  ministre  fut  ac- 
cueilli comme  il  devait  l'être.  Bientôt  arrivèrent  de 
tous  les  points  de  la  France  des  délégués  choisis 
parmi  les  plus  zélés  et  les  plus  intelligents,  et  c^est 
Blanchet  lui-même  qui  se  chargea  de  leur  développer 
ses  idées  et  sa  méthode  dans  l'école  de  la  rue  d'Ar- 
genteuil. 

Mais  l'œuvre  de  notre  éminent  confrère,  par  la  na- 
ture des  services  qu'elle  était  appelée  à  rendre,  était 
avant  tout  une  œuvre  cosmopolite.  Aussi  l'étranger 
s'empressa-t-il  de  l'adopter.  La  Russie  surtout  Tac- 
cueillit  avec  une  faveur  marquée,  et  les  Sœurs  de 
charité ,  ces  saintes  et  infatigables  missionnaires ,  se 
chargèrent  de  la  faire  pénétrer  au  cœur  même  de 
l'Orient. 

Cependant ,  quelques  circonstances  particulières 
avaient  retardé  en  France  l'extension  de  la  méthode. 
Sans  doute  on  ne  contestait  plus  sa  valeur,  puisque 
les  faits  avaient  parlé  ;  mais  on  reculait  devant  une 
sanction  publique  et  oliicielle.  Enfin  le  grand-maitre 
de  l'Université  ,  M.  Duruy,  dut  céder  tout  à  la  fois 
à  la  pression  de  l'opinion  et  à  ses  propres  convic- 
tions. Par  une  circulaire  en  date  du  li  mars  4866, 


BULHCHSt.  335 

il  signala  à  tous  les  recteurs  d'Académie,  comme 
un  foit  d'expérience  à  Tabri  de  toute  atteinte ,  le  de- 
voir impérieux  d'humanité  pour  le  Corps  enseignant, 
de  s'approprier  les  méthodes  créées  par  Blanchet  et 
d'en  étendre  l'application  partout  où  les  besoins 
l'exigeraient  ^  s'en  référant ,  quant  aux  moyens 
d'exécution  ,  à  la  circulaire  de  son  prédécesseur  , 
M.  Deiangle. 

Voilà  donc  Blanchet  au  comble  de  ses  vœux ,  et  il 
aurait  pu  s'écrier  avec  le  poète  :  <(  Exegi  monumen- 
ium/ n  Mon  monument  est  achevé  !  Mais  monument 
bien  plus  durable  que  ceux  qui  reposent  sur  l'airain 
ou  sur  le  marbre,  car  il  a  pour  base  le  souvenir 
d'impérissables  services  rendus  à  l'humanité. 

Nous  venons  de  dire  ce  qu'était  Blanchet  comme 
savant  et  comme  glorieux  initiateur  de  nouvelles 
méthodes  :  essayons  maintenant  de  faire  connaître 
l'homme.  Et ,  dans  ce  but ,  je  ne  saurais  mieux 
faire  que  d'emprunter  les  lignes  suivantes  à  la  no- 
tice biographique  que  lui  a  consacrée  M.  Félix  Ri- 
beyre: 

((  On  se  tromperait  si  Ton  pensait  que  le  travail 
surhumain,  les  veilles  prolongées,  altéraient  la  sé- 
rénité et  le  caractère  aimable  et  bienveillant  du  doc- 
teur. Ce  savant  si  profond,  ce  chercheur  infatigable 
était  l'homme  du  monde  le  plus  distingué  et  le  plus 
courtois,  l'ami  le  plus  aûectueux.  La  bonté  se  lisait 
dans  son  regard  et  l'on  peut  dire  qu'il  avait  toujours 
le  cœur  sur  la  main  et  le  sourire  sur  les  lèvres. 

«  Au  physique  ,  M.  Blanchet,  avec  son  collier  de 
barbe  blonde  encadrant  une  physionomie  expressive, 
ses  cheveux  frisés  naturellement ,  son  front  large  et 


336  BLANCHET. 

intelligent ,  son  œil  bleu  ,  ressemblait  assez  à  un 
Anglais  élevé  à  Paris.  Il  avait  la  distinction  sans 
la  raideur  britannique,  la  réserve  de  nos  voisins 
s'unissant  chez  lui  à  la  cordialité  française.  Il  plai- 
sait à  première  vue  et  charmait  ses  malades  avant 
de  les  guérir. 

c  II  connaissait  tout  Paris  et  tout  Paris  le  connais- 
sait ^  et  quiconque  aurait  assisté  à  une  de  ses  con- 
sultations pouvait  voir  défiler  dans  son  salon  les 
notabihtés  de  la  politique  ,  du  monde  ,  de  la  science 
et  de  la  littérature.  Chaque  jour  son  cabinet  était 
littéralement  pris  d'assaut ^  et  ses  amis  les  plus  in- 
times devaient  recourir  à  mille  stratagèmes  pour 
pouvoir  lui  serrer  la  uiain  :  douce  joie  qui  nous  est 
désormais  interdite  ! 

«  Les  malheureux ,  les  indigents ,  les  ouvriers  le 
trouvaient  toujoui's  compatissant  et  bon.  Devant  lai 
les  distinctions  sociales  s'elFaçaient;  il  n'y  avait  plus 
que  des  malades. 

a  11  aimait  les  arts  et  les  artistes.  Lettré  lui-même, 
il  se  plaisait  dans  la  société  des  écrivains.  Mais  son 
esprit  tout  à  la  fois  fin,  délicat  et  sérieux  ,  après  les 
causeries  les  plus  brillantes,  revenait  toujours  par 
un  détour  ingénieux  ci  la  science  et  surtout  à  ses 
chers  sourds-muets ,  à  ses  aveugles  dont  il  était  le 
bienfaiteur  plus  encore  que  le  médecin.  C'est  ainsi 
(lu'en  1862,  Son  Exe.  le  ministre  ayant  ajouté  à  ses 
fonctions  la  direction  générale  du  service  de  santé 
de  l'Institut  des  sourds-muets ,  le  généreux  praticien 
qui,  depuis  quinze  ans,  avait  fait  abandon  de  ses 
honoraires  au  proGl  de  l'Institution,  demanda  quil 
en  fiU  dt^  iiH»me  pour  les  nouvelles  fonctions  dont  il 


BLANCHET.  337 

venait  d'être  chargé.  Son  désintéressement  égalait 
son  mérite.  » 

Tel  était  Blanchet.  Bien  que  tracé  par  une  main 
amie«  ce  portrait,  j'en  appelle  à  tous  ceux  qui  l'ont 
connu,  n'est  aucunement  llatté.  La  fortune  alors 
semblait  épuiser  sur  lui  toutes  ses  faveurs.  Il  avait 
la  plus  brillante  et  la  plus  opulente  clientèle  de  Paris, 
était  officier  de  la  Légion-d'Honneur ,  décoré  de  plu- 
sieurs ordres  étrangers,  et  membre  de  la  plupart  des 
Académies  ou  Sociétés  savantes  de  l'Europe.  £t  il 
n'avait  pas  encore  48  ans  ! 

Oui  ;  mais  tant  de  travaux  et  de  luttes,  bien  que 
sanctionnés  par  de  splendides  succès,  avaient  sourde- 
ment miné  sa  constitution  pourtant  si  robuste.  Lui 
qui  avait  le  coup-d'œil  si  sûr  quand  il  s'agissait  des 
autres,  s'abusa  longtemps  sur  sa  propre  position  ,  ou 
peut-être  craignit-il  de  s'éclairer  ,  de  peur  d'être 
obligé  de  prendre  un  repos  auquel  il  ne  croyait  pas 
avoir  droit  tant  qu'il  n'aurait  pas  entièrement  ac- 
compli son  mandat.  Ce  mandat,  savez-vous  quel  devait 
en  être  le  couronnement  ?  Il  ne  s'était  proposé  rien 
moins  que  de  faire  pour  les  aveugles  ce  qu'il  venait 
de  faire  pour  les  sourds-muets  ,  c'est-à-dire  '  de  leur 
restituer  la  jouissance  du  sens  qu'ils  avaient  perdu. 

L'opération  qu'il  avait  imaginée  à  cet  égard,  et  dont 
il  entretint  l'Académie  des  sciences  par  une  lettre 
en  date  du  46  juin  4866,  reçut  de  lui  le  nom  d'hélio- 
prothèse.  Elle  n'était  applicable  qu'aux  aveugles  chez 
lesquels  la  cécité  était  produite  par  l'opacité  de  la 
cornée  transparente  et  non  par  la  paralysie  de  la 
rétine.  Voici  comment  je  la  lui  ai  vu  pratiquer  : 

Le   patient  ayant  la  tête  appuyée  sur  la  poitrine 

22 


338  BLANCHIT. 

d'un  aide ,  la  paupière  8upérieui*e  relevée  et  rînfié- 
rieure  abaissée ,  il  faisait  une  ponction  à  l'œil  afec 
un  bistouri  droit ,  à  lame  étroite.  La  largeur  de 
rincision  devait  être  en  rapport  avec  e  diamètre  du 
tube  conducteur  de  la  lumière.  Ce  tube  n'était  antre 
qu'un  petit  cylindre  en  cristal,  terminé ,  à  l'ane  de 
ses  extrémités,  par  une  coque  rappelant,  autant  qae 
possible,  les  couleurs  de  l'iris.  Je  ne  puis  mieux 
comparer  sa  forme  qu'à  celle  d'un  clou  dont  la  tète 
serait  mince ,  large  et  légèrement  concave.  C'est  ce 
tube  que  Biancbet  faisait  pénétrer,  à  travers  la  ponc- 
tion ,  presque  jusque  au  contact  de  la  rétine,  de  telle 
sorte  que  son  extrémité  épanouie ,  se  moulant  sur  la 
cornée ,  était  maintenue  en  place  par  les  paupières 
et  figurait  ainsi  un  œil  artificiel 

On  comprend  tout  de  suite  le  but  et  le  mécanisme 
de  ce  petit  appareil.  Le  clou  de  cristal,  par  sa  nature 
diaphane ,  avait  pour  objet  de  rétablir  une  libre 
communication  entre  la  lumière  du  dehors  et  l'inté- 
rieur de  l'œil ,  communication  (ju'uiterceptait  la 
cornée  devenue  opaque.  U  devait  donc  agir  à  la 
manièie  d*un  conducteur  pour  diriger  le  rayon  so- 
laire jusque  sur  le  nerf  optique.  Deux  cas  alors,  au 
moment  mémo  de  son  application ,  pouvaient  se 
présenter.  Ou  bien ,  le  nerf  étant  paralysé  »  la  per- 
ception de  la  lumière  était  nulle  ;  ou  bien ,  au  con- 
traire ,  le  nerf  étant  encore  sensible ,  le  malade 
pcavait  immédiatement  apercevoir  ou  même  distin- 
guer les  objets.  Dans  le  premier  cas  ,  il  y  avait 
chance  de  guérison  ;  dans  le  second,  la  cécité  devait 
être  regardée  comme  incurable. 

Telle  osl  ringénioiiso  opération  imaginée  par  Blan* 


BLAlfCHET.  339 

chet  Je  la  décris  avec  quelques  détails,  car  je  suis 
un  des  rares  médecins  qu'il  ait  admis  à  en  être  té- 
moins. U  voulait  attendre ,  pour  la  faire  entrer  dans 
la  pratique,  qu'il  lui  eût  donné  ses  derniers  perfec- 
tionnements. Mais  Topinion  ,  accoutumée  à  lui  voir 
fiaûre  des  miracles ,  avait  applaudi  d'avance  à  un  mi- 
racle de  plus ,  et  on  n'a  pas  oublié  l'immense  em- 
pressement que  mit  la  presse  à  en  répandi'e  la 
nouvelle.  Cela  se  comprend  ,  si  l'on  songe  qu'il 
existe,  rien  qu'en  France,  plus  de  trente  mille  aveugles 
qui  pourraient  être  appelés  à  en  bénéficier. 

Quel  sera ,  en  définitive ,  l'avenir  de  ce  procédé  7  II 
est  incontestable  que  des  malades  opérés  par  Blan- 
chet  et  chez  lesquels,  depuis  de  longues  années,  la 
vision  était  complètement  perdue,  ont  pu  y  voir  assez 
pour  se  conduire,  jouer  aux  cartes,  aux  dominos, 
lire  et  même  écrire.  Mais,  à  côté  de  ces  succès,  il  y  a 
eu  de  graves  échecs.  C'est  donc  pour  moi  une  ques- 
tion complètement  réservée. 

Malheureusement  celui  qui  était  plus  apte  que  tout 
antre  à  la  mener  à  bonne  fin  dut  interrompre  son 
œuvre  inachevée ,  car  déjà,  on  peut  le  dire,  la  mort 
était  à  son  chevet.  C'est  à  peine  s'il  eut  le  temps  de 
corriger  les  dernières  épreuves  d'un  ouvrage  auquel 
il  travaillait  depuis  longtemps,  et  qui  doit  paraître  in- 
cessamment sous  ce  titre  :  Des  Aveugles,  vaste  re- 
cueil auquel,  d'après  ce  qu'il  m'a  été  donné  d'en 
juger,  je  n'hésite  pas  à  prédire  un  long  et  éclatant 
succès.  Ce  fut,  en  quelque  sorle,  son  testament 
scientifique.  Peu  de  jours  après ,  le  21  février  1867  , 
il  s'éteignait  dans  la  plénitude  de  ses  facultés  et  de 
son  intelligence. 


# 


340  BLANCflET. 

La  DoaTelle  de  sa  mort  produisit  dans  Paris  une 
impression  d^antant  plus  vive  et  plus  pénible  qa*on  y 
était  moins  préparé.  Comme  il  avait  continué,  presque 
jusqu'à  la  dernière  heure,  ses  consultations,  ses 
visites  et  ses  opérations  tant  en  ville  qu'à  l'hôpital, 
beaucoup  ignoraient  même  qu'il  eût  été  malade  ;  ce 
fut  pour  eux  un  véritable  coup  de  foudre.  Mais  c'est 
surtout  dans  St-Lo,  sa  ville  natale,  où,  d'après  ses 
désirs,  ses  restes  furent  transportés,  que  la  catas- 
trophe fit  ie  plus  sensation  :  la  douleur  y  prit  les  pro- 
portions d*uu  deuil  public.  Toute  la  ville,  je  puis  le 
dire  pour  l'avoir  vu,  assistait  à  ses  funérailles.  C'était 
a  qui  citerait  quelque  trait  de  lui,  comme  un  dernier 
hommage  aux  qualités  de  son  esprit  et  à  celles  de 
son  cœur.  Ou  déplorait  sa  fin  prématurée.  Chi  plai- 
gnait s^i  pauvre  mère,  vénérable  octogénaire  qoi, 
devenue  complètement  aveugle  il  y  avait  plus  de 
vingt  ans  par  le  fait  d*une  double  cataracte,  avait 
eie  opérée  par  lui  avec  tant  d'habileté  et  de  sacoès 
que.  depuis  loi^.  sa  vue  est  restée  paifutement  in- 
tacte. Enfin  ou  se  montrait  avide  de  connaître  les 
moindres  (varticuLiiiie^  reiaUves  a  ses  dentiers  mo- 
tuents.  vJueUe  luaÀadie  avait  donc  brtsè  cette  exis- 
tence encvvrv  si  pîeino  d  avenir,  et  comment  avait-il 
acwpte  ceue  sujwuh*  e:  solennelle  épreuve  qu'où 
appelle  U  i:u>rîT 

IVut-^tre  ne  lira-t-exi  p^s  s^ns  înterét  les  détaib 
dans  Kw^ueJs  je  s*:,<  cutrx*  a  ce  sc;e:  lorsq;^ .  sur  la 
deoMiKie  de  sâ  àLU^ilsc . .  ecs  ie  cxXilcireux  priviié^ 
de  pi\>iKHKtT  que.^î,:f<  jvà.-vxes  sur  sa  tccibe.  J'en  ex- 
tra^ d^^ac  Ie«  fa;«s$«Jkges  ^u\>a  v;&  ître  ; 

*   'S^;*x\<;  e.A  .    vv  .:\;  j.  Àirv  z.ïse  iK>c^<xIe  série 


BLANCHET.  344 

d'expérimentations  et  de  recherches,  lorsque  toat  à 
coup  la  mort  Ta  firappé.  Je  me  trompe  :  elle  Ta  d'abord 
averti.  Depuis  quelque  temps  nous  nous  apercevions 
que  sa  santé  déclinait ,  sans  pouvoir  obtenir  qu'il  re- 
tranchât quelque  chose  de  ses  incessants  labeurs. 
Cependant  il  finit  par  consulter.  C'est  alors  que  nous 
reconnûmes  une  augmentation  considérable  dans  le 
volume  du  foie.  A  ce  degré ,  la  maladie  peut  encore 
guérir,  si  elle  est  traitée;  mais  elle  devient  presque 
fatalement  mortelle,  si  au  contraire  on  la  néglige: 
c'est  ce  que  fit  Blanchet.  Victime  d'un  sentiment  que 
je  n'hésite  pas  à  appeler  exagéré  du  devoir,  il  con- 
tinua ses  fonctions  professionnelles ,  puisant  chaque 
jour  y  dans  un  surcroit  d'énergie  morale,  ce  qne 
chaque  jour  il  perdait  en  force  et  en  vitalité.  Mais 
enfin  la  lutte  ne  devint  plus  possible.  Ne  me  demandez 
pas  les  détails  de  sa  longue  et  douloureuse  agonie  ; 
hélas!  c'est  bien  assez  d'en  avoir  suivi  toutes  les 
phases,  sans  encore  vous  en  retracer  le  déchirant 
tableau.  Mais  ce  qne  je  ne  saurais  taire ,  c'est  que  sa 
mort  a  été  celle  d'un  chrétien  fervent  et  convaincu. 
Comme  il  sentait  sa  fin  approcher ,  il  nous  dit  avec 
un  calme  et  une  sérénité  dont  je  n'oublierai  jamais 
l'expression  :  «  Mon  sacrifice  est  fait  II  me  semble 
«  même  voir  déjà  ma  chambre  se  remplir  de  per- 
c  sonnes  agenouillées  et  qui  prient.  »  Ce  furent 
ses  dernières  paroles  :  peu  d'instants  après,  il  rendait 
son  âme  à  Dieu. 

8  Ainsi  s'est  éteinte  cette  douce  et  sympathique 
existence.  Je  ne  saurais  mieux  peindre  l'immense 
douleur  qu'a  causée  dans  Paris  la  nouvelle  de  sa 
mort  qu'en  la  comparant  c^  celle  que  je  vois  régner 


342  BLAIfCnET. 

ici  sur  tous  les  visages.  C'est  que  Blanchet  exer- 
çait sur  tous  ceux  qui  l'approchaient  un  charme, 
j'ai  presque  dit  une  fascination  véritable ,  et  cela 
à  l'aide  de  deux  dons  naturels  dont  l'ascendant  est 
irrésistible  :  la  noblesse  du  cœur  et  la  délicatesse  des 
sentiments.   • 


PENSÉES 


ET 


RÉFLEXIONS   MORALES, 


PAR   M.   SORBIER, 

Premier  président  à  la  Cour  impériale  d*Acen ,  membre 

correspondant  (i). 


(Suite.  ) 
XXX. 

«  L'homme  vît  peu  de  jours ,  et  ce  peu  de  jours 
est  rempli  de  beaucoup  de  misères  t .  Le  premier  son 
de  sa  voix  est  un  cri  de  douleur  ;  à  peine  ses  yeux 
s'ouvrent-iLs  à  la  lumière  ,  qu'il  en  sort  des  larmes. 
Le  signe  auquel  les  jurisconsultes  du  moyen-âge  re- 
connaissent que  Tenfant  a  eu  vie ,  c'est  qu'il  ait 
pleuré.  Les  Thraces  se  répandaient  en  gémissements 
aux  naissances.  Les  Scandinaves  épargnaient  volon- 
tiers au  nouveau-né  une  existence  pleine  de  tour- 
ments et  de  souflfrances.  «  Puisqu'il  regrette  tant 
d'être  au  monde ,  le  mieux  pour  lui ,  disaient-ils . 
serait  de  mourir  ;  qu'il  rentre  dans  la  nuit  d'où  il 
vient  de  sortir  ;  qu'il  se  rendorme  comme  l'Iiomme 
qui ,  s'éveiliant  à  demi ,  se  hâte  de  fermer  les  yeux  , 

(i)  Voir  les  volumes  de  Mémoires  publiés  par  TAcadémie  en 
1863,  186i^,  1865,  t866  et  t867. 


344  FSfiSÉis 

se  retourne  et  renoue  ses  songes  )> .  Quelles  étaient 
cependant  les  plaintes  des  mères  ?  elles  seules  au- 
raient pu  le  dire. 

Le  grand  poète  romain  Lucrèce  voit  dans  Ten- 
fant  un  pauvre  naufragé  échoué  sur  la  côte.  Le 
malheur  est  le  roi  d'ici-bas  ;  il  entre  dans  toutes  les 
demeures  ;  il  y  pénètre  sans  heurter  ;  il  y  a  des 
larmes  dans  tout  TUnivers.  On  pleure  à  Babylone 
comme  à  Jérusalem.  Sunt  lacrymœ  rerum,  a  dit,  avec 
un  soupir  sympathique ,  Virgile ,  ce  tendre  génie  à 
demi  chrétien. 

Sur  cette  terre  dont  on  voudrait  faire  une  demeure 
permanente  et  le  bnt  final  de  la  destinée  humaine , 
l'homme  souffre  et  gémit  depuis  le  berceau  jusqu'à 
la  tombe.  N'eût-il  d'autre  cause  d'infortune ,  sa 
double  nature  suffirait  pour  le  tourmenter.  Sem- 
blables à  deux  époux  mal  assortis  et  toujours  mé- 
contents l'un  de  l'autre,  l'âme  et  le  corps  se  querellent 
tant  qu'ils  sont  réunis.  Ce  sont  deux  amis  qui  ne 
peuvent  vivre  ensemble,  et  deux  ennemis  qui  ne 
peuvent  se  quitter. 

Ce  moi  plaintif  qui  nous  obsède  se  retrouve  à  tous 
les  âges  et  sur  tous  les  points  du  monde.  L'histoire 
de  la  douleur  n'est  autre  que  celle  de  l'humanité  ;  et 
sur  ce  globe  changeant ,  le  mal  seul  se  perpétue  et 
règne  toujours. 

Le  sage  ,  dans  VEcclésiaste ,  dit  que  les  morts  sont 
plus  heureux  que  les  vivants.  Le  livre  de  Job  n'est-il 
pas  l'évangile  de  la  douleur,  la  douleur  faite  honmie? 
L'agonie  n'a  pas  plus  de  frissons ,  la  mort  n'a  pas 
plus  de  terreurs  que  ce  poème  si  plein  d'enseigne- 
ments, qui  peint  en  traits  de  feu  les  maux  de  l'exis- 


BT  RfFLEXIONS  MORALES.  345 

tence  ;  mais  il  finit  par  ane  résignation  sublime , 
par  une  adoration ,  comme  tout  doit  finir  entre 
rhomme  et  Dien.  Dans  Hésiode ,  que  d'accents  lugu- 
bres pour  déplorer  les  amertumes  de  la  vie  !  Chez 
les  Latins  ainsi  que  chez  les  Grecs ,  c'est  toujours  le 
même  chant  lamentable. 

Sons  la  légèreté  apparente  de  quelques-uns  de 
ses  poètes ,  l'antiquité  est  mêlée  d'une  tristesse  qui 
s'exhale  en  plaintes  injustes  et  désespérées.  A  l'en- 
tendre ,  le  premier  bonheur  est  de  ne  pas  naître  ;  le 
second,  de  mourir  promptement.  Pline  s'emporte 
jusqu'à  dire  ,  que  le  plus  grand  présent  de  la  nature 
est  le  pouvoir  de  se  donner  la  mort.  Pascal  qui ,  avec 
l'étemelle  mélancolie  de  sa  pensée ,  exagéra  peut- 
être  nos  misères,  les  a  décrites  avec  des  couleurs 
moins  sombres  ;  à  la  peinture  de  notre  faiblesse  il  a 
opposé  celle  de  notre  grandeur  ;  s'il  nous  abaisse  ,  il 
nous  relève,  à  la  différence  de  Montaigne  qui  retient 
rhomme  à  terre ,  et  veut  l'y  endormir  sur  Voreiller 
du  doute. 

11  y  a  pour  tous  une  somme  inévitable  de  douleurs 
qui  est  dans  l'essence  de  l'âme  humaine  ;  la  maladie, 
la  fatigue  ,  les  privations  ,  le  désir  contrarié ,  la 
déception,  la  vieillesse  et  la  mort,  tout  ce  que  le 
pauvre  ressent ,  le  riche  le  ressent  comme  lui. 
Démocrite ,  se  trouvant  à  la  cour  de  Darius  qui  était 
inconsolable  de  la  mort  de  son  fils,  promit  de  le 
ressusciter  si  on  pouvait  lui  indiquer  trois  personnes 
qui  n'eussent  pas  versé  de  larmes.  Il  y  a  des 
souffrances  en  haut  et  en  bas,  plus  en  haut  qu'en  bas. 
La  sensation  de  la  douleur  est  en  raison  directe  de 
rétendue  de  rintelligence.    Une   simple   contrariété 


346  PENSEES 

abat  rhomme  placé  dans  une  sitoation  élevée , 
l'homme  du  peuple  le  sent  à  peine  ;  l'éducation  dé- 
veloppe la  sensibilité  ,  ouvre  à  l'imagination  de  plus 
vastes  horizons  ,  et  donne  par  là  au  mal  plus  de 
prise  sur  notre  âme. 

Quand  le  malheur  et  des  coups  inattendus 
atteignent  les  grands  et  les  heureux  du  monde ,  ceux 
du  moins  qui  paraissent  tels ,  ils  frappent  plus  vive- 
ment les  esprits  et  ont  un  plus  long  retentissement, 
que  si  les  victimes  sortaient  des  rangs  inférieurs  de 
la  société  ;  non  point  qu'on  regarde  les  pauvres,  les 
hommes  d'une  condition  obscure ,  comme  faits  pour 
soufifrir ,  comme  n'ayant  guère  rien  à  prendre  dans 
le  bonheur  d'ici-bas  ;  c'est  à  cause  de  l'éclat  du  nom, 
de  la  hauteur  de  la  situation ,  et  parce  que  tant  de 
prospérités  font  croire  à  une  félicité  inaltérable  > 
jusqu'au  moment  où  quelque  catastrophe  subite  et 
sans  remède  vient  prouver  que  nul  n'est  assuré 
d'échapper  aux  communes  douleurs. 

La  société  ne  verse  pas  capricieusement  et  à  son 
choix  sur  nous,  la  maladie,  les  tléaux  et'lamort.  Une 
loi  souveraine  crée  la  douleur  avec  ses  mille  for- 
mes, ses  pointes  acérées ,  avec  sa  puissance  inéluc- 
table. Qui  pourrait  soutenir  la  vue  de  toutes  les 
souffrances  qui  l'attendent ,  si  elle  était  complète  ,  et 
telle  que  le  génie  de  Milton  nous  la  fait  concevoir, 
lorsqu'il  nous  représente  l'ange  du  Seigneur  trans- 
portant Adam  coupable  sur  une  haute  montagne  et 
lui  déroulant  tous  les  maux  de  sa  race  ? 

On  appelle  heureuses  les  premières  années  de  la 
vie.  Cependant  chaque  âge  a  ses  tristesses  ;  l'enfance 
a  ses  chagrins;  seulement  ils  sont  passagers.  Le 


ET   RÉFLKXIONS   MORALES.  347 

merfeilleax  ressort  de  la  jeunesse  et  de  l'inexpé- 
rience est  prompt  à  se  redresser  soas  la  plas  dure 
étreinte  ;  chez  les  enfants ,  le  présent  n'est  jamais 
dévoré  par  l'altente  :  chaque  heure  prend  sa  part  de 
jouissances  dans  leur  petite  vie  ;  il  n'y  a  pour  eux 
ni  passé  ni  avenir. 

Pour  juger  de  l'intensité  des  peines ,  il  faut  con- 
sulter Tâge^  le  sexe,  le  tempérament ,  le  climat  «  les 
habitudes  surtout.  Que  voit-on  sans  cesse  ?  les  uns 
accablés   par   les  moindres    soucis ,   les  autres   à 
peine  effleurés  par  les  coups   les  plus  rudes.    La 
trempe  de  quelques  âmes  est  telle,  que  les  traits  de 
la  mauvaise  fortune  s'y  émoussent  comme  les  pro- 
jectiles s'amortissent  en  tombant  sui'  le  sable.  Les 
organisations  puissantes  des  peuples  du  Nord  sont 
moins  accessibles  à  la  douleur  physique ,  que  les 
fibres  délicates  de  l'habitant  des    zones  tempérées. 
Montesquieu  ne   dit-il   pas  qu'il  faut  écorcher  un 
Moscovite  pour  lui  donner  du  sentiment?  A  Sparte, 
les  enfants ,  au   pied  de  l'autel  de  Diane ,  étaient 
frappés   jusqu'au    sang ,   parfois  jusqu'à  la  mort  , 
sans   qu'un   seul   d'entre    eux  laissât   échapper  le 
moindre  gémissement.   A   Rome  ,   les  gladiateurs , 
tout  couverts  de  blessures  ,   ne   faisaient  entendre 
aucune  plainte.  Quel  art  dans  leur  chute  même  pour 
en  dérober  la  honte  aux  yeux  du  public  !  Cette  im- 
passibilité venait  de  la  puissance ,  de  l'habitude,  de 
l'éducation ,  et  aussi  de  leur  amour  des  applaudis- 
sements. 

En  général ,  la  douleur  qui  se  répand  au  dehors 
s'atténue  par  cette  diffusion.  Il  y  a  un  soulagement 
inouï  à  raconter  ses  peines.  Tant  que  nous  les  ren- 


348  PENSÉES 

fermons  en  nous-mêmes,  elles  grandissent  ;  nous  réa- 
nissons  devant  noire  pensée  ce  qui  pourrait  surve- 
nir, et  l'imagination  grossit  tout,  jusqu'à  briser  le 
cœur.  Craindre  un  mal  qui  n'arrive  point ,  c'est  le 
réaliser  ;  l'avoir  craint  avant  qu'il  soit  venu ,  c'esl 
souârir  doublement. 

On  a  remarqué  que  les  profondes  douleurs  sont 
muettes  ;  elles  mettent  à  se  communiquer  par 
l'expression  une  sorte  de  pudeur  mêlée  de  fieiié  ; 
elles  craignent  l'accueil  blessant  de  l'indifférence  ; 
ce  serait  une  sorte  de  profanation  que  de  les  con- 
fier au  premier  venu.  D'ailleurs,  des  paroles  d'in- 
térêt et  quelques  larmes  ,  c'est  tout  ce  que  peut 
donner  la  plus  tendre  amitié,  remède  qui  convient 
à  des  chagrins  vulgaires. 

On  aime  souvent  à  se  croire  plus  malheureux 
qu'on  ne  Test  réellement.  La  douleur  prend  une 
place  immense  dans  la  vie  de  quelques  personnes. 
Elle  absorbe  à  son  profit  toutes  leurs  facultés,  se 
nourrit  d'elle-même,  et  recherche  avec  avidité  les 
moyens  de  se  perpétuer.  Tel  est  pour  certaines  âmes 
le  bonheur  amer  de  souffrir,  qu'elles  s'enivrent  de 
leurs  malheurs,  veulent  boire  le  calice  jusqu'à  la 
lie.  L'affliction  leur  tient  lieu  de  l'ami ,  de  la  fortune 
qu'elles  n'ont  plus,  et  il  leur  semblerait  avoir  fait 
une  seconde  perte ,  si  elles  cessaient  de  souffrir. 

Les  plus  grandes  peines  peuvent  renfermer  quel- 
ques douceurs  secrètes.  Il  y  a  des  perles,  disait 
Young,  dans  le  torrent  de  l'affliction.  Avec  quelle 
profondeur  Platon  n'a-t-il  pas  analysé  les  rapports  in- 
times du  plaisir  et  de  la  souffrance?  Nous  ne  goû- 
tons rien  de  pur,  pas  même  la  douleur.   Racine 


ET  RÉFLEXIONS  MORALES.  349 

connaissait  le  cœur]  humain ,  quand  il  fait  dire  à 
Phèdre  : 

c  II  fallait  biea  souTent  me  prirer  de  mes  lannet.  > 

On  se  rappelle  ces  vers  d'un  autre  poète  dont  le 
sens  est  que  «  le  seul  doux  souvenir  qui  lui  reste  au 
monde ,  c'est  d'avoir  quelquefois  pleure.   - 

Il  est  donc  des  idées  pénibles  auxquelles  est  at- 
taché rinconcevable  pouvoir  d'engendrer  un  senti- 
ment de  plaisir.  Ainsi,  nous  ressentons  à  un  tel 
point  le  besoin  d'être  remués  et  l'espèce  d'inquié- 
tude que  produit  en  nous  l'absence  d'impressions, 
qu'au  risque  d'en  recevoir  de  trop  fortes ,  nous  re- 
cherchons avec  empressement  tout  ce  qui  peut  nous 
émouvoir.  C'est  ce  désir  qui  fait  courir  le  peuple 
autour  de  l'échafaud ,  et  les  gens  du  monde  au 
théâtre.  En  quoi  consiste  l'intérêt  d'un  poème  ,  d'un 
drame ,  si  ce  n'est  dans  les  vives  émotions  que  le 
poète  sait  exciter  en  éveillant  les  sentiments  de  la 
terreur  et  de  la  pitié?  On  éprouve  une  soufifrance 
réelle  au  récit  ou  à  la  vue  de  grandes  infortunes ,  de 
situations  aûreuses,  puisqu'elles  nous  arrachent  des 
larmes ,  nous  font  trembler  et  pâlir.  Cependant  nous 
aimons  ces  sortes  d'impressions  qui  sauvent  de 
l'ennui ,  causent  le  plaisir  de  la  surprise ,  et  en  fai- 
sant circuler  plus  vite  notre  sang ,  doublent  le  sen- 
timent de  l'existence.  Le  suave  mari  magno  de  Lu- 
crèce ne  signifie  pas  qu'on  se  plaît  à  voir  souffrir 
les  autres;  non,  ce  n'est  pas  qu'on  applaudisse  à 
l'efiusion  du  sang,  aux  angoisses  de  nos  sembla- 
bles ;    mais   les   émotions    que   produisent    de   tels 


350  PENSEES 

spectacles ,  ravivent  dans  nos  âmes  la  conscience  du 
bien-être  et  de  la  sécurité  personnelle. 

La  nature  a  rendu  chacun  de  nous  sensible  à 
d'autres  infortunes  que  les  siennes.  A  Taspect  d'un 
visage  inondé  de  larmes,  avant  même  de  connaître 
le  sujet  qui  les  a  £ait  répandre ,  on  sent  les  yeux  de- 
venir humides,  et  par  cet  entraînement  sympathique 
qui  unit  les  hommes  entre  eux,  et  par  suite  de  l'em- 
pire que  rimitation  exerce  sur  nous  ;  notre  cœur  se 
serre  au  seul  récit  d'un  événement  funeste  qui  s'est 
passé  loin  de  nous,  et  dont  les  victimes  nous  sont 
inconnues. 

On  compatit  aisément  aux  maux  que  l'on  a 
éprouvés  et  difficilement  à  ceux  qu'on  éprouve  en- 
core; on  en  est  trop  absorbé.  Les  moralistes  affir- 
ment que ,  pour  avoir  le  droit  d'être  écouté  de  ceux 
qui  souffrent,  il  faut  avoir  soutfert  et  essayé,  comme 
Arie  ,  le  poignard  sur  son  propre  cœur  avant  de  dé- 
clarer qu'il  ne  fait  pas  de  mal.  Mais  où  est  l'homme 
qui  n'a  jamais  versé  de  larmes  sur  lui-même  et  sur 
quelqu'un  des  siens  ?  Quiconque  a  aimé ,  a  pleuré  ! 
Du  reste ,  la  pitié  n'est  pas  seulement  l'impression 
de  nos  maux  passés  réveillée  par  ceux  d'autrui; 
mais  aussi  un  mouvement  instinctif,  un  élan  spon- 
tané de  l'âme  sans  aucun  retour  sur  soi.  Le  spec- 
tacle du  malheur  nous  émeut  soudainement  en  de- 
hors de  tout  calcul ,  de  tonte  réflexion.  On  est  dans 
de  bonnes  conditions  pour  apaiser  le  mal  de  la  souf- 
france ,  quand  on  peut  dire  avec  Térence  :  «  Je  suis 
homme ,  et  rien  de  ce  qui  intéresse  l'humanité  ne 
m'est  étranger.  » 

La  plupart  de  ceux  qui  ont  voulu  discourir  sur  la 


ET   RÉFLEXIONS  MORALES.  35 i 

douleor,  au  lieu  de  la  considérer  sous  ses  divers 
aspects.  Tout  envisagée  à  un  point  de  vue  étroit, 
égoïste  ;  ils  n'ont  guère  cherché  qu'à  faire  connaître 
leur  manière  personnelle  de  sentir  ;  ils  ont  retracé 
leur  histoire  ou  celle  de  leurs  amis.  L'esprit  d'impar- 
tialité leur  a  manqué  ,  parce  qu'ils  étaient  à  la  fois 
juges  et  parties.  £n  raisonnant  sur  un  pareil  sujet , 
il  faut  ne  pas  songer  à  soi ,  être  désintéressé  ,  sans 
passion,  sympathiser  avec  tout  ce  qui  aime,  avec 
tout  ce  qui  souffre ,  sans  qu'il  soit  nécessaire  ,  pour 
connaître  la  douleur,  d'avoir  passé  par  les  plus 
cruelles  épreuves  de  la  vie  ;  d'autant  plus  que  de 
grandes  afflictions  laissent  presque  toujours,  dans 
les  âmes  qu'une  foi  vive  n'éclaire  et  ne  fortifie  pas , 
un  levain  d'aigreur  et  d'injustice,  qui  ôte  à  l'esprit 
sa  liberté  et  sa  justesse  d'appréciation. 

Plusieurs  écrivains  prétendent  que  l'homme  est 
tout  entier  dans  chaque  homme.  Cependant  les  im- 
pressions ne  se  manifestent  pas  de  la  même  ma- 
nière ,  ni  avec  une  égale  vivacité.  Il  est  des  gens 
dont  la  douleur  impétueuse  et  prompte  éclate  comme 
un  vent  d'orage  et  passe  comme  lui.  Il  en  est  d'au- 
tres chez  qui  les  larmes  s'amassent  lentement;  ils 
ont  besoin  de  s'exhorter  à  pleurer ,  et  ils  ne  peu- 
vent s  attendrir  sans  témoins.  On  gémit  plus  haut 
quand  on  est  entendu.  Il  est  une  intempérance  d'af- 
Diction  aussi  bien  qu'une  intempérance  de  joie. 

S'abandonner  sans  mesure  à  la  souffrance ,  est  le 
propre  d'un  esprit  faible  ;  mais  il  y  a  de  l'orgueil  et 
de  la  dureté  à  la  braver  et  à  en  méconnaître  les  at- 
teintes ,  à  l'exemple  de  ce  sophiste  qui ,  dans  le  pa- 
roxysme de  la  goutte .  s'écriait  :  «  Douleur ,  tu  as 


354  PENSÉES 

vantablc  dénûnient ,  riioinme  seui ,  en  proie  à  tous 
les  genres  de  souffrances?  En  un  mot^  pour  se  con- 
soler un  peu  de  toutes  ses  peines,  il  faut  penser  à 
toutes  celles  qu'on  n'a  pas;  mais  notre  infirmité  est 
telle  que  nous  gémissons ,  tout  en  sentant  que  nous 
avons  tort  de  gémir. 

On  se  plaint  quelquefois  d*étre  écrasé  sous  le  poids 
de  ses  chagrins.  S'ils  n'apparaissaient  qu'à  de  longs 
intervalles,  s'ils  étaient  toujours  légers,  s'ils  faisaient 
place  trop  tôt  à  la  consolation ,  où  serait  l'appren- 
tissage de  la  patience,  l'emploi  de  notre  énergie? 
C'est  par  ces  coups  redoublés  que  notre  nature  re- 
belle se  façonne  et  que  le  néant  de  notre  éli'e  est  mis 
à  découvert.  Ce  ne  sont  pas  les  biens  de  ce  monde 
qui  nous  ont  été  promis,  mais  ceux  d'une  autre  vie 
que  n'affligent  ni  les  infirmités,  ni  les  outrages  du 
temps.  Après  la  nuit  de  la  tombe  luira  le  soleil  d'une 
nouvelle  existence.  L'homme  peut  trouver  la  route 
longue  ;  mais  il  en  sait  le  terme.  Il  n'est  pas  un  exilé 
qui  s'éloigne,  c'est  un  voyageur  qui  revient  et  que 
l'on  attend  dans  la  patrie. 

Pour  nous  exempter  de  la  résignation ,  nous  pré- 
textons souvent  la  singularité  de  nos  épreuves , 
l'excès  et  le  caractère  de  nos  afflictions.  Nous  pen- 
sons loujoui'S  que  nos  croix  ne  ressemblent  pas  aux 
autres;  cette  idée  même  de  singularité  dans  nos 
peines ,  llatle  notre  vanité  et  autorise  nos  murmures. 
Nous  voudrions  que  tous  les  hommes  ne  fussent  oc- 
cupés que  de  nos  infortunes ,  comme  si  nous  étions 
seuls  malheureux  sur  la  terre  ;  celai-là  se  figure 
qu'il  supporterait  facilement  toute  autre  souffrance 
que  la   sienne  ,    et  ne  demande  qu'à  changer  de 


XT  RÉFLEXIONS  MORALIS.  358 

peine  «  à  Hnstar  de  ce  malade  qui  espère  se  trouver 
mieux  en  changeant  d'air  et  de  position.  Mais  si  les 
hommes  pouvaient  rassembler  en  un  même  lieu  tous 
lenrs  maux ,  il  y  en  a  plus  d'un  qui  préférerait  rem- 
porter tons  les  siens,  plutôt  que  de  prendre  la  moindre 
portion  de  l'amas  commun  des  misères  humaines. 

Le  premier  pas  vers  la  résignation ,  c'est  d'être 
convaincn  qu'il  est  nécessaire  de  beaucoup  souffrir. 
Les  vains  efforts  d'une  imagination  exaltée  ne  peu- 
vent tromper  les  besoins  de  la  nature,  ne  peuvent 
donner  une  douceur  vivifiante  à  l 'humide  vapeur 
d'un  cachot,  ni  mettre  fin  aux  battements  d'un  cœur 
brisé.  Le  philosophe,  étendu  sur  sa  couche  moel- 
leuse, nous  dira  que  le  courage  dompte  aisément  tous 
les  obstacles  ;  mais  si  on  peut  affronter  la  mort,  si  tout 
homme  peut  lui  faire  face ,  les  tourments  prolongés 
sont  d'horribles  épreuves  que  peu  de  gens  savent  en- 
durer. Sans  doute,  quand  l'homme  se  redresse  et  se 
lève  dans  sa  force  sous  les  coups  du  malheur^  quand 
il  se  tourne  vers  le  côté  céleste  des  choses  ,  il 
triomphe ,  s'apaise  et  se  console.  Mais  Dieu  a  fait  du 
cœur  humain  le  clavier  de  toutes  les  douleurs.  Ne 
persuadons  pas  à  notre  âme  que  la  pratique  du  bien 
est  facile ,  pas  plus  qu'on  ne  doit  persuader  à  l'intel- 
ligence ,  que  la  science  est  une  récréation  ;  —  habi- 
tuons-les, l'une  et  l'autre  à  l'etfort,  pour  que  l'heure 
du  combat  ne  les  prenne  pas  au  dépourvu. 

Si  le  champ  de  la  douleur  est  vaste ,  il  dépend  de 
nons  de  le  resserrer  par  une  lutte  infatigable  dans 
de  plus  étroites  limites.  Il  ne  sullit  pas  de  résister  un 
jour,  deux  jours;  ne  dites  point  :  «  Cette  guerre  sera 
longue.  »  Hien  n'est  long  de  ce  qui  finit.  Courage 


356  PENSÉES 

donci  11  est  aisé  de  se  croire  brave  dans  la  paix; 
c'est  au  fort  de  l'action  que  parait  la  valeur  du  soldat. 
Chacun  est  bon  pilote  quand  la  mer  est  calme. 

Ne  nous  laissons  pas  abattre  par  la  mauvaise  for- 
tune; prenons  le  parti  de  souffrir  patiemment;  la 
patience  n'ôte  pas  le  sentiment  de  nos  maux ,  mais 
elle  les  modère.  L'habitude  nous  familiarise  avec 
les  choses  les  plus  pénibles.  Il  n'est  pas  de  si  dure 
condition  où  un  esprit  judicieux  ne  trouve  quelque 
soulagement.  Souvent,  l'espace  le  plus  étroit,  grâce 
au  talent  de  l'architecte,  a  pu  s'étendre  à  plusieurs 
usages,  et  une  habile  ordonnance  rend  le  plus  petit 
coin  habitable.  N'imitons  pas  Aiadin  qui  se  déses- 
pérait, parce  qu'il  voyait  une  fenêtre  inachevée  dans 
son  palais ,  oubliant  les  vingt-trois  autres  qui  étaient 
parfaites. 

Lorsque  l'âme  s'irrite  contre  ses  maux ,  ses  maux 
s'irritent  contre  elle.  On  se  punit  ainsi  soi-même 
d'une  douleur  qu'on  ne  sait  pas  endurer.  On  en 
souffre  davantage;  de  plus,  on  en  fait  souffrir  les 
autres,  parce  qu'on  va  se  décharger  sur  eux  du 
fardeau  qu'on  ne  peut  porter  tout  seul.  On  oublie 
qu'il  n'est  rien  dont  on  se  fatigue  aussi  vite  que  de  la 
douleur  d'autrui. 

La  résignation  oifre  cet  inestimable  avantage» 
qu'elle  puise  toute  sa  force  dans  le  cœur  même  de 
l'affligé.  Elle  n'a  pas  à  subir  les  raisonnements  fas- 
tidieux de  ces  indifférents ,  de  ces  consolateurs  de 
profession  qui  vous  offrent  des  services  qu'on  ne  leur 
demande  pas,  et  quand  ils  savent,  la  plupart  du 
temps  ,  qu'il  est  impossible  de  les  accepter  ;  ils 
viennent  avec  ces  consolations  banales,  qui  ne  con- 


ET  RÉFLEXIONS   MORALES.  357 

«oient  pas;  les  afQigés  s'y  heurtent  sans  cesse  :  «  Il 
est  mort,  que  voalez-vous?  nous  sommes  tous  mortels; 
et  pais ,  il  était  si  âgé  !  on  bien ,  il  sonffrait  tant  !  » 
Peu  de  personnes  nous  apportent  le  baume  exquis 
de  ces  sympathies  qui  savent  parler  et  qui  savent 
se  taire.  Maladresses  souvent  d'un  bon  cœur,  les 
consolations  prématurées  ne  font  que  réveiller  la 
souflBrance ;  on  ne  doit  raisonner  avec  la  douleur, 
que  lorsqu'elle  commence  à  raisonner;  mais  s'il  y 
en  a  qui  ne  veuillent  pas  être  consolées ,  il  n'y  en  a 
pas  qui  ne  veuillent  être  partagées. 

n  est  des  cas  où  il  serait  dangereux  de  lutter  di- 
rectement contre  la  douleur  ;  nos  efiforts  pour  la  sur- 
monter seraient  une  plus  grande  soufi&^nce.  II  faut 

alors  laisser  faire  Dieu  et  attendre ,  en  lui  disant  : 

• 

«  Celui  que  vous  aimez  est  trop  faible  ;  avec  vous 
seul  il  peut  vaincre.  »  Nul  n'aurait  la  force  de  ré- 
sister, si  la  vivacité  des  sentiments  qu'excitent  en 
nous  les  premiers  coups  de  l'adversité,  ne  s'émous- 
sait  à  la  longue.  Heureusement ,  ce  destructeur  in- 
visible qui  fait  le  vide  autour  de  nous ,  mais  aussi  ce 
consolateur  par  excellence  qui  renouvelle,  en  fuyant, 
ce  mobile  univers ,  le  Temps  n'enlève  pas  moins  de 
chagrins  qu'il  n'en  apporte.  On  ne  peut  souffrir 
beaucoup  d'une  manière  durable.  La  Providence , 
en  mère  tendre ,  ne  nous  envoie  que  des  peines  ou 
courtes  ou  supportables.  La  souffrance  et  la  conso- 
lation sont  sœurs.  Dieu  ne  laisse  jamais  sur  la  terre 
une  faiblesse  sans  quelque  appui ,  ni  un  cri  de  dou- 
leur sans  écho.  Quelque  indifférent  que  soit  le  monde, 
Dieu  a  toujours  parmi  cette  foule  bruyante  et  insou- 
cieuse ses  mains  aumônières  et  ses  voix  compatis- 


358  PENSÉES 

santés  :  le  moment  vient  où  il  sort  da  miage  et  dU  à 
la  souffrance ,  comme  à  la  mer  soulevée  :  •  Ta  n'iras 
pas  plus  loin,  o  L'immortel  auteur  du  Génie  du  Chri»- 
tianisme  ne  voit  dans  cette  intervention  mystérieuse 
de  la  Providence  ,  que  le  signe  de  l'indigence  et  de 
la  misère  du  cœur  hdmain  qui  n'a  pas  de  quoi  tou- 
jours pleurer.  Je  préfère  y  reconnaître  une  preuve 
sensible  de  la  bonté  divine. 

Il  serait  à  désirer  qu'on  pût  dépenser  ses  peines 
au  jour  le  jour ,  et  économiser  ses  joies  pour  le  len- 
demain. Il  faudrait  aussi  avoir  le  courage  de  regar- 
der ses  afflictions  en  face.  L'ennemi  est  surtoat  ter- 
rible pour  les  fuyards  ;  de  même ,  le  mal  a  plus  de 
prise  sur  ceux  qui  cèdent  et  reculent  II  est  de  bien 
meilleure  composition  pour  qui  lui  tient  tète.  Il  en 
est  de  l'âme  comme  du  corps,  qui  acquiert  du  nerf 
et  de  la  vigueur  en  se  raidissant.  Il  est  encore  cer- 
tain qu'on  rend  souvent  la  douleur  physique  légère 
et  peu  dangereuse  à  force  de  la  croire  telle.  Ne  per- 
dons jamais  l'espoir  de  la  guérison.  La  puissance 
de  Dieu  est  sans  bornes.  Combien  n'y  a-t-il  pas 
de  maladies  où  la  science  humaine  est  impuissante 
et  qui  disparaissent  d'elles-mêmes?  L'espérance  est 
la  plus  utile  de  toutes  les  affections  de  l'Ame  :  elle 
entretient  la  santé  par  le  repos  de  l'imagination ,  et 
répand  dans  le  sang  une  douce  et  vivifiante  chaleur. 
Espérer,  c'est  jouir.  Celui  qui  donna  tout  ce  qu'il 
avait  et  ne  se  réserva  que  l'espérance,  ne  se  fît  pas  un 
si  mauvais  lot ,  puisqu'il  garda  pour  lui  tout  ce  qu'il 
y  a  de  plus  doux  dans  la  vie. 

Un  remède   efficace  contre  la   souffrance  ,    c'est 
d'abord  la  prière,  si  douce  au  cœur  de  l'affligé;  elle 


ET  RÉFLEXIONS  MORALES.  359 

le  nàkve  t  l'apaise  et  le  fortifie.  Nous  devons  nous 
abreuver  de  cette  rosée  céleste  qui  nous  est  aussi 
oécessaire  que  la  pluie  aux  arbres.  Privés  d'eau,  ils 
ne  partent  aucun  fruit  ;  et  sans  le  salutaire  rafraîchis- 
sement de  la  prière  ,   nos  âmes  demeurent  stériles 
et  mortes  aux  bonnes  œuvres.  La  prière  est  un  cri 
d'espérance  ;  si ,  comme  tout  le  prouve ,  il  y  a  là- 
baat  an  être  souverainement  bon^  un  témoin  invi- 
sible et  doux  de  nos  actions ,  un  père  dont  la  clé- 
mence égale  la  justice,  il  faut  nous  tourner  vers  lui 
danjs  nos  joies ,  surtout  dans  nos  tristesses ,  puisant 
dans   ce  commerce   intime  ,    des  forces  nouvelles 
pour   porter  jusqu'au  bout  l'épouvantable  fardeau 
de  la  vie.  Qui  s'adresse  à  lui,  fût-ce  pour  la  millième 
fois ,  toujours  reviendra  soulagé.  Douter  de  Dieu ,  ce  . 
serait  douter  de  la  vie  elle-même  ;  on  peut  délaisser 
cette  croyance  à  la  première  ivresse  ;  mais  on  est 
heureux  de  retourner  vers  elle  k  la  première  larme. 
Visitons  souvent  les  pauvres ,  aimons-les  surtout  : 
rien  ne  leur  manque  autant  que  l'amour.  L'aumône 
matérielle  ne  vaut  pas  cette  tendre  compassion  ,  ce 
regard,  cette  parole  qui  consolent  et  encouragent. 
D'un  autre  côté  ,  rien  ne  rafraîchit   le  sang  et  ne 
rassérène    l'âme  ,    comme    de    secourir    ceux  qui 
souffrent   On   acquiert   aussi  ,  bien  plus  «ju'on   ne 
donne  :  le  contact  du  pauvre  enrichit ,  parce  qu'il 
rend  au  centuple  en  foi,  ce  qu'il  prend  en  charité. 
Livrons-nous    à    de    sérieuses    lectures    où   Ton 
respire  un  air  plus  fortifiant ,  plus  pur,  et  que  Ton 
fait  non  en  esclave  qui  remplit  une  tâche  ,  mais  en 
enfant  de  Dieu  qui  revient  à  son  père  et  qui  attend 
tout  de  sa  miséricorde. 


360  PENSéBS 

Le  travail  est  aussi  un  puissant  moyen  pour 
triompher  des  torpeurs  de  la  tristesse  et  de  l'aigaU- 
Ion  de  la  souffrance.  Contemporain  de  l'homme ,  il 
a  précédé  Tintroduction  du  mal  dans  le  monde  :  il 
était  une  loi  avant  de  devenir  une  expiation;  il 
commença  au  moment  où  l'homme  reçut  des  mains 
de  Dieu  l'investiture  de  sa  royauté  terrestre.  Il  y  a 
dans  le  tmvail  même  le  plus  humble  et  le  plus  pénible, 
quelque  chose  de  calmant  et  de  sanctifiant.  L'inerte 
contemplation  de  ses  douleurs  exerce  sur  l'âme  une 
influence  malsaine  et  dangereuse.  Les  événements 
extérieurs  nous  envoient  la  souffrance  à  l'état  brut  ; 
c'est  à  la  transformer  comme  toute  autre  matière  , 
que  nous  devons  travailler.  L'âme  se  fait  son  corps, 
a  dit  un  grand  médecin  ;  on  peut  dire  avec  plus  de 
vérité  :  l'âme  se  fait  sa  douleur.  Nos  défauts  et  nos 
imperfections  entrent  pour  beaucoup  dans  l'amer- 
tume de  nos  plus  réelles  afflictions. 

Il  est  difficile  de  persuader  à  l'homme  que  ce  qui 
l'attriste  puisse  jamais  tourner  à  son  profit  :  aussi 
rêgarde-t-il  la  souffrance  comme  la  plus  cruelle  en- 
nemie du  genre  humain  ,  comme  un  tyran  impi- 
toyable qui  poursuit  ses  victimes  sans  relâche ,  et 
frappe  à  toute  heure  l'enfance  et  la  vieillesse,  la 
faiblesse  et  la  force. 

Cependant,  n'est-ce  pas  de  la  douleur  que  vient  le 
premier  sentiment  qui  nous  fait  connaître  l'existence? 
Elle  est  une  sensation  utile  y  le  cri  de  l'organe  souf- 
frant ;  c'est  un  gardien  vigilant  qui  signale  au  cer- 
veau des  ennemis  internes  que  les  sens  ne  peuvent 
apercevoir  ,  et  qui  menacent  incessamment  notre 
existence. 


ET  REFLEXIONS  MORALES.  361 

S'Q  se  pouvait  que ,  sans  avertissement ,  à  notre 
insQ ,  le  feu  désorganisât  nos  tissus ,  que  le  fer  péné- 
trât dans  nos  chairs ,  nous  n'aurions  aucun  moyen 
de  nous  garantir  de  la  destruction ,  et  l'homme  se 
donnerait  quelquefois  la  mort  par  inadvertance. 
C'eût  été  le  condamner  à  périr  que  de  ne  lui  laisser 
de  sensibilité  que  pour  le  plaisir.  Comment  rem- 
placer l'aiguillon  de  la  douleur  ,  le  frein  d'une  souf- 
france aiguë  et  croissante  ,  par  un  simple  dégoût , 
par  l'attrait  d'une  jouissance  ou  par  un  avertissement 
.  qui  ne  fût  pas  une  torture  en  même  temps  qu'un 
avis  ?  Que  de  fois  ,  sous  peine  de  mort ,  il  faut  s'abs- 
tenir, s'arrêter  à  l'instant  même,  quand  nous  sommes 
poussés  en  avant  par  le  plaisir  ?  Que  de  fois  la  pas- 
sion ou  une  simple  distraction  ne  nous  empêcherait- 
elle  pas  d'écouter  les  conseils  de  la  raison ,  même 
les  plus  essentiels  à  notre  existence ,  s'ils  n'étaient 
pas  sanctionnés  aussitôt  par  une  vive  douleur  ?  Il 
fallait  ce  ressort  énergique  ,  surtout  pour  les  enfants 
et  les  êtres  chez  qui  la  raison  ne  joue  qu'un  rôle 
secondaire.  L'ordre  voulait  que  nous  fussions  avertis 
par  la  preuve  immédiate  ,  incontestable  ,  irrésistible 
du  sentiment  de  ce  que  nous  devons  faire  pour  con- 
server notre  vie. 

La  soufifrance  est  un  moyen  de  reconnaître  si  un 
individu  supposé  mort  est  réellement  décédé.  Com- 
bien de  gens  effrayés  de  ces  récits  affreux  dont  plu- 
sieurs sont  très-authentiques,  de  morts  vivants  res- 
suscites dans  la  tombe  ,  recommandent  de  vive  voix 
à  un  ami  ou  prescrivent  dans  un  acte  de  dernière 
volonté  de  leur  brûler  ou  inciser  certaines  parties 
du  corps,  persuadés  qu'ils  échapperont  ainsi  à  l'hor- 
rible possibilité  d'être  ensevelis  vivants  ! 


36S  PEi«si£S 

Les  douleurs ,  lorsqu'elles  ont  disparu ,  ae  trans- 
forment souvent ,  après  un  temps  plus  ou  moins 
long,  en  réminiscences  agréables,  tandis  que  le  sou- 
venir du  bien-étret  double  le  mal  présent  :  il  n'est 
pire  misère,  dit  le  Dante,  qu'un  souvenir  heureux 
dans  les  jours  de  malheur. 

Si  donc  le  plaisir  nous  donne  la  conscience  du 
bien-être  de  la  vie  ,  la  douleur  nous  avertit  des  dan- 
gers qui  peuvent  la  compromettre  ;  l'un  nous  &it 
aimer  l'existence ,  l'autre  nous  donne  une  salutaire 
frayeur  de  la  perdre.  Ajoutons  que  le  moindre  des 
plaisirs  qui  ne  serait  pas  senti  par  l'être  constamnlent 
heureux,  sera  goûté  avec  délices  par  l'homme  in- 
fortuné. Oiielle  n'est  pas  la  joie  d'un  détenu  qui, 
après  avoir  subi  sa  peine,  soil  d'une  prison  obscure, 
revoit  la  clarté  du  jour,  et  recouvre  la  liberté  ?  Une 
femme  qui  vient  d'être  mère  est  d'autant  plus  heu- 
reuse que  ses  souffrances  ont  été  plus  vives. 

Ovide  trouve  Niobé  heureuse  d'avoir  été  changée 
on  rocher  et  d'être  devenue  insensible  par  l'excès 
de  s<»s  maux.  Cicéron  pense  avec  raison  que ,  dans 
les  peines  morales,  le  comble  du  malheur  est  la  pri- 
vaticui  du  sentiment.  Enlever  la  connaissance  du 
mal ,  ce  serait  enlever  celle  du  bien  ,  et  enfin 
anéantir  l'homme.  Qui  voudrait  remplacer  par  les 
oHrillationH  d'un  pendule  les  battements  de  son 
cuMir  ? 

Uiiniques  philosophes  ont  prétendu  à  tort  que  tous 
hm  pluinii^s  n'étaient  qu'une  cessation  de  la  douleur. 
Pin  ton,  dans  le  IX'  livre  de  la  République,  énumère  un 
certain  nombre  de  joniss^uices  qu'aucune  souifirance 
n'a  précédées.  Lorsqu'en  efifet  nos  yeux  viennent  à 


ET   RÉTLKXIONS  MORALES.  dM 

8'oaTrir  inopinément  sur  un  charmant  paysage , 
lorsque  dans  le  même  moment  nous  respirons  un  air 
embaume  des  senteurs  du  printemps ,  nous  éprou- 
vons un  doux  plaisir ,  sans  avoir  senti  nécessaire- 
ment un  malaise  antérieur. 

La  sonfihince  importe  sans  doute  à  la  vie  physi- 
que, mais  elle  n'importe  pas  moins  à  la  vie  intellec- 
tuelle et  morale;  elle  est  le  grand  stimulant  de  l'ac- 
tivité humaine.  La  douleur  de  la  misère,  de  la 
persécution  est  quelquefois  nécessaire  pour  échauffer 
le  génie,  exciter  le  mérite  et  les  talents  paresseux. 

Le  malheur  a  souvent  développé  en  nous  des  sen- 
timents>  des  lumières  et  des  forces  que  nous  ne  sa- 
vions pas  posséder ,  parce  que  nous  n'en  avions  pas 
besoin,  et  qu'un  sort  plus  propice  eût  certainement 
laissés  dans  l'inaction.  Le  génie  de  la  douleur  est 
peut-être  le  plus  fécond  de  tous.  N'est-ce  pas  aux 
tortures  de  la  captivité  ,  à  dix  années  de  martyre  , 
que  nous  devons  le  livre  des  Prisons  de  SUvio-Pellico, 
livre  admirable  ,  qui  apprend  à  souffrir  et  dispose  à 
une  si  généreuse  indulgence?  N'est-ce  pas  la  douleur 
qui  arrache  à  David,  le  prince  de  la  lyre  sacrée ,  ces 
magnifiques  accents  qui  retentissent  dans  nos 
églises  ? 

La  douleur  est  utile  surtout  au  point  de  vue  de  la 
vigueur  morale  et  du  perfectionnement  de  l'homme. 
C'est  une  des  grandes  forces  de  la  nature  ;  elle 
ajoute  à  ce  qu'elle  ne  détruit  pas.  La  tribulation  est 
à  l'âme  comme  un  marteau  qui  la  frappe,  et  qui, 
en  la  battant,  la  fait  briller  d'un  plus  vif  éclat.  Ainsi 
encore^  le  soc  de  la  charrue  déchire  la  terre,  mais  il 
la   féconde.  Ainsi ,  le  nocher  s'aguerrit  pendant  la 


364  PENSÉES 

tempête;  ainsi,  le  chêne  des  montagnes  se  fortifie  par 
les  secousses  et  s'affermit  par  le  temps.  L'amoar 
maternel  ne  grandit-il  pas  dans  les  larmes  î  Plus  la 
mère  a  souffert  pour  son  enfant,  plus  elle  aëprottvé 
d'appréhension  et  de  terreurs ,  plus  elle  s'attache  à 
lui  ;  et  s'il  meurt  avant  même  qu'il  ait  pu  com- 
prendre les  caresses  de  sa  mère ,  elle  en  concevra  un 
si  profond  chagrin,  que  peut-être  elle  n'aura  pas  la 
force  do  lui  survivre  ; 

Car,  rieii  n*est  plus  puisant  que  ces  petits  broi  morts 
Pour  tirer  promptement  les  mères  dans  la  tombe, 

dit  un  poète. 

Le  malheur  donne  je  ne  sais  quoi  d'acUevé  qui 
ajoute  aux  grandes  vertus.  Autrefois  un  lieu  frappé 
do  la  foudre  devenait  saci^  :  emblème  sublime  du 
rospocl  qne   l'on  doit   au  malheur. 

l^  pn)spêrité  nous  remplit  souvent  de  fausses  il- 
lusions ;  enivré  dos  faveurs  du  monde ,  on  tombe 
dans  Toubli  do  sos  fautes,  et  on  s'imagine  que  Dieu 
los  a  paroillomont  oubliées.  Le  malheur  est  le  seul 
niaîlrt^  qui  puisse  nous  reprendre  utilement ,  réveil- 
ler dans  la  oonscionoo  le  sentiment  endormi  de  la 
justice  divine,  ot  ivndro  à  nos  yeux  la  véritable 
vue  dos  choses.  Il  nous  porte  à  réûëchir  sur  nos 
ogattMuonts,  à  (;\iro  un  sérieux  retour  sur  nous- 
mtMuos»  1.0  tow]\s  do  radvorsité  est  à  Tàme  ce  que 
rhivor  osl  A  la  torro:  la  saison  où  Ton  ensemence, 
nîou  no  nous  abandonne  pas  impuissants  el  déses- 
pt^n^  a  lompin^  du  mal  ;  il  en  fait  jaillir  les  eaux 
vixTs  comme  du  roc  au  dosert  ;    sa  colèf«  tonne 


ET  K^FLEXIONS  MORALES.  365 

pour  nous  prévenir  qne  la  foudre  peut  rencontrer 
nos  têtes;  mais,  de  même  que  les  moissons  ont 
besoin  de  rosée  pour  mûrir,  de  même  l'homme  a 
besoin  de  pleurer  pour  montrer  ce  que  vaut  une 
âme,  le  degré  de  sa  constance  et  de  son  amour. 

Et  l'amitié  ne  doit-elle  rien  à  la  douleur?  les 
mêmes  afQictions  sont  un  lien  puissant  entre  les 
hommes.  Dans  le  mélange  aussi  de  leurs  larmes , 
ils  éprouvent  un  grand  soulagement  :  on  souffre 
bien  moins  quand  on  souffre  en  commun  ;  on 
suspend  le  cours  de  ses  larmes,  en  essuyant  celles 
des  autres  :  pleurer  ensemble,  c'est  se  consoler.  Tout 
sépare  dans  le  bonheur,  tout  rapproche  dans  l'ad- 
versité :  parlez  de  ses  devoirs  à  un  homme ,  sans 
sujet  d'afQiction ,  il  est  sourd  à  vos  conseils  ;  s'il 
tombe  dans  l'infortune,  il  vous  recherche,  il  aime 
à  vous  entretenir  de  ses  chagrins  ,  il  est  sans  goût 
pour  les  bruyantes  distractions  auxquelles  il  se  livrait 
naguère. 

La  douleur  est  souveraine  pour  apaiser  les  feux 
de  la  passion  ;  en  même  temps  qu'elle  nous  ôte 
ce  qui  nous  dégrade,  elle  nous  donne  ce  qui  nous 
ennoblit.  L'homme  dur  ne  souffre  pas  sans  se  sentir 
porté  vers  la  compassion ,  l'homme  hautain  vers 
l'humilité  ,  le  voluptueux  vers  la  chasteté  ,  l'homme 
violent  vers  la  douceur.  Nul  ne  sort  amoindri  de 
cette  grande  fournaise  des  douleurs  :  l'immense  ma- 
jorité y  puise  des  vertus  qu'elle  n'avait  jamais 
connues  ;  l'impie  devient  religieux  ;  l'avare  oublie 
sa  fureur  insatiable  d'amasser  ;  le  inaitie  a  plus 
d'égards  pour  ses  serviteius. 

11  y  a  dans  la  douleur  un  principe  de  force  et 


366  PENSÉES 

de  virilité  ;   mais  celoi  qui  court  après  les  plaisirs 
commence  aussitôt  à  décroître.  Avec  l'habitode  de 
céder,  il  perd  jusqu'à  la  mémoire  de  l'eifort;  avec 
riiubitude  de  tomber,  jusqu'au  pouvoir  de  se  re- 
lever.   La  vitalité   et  Ténergie   des  puissances  de 
l'âme,  l'élasticité  et  la  force  des  muscles  du  corps, 
tout  s'use  dans  le  plaisir,  parce  qu'il  a   quelque 
chose  de  dissolvant  et  de  corrupteur  qui  porte  en 
soi  une  mort  silencieuse  et  cachée.  Malheur  à  qui 
ne  réniste  pas  à  sa  voix  aussi  perfide  et  aussi  douce 
que  celle  des  antiques   sirènes  I   L'enfant  qui  s'y 
abandonne  ne  voit  pas  l'adolescence  ;  l'adolescent 
y  trouve  les  cheveux  blancs  ;  les  vieillards  y  trouvent 
la  mort. 

I/liommc  dit  sans  cesse  qu'il  n'aime  pas  la  souf- 
franco  ;  voyez  pourtant  comme  il  méprise  le  guer- 
rier invuhiéruble  ou  couvert  d armes  enchantées! 
Il  Hi»nt  qu'il  n*y  a  pas  de  mérite  là  où  on  ne  peut 
Hoiiflrir,  nt  que  la  véritable  grandeur  consiste  non 
pas  en  ce  que  le  fort,  l'invincible  par  nature 
triomphe  du  faible,  mais  en  ce  que  le  faible  sache 
tn)nv(*r  dans  Ha  faiblesse  môme  de  quoi  vaincre 
et  Hurpiisser  le  fort. 

Il  nainie  pas  la  soutfrance,  et  voyez  le  cas  qu'il 
«n  fait  !  (lonnuo  il  est  ticr  d'en  porter  sur  sa  per- 
Honno  h»H  traces  nombreuses  !  11  se  plaît  à  montrer 
t\  liuiH  les  yiMix  les  glorieuses  cicatrices  de  ses 
i»li»nHun^H  et  do  «es  diWouomenls. 

Pnrtttnt  riiouinio  a  rendu  un  culte  aux  grandes 
infortunes,  (Ivlipe  est  plus  urand  au  jour  tlo  suu 
malheur  qu'aux  joui-s  do  >;»  i;li>iir.  Son  nom  sérail 
i^tnoiv ,  hi   la  coiùix*  divine  ue  Tavait  renversé  de 


ET  RÉFLEXIONS  MORALES.  367 

son  trône.  La  mélancolique  beauté  qui  s'attache  à 
la  figure  de  Germanicus  lui  vient  du  malheur  qui 
le  frappa^  et  de  sa  belle  mort,  loin  de  sa  patrie, 
et  du  ciel  de  Rome.  Marius,  qui  n'est  qu'un  homme 
cruel  lorsqu'il  est  élevé  par  lu  victoire,  devient 
soblhne  lorsque  sa  triste  destinée  l'oblige  à  cher- 
cher un  refuge  dans  les  marais  de  Mintume  (1). 

En  résumé  ,  je  pense  que  la  douleur  est  un 
mal ,  source  de  grands  biens ,  et  je  comprends 
qu'on  vieil  auteur  ait  pu  dire  :  a  Si  Dieu  nous  eût 
donné  tout  à  souhait,  il  faudrait  le  prier  de  nous 
faire  Taumône  de  l'empêchement.  »  Le  sentiment 
de  la  souffrance  est  plus  vif  et  plus  durable  que 
celui  du  plaisir;  il  était  nécessaire  qu'il  en  fût 
ainsi,  dans  l'intérêt  même  de  notre  existence;  il 
importe  plus  encore  de  repousser  le  mal  que  de 
se  mettre  en  possession   d'un  bien. 

Mais  ici ,  j'entends  l'éternelle  interrogation ,  la 
vieille  plainte  du  genre  humain  :  Pourquoi  Dieu 
s'esl-il  montré  si  sévère  envers  sa  créature?  Qu'a- 
t-il  besoin  de  notre  sang  et  de  nos  larmes  7  Ne 
pouvait-il  nous  rendre  heureux  sans  nous  rendre 
misérables  ?  Ces  pourquoi  de  l'âme  gémissante 
ont,  dans  tous  les  temps^  été  l'écueil  de  la  raison; 
cette  grande  énigme  a  tenu  en  échec  toute  l'an- 
tiquité, et  Ta  arrêtée  comme  un  sphinx  à  la  porte 
du  temple  de  la  Philosophie. 

Chez  les  Grecs^  les  stoïciens  attribuaient  le  mal  à 
la  fotaiité,  à^la  nécessité,  à  l'imperfection  essen- 
tielle de  la  matière.  Les  «épicuriens  rejetaient  tout 

(i;  Uouoto-Corlèft. 


368  PENSÉES 

sur  le  hasard  ,  mot  vide  de  sens  dont  nous  couvrons 
notre  ignorance.  L'état  de  souffrance  dans  lequel 
viennent  au  monde  les  enfants  fit  dire  à  Gicénm 
a  qu'ils  naissent  sous  un  ciel  irrité,  pour  expier  sur 
la  terre  quelque  crime  commis  dans  une  antre  vie.  • 

La  philosophie  orientale  croyait  aux  lattes  éter- 
nelles de  deux  principes  ennemis  :  erreur  sonvent 
reproduite  par  les  sophistes  de  TOccident.  Manès 
bâtit  sur  cette  opinion  un  vaste  système  plein  de 
fictions  bizarres.  D'après  Platon,  la  Cause  première 
a  créé  le  monde  le  plus  parfait  possible  pour  des 
êtres  imparfaits.  Leibnitz,  Pope,  soutiennent  que  tout 
est  bien^  que  ce  qu'on  appelle  le  mal,  amène  souvent 
des  événements  heureux.  L'adultère  de  Tarquin 
chasse  les  tyrans  et  ouvre  l'ère  de  la  grandeur 
romaine  ;  les  persécutions  sont  la  gloire  des  martyrs; 
l'Église  ne  fut  jamais  plus  fervente  et  plus  pure  que 
lorsqu'elle  fut  plus  affligée;  le  vice  met  la  vertu  en 
relief,  et  la  tempête  fait  ressortir  l'éclat  d'un  beau 
jour. 

A  la  vue  du  désastre  de  Lisbonne ,  en  1755  ,  Vol- 
taire déploie  en  divers  écrits  une  verve  satanique 
contre  les  optimistes.  J.-J.  Rousseau  lui  adresse  une 
lettre  où  il  propose  cet  amendement  :  que  tout  est 
bien  pour  le  tout.  Cette  croyance  a  survécu  et  sur- 
vivra à  l'ironie  cruelle  de  l'autem*  de  Candide  et  aux 
accents  désespérés  d'un  autre  grand  poète  ,  lord 
Byron. 

La  philosophie ,  en  agitant  ces  problèmes  de  la 
destinée,  creuse  des  abîmes  ((u'elle  est  impuissante 
à  combler.  La  masse  de  l'humanité  n'a  ni  le  temps 
ni  le  courage  de  peser  tous  ces  systèmes,  et  de  s'en- 


ET   RLFLEXIONS   MORALES.  369 

foncer  dans  ce  travail  de  beaucoup  de  peine  et  de 
pen  de  profit,  matières  d'ailleurs  qui  soulèvent  des 
questions  trop  ardues  et  trop  au-dessus  des  intelli-^ 
gences  ordinaires.  L'élite  même  des  penseurs  ne 
cherche-t-elle  pas,  en  tâtonnant,  le  sanctuaire  de  la 
phQosophie?  Descartes  ne  trouve  à  admirer  dan» 
Platon  que  sa  franchise  à  déclarer  qu'il  n'a  rien  dé- 
couvert de  certain  ;  Joufiroy  pense  qu'il  n'y  a  au*» 
cune  vérité  reconnue  ,  sans  quoi  il  n'y  aurait  pal 
autant  de  philosophîes  que  de  philosophes  :  il  n'y 
en  aurait  qu'une  ;  Cousin  avoue  que  la  science  est 
encore  au  maillot ,  et  il  rappelle  ce  mot  de  Pascal^ 
que  «  se  moquer  des  philosophes,  c'est  philosopher.  • 

La  sagesse  antique  s'était  voilé  la  tête  et  se  per- 
dait en  conjectures  sur  l'origine  du  mal  ;  cette  énigme 
avait  irrité  l'orgueil  humain  jusqu'au  blasphème, 
ainsi  qu'on  le  voit  dans  Juvénal ,  dans  Pline  l'Ancien 
et  dans  plusieurs  autres  écrivains  abandonnés  à  leurs 
propres  lumières.  Le  révélation  seule  dit  clairement 
quelle  est  notre  destinée  ;  seule  elle  a  expliqué  le 
terrible  mystère  de  la  douleur. 

Sous  un  Dieu  juste  ,  nul  ne  doit  être  malheureux 
qu'il  ne  l'ait  mérité  ;  or,  l'homme  est  malheureux^ 
il  l'a  donc  mérité.  Il  est  vrai  que  les  animaux  souf- 
frent sans  avoir  commis  aucune  faute  ;  mais  étant 
créés  pour  l'homme  ,  pour  ses  besoins ,  pour  son 
utilité  et  son  plaisir,  en  les  frappant.  Dieu  atteint 
l'homme  dans  ses  biens  matériels ,  dans  ses  affec- 
tions ;  c'est  lui  qui  est  châtié  ,  éprouvé  en  eux. 

D'un  autre  côté  ,  l'homme  n'a  pas  de  rivaux  dans 
cette  vaste  arène  de  la  souffrance,  qui  offre  pour  lui 
trois  caractères  nouveaux  :  l'intensité ,  la  durée ,  la 

S4 


370  rKNSÉ£S 

inorulité.  A  l'homme  seul  lu  réllexion  qui  redoubla 
la  peine ,  la  cherche  dans  le  passé  et  dans  l'avenir  ; 
à  lui  seul  cette  appréhension  continue  de  la  mort 
qui  étend  comme  un  voile  funèbre  sur  toute  la  vie. 
A  l'exemple  de  Job ,  Thumanilé  tout  entière  poor- 
mit  s*écrier  :  Domine ,  mirabiliter  me  cntaas  /  Maïs 
l'homme  n'est  malheureux,  entre  tous,  que  parce  quil 
est  grand  entre  tous  ;  et  il  est  grand,  parce  qu'il  se 
connaît  misérable. 

La  religion  chrétienne,  qui  seule  a  donné  un  sens 
à  la  douleur  ,  dit  à  chacun  de  nous  :  «  Ta  souffrance 
«st  méritée  ;  accepte-la  de  la  main  de  Dieu  ;  ton 
juge  sera  ton  consolateur  ;  souffre  pour  conquérir 
une  éternelle  félicité,  u  Elle  nous  apprend  que  le 
mal  physique  et  le  mal  moral  sont  entrés  dans  le 
monde  par  la  faute  du  premier  homme.  L'idée  qoe 
nous  sommes  déchus,  dégénérés,  se  trouve  chea 
tous  les  anciens  peuples.  Le  dogme  de  la  rédemp- 
tion ,  contre-partie  de  la  chute ,  n'est  pas  moins 
répandu.  D'après  les  traditions  universelles,  on  a 
toujours  confessé  cette  dégradation  primitive  ,  la 
réversibilité  des  mérites  de  l'innocence  pa3raiit  pour 
le  coupable,  et  le  salut  par  le  sanfr«  L'usage  des 
sacrifices^  les  immolations  humaines  n'ont  été  qu'une 
horrible  forme  de  cette  antique  crovunce.  L'homme , 
jusque  dans  ses  plus  redoutables  égarements,  restait 
fidèle  à  une  loi  mystérieuse  qui  venait  d*en-hnat; 
et  la  grande  viclime  du  Golgotba  nous  a  été  donnée 
comme  le  denùer  des  sacrifices  de  k  terre ,  comme 
l^ctomptîssement  divin  de  tout  ce  qne  lliamamté 
avait  pressenti. 

La  <>efi(eiKe  do  condamnation  dont  Adam  et ,  pnr 


IT  r£fL£X10ICS  M0EAL£S.  371 

floite  y  tootea  les  générations  ont  été  fiuppés  ,  ne 
s'aecorde  pas  à  la  première  vue  avec  la  justice  de 
Diea,  et  surtout  avec  son  inépuisable  miséricorde. 
Mais  on  comprend  que  la  désobéissance  ,  que  la 
prévarication  du  premier  honmie,  la  plus  grande  des 
prévarications,  altéra  son  organisation  physique  et 
morale,  et  qu'il  n'a  pu  transmettre  que  ce  qu'il  avait 

Ainsi,  le  tronc  qai  meurt  ?oit  mourir  ses  rameau!* 
Et  la  source  infectée  infecte  ses  ruisseaux. 

Dès  le  jour  de  la  chute ,  il  plut  à  la  bonté  divine 
de  promettre  un  réparateur;  de  sorte  que  la  ré- 
demption est  aussi  ancienne  que  la  &ute.  Si  Dieu 
frappe,  il  guérit  ;  s'il  plonge  dans  les  abîmes ,  il  en 
retire  quand  l'heure  est  venue.  L'homme  est  une 
énigme  dont  la  désobéissance  originelle  donne  le 
premier  mot,  et  la  rédemption  le  dernier.  Déchéance 
et  réhabilitation  sont  les  deux  pôles  autour  desquels 
roulent  tous  les  mystères  de  la  nature  humaine. 
Nous  ne  pouvons  pas  juger  de  la  justice  divine  par 
la  nôtre,  qui  est  une  justice  d'égal  à  égal,  tandis 
que  celle  de  Dieu  est  une  justice  de  l'infini  au  fini , 
du  Créateur  à  la  créature.  D'ailleurs,  sur  cette  terre 
même,  n'y  a-t-il  pas  jusqu'à  un  certain  point ,  entre 
les  fils  et  les  pères ,  solidarité  des  £autes  et  réversi- 
bilité des  mérites  ? 

Sans  la  transmission  du  péché  et  de  la  peine ,  le 
dogme  de  la  rédemption  qui  est.  tout  le  christia- 
nisme, s'écroule,  et  avec  lui  tous  les  autres  dogmes. 
Le  monde  ne  s'unit  plus  à  Dieu  par  Tbomme  ;  toutes 
les  harmonies  de  la  création  s'évanouissent .  tous 
les  liens  se  rompent,  le  chaos  est  en  toutes  choses  et 
tout  retombe  dans  le  chaos. 


■    •  9 


•     f 


km 


/.viiî  pa?  pris 


ET  RÉFLEXIONS  MORALES.  373 

pas  mort  pour  tons  sur  nne  croix  ,  le  reptile  que 
j'écrase  sous  mon  pied  serait   à  mes  yeux  moins 
méprisable  que  Thomme  ,  à  considérer  Taveugle- 
ment  de  son  intelligence ,  la  faiblesse  de  sa  volonté , 
les  honteux  mouvements  de  son  cœur,  l'ardeur  de 
sa  concupiscence,  et  la  perversité  de  ses  inclinations. 
Dieu  a  permis  le  mai  moral  ;  ce  n'est  pas  la  môme 
chose  que  le  vouloir  et  le  faire.  Pour  Tempôcher , 
&llait41  qu'il  enchaînât  notre  liberté ,  qu'il  n'eût  fait 
de  nous  que  des  automates ,  se   portant  au   bien 
comme  par  nécessité  ?  Alors  où  serait  le  mérite  de 
la  vertu?  Nous  plaidons  toujours  les  circonstances 
atténuantes  pour  nos  faiblesses  ,  pour  nos  misères 
trop  souvent  flattées.  Nous  réclamons  la  remise  de 
toutes  nos  dettes ,  sentant  notice  impuissance  à  les 
payer  avec  nos  propres  ressources.  Nous  aimons  à  ne 
voir  en  Dieu  que  sa  bonté  ,   parce   qu'elle  nous 
rassure  sur  nos  désordres  ;  nous  oublions  sa  justice  , 
parce  qu'elle  intimide  nos  passions.  Mais  la  bonté 
dans  Dieu  n'est  pas  une  sorte  de  penchant,  d'instinct 
aveugle ,  sans  lumière  et  sans  règle.  Ne  séparons 
pas  sa  miséricorde  de  sa  sagesse  ,  de  sa  justice,  de 
son  empire  souverain  sur  tout  ce  qui  vit  et  respire. 
Dieu   doit  agir  en  Dieu.   Il  ne  faut  pas  seulement 
envisager  sa  qualité  de  père  ,  mais  celle  de  roi  de 
Tunivers  ,  de  législateur  suprême.  Dieu  qui  voulait 
créer  des  êtres  pour  les  aimer  et  pour  en  être  aimé, 
pouvait-il  mieux  faire  que  de  leur  donner  un  cœur 
maître  de  ses  préférences  ? 

Nous  ne  considérons  que  Tinstant  et  le  lieu  où 
nous  sommes  ;  il  n'y  a  que  le  tout  qui  pût  donner 
la  clef  des  mystères  qui  nous  environnent  ;  et  le  tout 


i 


=îw  reôpra  «t  «e*   d.-r*tr5**  mrbfs  .  ce  serait  le 
sine  of-ru^:^  çc  tîJ^  i^  à^  ikin^at  koBiae.  Dass 


^p&;<e  :  «  î>*irx  zr»*  z^TfjLZJZfL  « 


di:  s  bi«î  dir5>  3cc  ^.•ir'V   ôrm»  .  l'Art ée 

M.  Aansce  N<v:kl5.  ^iLzr^-rr  dz  pÀï  b«a«  fiire  qoi 

ait  parc  duxs  c^  ^9êc>  5;ar  il  rfâzSoa  .  de  laTeo  de 

Axec  n.-^  r::«r=:r7v^  *-:  z>:^  'rvajfbêBCS  ao  nqet 
de  iK^  G^Tix .  i2-:<:>  :^fs%?e2£r«k>B«  a  nusccte  qui 
croirait  qae  >  C-cSp  es:  bcuîerer»  îocrt  entier . 
panre  qc'cne  ^«^ne  c*ei3  izrait  pêDëtrê  JDsqpi'à 
sa  derae&re.  L>:re  icrr;  lôes  dessems  nfinis:  Vétrt 
éternel  travaîlle  >:-ur  leteraite:  Diea  seol  a  les 
secrets  de  D'.eo.  Le  prcp-n?  de  '.'hifini  •  n*esl-ce  pas 
d'étie  ÎDcompnébeDsib^e  a  t03t  aotne  qo*a  hii-mème  ? 
Noos  voulons  que  le  souTerain  maître  noos  explique 
ses  projets  sor  TuniTers  .  qujind  k<  moindres  mon- 
Tements  de  notre  corps  notent  pour  Vinke  couTerts 
d'un  voile  impu^netrable.  La  nature  a  ?es  obscnrités 
et  ses  profondei:rs:  comment  1.^  religion  n'aoïaît-elle 
pas  ses  mystères  ! 

Tout  être  créé  est  nécessairv'ment  borné  •  par 
conséquent  imparfait  La  perfection  ahsolae  n'est 
qu  en  Dieu  Des  créatures  avec  des  focnltés  sans 
limites  seraient  égaies  à  la  divinité.  Un  homme 
n'est  pas  censé  bon,  à  moins  qu'il  ne  fisse  tout  le 
bien  qu*ii  peut;  tandis  qu'il  est  impossible  que  Dieu 
fasse  tont  le  bien  qu^il  peut,  puisqu'il  en  pent  fiire  à 
i'intini.  Qui  fixera  le  degré  auquel  la  bonté  divine 
doit  s'arrêter  7 


y 


£T  RÉFLEJCIOMS  MORALES.  315 

Ne  prenons  pas  le  bien  et  le  mal  dans  an  sens 
absolo  ;  ce  sont  des  termes  purement  relatifs  et  vrais 
seulement  par  comparaison.  Ainsi,  on  instant  de 
sopfirance  ne  doit  pas  être  séparé  d'une  existence 
entière  où  le  bien  domine  ;  ce  n'est  que  l'absence 
d'une  jouissance  continuelle.  Une  douleur  légère  est 
préférable  à  une  douleur  plus  vive  ;  et  l'existence 
habituellement  douce,  si  elle  est  coupée  par  quel- 
ques moments  de  soufifrance,  constitue  un  état 
moins  heureux  que  si  le  plaisir  avait  duré  constam- 
ment 11  n'y  a  aucun  degré  de  bien  qui  ne  soit  un 
mal  par  rapport  à  un  degré  supérieur.  S'ensuii-il, 
comme  le  prétend  Bayle  ,  le  père  de  l'incrédulité 
moderne,  que  Dieu  ne  soil  pas  bon  parce  qu'il  ne 
nous  rend  pas  heureux  de  la  manière  dont  nous 
voudrions  l'être?  Job  loue  Dieu  sur  son  fumier; 
Alexandre ,  maître  du  monde ,  n'est  pas  satisfait  ; 
saint  Paul  se  réjouissait  dans  ses  souffrances.  Qui 
prendrons-nous  pour  juge  de  la  bonté,  divine? 

Nos  désirs  ne  sont  pas  toujours  justes  et  sages  ; 
ce  qui  est  un  bien  pour  nous,  devient  quelquefois  uu 
mal  pour  d'autres.  N'oublions  pas  que  tous  les 
besoins,  toutes  les  souffrances  de  l'homme  sont  le 
principe  de  ses  connaissances  ,  de  ses  plaisirs  ,  le 
fondement  de  la  vie  sociale  et  de  la  civilisation. 
Nulle  volupté  sans  désirs,  et  nul  désir  sans  besoins; 
le  plus  stupide  des  peuples  serait  celui  dont  toutes 
les  volontés  seraient  satisfaites  sans  travail  et  sans 
peine. 

Si  la  nature  eût  tout  donné  à  chacun  de  nous ,  il 
y  aurait  sans  doute  égalité;  mais  chacun,  trouvant 
en  soi-même  toutes  les  jouissances,  n'ayant  rien  à 


976  PENSÉES 

demander  à  personne,  aurait  vëca  isole,  et  dèa 
lors  la  société  n'eût  pas  été  possible,  parce  qa'die 
ne  vit  qae  de  la  diflférence  des  rangs  et  dès  posi- 
tions. S'il  n'existait  pas  de  pauvres ,  on  ne  vectait 
pas  de  ces  professions  ntiles  et  nécessaires  qui  font 
toute  l'harmonie  du  corps  social.  S'il  n'y  avait  que 
des  riches,  toat  le  monde  resterait  dans  l'oisivetë  ; 
tout  périrait.  Le  sentiment  du  besoin  que  nous 
avons  de  nos  semblables  est  le  plus  fort  lien  qui 
nous  attache  à  eux  et  nous  porte  à  les  secourir.  Si 
tout  était  œil,  où  serait  la  bouche,  dit  saint  Paul 7 

Mais  pourquoi  celui-ci  nait-il  dans  la  misère,  celui- 
là  dans  l'opulence ,  sans  qu'ils  aient  rien  &it  pour 
justifier  cette  position?  Aux  uns,  rien  ne  réussit,  à 
d'autres,  tout  semble  sourire.  Puisque  Dieu  est  sou- 
verainement bon  et  juste,  il  ne  peut  agir  par  caprice 
et  avec  partialité.  Chaque  chose  se  fait  avec  un  but 
intelligent  et  a  sa  raison  d'être.  Les  vicissitudes  de 
la  vie  ont  donc  une  cause ,  et  cette  cause  est  néces- 
cessairement  juste.  U  n'est  point  de  la  sagesse  divine 
de  conduire  les  hommes  par  les  même  voies ,  par 
les  mêmes  moyens  et  de  la  même  manière;  mais 
de  diversifier  à  l'infini  les  routes  par  lesquelles  ils 
marchent  vers  le  terme.  Sa  justice  n'est  pas  astreinte 
à  départir  à  tous  des  secours  également  puissants 
et  abondants  ;  il  ne  demande  compte  à  chacun,  que 
de  ce  qu'il  lui  donne  ;  il  ne  doit  rien  à  personne. 

Qui  sommes-nous ,  pour  disputer  avec  Dieu ,  la 
source  et  le  maître  de  la  vie?  La  terre,  dit-elle  au 
potier  :  c  Pourquoi  m'as-tu  faite  ainsi  ?  »  Lorsque 
nous  jetons  des  pierres  contre  le  ciel,  elles  retombent 
sur  notre  tête.  D'ailleurs,  il  ne  fout  pas  regarder  la 


ET  R£FLEXIO!fS  MORALES.  377 

vie  comme  ane  affiiire  de  plaisir  :  noas  vivons  dans 
on  monde  où  éclate  la  fondre ,  sur  des  bords  où  les 
chagrins  ont  fixé  leur  démeure ,  où  habitent ,  dit  le 
poète*  les  pâles  maladies  et  la  triste  vieillesse. 

Id-bat»  chaqae  lyre  a  sa  corde  plaintife  (!}• 

Cependant,  n'exagérons  point  les  peines  insépa- 
rables de  l'existence  :  quand  on  suppute  la  somme 
des  biens  et  des  maux,  on  devrait  tenir  compte  des 
jonissances  dont  la  durée  l'emporte  sur  la  vivacité, 
comme  le  plaisir  de  vivre,  de  respirer,  de  se  mouvoir, 
de  penser.  Tout  mis  dans  la  balance,  on  aime  mieux 
être  que  n'être  pas,  abstraction  faite  de  nos  immor- 
telles destinées.  Nous  nous  lassons  de  tout  ;  l'homme 
n'est  jamais  rassasié  de  vivre  ;  on  aime  à  murmurer; 
il  y  a  du  plaisir  à  se  plaindre ,  mais  il  y  en  a  plus 
à  exister. 

En  remontant  à  la  source  des  maux  terrestres  , 
beaucoup  sont  la  conséquence  naturelle  de  la  con- 
duite et  du  caractère  de  ceux  qui  les  endurent.  Com- 
bien d'hommes  tombent  par  leur  propre  faute  I  Que 
de  gens  ruinés  ou  misérables  par  manque  d'ordre , 
de  prévoyance I  Que  d'unions  malheureuses,  parce 
qu'elles  sont  un  calcul  d'intérêt  ou  de  vanité  ,  et 
que  le  cœur  n'y  est  pour  rien  I  Que  de  dissensions  , 
de  querelles  funestes  on  aurait  évitées  avec  plus  de 
modération  et  moins  de  susceptibilités  !  Que  de 
maladies  et  d'infirmités  sont  la  suite  d'excès  en  tous 
genres  !  Que  de  parents  malheureux  dans  leurs  en- 
fants, parce  qu'ils  n'ont  pas  assez  combattu  les  man- 

(1)  V.  le  beau  poème  de  la  Providence,  par  M.  VidailleL 


378  fWJSÊB 

Tais  penchanU,  et  oai  laissé  se  dêieio|nicr  ca 
tous  ies  eermes  de  l'onroeil ,  de  i'êçoisnie  et  de  b 
Toiapté  !  Que  de  paresseux  préfèrent  être  à  dbmtmt 
aox  antres.  piat^M  que  d'atiii^er  leors  bras  oa  ker 
iiida«tne  !  Que  de  paorres  doct  ilntempéiance  en- 
eioQtlt  aassîtôt  toat  ce  qulls  ont  ramassé  ! 

Combien  de  plaintes  aussi  destituées  de  toot  fim- 
dement  !  Le^  heureux,  sans  le  saToir,  forment  ici-bas 
les  trois  quarts  des  mécontents.    Noos  sommes  de 
grands  fabricants  de  douleurs  :  partout  et  toojoors 
nous  en  faisons  :   nous  abusons  de  toot  ;  aTeoglés 
par  la  joni«§ance.  nous  ne  savons  jamais  préTenir  la 
satiété:  quelques  jours  d'ennni  et  de  déiçoût  ont 
bienttjt  effacé  des  années  de  félicité.  Nous  sommes 
si  insrats  envers  le  bonheur  qui  n'est  plus!  Peo  sa- 
tisfait de    ce  qu'il  a.  jaloux  de  ce  qoll  n'a  pas, 
1  homme  désire  encore  an  sein  du  plaisir.  Il  t  a  too- 
jours  dans  le  b<>nheur  d  autrui   quelqne  cbose  qoi 
manque  au  n*jtre. 

n  est  vrai  qn'il  restera  éternellement  dans  llio- 
manité  une  part  immense  de  malheurs  à  laquelle  les 
meilleurs  conseils  ne  peuvent  pres«]ue  rien.  Sans  être 
au  nûm*:*re  des  plus  disgraciés  du  sort,  on  éprouvera 
bien  des  soutt tances  irrémédiables  qu'amènent  la 
pratique  du  monde  et  les  épreuves  de  la  civilisation- 
Ainsi,  ils  ne  sont  que  trop  réels  les  maux  du  père  de 
famille  qui.  eût-il  le  nécessaire,  se  sent,  par  le  manque 
de  fortune ,  boi-s  d'état  de  procurer  à  son  fils  une 
éducation  convenable .  de  donner  à  sa  fille  le  mari 
qu'elle  aime,  d'entreprendre  le  voyage  qui  rétablirait 
la  santé  de  sa  femme  :  et  i] ne  dire  des  vrais  pauvres, 
de  cette  incertitude  toujours  renaissante  du  pain  de 


ET  REFLEXIONS  MORALES.  379 

chaque  jour,  de  cette  crainte  d'ane  infirmité  mineuse 
on  d'un  chômage  désastreux  ?  Mais  soyons  plus  mo- 
dérés dans  nos  souhaits ,  plus  réservés  dans  nos  dis- 
cours, plus  raisonnables  dans  nos  projets,  plus  sobres, 
plus  tempérants,  plus  laborieux,  plus  éloignés  des 
vices  qui  énervent  le  corps  et  Tâme ,  et ,  sans  pré- 
tendre tarir  la  source  de  la  douleur ,  nous  verrons 
disparaître  un  grand  nombre  des  maux  que  nous 
8onffit>ns.  Nous  courons ,  par  nos  imprudences,  pré- 
maturément à  notre  perte.  C'est  ce  qui  a  fait  dire  à 
un  célèbre  physiologiste  de  nos  jours  :  •  L'homme 
ne  meurt  pas  .  il  se  tue.  » 

Le  bonheur  n'existe  nulle  part  tout  entier;  il  est 
partout  avec  mesure  et  partout  passager,  hors  dans 
son  seul  auteur.  Un  jour,  en  voyant  à  TObservatoire 
des  astronomes  chercher  les  secrets  du  monde  pla- 
nétaire ,  un  rustre  s'écria  :  c  Ils  ont  beau  regarder , 
ces  astres  ne  sont  pas  moins  pour  nous  que  pour 
eux.  »  On  en  peut  dire  autant  du  bonheur  ;  les  pau- 
vres qui  savent  être  pauvres,  qui  ont  le  courage  de 
l'être,  se  trouvent,  lorsqu'ils  sont  sages,  aussi  près 
de  lui  que  les  riches.  Il  est  au  dedans  de  chacun  de 
nous,  le  malheur  est  au  dehors,  et  nous  Talions 
chercher. 

Le  bonheur  terrestre  ,  si  court ,  si  incertain ,  tra- 
versé par  tant  de  nuages  ,  n'a  pu  être  le  but  final  de 
la  Providence  en  nous  créant.  Il  n'y  a  en  cette  vie 
que  des  commencements  et  des  ébauches  de  bon- 
heur. Attendre  son  bien-êti*e  de  la  nature  physique 
on  de  la  nature  morale,  de  l'impression  vivifiante 
d'une  belle  journée .  des  douceurs  bourgeoises  du 
foyer  domestique ,  ou  du  jeu  régulier  et  calme  de 


:x«-->i:^     r  >K-c-  ?c«Bt  se  faire   le  jonet  d^me 

.    V  -    •  r.-:--^  *  1  àa:  à  l'homme  an  idéil  qn 

1    T^^s^r-  t»r-rî?aw  :  il  &iit  qu'il  tienne  i 

•  >«r  :-r  î  *s  -05  ini^  qQÎ  est  pins  qne  loi, 
s.     -.'■'.•%  .-^in:  i  citaocellet  qoi  reste  qnand 

.  -:    ^v  wi^*  £ias  5n  prison,  elle  ne  requre 
-,— igij;  si»a  vol  Ters  une  sphère  pins 
^    .kv...T  rit  .'^Knf  natore  sensible;  elle  tend 
>.i        ^    -.«^1.   e  ^ar&it  qoi  ne  se  troannit 
-.^    .vt<.>  vr^s^iek  L'âme  n'est  pas  frite 
:  :    ne»  ndni  1  appelle;  Dieu  loi 
'  >.  V  .  «^  .<.c*ur  ^^  3lii$  grand  que  toat  ce 
..  '^   .    vA^nît' .  Pieu  seol  est  plas  grand 
.  :  .  -'r-'  mmcrtel  a  besoin  d'nn  ali- 
:  -    k  jE'^ii*nu*i  qne  Dieu. 
>^  ^  ,..-..:    :^>%v  si'-7»ar  de  la  terre  vient  se 
.:^    .\>    '.aiKsoces  et  les  corrompre. 
.y,-.'-    .vut>  ie  /ùxcertitude,  une  voix 

*  .it  t  7^  .:'.:pi.:àe  *.  une  sorte  d'impnis- 
"«'  ^'  «  x^  .■  -u  ..XX 'î:«-iti  tf  'x^obeor.  une  sorte  de 
««   N  «    *  t  >tiiiMK  j;L«cceiidre  an  cœur  de 

1^  îvw*'  .'uc.ic:'ieL  nous  ne  sommes 

N' .   ..  V  s,  X    V  Xi.  vv  i*vi*  c  7âifc?  !iaat  df^ré  de  fëli- 

^  ■  ^^     V»  ■♦    *^  =-  'v.N  \jvcr.  dccablë  du  poids 

^••^*^^«.o  r..x  .:*..n'>    i:s^u:     ■  A$i$ez.  Seigneor, 

\*«»  .V*  .»'.'x:ufx'  'it  ,rc>..>.  -•»  v^.:udniit  un  fleoTe 
?s»:«  ►'M  XX»  a  V.*.'  .•■.;.  •«.•ù>.  ,.:evoof  :  cependant  one 
hi.*^}\^^  M',î.vo  X,  iti  xi'iï  vî^v  *»<  plus  pure-  Av(rir 
vjiîo\;iivvs  :vvNv';::vox,  o:  ;oo-?  :M:$tNeroent  du  peu 
^im  itotî>  Ap^Kir-toî^:.  ;»o  s*-  orver  des  besoins  que 
dAMH  l^s  inuiu-»  vJu  jvs*:Ne .  prendre  chaque  jour 


*  *  \ 


ET  KKFLEXIONS  MORALES.  381 

comme  ao  présent  du  ciel ,  voilà  à  peu  près  tous  les 
biens  que  notre  état  comporte.  La  coupe  dn  bonheur 
est  pleine  dans  les  mains  de  celui  qui  les  possède  ; 
tout  ce  qu'il  voudrait  y  ajouter  n'y  entre  plus. 
Llionune  ne  trouve  pas  de  douceurs  dans  la  posses- 
sion des  objets,  quand  la  mesure  de  ses  sens  est 
comblée.  Aussi  est-il  toujours  puni  de  son  insatiable 
avidité  :  la  joie  excessive  pleure  comme  le  chagrin  ; 
poussée  trop  loin ,  elle  rencontre  la  douleur,  et  les 
sentiments  trop  exaltes  deviennent  mortels. 

Source  sacrée  de  tout  bien,  TÉvangile  en  exhor- 
tant à  la  paix,  à  la  tempérance  ,  apprend  le  secret 
d'être  heureux.  Il  nous  éclaire  par  sa  parole  dans 
cette  nuit  obscure  de  la  vie  ;  il  allège  nos  maux  par 
ses  promesses  d'une  existence  meilleure.  A  entendre 
les  gens  du  monde,  on  dirait  qu'ils  n'ont  point  de 
tourments  et  de  peines,  ils  envisagent  d'un  œil  de 
pitié  ha  conduite  des  hommes  de  bien.  Quoi  I  disent- 
ils,  toujours  se  contraindre,  toujours  se  raidir  contre 
les  inclinations  les  plus  tendres  I  La  vie  ne  nous 
a-t-elle  été  donnée  que  pour  le  malheur?  Mais  ils 
ne  voient  que  les  souffrances  des  justes,  et  non 
les  dédommagements  qui  les  rendent  légères.  Les 
mêmes  afilictions  qui  désolent  et  consument  les 
méchants,  aguerrissent  les  bons  contre  le  mal,  et 
font  briller  leur  mérite  d'un  plus  vif  éclat.  Il  y  a 
on  feu  qui  épure  et  un  feu  qui  dévore, 

Les  épines  de  la  vertu  ont  une  utilité  présente, 
puisqu'elles  nous  rendent  meilleurs  ;  tandis  que  les 
voies  du  monde  et  des  passions  ne  font  de  notre  vie 
qu'un  Ûux  et  un  reflux  de  haines,  de  désirs,  de 
jalousies.  Rieu  ne  console  ceux  qui  marebent  avec  la 


38i  FfiNSEKS 

foaie  dans  la  route  large  do  rindiffërence  et  du  viee. 
Au  milieu  des  épreuves  de  la  vertu^  on  a  la  paix  du 
cœur,  avec  la  certitude  que  nos  peines  ne  sont  pas 
perdues.  11  en  coûte  d'abord  à  un  cœur  honnête  de 
régler  sa  vie,  de  surmonter  ses  inclinations  le»  ph» 
chères  et  les  plus  entraînantes  ;  mais  quand  il  s'est 
rendu  maître  de  ses  penchants,  il  trouve  dans  le 
sein  d'une  conscience  pure  une  source  inépuisable 
de  jouissances ,  que  nulle  puissance  humaine  ne 
peut  lui  ravir. 

Il  arrive  précisément  le  contraire  an  méchant,  le 
mal  se  présente  à  ses  yeux  sous  les  couleurs  les 
plus  séduisantes  ;  mais  à  peine  est-il  consommé,  que 
le  charme  trompeur  disparaît^  et  ne  laisse  après  lui 
que  d'affreux  tourments.  On  devient  l'esclave  du 
mal  pour  n'avoir  pas  voulu  être  le  serviteur  du  bien. 

L'Évangile  n'est  pas  la  mort  du  cœur  ;  il  en  est 
la  règle  ;  il  a  la  douceur  des  choses  étemelleâ.  C'est 
lui  qui  commande  d'espérer  à  ce  pauvre  infirme 
étendu  sur  le  grabat  oi\  la  misère  l'a  jeté  ;  à  ce 
sage  trahi  par  le  hasard  ou  vaincu  par  la  force;  à 
cette  jeune  fille  condamnée  à  un  travail  ingrat ,  à 
des  privations  de  tous  genres,  dans  le  coin  oublié 
d'une  froide  mans<irde,  et  dont  le  cœur  bat  à  la  vue 
des  fêtes  et  des  réjouissances  ;  il  lui  dit  :  «  Tu  vou- 
drais aussi  orner  ta  tète  de  fleurs  et  te  mêler  aux 
joies  de  la  terre  :  ah  I  ai  tu  savais  combien  de  don- 
leurs  sont  cachées  sous  ces  brillantes  parures  ; 
combien  de  sanglots  sont  étouÛ'és  sous  l'orchestre 
joyeux ,  lu  préférerais  ton  état  humble  et  obscur  I  • 
Plus  le  rang  est  élevé,  moins  il  est  facile  d'être  triste 
à  son  aise.  Dans  les  classes  de  la  société  qui  parais- 
sent si  heureuses^ 


ET  RÉFLEXIONS  MORALES.  383 

Quand  la  bouehe  sourit,  bleu  souvent  TAme  pleura 

Vers  charmant  de  la  plus  gracieuse  et  la  plus 
okaste  muse  contemporaine  (1). 

Ce  aérait  ane  illusion  que  de  croire  échapper  à  la 
souffrance,  même  par  la  foi  et  par  Tamonr  de  Dieu. 
Sous  leur  empire,  il  est  vrai ,  la  douleur  se  trans- 
fonne  ;  mais  elle  ne  s'anéantit  pas  ;  la  religion 
sanctifie  les  larmes  sans  les  tarir.  Elle  ne  veut  rien 
d'impossible ,  et  elle  n'a  jamais  nié  les  droits  de  la 
sensibilité  humaine.  Elle  combat  bien  moins  l'excès 
de  l'afiliction  que  cet  orgueil  plein  d'amertume  ^ 
tooyours  pi^t  à  protester  contre  les  moindres  contra- 
riétés, et  dont  les  plaintes  hautaines  rappellent 
qoelquefois  les  paroles  de  Louis  XIV  ^  dans  ses  der- 
nières années  :  •  Dieu  est  bien  dur  pour  moi ,  après 
tout  ce  que  j'ai  fait  pour  lui  I  »  Gomme  si  l'homme 
pouvait  demander  à  Dieu  un  compte  de  doit  et  avoir, 
et  traiter  avec  lui  d'égal  à  égal,  de  puissance  à  puis- 
sance !  Il  est  des  âmes  à  qui  la  soutfrance  cause  un 
étoanement  singulier.  A  son  approche ,  elles  éprou- 
vent quelque  chose  de  l'indignation  d'un  fils  de  roi 
sur  la  pourpre  duquel  se  porterait  la  main  d'un 
esclave.  Elles  ne  voient  qu'un  jeu  cruel,  où  d'autres 
plus  humbles  reconnaissent  l'indispensable  épreuve 
du  cœur. 

Quand  on  a  une  foi  vive ,  éclairée,  on  ne  s'étonne 
plus  des  maux  que  le  ciel  nous  envoie.  On  les 
accepte  sans  murmurer,  et  on  est  prêt  à  tout  braver 

J^    U"*  Allais  Séguius. 


384  PENSÉES 

pour  rester  fidèle  à  ses  croyances.  Combien  de  mar- 
tyrs ont  sapporté  avec  un  admirable  courage  les  ploa 
horribles  tortures  I  Ils  se  détachaient  de  la  vie  ma- 
térielle ,  et  ils  s'abîmaient  tout  entiers  dans  la  con- 
templation anticipée  d'un  Dieu  rémunérateur.  Un 
seul  cri  sortait  de  leur  bouche  et  remplissait  leurs 
bourreaux  d'une  secrète  terreur  :  c  Gloire  à  Dien  I  • 

Nos  pieux  missionnaires  ne  vont-ils  pas  tous  tes 
jours  dans  des  contrées  lointaines  et  sauvages ,  à 
travers  mille  morts ,  répandre  partout  la  lumière 
évangélique  ?  S'ils  n'agissaient  pas  sous  une  inspi- 
ration divine,  s'ils  ne  se  sentaient  pas  soutenus  par 
une  force  surnaturelle ,  pourraient-ils  s'arracher  aux 
douceurs  de  la  famille  et  de  la  patrie,  pour  affronter 
tant  de  périls  et  s'exposer  à  tant  de  cruelles  priva- 
tions 7  II  est  aussi  un  grand  nombre  de  chrétiens 
qui ,  sans  avoir  besoin  du  glaive  des  bourreaux , 
gagnent  la  palme  des  martyrs  dans  l'obscurité  de 
la  vie  quotidienne,  où  la  nature  s'immole  et  brûle  en 
silence  sur  l'autel  du  devoir  et  de  la  religion.  Quels 
prodiges  de  fermeté  et  d'abnégation  ne  produit 
pas  dans  le  monde  l'exemple  du  Christ ,  qui  voulut 
endurer  toutes  les  douleurs  pour  les  consoler 
toutes  I 

Lors  des  guerres  de  la  Vendée,  on  portait  à  l'am- 
bulance deux  officiers  blessés  ;  le  jeune  se  désespérait 
et  exhalait  sa  douleur  ;  le  vétéran,  résigné  cherchait 
à  calmer  son  camarade.  «  Il  fait  beau  prêcher,  dit 
ce  dernier,  avec  des  égratignures. — Voyez,  répliqua 
l'autre ,  en  soulevant  le  manteau  qui  recouvrait  son 
corps,  dont  le  canon  avait  emporté  les  deux  cuisses  1 
—Eh  1  pouvez-vous  élre  ainsi  impassible? — Je  pense 


KT   REFLEXIONS  MORALES.  385 

à  mon  roi ,  mort  »ur  rëchafaud ,  et  à  mon  Dieu 
mort  sur  la  croix. 

Anne  d'Autriche,  en  visitant  un  jour  THôtel-Dieu , 
eut  des  paroles  douces  et  compatissantes  pour  toutes 
les  infirmités.  On  lui  fermait  la  porte  d'une  salle; 
elle  insistait.  «  Madame,  c'est  la  salle  des  cancers.  » — 
•  Ahl  mon  Dieu,  s'écria-t-elle,  en  se  couvrant  le  visage 
de  ses  deux  malns^  tout  ce  qui  sera  dans  votre  volonté 
adorable  ;  mais ,  dans  votre  miséricorde ,  préservez- 
moi  de  cette  maladie.  »  Anne  mourut  d'un  cancer. 
Pendant  les  douleurs  inouïes  de  cette  grande  épreuve, 
la  régente  de  France  conserva  sa  force  d'âme  et  con- 
tinua ses  devoirs  de  reine.  Son  visage  était  toujours 
serein,  sa  parole  bienveillante.  Elle  se  faisait  un  trésor 
caché  de  sa  douleur  qu'elle  réservait  pour  les  yeux 
de  Dieu ,  fidèle  au  conseil  que  la  voix  de  Bossuet  lui 
adressait  du  haut  de  la  chaire  dans  l'église  des  Car- 
mélites. 

Et  de  nos  jours,  n'a-t-on  pas  vu  une  impératrice , 
deux  fois  reine  par  la  grâce  et  parla  beauté,  bravant 
et  poursuivant  l'épidémie  jusque  dans  ses  foyers  les 
plus  mortels ,  faisant  partout  renaître  le  courage  et 
l'espérance ,  et  partout  opposant  au  fiéau  le  charme 
de  sa  puissance  et  de  sa  charité  7 

Les  Grecs  et  les  Romains  montraient  aussi  de 
l'énergie  au  sein  de  leur  douleur  et  de  l'adversité  ; 
mais  leur  courage  ne  respire  que  l'orgueil ,  la  haute 
estime  d'eux-mêmes ,  la  déification  du  moi.  Us  sem- 
blent braver  le  ciel  et  le  châtiment  ;  ils  ne  recherchent 
que  l'amour  d'une  vaine  gloire,  l'admiration,  l'éloge. 
Us  ne  font  jamais  remonter  la  louange  et  l'action  de 
grâces  vers  rauteur  de  (ont  bien  et  de  tout  don  par- 

25 


386  PKNSÉES 

fait  Faites  descendre  du  théâtre,  où  parade  leur 
vertu,  ces  prétendus  héros  de  la  douleur;  que  voyet- 
vous?  le  désespoir,  le  suicide.  «  Souviens-toi,  dil 
Cicéron ,  que  les  grandes  douleurs  se  terminent  par 
la  mort,  que  les  petites  ont  plusieurs  intervalles  de 
repos ,  et  que  nous  sommes  maîtres  des  médiocres  ; 
tant  qu'elles  seront  supportables,  nous  souffrirons 
patiemment  ;  si  elles  ne  le  sont  pas ,  si  la  vie  nous 
déplaît ,  nous  en  sortirons  comme  d'un  théâtre.  » 

Aux  yeux  des  païens,  il  n'y  a  pas  de  remède 
contre  les  maux  de  Texistence  ;  ils  ne  servent  à  rien 
et  les  arrêts  du  Destin  sont  inilexibles.  Horace  loue 
pompeusement  Régulus,  le  grand  martyr  de  This- 
toire  romaine  ;  mais  n'a-t-il  pas  haussé  son  person- 
nage pour  faire  honneur  à  sa  patrie ,  et  rendre  Car- 
thage,  sa  rivale,  plus  odieuse  par  l'atrocité  du  supplice? 
Dans  l'épître  célèbre  où  Sulpicius  engage  Cicéron  à 
supporter  avec  fermeté  la  mort  de  sa  fille  Tullie ,  i] 
n'y  a  nul  baume  capable  de  guérir  une  blessure , 
parce  qu'il  n'y  a  pas  d'espérance.  Ce  qui  la  remplit 
tout  entière^  c'est  le  sentiment  de  l'orgueil:  il  ne 
convient  pas  que  Cicéron  perde  sa  dignité  en  se  li- 
vrant à  une  trop  vive  affliction.  Horace ,  dans  l'ode  à 
Virgile  sur  la  mort  de  Quintilius ,  et  Virgile  dans  le 
cinquième  livre  de  V Enéide,  ne  proposent  qu'un  re- 
mède aux  peines  de  la  vie ,  la  patience  ;  mais  leur 
philosophie  les  abandonne  entièrement  lorsqu'ils  sont 
aux  prises  avec  la  douleur  ;  c'est  que  la  patience  est 
un  don  de  Dieu ,  elle  n'est  pas  le  fruit  de  la  sagesse 
humaine;  la  prière  l'obtient,  et  alors  son  efficacité 
est  grande.  La  mort  patiente  et  chrétienne  du  der 
merdes  mendiants  sur  la  paille,  est  mille  fois  plus 


ET    RÉFLEXIONS    MORALES.  387 

belle  et  surtout  plus  méritoire,  que  la  mort  fastueuse 
de  Gaton  se  perçant  le  cœur  avec  son  épée. 

A  part  le  mot  chariias  une  fois  prononcé  par  Ci* 
céron,  quelques  passages  de  Virgile,  un  vers  de 
Térence  ;  à  part  deux  ou  trois  lettres  de  Sénèque^  où 
l'on  reconnaît  Tinilnence ,  si  ce  n'est  Técho  du  chris- 
tianisme naissant ,  on  ne  trouve  guère  chez  les  an- 
ciens de  sentiments  de  compassion  pour  leurs  sem- 
blables. Tout  dans  l'antiquité  tendait  à  écraser  les 
petits  et  les  faibles.  Elle  avait ^  pour  se  défaire  d'eux, 
l'infanticide  et  l'esclavage.  L'humanité  était,  à  ses 
yeux ,  une  matière  inerte  sur  laquelle  on  a  le  droit 
de  tout  oser.  Les  païens  bâtissaient  des  théâtres  et 
des  cirques  magnifiques;  mais  ils  n'avaient  pas  un 
seul  asile  pour  la  souffrance.  H  n'y  a  que  le  Dieu  des 
chrétiens ,  le  père  commun  des  hommes ,  qui  leur  ait 
prescrit  de  s'aimer  les  uns  les  autres.  La  religion 
d'un  Dieu  crucifié  a  peuplé  Tunivers  de  palais  pour 
les  infirmes  et  les  déshérites  de  ce  monde.  Seule  , 
elle  peut  répondre  à  toutes  les  douleurs  de  l'âme  dans 
les  terribles  séparations  de  la  famille  et  de  l'amitié , 
et  soutenir  la  nature  dans  les  épreuves  déchirantes 
de  la  vie.  Elle  seule  donne  la  vertu  de  la  patience  et 
de  l'abnégation.  Honneur  à  ces  saintes  filles  ,  anges 
visibles  des  pauvres,  qui,  dans  les  refuges  ouverts  à 
la  misère^  savent  si  bien  de  leurs  douces  mains  es- 
suyer les  pleurs ,  panser  les  blessures  du  corps  et  de 
l'âme,  qui  bravent  tous  les  dangers ,  surmontent  tous 
les  dégoûts,  immolent  leurs  plus  belles  années  et  leur 
existence  entière  pour  servir  les  malheureux  ! 

On  ne  saurait  trop  le  répéter ,  aucune  autre  i-eli- 
gion  n'a  eu  souci  des  maux  corporels  de  l'homnio  à 


388  PENSÉES 

l'égal  du  Christianisme ,  qui  est  cependant  fondé  sur 
la  douleur,  puisqu'il  se  résume  dans  une  croix.  Il  a 
élevé  des  hôpitaux  comme  des  temples  à  la  chair 
souffrante,  là  où  la  sensuelle  antiquité  avait  dressé 
des  amphithéâtres  pour  la  voir  souffrir.  Acquérir  une 
haute  renommée,  vivre  dans  la  postérité,  voilà  le 
ciel  de  ses  grands  hommes  ;  ils  ne  croyaient  presque 
tous  qu'au  dogme  de  l'immortalité  terrestre  ;  ceox 
qui  avaient  foi  dans  une  autre  vie  n'y  admettaient 
que  des  héros,  des  philosophes,  mais  pas  un  seal 
malheureux,  pas  un  seul  esclave. 

11  faut  à  l'âme  accablée  ce  qui  manquait  aux 
païens,  une  ferme  espérance  en  une  existence  meil- 
leure, la  certitude  que  les  angoisses  de  la  terre  sont 
des  épreuves  passagères  qui  trouveront  ailleurs  leur 
récompense.  Pour  eux,  la  religion  était  une  science 
de  formes  ,  non  un  besoin  du  cœur  ;  c'était  une 
pratique  extérieure,  un  ensemble  de  rites,  une  œuvre 
politique,  non  un  corps  de  traditions  et  de  dogmes, 
non  un  sentiment  intérieur  qui  domine  l'honmie 
tout  entier.  Ils  ne  prenaient  leur  point  d'appui  que 
sur  des  intérêts  humains  dont  le  plus  subtil  et  le 
plus  dangereux  est  l'idolâtrie  de  soi. 

Il  est  vrai  que  les  païens  n'avaient  pas  encore  va 
l'arbre  du  Calvaire  et  goûté  de  son  fruit.  Entre  le 
monde  ancien  et  le  monde  moderne  ,  il  y  a  l'Évan- 
gile. L'ère  de  la  civilisation  ne  date  ni  de  Périclès , 
ni  d'Auguste.  L'Acropole,  pour  le  bien-être  de  l'hu- 
manité, ne  vaut  pas  Sinâï ,  et  le  Capitole  s'est  incliné 
devant  le  Calvaire.  L'Évangile  a  fait  voir  toutes 
choses  sous  un  aspect  nouveau  ;  il  montre  l'âme  à 
travers  les  sens  et  l'éternité  derrière   la  vie.   Les 


ET   RÉFLEXIONS   MORALES.  389 

autres  religions  nous  appellent  au  bonheur  et  nous 
disent  :  ce  jouis.  »  L'Évangile  nous  appelle  à  la  rési- 
gnation, et  nous  dit  :  «  espère.  »  Toutes  ses  récom- 
penses  sont  dans  le  ciel  ;  c'est  en  y  attirant  les  re- 
gards^ c'est  par  la  foi  et  par  l'espérance,  qu'il  a  dé- 
matérialisé le  monde. 

n  ne  dit  pas  :  «  Heureux  ceux  dont  la  vie  n'est 
qu'un  passe-temps  continuel  de  jeux,  de  festins  ,  de 
plaisirs.  ^  Mais  il  dit  :  n  Heureux  ceux  qui  souffrent, 
qui  pleurent  leurs  fautes ,  parce  qu'ils  seront  con- 
solés ;  1  larmes  bénies  du  repentir,  saintes  larmes , 
véritable  sang  de  nos  âmes,  douleur  féconde  et  gé- 
néreuse qui,  se  retournant  contre  le  mal  lui-même, 
l'attaque  pour  le  détruire  ,  à  la  différence  de  la  plu- 
part des  autres  douleurs  tout-à-fait  stériles  et  sans 
profit  pour  nous ,  uniquement  propres  à  affaiblir  nos 
forces  et  notre  courage. 

Sans  doute ,  s'écrier  avec  sainte  Thérèse  :  c  souf- 
frir ou  mourir,  »  et  avec  Madeleine  de  Pazzi  :  or  non 
pas  mourir,  mais  toujours  souffrir,  »  et  avec  M"**  de 
Montcalm  :  c  je  crains  l'espoir  ,  il  empêche  la  rési- 
gnation, •  et  avec  saint  Jean  de  Dieu  :  «  Seigneur , 
vos  épines  sont  mes  roses,  d  c'est  montrer  une  vertu 
surnaturelle  à  laquelle  il  n'est  guère  donné  d'attein- 
dre ;  c'est  l'apogée  de  l'héroïsme  chrétien  ;  la  douleur 
volontaire,  aimée,  épousée  ,  nourrie  avec  une  vive 
ardeur,  ne  peut  se  rencontrer  que  dans  les  âmes 
prédestinées  ,  trempées  plus  avant  que  d'autres  dans 
le  sang  du  Sauveur.  Dieu  seul  règne  en  elles; 
chaque  cri ,  chaque  soupir  de  révolte  de  la  chair 
contre  la  loi  de  l'esprit ,  est  flagellé  à  la  gloire  du 
Christ. 


390  PENSÉES 

Heureusement  ,  il  y  a  plus  d'une  région  habitée 
dans  le  royaume  céleste ,  et  plus  d'une  station  dans 
le  chemin  du  Calvaire.  La  vertu  a  ses  degrés  ;  Diea 
ne  condamne  pas  les  consolations  terrestres^  ni  les 
jouissances ,  mais  les  abus  de  ces  jouissances  au 
préjudice  des  choses  de  l'ûme.  Chacun  cherche 
instinctivement  son  bien-être.  Quiconque  sent  une 
épine  dans  la  main,  veut  s'en  délivrer.  Dieu  convie 
lui-même  le  malade  à  appeler  le  médecin»  et  on  ra- 
conte peu  de  miracles  du  Christ,  qui  n'aient  eu  pour 
but  le  soulagement  de  l'humanité.  Il  suffît  d'en- 
durer avec  résignation  les  maux  qu'on  ne  peut 
éviter ,  sans  en  augmenter  la  charge  déjà  si  lourde 
parfois.  Nous  avons  besoin  de  toutes  nos  forces  pour 
accomplir  notre  mission  de  travail  sur  la  terre. 

Mais  fustiger  son  orgueil ,  meurtrir  son  amour- 
propre  ,  se  roidir  contre  l'injure  et  la  calomnie,  sup- 
porter le  froid ,  la  faim  pour  réchauffer  et  nourrir 
les  malheureux,  quitter  ses  boudoirs  riches  et  par^ 
fumés  pour  aller  dans  la  mansarde  où  tout  respire 
un  air  fétide  et  la  misère,  pleurer  avec  ceux  qui 
pleurent,  se  priver  de  sommeil  pour  veiller  au  che- 
vet d'un  malade ,  user  sa  santé  dans  la  pratique  des 
bonnes  œuvres ,  voilà  de  la  charité  par  le  sacrifice; 
voilà  le  cilice  dont  les  blessures  seront  comptées. 

A  la  vue  de  ces  actes  de  dévouement  inspirés  par 
la  religion ,  le  pauvre  est  forcé  de  reconnaître  que 
les  joies  du  monde ,  que  les  voluptés  souvent  éner- 
vantes de  la  fortune  «  n'ont  point  desséché  les  âmes 
de  tous  les  heureux  de  la  terre.  Son  cœur  se  remplit 
de  reconnaissance  ;  alors  il  comprend  pourquoi  le 
riche  est  riche  ;  et  il  lui   pardonne  sa  prospérité, 


ET  RéPL£XIONS  MORALES.  391 

paica  qu'il  l'en  juge  digne.  La  charité,  mot  sublime, 
qui  résume  tontes  les  vertus ,  si  douce  au  malheu- 
reux t  plus  douce  encore  au  bienfaiteur ,  la  charité 
est  la  clef  des  cieux ,  est  Tancre  éternelle  du  salut.  Il 
n'y  a  pas  de  mérite  à  être  secouru  dans  ses  besoins  , 
et  il  y  en  a  un  très-grand  à  alléger  le  poids  des  maux 
d'autmi;  il  faut  toujours  avoir  une  main  ouverte 
pour  donner,  aân  de  beaucoup  recevoir  de  l'autre. 

Napoléon  I*' ,  voulant  s'attacher  Bartbez ,  lui  de* 
manda  un  jour  de  quel  parti  il  était.  — t  Du  parti  des 
malades»,  répondit  le  célèbre  médecin.  Dans  les  ques- 
tions humanitaires,  penchons,  comme  Bartbez,  du 
côté  de  ceux  qui  souffrent.  On  se  croit  trop  souvent 
dispensé  de  venir  en  aide  aux  malheureux,  dès 
qu'on  peut  les  accuser  de  leurs  revers.  Nous  avons 
bientôt  trouvé  un  motif  aux  maux  d'auirui  ;  le  bon- 
heur nous  semble  moins  facile  à  expliquer. 

Mais  il  est  clair  que ,  pour  resserrer  les  liens  trop 
relâchés  de  la  grande  famille  humaine,  il  ne  faut  pas 
sans  cesse  exciter  les  convoitises  du  pauvre ,  semer 
dans  son  cœur  des  germes  d'envie  et  de  haine  contre 
le  riche,  inoculer  en  lui  le  mépris  de  tout  principe 
religieux,  à  moins  qu'on  ne  veuille  le  pousser  à  la 
révolte  et  au  désespoir.  Qui  désespère  n'aime  pas. 
Si  on  attache  le  pauvre  comme  une  victime  à  celte  vie 
de  pleurs ,  si  on  lui  ôte  le  ciel ,  on  le  cloue  à  la  terre^ 
et ,  dans  cet  isolement  de  tout  ce  qui  console  ,  com- 
ment attendre  qu'il  supporte  en  paix  la  douleur?  Il 
n'a  pas  la  raison  de  la  souffrance.  Pourquoi  disputer 
à  ce  peuple  pauvre  et  gémissant  un  Dieu  pauvre  et 
souffrant  comme  lui  ?  Ah  !  que  les  heureux  se  per- 
mettent de  ne  rien  croire,  on  peut  se  rendre  compte 


392  PKifs^.Ks 

de  ce  délire.  Mais  où  sont-ils,  les  heureux  ?  Qaello 
horrible  collection  de  misères  que  ce  monde  I  Dans 
les  conditions  brillantes,  que  de  joies  Gausses,  (pie 
de  désirs  rongeurs  ,  que  de  plaies  sanglantes  et 
cruelles  I  Si  vous  exilez  de  T^inivers  Dîea  et  la  vie  fa- 
ture ,  quel  adoucissement  peut  rester  à  des  peines 
toujours  renaissantes ,  surtout  parmi  cette  foule  d'in- 
digents pour  qui  la  Providence  semble  n'avoir  ba- 
lancé le  malheur  de  naître  que  par  Tespérance  de 
mourir?  Est-ce  donc  un  si  grand  bien  que  d'ajouter 
à  tant  de  souffrances  la  certitude  de  n'avoir  rien  à 
espérer  ? 

Si  le  peuple  était  laissé  à  ses  instincts,  il  serait 
chrétien  comme  dans  les  plus  beaux  jours  de  la  foi  ; 
car  le  christianisme  est  la  religion  du  peuple  ;  il 
répond  à  toutes  les  fibres  de  son  âme.  L'Évangile , 
charte  morale  des  nations ,  charte  sublime  donnée 
par  le  ciel  à  la  terre ,  consacre  à  chaque  pas  les  pré- 
rogatives du  pauvre  et  les  privilèges  du  malheur. 

Les  causes  de  nos  douleurs  sont  nombreuses  ;  un 
pouvoir  ombrageux  peut  nous  poursuivre ,  le  men- 
songe nous  calomnier.  Les  liens  d'une  société  toute 
factice  nous  blessent  ;  la  destinée  nous  frappe  dans 
ce  que  nous  chérissons  ;  la  vieillesse  s'avance  vers 
nous,  époque  sombre  et  solennelle  où  les  objets 
s'obscurcissent  et  semblent  se  retirer ,  et  où  je  ne 
sais  quoi  de  froid  et  de  terne  se  répand  sur  tout  ce 
qui  nous  entoure.  Nous  cherchons  partout  des  con- 
solations ,  et  toutes  nos  consolations  sont  religieuses. 
Lorsque  le  monde  nous  abandonne ,  nous  formons 
unn  alliance  au-delà  du  monde.  Lorsque  les  hommes 
nous  persécutent,  nous  nous  créons  un  appel  par- 


ET   RéFLEXIOIfS  MORALES.  393 

delà  les  hommes.  Lorsque  nous  voyons  s'évanouir 
nos  illusions  les  pins  chéries  ,  la  justice  ,  la  liberté , 
la  patrie»  nous  nous  flattons  qu'il  existe  quelque 
part  un  être  qui  nous  saura  gré  d'avoir  été  fidèles, 
malgré  notre  siècle ,  à  la  justice ,  à  la  liberté ,  à  la 
patrie.  Quand  nous  regrettons  un  objet  aimé ,  nous 
jetons  un  pont  sur  l'abime ,  et  le  ti'aversons  par  la 
pensée.  Enfin ,  lorsque  la  vie  nous  échappe ,  nous 
nous  élançons  vers  une  autre  vie.  Notre  âme  ne  s'en- 
ferme pas  dans  cet  univers ,  dans  le  monde  visible  , 
dans  les  &its  qui  se  succèdent  autour  de  nous  ;  elle 
va  ailleurs. 

Par^elà  tous  les  deux  ,  le  Dieu  des  deui  réside. 

Ainsi ,  lu  religion  est  la  compagne  fidèle  ,  l'ingé- 
nieuse et  infatigable  amie  de  l'infortuné  ;  ainsi ,  le  . 
sentiment  religieux  est  le  plus  noble  des  privilèges , 
et  le  plus  inaliénable  des  titres  de  notre  grandeur  ; 
sans  doute  ,  les  chrc^tiens  pleurent  encore  ceux  qu'ils 
ont  perdus;  le  catholicisme  consacre  le  deuil  humain 
et  fait  une  obligation  du  souvenir  ;  mais  ce  n'est  pas 
un  désespoir  qui  abat  ;  c'est  un  retour  sur  le  passé 
qui  attendrit  et  purifie.  La  raison  peut  guérir  les 
illusions  ,  elle  ne  saurait  guérir  les  peines  de  la  vie. 
Seule  ^  elle  n'a  jamais  séché  une  larme. 

Devant  la  souffrance  ,  il  n'y  a  que  la  révolte  du 
Satan  biblique ,  ou  la  philosophie  de  la  résignation  , 
de  la  foi,  de  la  nécessité.  Toute  autre  philosophie  est 
menteuse,  et  ne  sert  qu'à  verser  nn  poison  de  plus 
sur  les  plaies  'déjà  si  nombreuses  et  si  cruelles  de 
l'humanité.    Le  monde  est  l'œuvre  d'une  puissance 


^.» 


\.:- 


\l  >Çs. 


-  comprenions, 

-ionce.  La  vérité 

!»i:t  saisir,   e: 

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•  ••  •  •  •  .      .    •■  • .       .••in 


MORALBS.  M5 

OS  promesses  du  Dieu  des 

plus  !  Jamais  rien  n'a  pa 

enseignements.  La  croix  est 

-  la  civilisation  ;  sur  la  croix 

do  triomphe  ,  TËvangile  a  par» 

:  L'sentant  à  tous  les  peuples  les 

.  .irhre  de  vie.  Le  Christ  ost  toujours 

10  et  finale  des  choses,  le  mot  de 

•nde.  Il  régnera  sur  l'esprit  humain  , 

•  ie  l'essence  des  rivières  de  couler^  et 

.Jer,  tant  que  Tœil  fuira  les  ténèbres  et 

la  lumière ,  tant  qu'il  y  aura  des  mal- 

rir  la  terre,  tant  que  le  cœur  aura  soif 

!ice  et  d'immortalité. 


400         SAisT  (ARAotiiHssnEirr  de  BAim). 

«  chœur,   du  côté   de   réyanieriie  .  une  autre 
•  tomJbale  sar  laquelle  on  ht  : 


CT  GIST  MESSIRE  GÈDiOBi  DAMOCm,  ECUTOL,  SUOl  DK 
VAUXISOIR,  SeiGilElJE  DE  TIE55E  ET  DU  XAROiE  QU 
LE  SEPT  DE  NOVEMBRE  1755  AGE  DE  74  AXS. 

•  L4»,s  fonts  ^  pédicules  caliciformes ,  portent  le 
i  millésime  1663. 

(f  L'église  de  Maisy  est  sous  TînTOcation  de  saint 
r  Germain.  Le  patronage  était  laïque;  le  chapitre 
•  de  la  cathédrale  percerait  les  2/3  des  dîmes ,  le 
u  curé  l'antre  tiers.  »» 

Comme  on  le  voit  par  cette  description  émanée 
d'un  archéologue  dont  la  compétence  est  reconnue 
par  tons  et  dont  les  ouvrages  sont  devenus  classiques, 
l'église  de  Maisy  possède^  au  point  de  vue  de  Tart  et 
de  Tarchéologie,  une  importance  exceptionnelle. 

Cette  importance ,  comme  nous  l'avons  déjà  dit , 
provenait  de  sa  situation  à  l'embouchure  de  la  Vire, 
dont  le  point  de  jonction  avec  la  mer  forme  une  baie 
spacieuse,  désignée  naturellement  comme  un  centre 
actif  à  la  navigation. 

Dans  les  premiers  siècles  du  moyen-âge,  Grandcamp 
et  Isigny  n'avaient  pas  encore  le  privilège  d'offirir  nn 
abri  à  cette  Ûotille  de  bâtiments  légers  qui  journel- 
lement ,  comme  des  volées  de  mouettes,  tracent  leur 
sillage  sur  les  eaux  de  la  Manche  ;  c'était  vers  Maisy, 
alors  appelé  Maisium  et  Maisiacum,  que  le  navigateur 
qui  voulait  aborder  par  ce  point  la  deuxième  Lyon- 
naiàe,  dirigeait  la  proue  de  son  esquif. 

Aussi ,    lorsque  quittant  le  ciel  brumeux    de   la 


MAIST    (ARRQlfDISSElUSIfT   DE   BATKUX).  401 

SeandiiiaYie  pour  aller  se  réchauffer  aux  rayons  d'un 
soleil  plus  clément,  les  Barbares  du  Nord  commen- 
cèrent à  s'abattre  sur  les  côtes  de  la  Neustrie ,  d'où 
les  repoussait  la  terreur  inspirée  par  le  nom  de  Char- 
lemagne ,  ce  fut  à  Maisy,  croit-on,  que  débarqua, 
en  846,  Biem,  surnommé  Gôte-de-Fer,  avec  sa 
troupe  de  barbares  norwégiens. 

Ce  fut  de  ces  grèves  que  les  pirates  du  Nord 
aperçurent,  comme  un  appÂt  irrésistible,  et  les  plan- 
tureux pâturages  se  déroulant  devant  leurs  yeux, 
et  les  tours  des  riches  moutiers  dont  les  trésors  ten- 
taient leur  pauvreté.  C'est  donc  à  Maisy  qu'aurait  eu 
lieu  le  premier  acte  de  ce  grand  drame  qui,  débutant 
par  la  destruction  du  prieuré  mérovingien  de  Deux- 
Jumeaux,  eut  pour  second  acte  le  sac  de  Bayeux ,  le 
meurtre  de  son  évéque,  et  enfin,  pour  épilogue,  le 
traité  de  Saint-Clair-sur-Epte.  Le  résultat  fut  d'ar- 
racher du  bandeau  royal  du  faible  et  impuissant 
successeur  de  Cbarlemagne,  un  de  ses  plus  riches  fleu- 
rons pour  en  faire  une  couronne  ducale  au  chef  des 
coureurs  danois ,  à  Rollon ,  Tbeureux  époux  de  Gi- 
selle,  adouci,  comme  Clovis,  par  l'eau  civilisatrice  du 
baptême. 

Une  localité  aussi  considérable  que  Maisy  ne  de- 
vait pas  rester  sans  importance  dans  la  vie  poli- 
tique de  la  province ,  et ,  comme  Ta  dit  un  vieux 
jurisconsulte  (1),  pas  de  terre  sans  seigneur,  la  sei- 
gneurie de  ce  bourg  offrait  trop  d'avantages  pour 
demeurer  sans  maître.  Aussi,  dans  la  première  moitié 
du  XI*  siècle,  Maisy  eut  un  maître  dont  la  puissance 

(1)  Lojseau. 

26 


402  MAIST    ^ARROHDISSEMERT  DE  BATSUX). 


et  le  renom  s'étendaient  dans  tont  le  Bessin  et  jofiQie 
dans  le  Cotentin  ;  c'était  Hamon-le-Denta ,  baroa  de 
CreuUy,  d'Evrecy,  de  Thorigny  et  de  Maisy. 

Ce  Hamon ,  premier  baron  de  GreuUy,  qae  les 
vieilles  chroniques  nomment  Hains-az-'Dentz^  est  ane 
de  ces  grandes  figures  dont  la  tradition  a  perpétué 
le  long  et  dramatique  souvenir. 

Issu  du  conquérant  (i)  de  la  Normandie,  et  appar- 
tenant ainsi  à  la  race  ducale ,  possesseur  de  vastes 
domaines ,  son  gon£anon  portait  (fazur  au  lion  Sur 
rampant^  et  offrait  ainsi  avec  les  armoiries  ducales  une 
certaine  ressemblance  attestant  une  commune  ori- 
gine. C'est  de  ce  rude  guerrier  que  sont  descendues 
les  plus  nobles  et  les  plus  illustres  familles  nor- 
mandes (2). 

Maître  Wace,  dans  son  Roman  de  Rou^  cette  Iliade 
de  la  conquête  d'Angleterre ,  lui  a  consacré  plusieurs 
vers  qui  projettent,  sur  l'existence  de  Maisy,  quel- 
ques rayons  de  la  couronne  de  gloire  qui  entoure 
cette  rude  figure  historique. 

•  Hains-^ii-Denti  eloit  un  normant 
«  De  fié  et  iP  homes  bien  poissant , 

•  Sire  etoit  de  Torigny 

«  Et  de  Miûe  et  de  Croilly.  » 

Avec  cette  richesse  et  cette  puissance  .  secondant 
un  caractère  entreprenant  et  audacieux,  dit  M.  Pezet, 
on  ne  peut  douter  que  Hamon-az-Dentz,  que  les  histo- 
riens appellent  Hamon-le-Hardi  et  le  Dentu ,  ne  fût 

(1)  Il  descendait  d'un  bâtard  de  Rollon. 
(3)  Peset«  Histoire  des  barong  de  CreuUy» 


MAiST  (arrohdissement  dk  bayiux).  403 

ron  des  premiers  à  élever  dans  ses  domaines  des 
forteresses  oa  des  châteaux,  pour  y  assurer  sa  domU 
aatioiL 

Si  l'on  attribue  à  Hamon-le-Dentu  la  fondation  de 
la  forteresse  de  Creully ,  on  peut ,  avec  autant  de 
raison,  penser  que,  s'il  eut  la  précaution  de  créer  un 
élément  de  force  dans  celle  de  ses  baronnies  que  tra- 
versait le  cours  paisible  de  la  SeuUe ,  il  ne  dut  point 
dédaigner  de  s'entourer  des  mêmes  garanties  de  sé- 
curité dans  celui  de  ses  fiefs ,  que  son  voisinage  des 
bords  de  la  mer  et  sa  proximité  des  côtes  du  Gotentin 
exposaient  journellement  à  des  incursions  ennemies. 
Aujourd'hui  le  temps  et  les  hommes  ont  rasé  le 
manoir  sur  le  donjon  duquel  le  puissant  baron  dé- 
ployait son  orgueilleuse  bannière  ;  mais  les  vestiges 
en  subsistent  encore  et  on  les  aperçoit  du  côté  des 
dunes,  à  900  mètres  environ  de  l'église ,  qui ,  plus 
heureuse  que  le  monument  féodal,  continue  d'attirer, 
à  bon  droit,  l'attention  de  l'archéologue  et  du  touriste. 
Un  jour  de  l'année  1047,  les  habitants,  qui  étaient 
demeurés  à  l'ombre  paisible  de  l'édifice  sacré,  enten- 
dirent avec  effroi  la  cloche  sonner  le  glas  de  la  mort 
Ses  tintements  funèbres  annonçaient  un  grand  évé- 
nement. En  eifet ,  le  sire  de  Maisy  n'était  plus  de  ce 
monde.  Le  puissant  baron  qui  promenait  sa  bannière 
en  maître  sur  tant  de  terres  normandes,  ce  fier  vassal 
qui  marchait  presque  l'égal  de  son  suzerain ,  avait 
un  jour  eu  l'idée  de  contester  au  fils  de  Robert-le- 
Magnifique,  la  couronne  de  Normandie,  avec  Renouf 
de  Briquesarty  Regnault,  du  Gotentin,  Néel,  vicomte 
du  Bessin,  et  Grimoult  du  Plessis.  La  rébellion,  dont 
les  chefs  étaient  Néel  et  le  sire  de  Maisy,  était  si  re- 


/ 


404  MAIST   (ARRONDISSEMKRT   DS  BATSUX). 

doutable,  que  le  Bâtard  fut  réduit  à  implorer  Tassis- 
tance  du  roi  de  France. 

Écrasée  à  la  bataille  du  Val-des-Dunes  par  Tarmée 
française^  Tinsurrection  normande  ne  fut  pas  vaincue 
sans  gloire.  Le  sire  de  Maisy,  dont  le  cri  de  gaerre  : 
Saint'Amandl  avait  plus  d'une  fois  jeté  l'épouvante 
dans  les  rangs  ennemis,  fit  voir  que  le  sang  des 
hommes  du  Nord  n'avait  pas  dégénéré.  Son  épée 
traça  un  large  sillon  de  carnage  autour  de  lui.  Avant 
de  tomber  pour  ue  plus  se  relever,  il  put,  s'il  en  faut 
croire  une  tradition,  éprouver  Torgueilleuse  satis- 
faction d'abattre  à  ses  pieds  le  roi  de  France ,  que 
sauva  seule  la  solidité  de  son  haubert  Hamon  mourut 
glorieux  dans  sa  défaite  et  fut  enseveli  devant  l'église 
d'Esquay ,  près  de  Gaen. 

Impitoyable  pour  Néel  et  pour  les  autres  fauteurs 
de  la  révolte,  Guillaume,  après  la  victoire,  se  montra 
miséricordieux  pour  les  enfants  du  baron,  dont  la 
lance  avait  couché  sur  la  poussière  le  roi  de  France. 
Il  ne  leur  enleva  point  leurs  domaines ,  et  le  fief  de 
Maisy  continua  de  rester  dans  la  puissante  famille 
de  Hamon-le-Deiitu ,  dont  le  fils  aine,  Robert-Fitz- 
Hamon,  rachetant  envers  le  Bâtard  ,  les  torts  de  son 
père,  se  montra,  à  la  conquête,  l'un  des  plus  fidèles 
lieutenants  du  Duc.  U  reçut,  pour  prix  de  ses  exploits 
et  de  sa  fidélité ,  les  comtés  et  seigneuries  de  Glo- 
cester  et  de  Bristol,  tandis  que ,  pour  sa  part  de  la 
curée  royale,  Richard,  le  fils  puîné,  obtenait  en  do- 
tation des  châteaux,  des  seigneuries,  et  les  comtés  de 
Cornouailles  et  de  Birmingham. 

Nous  avons  raconté  d'une  manière  bien  sommaire 
comment  Maisy  ,  point  d'arrivée  des  hommes  du 


MAISY    (arrondissement  01   BATBUX).  405 

Nord,  admis  dans  la  grande  famille  civilisée  par  le 
traité  de  St-Glair-sur-Epce ,  devint  le  berceau  d'nne 
des  illustres  familles  qui  prirent  une  large  part  aux 
événements  destinés,  dans  le  XI*  siècle,  à  changer  la 
face  de  la  Normandie  et  de  l'Angleterre. 

Nous  ne  suivrons  pas  Texistence  de  cette  seigneurie 
dans  la  famille  de  Ilamon-le-Dentu,  dont  les  membres 
se  trouvèrent  mêlés  aux  luttes  sanglantes  de  la  Nor- 
mandie, par  suite  des  dissensions  survenues,  après  la 
mort  de  leur  père,  parmi  les  fils  du  Conquérant. 

Si  le  fief  de  Maisy  ne  resta  pas  en  leur  possession^ 
une  autre  suzeraineté  y  a  laissé  d'autres  souvenirs  de 
gloire,  d'une  gloire  toute  française^  et  dont  le  mobile 
ne  fut  jamais  autre  que  l'amour  le  plus  pur  du  pays. 

Le  château  de  Maisy  devint  la  propriété  de  messire 
Bertrand  du  Ouesclin,  connétable  de  France,  le  vaillant 
fi*ère  d'armes  de  Clisson  ,  le  loyal  chevalier ,  dont 
l'épée  était  le  boulevard  de  la  France  contre  l'in- 
vasion anglaise. 

Messire  Bertrand  du  Guesclin  n'exerça  pas  sur 
Maisy  une  suzeraineté  purement  nominale,  et  le 
grand  capitaine,  plus  d'ime  fois,  se  reposa  dans  le 
manoir  de  Hamon,  des  rudes  labeurs  de  la  guerre  (!}« 

Si  l'afifection  de  ses  vassaux  de  Maisy  ne  dut  pas 
faire  défaut  au  pieux  enfant  de  la  Bretagne  ,  la  res- 
pectueuse déférence  à  laquelle  lui  donnaient  droit 
son  caractère  et  ses  exploits,  ne  lui  manqua  pas  non 
plus  dans  la  contrée  où  se  trouvait  la  terre  dont  il 
était  le  possesseur. 

(4)  Nous  remercions  ici  un  savant  modeste,  notre  ami,  M.  Geoi|^ 
VUkrt,  adjoint  à  Bayeux,  qui  nous  a  donné  le  Truit  de  ses  remar- 
quables traTaux* 


t 


406  MAIST    rARRONDISSEVENT  DE   BATEl'X). 

Un  joar  qu'il  était  allé  faire  ses  dévotions  à  lU>baye 
de  Mondaye,  en  1375 ,  les  bourgeois  de  Bayeux  pré- 
sentèrent «  à  noble  et  puissant  seigneur  messire 
Bertrand  du  Guesclin,  connétable  de  France,  une  pipe 
de  vin  de  Beaune  et  un  demi-cent  de  cire  ouvrée  (i).  » 
— Le  connétable  ayant  définitivement  fixé  Qa  rési- 
dence à  Maisy,  la  bonne  ville  de  Bayeux  lui  fit  de 
nouveau  présent  de  «  deux  pipes  de  Beaune  et  d'un 
demi-cent  de  cire  ouvrée,  »  pour  obtenir  ses  bonnes 
grâces  (2)  en  rannée  1377. 

L'un  des  grands  fiefs  de  la  couronne  ducale,  possédé 
par  d'illustres  seigneurs,  tels  que  Hamon-le-Dentu , 
Bertrand  du  Guesciin,  le  fief  de  Maisy  eut  nécessai- 
rement une  haute-justice  élevée  à  l'ombre  du  donjon 
féodal.  Cette  haute-justice  relevait  de  la  baronnie  de 
Varanguebec,  en  Cotcntin  '3).  On  en  montre  encore 
la  prison.  Centre  d'un  marché  qui  avait  lieu  le  samedi, 
le  bourg  possédait  aussi  des  halles  dont  la  construc- 
tion ne  doit  pas  être  antérieure  au  XVII*  siècle. 

Avant  la  Bévolution  de  1789,  la  seigneurie  de  Maisy, 
considérablement  amoindrie  par  des  démembrements, 
appartenait  à  la  famille  de  Petiville.  A  l'est  de  l'église, 
on  distingue  un  château  qui  a  du  style  ,  et  parait 
appartenir  au  siècle  de  Louis  XIV  :  c'est  le  fief  de  la 
Tonnellerie. 

Aujourd'hui ,  réduit  par  les  vicissitudes  des  temps 
au  rôle  modeste  de  simple  commune  rurale ,  Maisy 


(1)  Comptes  de  Tabbaye  de  Mondaye,  déposés  à  la  irès-curieiue 
bibliothèque  du  chapitre  de  Tévéché  de  Bayeux. 
(1)  F.  Pluquet ,  Histoire  de  Bayeux, 
(8)  Ed.  Lambert,  Bayeux  et  son  arrondiiument. 


VAI8T  (▲RRONDISSBHBIfT  DE   BATEUZ).  467 

il^tta  {lis  m6iù» droit  aa  respect  de  rarchëologue  el 
à  lu  sollicitude  de  TÉtat  De  glorieux  souvenirs  se 
rattachent  à  son  existence  passée  :  la  noble  et  vieille 
église  ,  assise  paisiblement  an-dessus  des  grèves , 
doit  être  conseryëe  ;  un  grand  souvenir^  un  sérieux 
intérêt  le  commandent  En  effet,  construction  monu- 
mentale ,  elle  est  un  des  édifices  remarquables  du 
pays;  et,  sous  le  rapport  de  la  navigation,  elle  est  un 
point  de  repère  très-utile  aux  navires  qui  s'engagent 
dans  la  baie  des  Yeys  ,  et  se  préparent  à  doubler 
cette  presqu'île  du  Gotentin  qui  s'avance  dans  une 
mer  féconde  en  naufrages. 

Depuis  du  Guesclin  jusqu'au  XVII*  siècle ,  nous  ne 
trouvons  plus  rien  sur  Maisy  ;  mais,  à  partir  de  cette 
dernière  époque,  grâce  à  l'obligeance  de  la  famille 
de  PetiviUe,  qui  a  bien  voulu  nous  donner |les  notes 
de  son  chartrier^  nous  pouvons  continuer  jusqu'à  nos 
jours  la  généalogie  des  possesseurs  de  la  terre  sei- 
gneuriale. 

Du  reste,  nous  engageons  l'antiquaire  et  le  touriste 
à  parcourir  ce  pays  pittoresque  semé  de  souvenirs. 

C'est  en  traversant  le  Grand-Vey,  près  d'Isigny, 
que  Guillaume-le-Bâtard  échappa  à  ses  assassins. 
C'est  au  Grand-Vey  que  mouilla  la  flotte  danoise  , 
conduite  ptir  le  roi  Harold  ,  à  l'aide  du  jeune  duc 
Richard-sans-Peur.  C'est  à  Geffosses,  près  de  Grand- 
camp,  qu'après  le  triomphe  de  Richard  ,  une  partie 
de  l'armée  danoise  abjura  ses  dieux  et  demanda  à 
passer  sous  les  lois  normandes.  C'est  là  que  le  duc 
leur  distribua  des  terres  et  qu'il  épousa  Gonnor. 

Au  mois  d'août ,  à  l'époque  où  les  régates  de 
Grandcamp  attirent  la  foule  ^  il  faut  gagner,  par  le 


406         MAiST  (àrrohdissbiient  de  bàtkux). 

chemin  du  Vigney-de-Formigny,  la  roate  qui  longe 
la  mer.  En  quittant  la  borae  élevée  par  les  soini 
de  IL  de  Caumont,  pour  marquer  le  lien  où  se  livra 
cette  bataille  de  Formigny  qui  chassa  les  Anglais  de 
la  Normandie,  on  passe  devant  une  suite  de  manoirs, 
débris  des  anciens  temps.  Divers  styles  y  figurent , 
depuis  la  féodalité  jusqu'à  Louis  XIII. 

Ici,  c'est  le  château  de  Vierville  avec  sa  tourelle 
au  long  toit,  où  le  confesseur  de  Louis  XVI,  l'abbé 
Edgeworth  de  Firmont  ,  trouva  un  refuge  et  une 
barque  pour  l'Étranger,  et  où  s'échangeaient  les 
correspondances  de  M.  de  Frotté  et  des  émigrés  (i). 
Plus  loin,  c'est  le  château  des  seigneurs  d'Engles- 
queville,  passé  par  alliance  aux  mains  de  la  famille 
de  Faudoas. 

£n  descendant  jusqu'à  la  mer,  où  se  groupent 
coquettement  les  maisons  bigarrées  de  Orandcamp  , 
on  aperçoit  les  côtes  de  la  Femelle  et  de  St-Pierre- 
Église»  et  enfin  les  lignes  indécises  de  Barfleur, 
surmontées  d'une  forme  gigantesque  qui  s'appelle 
Montaigu. 

Grandcamp,  renommé  pour  ses  bains  qui  attirent 
les  étrangers^  se  trouve  à  trois  lieues  de  la  gare  de 
Neuilly-Isîgny.  Sa  plage ,  du  plus  fisicile  accès ,  est 
animée  par  une  nombreuse  flottille  de  bateaux  tou- 
jours en  mouvement  ,  qui  pèchent  pour  près  d'un 
million  de  poisson  par  année.   Le  pays  ,  avec  ses 


(i)  Beauchamp,  HUu  de  la  Vendée,  —  Ce  cliAteaa  appartient 
aujottrdliai  à  M.  de  Lepesse,  descendant  de  la  flunille  de  Maigoerie 
de  VienrUle. 


KAIST  fARRONDTSSElIEirr  DE  BATIUX).  400 

herbages,  son  fouillis  d'arbres,  de  fleurs  et 
de  fruits,  o£fre  le  plus  délicieux  aspect 

A  droite  ,  c'est  St-Pierre-du-Mont ,  aux  falaises 
escarpées,  aux  rochers  amoncelés,  qui  font  un  sai- 
sissant eflfét. 

A  gauche^  à  un  kilomètre,  c'est  notre  Maisy,  auquel 
nous  voulons  revenir  encore  pour  lui  dire  adieu.  De 
Grandcamp^  vous  y  arrivez  par  une  allée  de  parc  , 
en  passant  devant  une  ligne  de  maiftirs  qul^rappel- 
lent  encore  par  quelques  mâchicoulis,  quelques  po- 
ternes^ celte  domination  anglaise  qui  avait  si  pro- 
fondément empreint  sa  griffe  sur  le  pays.  C'est  le 
château  de  la  Tonnellerie ,  où  figure  ,  sculpté  sur  la 
pierre  du  portail,  le  cimier,  le  casque  du  chevalier 
avec  son  blason  chevronné^  deux  coquilles  en  chef , 
une  en  pointe.  Une  partie  des  autres  manoirs  re- 
monte, par  le  trèlle  et  l'ogive,  à  l'époque  féodale^ 
tandis  que  certaines  portions,  par  les  croisillons^  les 
cheminées  tubulées,  rappellent  les  époques  d'Henri  III 
et  de  Louis  XIII.  Enfin  se  dresse,  hardie  et  légère, 
cette  élégante  flèche  de  l'église  que  nou§  avons 
décrite.  Sur  la  grève,  un  épaulement  gazonné  entoure 
un  ancien  fort  armé  d'une  batterie  pendant  les 
guerres  de  l'Empire  ,  et  qui  pourrait  facilement  être 
remis  en  état  ;  c'est  le  fort  Samson.  Non  loin ,  dans 
les  joncs,  se  dressent  quelques  pans  de  murs  d'une 
épaisseur,  d'une  solidité  extraoMinaires.  On  trouve 
encore  sous  les  chardons  bénits .  les  jusquiames  et 
les  cristes-marines ,  d'imposants  débris.  De  grands 
anneaux  de  fer  scellés  dans  les  murs  amarraient  les 
barques  flottant  sur  un  canal  alimenté  par  la  mer 
tout  autour  du  château,  et  le  châtelain,  comme  à 


410  MAISr   (ARAONOISSEKEirr  DX  BÀT8UX). 

Venise,  s'embarquuit  par  \&  porte-eteau.  Ces  anneani 
existent,  et  quelques  voûtes  des  portes  basses  sont 
encore  béantes.  Le  vietix  château  n'est  plus  visité 
aujourd'hui  que  par  la  mouette  et  le  livergin,  et  la 
chronique  prétend  qu'il  fut  brûlé  par  l'Anglais,  et 
que,'  près  de  périr,  le  dernier  seigneur  jeta  dans  un 
puits  son  or,  ses  bijoux,  sa  vaisselle  plate.  Mais  on  en 
ignore  Tendroit,  et  aucune  baguette  divinatoire  ne 
Ta  encore  révélé.  Il  y  a  peu  d'années,  une  tourelle, 
un  grenier  du  château,  se  tenait  encore  debout;  mais 
ce  lieu  était  hanté  par  un  lutin,  par  un  han.  Si  Ton 
disait  au  valet  de  jeter  du  grenier  douze  bottes  de 
foin,  il  en  tombait  six;  vous  lui  en  demandiez  six, 
il  en  tombait  douze  ....  Le  grenier  s'est  écroulé,  le 

han,  le  gnome,  le  farfadet  s'est  envolé Maison 

prétend  que  son  esprit  d'opposition,  son  esprit  de 
lutin  n'a  pas  encore  complètement  quitté  le  pays. 


APPENDICE. 


Nous  terminerons  ce  travail ,  en  donnant  les  renseigne- 
ments que  nous  avons  recueillis  sur  les  possesseurs  de 
Maisy,  à  partir  du  XVIi*  siècle. 

Au  commencement  du  XVII*  siècle,  la  seigneurie  de  Maisy 
était  possédée  par  la  famille  d'Alègre. 

Cinquante  ans  plus  tard ,  un  aveu  rendu  à  la  seigneurie 
de  Yaranguebecq  nous  apprend  qu'elle  appartenait  à  «  hault 
«  et  puissant  seigneur  messire  Philippe  de  Béthune,  à  cause 
<  de  liauUe  et  puissante  dame  Marie  dWlt^gre,  son  espouse.  > 


MAISY   (arrondissement  DE  BAYEUX).  411 

Du»  UD  acte  du  2  août  1667  a  par-devant  les  garde-notes 
c  dn  Ghfltelet  de  Paris  >  à  l*hôtel  même  de  Monseigneur  de 
Colbert^  me  Neuve-des-Petits-Ghamps,  nous  voyons  que: 
Haolt  et  poissant  seigneur  messire  Jean-Bapiiste  Col- 

bertf  chevalier,  marquis  de  Seignelay  et  d'Alègre  (1) 

vend...  pour  la  somme  de  six  vingt  mille  livres  payée 

comptant  en  bons  deniers  d'or  et  d'argent. 

à  messire  Louis-François  Lefèvre  de  Caumartin  ^ 

chevalier»  seigneur  audit  lieu,  d'Argouges,  Boissy  et  autres 
lieux,  conseiller  ordinaire  du  Roy,  demeurant  à  Paris, 
rue  Saint-Avoye.  ....  le  fief  noble ,  chaslellenie, 
terre  et  seigneurie  de  Maizy  {sic)  sur  mer,  le  chef  de 
laquelle  est  assis  en  la  paroisse  dudict  Maizy ,  sur  lequel  il 
il  y  a  un  chcisteau  de  présent  ruiné  en  la  plus  grande 
partie,  anciennement  clos  de  murs  et  fossés  plains 
(sic)  d'eau,  basses-cours  et  collombier,  plus  les  fiefs  du 
Hâble  et  de  la  Cambe ,  lesquels  avec  celui  dudict  Maizy 
s'étendent  aux  paroisses  dudict  Maizy,  La  Cambe,  Lestan- 
ville,  Criqueville,  Grandcamp,  St-Pierre-du-Mont  et  autres 
circonvoisines... .  plus droit  de  patronage  et  présen- 
tation à  la  cure et  aux  chapelles  fondées  de  St-Esloy 

et  de  St-Nicolas,  droit  de  four  à  ban  auquel  sont  tenus 

les  hommes  et  vassaux  de  la  dicte  terre droit  d'hos- 

tage  au  hault  de  la  dune  à  Grandcamp  (sans  aucune 
garantie,  attendu  que  ledict  droit  est  litigieux  entre 
lesdicts  seigneur  et  dame  de  Seignelay  et  le  seigneur 
de  BeaumontJ...,.  droits  de  justice  sur  les  hommes  et 
vassaux,  d'assemblées,  de  marché  le  jour  de  samedy  de 
chaque  semaine  au  bourg  de  Maisy...  mesurage  du  bled  et 
a  de  coutume,  au  dict  marché...  cognoissance  du  brut  des 

«  poids,  marc  et  mesure  d'icelui de  laquelle  chaslellenie 

«  de  Maizy  dépend  et  relève  aussi  le  fief  de  Longueville...  géné- 
«  rallement  tous  autres droicts  seigneuriaux  et  féodaux,  etc.  » 

yl)  Fils  du  graud  CulberU 


no 


HAlSr   (ARROffDlSSEIlElIT  DE   F 


N«*ii.îio.  >'tMubar4uait  piir  \a  porh- 
s\:<c\\\,  ol  quelques  voûtes  des 
oîN\»:o    boanles*  Le  vieux  chut' 
.uv.*urv{  hui  que  par  la  mouettt 
%  îv.\»nu;i:«*  pivtond  quil  fut  1 
ijuo,   pvt^*  lie  îH*rir.  le  demi- 
pu;î>  -«on  oi\  5e*  bijoux,  si^ 
<îu>îv  IVudwit,  et  aucuî 
.  ,1  «^ucon»  rêtvié*  Il  v  ;: 
\\\\  k:ivuier  «iu  château. 
%v  \iou  était  liante  pa 
%::viïî  au  valet  de  \-- 
îoîo.  li  en  t\Mwhait  > 
:   i*n  tomtviit  dt'i: 
h««,  le  «nome. 


■  1-j  ro:.  a 

•  '••  îaiie , 

.-:  lieu  rie  de 

^ .  cil  date  du 

iti  sieur  Lefèrre 


•  niiurtin ,  après  une 

.  lode  la  seigneurie  de 

îontin.  (le  fait  résulte 

notaires  du  Chàtelet ,  le 


V 
M 


.>^ 


i!i  des  maisons  et  affaires 

.i  aussi  procureur  de  Ulus- 

< t c aeu r  monseigneu r  Jean- 

Caumartin ,  co^iseiller  du 

«. .  %end,  etc..  à  messire  Tho- 

.    .iV    Callandré,    mareachal 

.    V.  Hoijy  chevalier  et  comman- 

.  ti;i!taire  de  St-Louis,  conseiller 

juue  ^larguerite-Catlierine-Made- 

.  *H:«  kV AiHjcHSon ,  son  épouse 

..•*«.*«?.  «*ti\..  de  Maisy ,  etc.  • 

^   *^:*.  IKir  un  second  acte ,  Monsei- 

^^  .^KtU  i^ar  le  prix  de  82,000  livres, 

^^:*%  AU  Parlement  de  Paris,  le  petit 

«;ii»ï^r$  autres  héritages  tombés  en 

^.-a^  À*  Maisy,  etc. 

^^    a  ^i^neurie  de  Maisy  devenait  la 
^•«^  ïCiiiiwur  ;  au  maréchal  des  camps 
*  '    ^u:sie  d'infanterie  : 
*  ^^a.i*»««''*«'  ^^  Bruny ,  chevalier  de 
"^  de  St-l<ouis,  capitaine  au  régiment 


.•>  • 


,<  x%.;r  «t^'l»*.  '1"^  termes  de  plusieurs 


DE    BATBrx).  413 

't  i  Bayenx  qa'A  U 
tous  Kt  droit*  k 

,  (li ,  ieuyer ,  (i«ur 
ii^ralllé  de  Caen. 
t  deux  enfaDta  : 

,  en  1730,   Louii-Her- 


h..  iii'â-Michet  avait  succédé  à  soa  pire 

^sorier  de  Fraoce,  et  recueillait ,  quel- 
lard,  avec  ra  succeaaioD,  la  seigneurie 

Il  1783,  sana  avoir  rantraclé  d'alliaoce. 
ge  de  sa  aceur  avec  Louis -tlercule-Gabriel  Tardif 
ilk  (1),  conseiller  secrétaire  du  roi,  mort  le  3  férrier 
était  Issu  eotr'aotree  : 
ean-Jaeques  Tardif  de  Petivilte,  capitaine  au  régiment 
jfl  Pratou,  cbevalier  de  St-Louis,  lequel  recaeillit  dani  la 
mecenioD  de  sou  oncle  la  seigneurie  de  Maisy, 

En  1806,  &  la  raort  de  Jean-Jacques  Tardir  de  Petiville, 
d-deasus,  la  terre  et  ancienne  seigneurie  de  Matsy  a'esl  di- 
visée entre  les  enfants  qu'il  avait  eus  de  son  mariage  avec 
Antoinette-Elisabeth  Jehannot  de  Beaumont ,  savoir  : 
1°  Louis-Charles  Tardif  de  Petiville  ; 
9'  Charles-Louis  Tardif  de  Peliville  ; 
3*  Marie-Anne  Tardif  de  Petiville,  dame  de  Rugy  ; 
i"  tA"  Madeleine  Tardif  de  Peliville ,  baronne  douairière 
de  Beioe, 

(I)  Les  amtes  de  cette  fiunille  sont  :  i  Ëcartelé,  an  1"  et  aa  i' , 

■  d'unrl  la  croix  d'or  cantonna  dedeui  roses  en  chef  et  de  deai 

•  coquilles  en  pointe  de  l'ëcn; 

•  Au  !•  et  an  3* ,  d'argent  bu  lion  de  gueules  (ccompagné  de 

■  trois  roses  de  même,  posées   deai  en  chef  et  aae  en  pointe  de 

•  réco. 

<  Derise  :  Tardif  hatle-tos,  • 


,  3(R  DE  COLLÈGE , 

^-mr    yL.   A.    THÉRY  , 
>lembre  titulaire. 


s. 


,1**- 


.^  aocucilli  avec  bienveillance  des  souve- 
jitek*  <ï*ii  m'ont  permis  de  vous  introduire 
uii*:e  de  quelques  patrons  de  ma  jeunesse  , 
>.;.*<  hommes  dont   la   renommée  littéraire 
-  ^owuor  de  l'intérêt  aux  détails  les  plus  fami- 

^anfbui ,  je  forme  un  dessein  plus  téméraire, 

"  :.•  vous  intéresser  à  un  personnage  anonyme  , 

^^..^i^gnon  d'études  ,  qui  m'a  voué ,  pendant 

.  .»<  :iimées ,  une  sincère,  mais  inquiète  amitié; 

^^^H  original,  puissant,  d'une  sève  exubé- 

^    touchant  presque  au  génie  et  presque  à  la 

^■»  *    ces  doux  sommets  qui  se  rejoignent ,  si  nous 

»  K  ui*  «•«  ci^ii^e  Taflirmation  cruelle  d'un  très-savant 

\  %  nous  arrive-t-il  pas  à  tous  de  rencontrer  quel- 
4^is%  Jans  les  confiantes  années  de  la  jeunesse, 
.        la  camaraderie  du  collège,  de  ces  natures  ex- 
^nlionnelles  qui  posent  devant  nous  leur  énigme , 
Qi\e  nous    ne  réussissons    pas  toujours    à   dé- 
chiffrer ? 
Incomplets,  mais  déjà  dominateurs ,  possédant  une 


S0UVEN1B   D£   COLLÈGE.  445 

force  que  ne  règle  pas  la  maturité  ,  laissant  entrevoir 
comme  également  possibles  un  avenir  de  gloire  ou 
nne  chute  profonde,  ces  esprits  orageux  exercent 
une  attraction  qui  fatigue,  mais  qui  emporte.  Je  me 
souviens  qu'en  descendant  le  revers  abrupt  du  Grand- 
Str-Bemard,  du  côté  de  Tltalie,  la  main  dans  la  main 
d'un  guide,  j'avais  la  conscience  d'un  mouvement 
irrésistible  ,  et  je  sentais  bien  que  cet  homme ,  fidèle 
ou  infidèle  ,  m'entraînait,  sans  résistance  possible ,  à 
une  route  sûre  ou  à  l'abime. 

Peut-être  n'est-il  pas  indifférent  à  la  science  de 
l'homme  de  regarder  de  près  ces  natures  singulières, 
afin  d'en  tirer  quelques  sujets  de  réflexion,  quelques 
règles  de  conduite  au  besoin. 

Je  m'efforcerai  d'être  court,  parce  que  j'aurai  un 
modeste  rôle  dans  mon  récit ,  parce  que  mon  héros 
s'appelle  l'homme  sans  nom,  et  que  sa  vie,  volontai- 
rement obscure  ,  n'a  pour  vous  ,  Messieurs ,  que  le 
mérite  d'un  thème  d'observation. 

De  iSil  ai 816,  je  terminais  mes  études  dans  un 
pensionnat  du  faubourg  St- Antoine ,  qui  suivait  les 
cours  du  lycée  Gharlemagne. 

J'avais  là  des  condisciples  qui  ont  marqué,  soit  par 
leurs  ouvrages,  soit  par  leur  position  sociale.  C'étaient 
Damiron,  esprit  sage  et  méthodique,  qui  s'est  fait  un 
nom  dans  l'enseignement  de  la  philosophie  ;  Boucly» 
vrai  magistrat  par  la  pénétration  et  la  gravité  des 
mœurs,  que  j'ai  retrouvé  premier  président  à  la 
Cour  impériale  de  Rennes  et  qui  siège  aujourd'hui 
à  la  Cour  de  cassation  ;  Lorain ,  ancien  recteur  de 
l'Académie  de  Lyon,  écrivain  spirituel,  que  M.  Guizot 
avait  jugé  digne  d'élever  son  fils  Guillaume  ,  recom- 


418  SOl-V£MH    DE   COLLÈGE. 

tare  de  son  esprit  le  portait  à  considérer  snrtoat ,  et 
presque  exclusivement,  les  moyens  de  saccès.  Une 
foi  ixibustc  le  soutenait ,  et  je  ne  sais  si ,  dans  le  dic- 
tionnaire qu*il  méditait,  il  eût  trouvé  une  place  poar 
le  mot  :  impossible. 

Il  avait  cependant  quelquefois  conscience  de  son 
inexpérience  do  rhétoricien  ,  et,  un  jour  que  je  l'avais 
rencontré  les  mains  appuyées  sur  son  fronts  méditant 
avec  tristesse  :  Hélas  !  me  dit-il  tout  à  coup,  avec  un 
accent  de  douleur  sincère ,  je  sens  que  je  ne  suis  pas 
encore  assez  mùr  ! 

Ces  découragements  ne  duraient  pas.  La  llamme 
intérieure  vivait  toujours  ;  la  volonté  même  d'Am- 
broiso ,  moins  forte  encore  que  son  enthousiasme , 
n'eût  pas  sulti  pour  Téteindre. 

Je  lui  promis  avec  candeur  de  contribuer  à  la  ré- 
daction d'un  vocabulaire ,  dont  tous  les  mots  de- 
vaient être  nouveaux,  pei;^nant  les  objets,  et,  autant 
que  possible,  les  idées  abstraites,  par  des  sons  imi- 
tatifs  ou  analogues ,  par  la  mesure  vive  ou  majes- 
tueuse des  mots,  par  une  sorte  de  musique  rationnelle 
du  langage. 

Nous  ne  devions  nous  occuper  que  plus  tard  deç 
moyens  de  faire  bénéficier  le  genre  humain  de 
cette  découverte ,  mais  Ambroise  ne  doutait  pas  du 
bienfait. 

Il  s'était  réservé  la  grammaire ,  et  je  crois  bien  me 
souvenir  que,  au  fond,  je  ne  fus  pas  fâché  de  laisser 
sur  ses  fortes  épaules  ce  lourd  fardeau. 

Quant  au  vocabulaire,  j'ai  encore  quelques  débris 
du  travail  assez  considérable  que  je  fis  alors ,  dans 
la  première  fièvre  de  la  pensée.  Ces  débris  dorment 


SOUVENIR  DE  COLLÈGE.  619 

lëgitimement  dans  un  carton  où  je  ne  troublerai  cer- 
tûnement  pas  leur  sommeil. 

Hais  cette  première  confidence  fut  bientôt  suivie 
d'une  antre  plus  grandiose  et  plus  ambitieuse.  Am- 
ivoise  avait  résolu  de  fonder  un  Ordre  de  Chevalerie 
religieuse  et  militaire  ,  comme  celui  des  Templiers  , 
mais  d'une  allure  plus  indépendante.  Il  en  serait  tout 
naturellement  le  Grand-Maître,  et  il  m'offrait  gêné- 
reosement  la  seconde  dignité,  celle  de  Chancelier. 
Nous  devions  recruter  avec  prudence  des  adhérents  , 
d'abord  parmi  nos  condisciples  ,  puis  au  dehors. 

L'Ordre  aurait  ses  règlements ,  ses  cérémonies , 
866  emblèmes.  L'if,  toujours  vert ,  serait  son  arbre 
symbolique  ;  l'arc ,  arme  silencieuse  et  à  longue 
portée ,  occuperait  le  centre  de  son  blason.  L'Ordre 
lai-même  prendrait  le  nom  assez  barbare  d'Arcarite. 
A  si  longue  dislance,  je  n'ai  plus  la  clef  de  toutes  ces 
allégories.  Je  me  contente  de  les  reproduire  littéra- 
lement 

Le  but  de  VOrdre  Arcarite  était  double.  D'abord, 
il  devait  être  comme  un  corps  armé  en  faveur  de 
toutes  les  vérités  morales ,  capable  de  les  faire  triom- 
pher^ soit  par  la  persuasion,  soit  même  par  la  force, 
sur  tous  les  points  du  globe  où  elles  seraient  mé- 
connues. Il  aurait  ses  vaisseaux  ,  ses  finances ,  ses 
relations  diplomatiques.  Comment  ? . .  c'était  le  secret 
de  l'avenir;  mais,  encore  une  fois,  Ambroise  ne 
doutait  jamais. 

En  attendant  que  la  langue  universelle  fût  établie 
et  acceptée ,  il  fut  convenu  que  lu  correspondance 
aurait  lieu  en  latin ,  moyen  assuré  de  se  faire  en- 
tendre  partout,   du   moins  en  Europe.   Je  possède 


420  SOUVENIR   DE   COLLEGE. 

encore  des  fragiuents  de  lettres  où  la  langae,  plas 
ou  moins  heureusement  employée,  de  Gîcéron,  nous 
servait  à  exprimer  des  idées  dignes  de  Cyrano  de 
Bergerac. 

Le  second  but  de  l'Ordre  était  politique.  L'Europe 
nous  paraissait  bien  vieille.  Il  s'agissait  de  nous 
transporter  dans  le  Nouveau-Monde ,  et  d'y  fonder 
une  république  modèle.  Nous  prenions  les  devants 
sur  ricaric ,  moins  les  dangereuses  absurdités  du 
communisme.  Celte  jeunesse  de  1815  comprenait 
beaucoup  de  républicains  mitigés ,  amoureux  de  la 
théorie  ,  ennemis  de  toute  pratique  violente  ,  mais 
qui  composaient  invariablement  une  tragédie,  en 
faisant  leur  rhétorique,  et  <(ui,  célébrant  la  chute 
des  trente  tyrans  ou  la  mort  de  Lucrèce,  se  croyaient 
fièrement  Grecs  ou  Romains. 

La  propagande  commença,  non  sans  succès.  Le 
grand-maitre  et  le  chancelier  rivalisaient  de  zèle. 
Ambroise,  toujoui's  isolé  en  apparence,  se  prodiguait 
et  se  multipliait  en  secret. 

Nous  eûmes  bientôt,  soit  dans  le  pensionnat,  soit 
au  dehors,  dans  les  autres  lycés  de  Paris ,  une  qua- 
rantaine de  chevaliers.  C'était,  nous  n'en  doutions 
pas ,  le  commencement  d'une  armée  de  quarante 
mille  hommes. 

Parmi  ceux  dont  nous  fîmes  la  conquête,  et  dont 
plusieurs  occupent  encore  aujourd'hui  des  positions 
honorées,  je  puis  en  citer  un,  parce  qu'il  a  disparu 
de  la  scène  du  monde ,  où  il  a  laissé  sa  trace,  le  grand 
peintre  Eugène  Delacroix. 

Pour  vous  donner  une  idée ,  Messieurs,  du  sérieux 
de  bonne  foi  que  nous  apportions  à  nos  étranges  illu- 


SODYENIR  DE  COLLEGE.  421 

ûons  de  jeunesse,  j'esquisserai  en  quelques  lignes 
la  cérémonie  mystérieuse  dans  laquelle  je  fus  reçu 
membre  de  l'Ordre,  et  investi  de  ma  haute  dignité  de 
Chancelier. 

Notre  pensionnat  était  médiocrement  surveillé  de 
joor,  et  même  de  nuit  On  y  travaillait  beaucoup , 
mais  l'initiative  personnelle  y  était  peu  p:énée  par  la 
discipline.  Il  ne  s'y  commettait  point  de  désordre , 
mais  il  y  régnait  une  large  et  complaisante  li- 
berté. 

Le  Grand-Maître  choisit  une  nuit  pour  ma  récep- 
tion solennelle.  Vers  minuit,  nous  descendîmes  de 
nos  dortoirs^  nous  deux  et  une  quinzaine  d'initiés, 
sans  que  personne,  maître  ou  surveillant  quelconque, 
eût  l'indiscrétion  de  s'en  apercevoir.  Nous  nous  ren- 
dîmes au  centre  d'un  grand  jardin  ,  qui  faisait  suite 
à  la  cour  d'entrée.  Un  magnifique  clair  de  lune  nous 
Êivorisait.  Ambroise  traça  un  cercle  autour  duquel 
on  se  rangea  en  silence,  avec  une  gravité  qui  éloi- 
gnait tout  soupçon  d'enfantillage.  Nous  portions  tous 
une  branche  de  Tif  sacré.  Un  arc,  dessiné  sur  une 
bannière ,  plantée  au  centre ,  rappelait  le  titre  de 
l'Ordre.  Le  Grand-Maître  prononça  un  discours  plein 
d'une  verve  qui  n*avait  rien  de  factice.  C'était,  à 
coup  sûr,  son  meilleur  de  l'année.  Je  répondis  de 
mon  mieux ,  sous  l'empire  d'une  émotion  vraie  , 
quoique  peu  vraisemblable.  Ambroise  me  donna 
gravement  l'accolade;  tous  me  serrèrent  la  main 
et  me  promirent  obéissance  comme  au  second  de 
leurs  chefs.  Pas  un  sourire,  pas  un  mol  prononcé 
à  la  dérobée.  Une  conviction  unanime,  une  confiance 
illimilée  dans  U»  génie  d' Ambroise,    une  résolution 


42â  SOUVENIR   DE  COLLEGE. 

ferme  de  ne  pas  reconnaître  d'obstacle  invincible  à 
la  réalisation  de  nos  désirs. 

Puis,  redevenus  écoliei^  comme  devant,  nous  re- 
montâmes dans  nos  dortoirs  ,  pour  y  goûter  le  som- 
meil des  bonnes  consciences ,  avant  de  reprendre 
avec  simplicité  de  cœur  la  version  ou  la  rédaction 
du  lendemain. 

Si  je  me  le  rappelle  bien ,  ce  qui  commença  à  dé- 
sorganiser une  association  où  le  sublime  touchait  au 
burlesque  ,  ce  fut  un  incident  politique. 

Quoique  Ambroise  fût  beaucoup  plus  occupé  d'idées 
générales  et  do  projets  gigantesques  que  des  intérêts 
du  jour ,  il  se  laissa  pet*suader  qu'avant  de  faire  le 
bonheur  de  l'Europe  et  du  monde ,  nous  pouvions 
bien  songer  un  peu  à  la  France. 

U  n'y  a  guère  de  société  secrète  qui  n'éprouve  une 
petite  velléité  de  conspiration.  Quelques-uns  étaient 
plus  frappés  des  malheurs  de  la  guerre  et  des  dan- 
gers d'un  pouvoir  sans  limites  que  du  génie  d'an 
grand  homme  trahi  par  la  fortune  et  des  immenses 
services  qu'il  avait  rendus  à  la  France.  Ils  avaient 
eu ,  comme  moi ,  pour  condisciple  ,  le  fils  de  cet  au- 
dacieux général  Malet  qui  mit  un  moment  en  péril , 
quelques  années  auparavant,  dans  la  désastreuse 
année  1812,  le  trône  du  premier  Napoléon.  Ce  jeune 
homme,  d'un  esprit  fin  et  de  manières  élégantes, 
étranger  sans  doute  aux  projets ,  mais  non  aux  idées 
de  son  porc,  avait  contribué  a  semer  parmi  nous  des 
dispositions  peu  monarchiques 

Ceux  dont  je  parle  redoutaient  aussi  le  retour 
d'une  dynastie  qui  ne  connaissait  pas  la  génération 
nouvelle,  et  qu'avait  déjà  emportée  la  tempête  d'une 


SOUVENIR    DE   COLLEGE.  Ï23 

rëTolation.  Ils  voulurent  donner  à  notre  cheva- 
lerie une  couleur  plus  tranchée ,  un  caractère  plus 
agressiC 

D'autres,  et  je  confesse  que  j'étais  du  nombre, 
pressentirent  que  nos  rêves ,  cessant  d'être  inoffen- 
8i&  dans  leur  généralité  vague,  deviendraient  illi- 
cites et  dangereux  ;  qu'une  conjuration  d'écoliers 
prêterait  au  ridicule ,  et  nous  nous  opposâmes  éner- 
giquement  à  cette  transformation. 

De  là ,  un  malaise  dans  les  relations ,  un  ralen- 
tissement soudain  dans  les  projets  d'avenir ,  et , 
lorsque  nous  nous  séparâmes^  après  la  rhétorique^  en 
août  1816,  il  ne  restait  plus  guère  de  toute  cette 
flamme  que  des  cendres,  agitées  et  dispersées  d'heure 
en  heure  par  le  vent  de  l'oubli. 

Pour  moi ,  je  ne  me  bornai  pas  à  oublier.  Je  com- 
pris, par  une  intuition  d'une  clarté  parfaite,  combien 
nous  avions  perdu  de  temps  et  d'efiforts  à  la  pour- 
suite de  quelques  chimères,  et  mon  imagination, 
surexcitée  jusqu'alors,  calmée  tout  à  coup  par  l'évi- 
dence ,  rentra  ,  comme  je  l'avais  pressenti ,  sous 
'l'empire  salutaire  de  la  raison. 

Ambroise ,  lui ,  ne  se  rendit  pas. 

Les  projets  de  notre  parti  d'action  ne  lui  avaient 
pas  souri  d'abord;  mais ,  une  fois  décidé,  il  ne  recu- 
lait jamais.  Resté  seul ,  abandonné  même  de  son 
Chancelier ,  qui  ne  voulait  plus  être  que  son  afifec- 
tueux  camarade,  il  se  replia  sur  lui-même,  rentra  sous 
sa  tente,  et  vécut  dans  le  monde  de  ses  pensées.  Le 
jeu  fébrile  de  sa  physionomie  trahissait  seul  le  drame 
intérieur. 

11  m'avait  cependant  conservé  sa  sympathie ,  mais 


424  SOUVENIR   D£   COLLÈGE. 

il  se  montrait  affecté  de  voir  Pylade  devenu  si  peu 
digne  d'Oreste. 

Sortis  de  pension  ,  lui  pour  chercher  une  carrière 
indépendante  ,  moi  pour  entrer  modestement  à 
rÉcole  normale,  nous  correspondîmes  quelque  temps 
encore ,  d'abord  en  latin  ,  notre  idiome  vivant,  notre 
langue  universelle  provisoire  ;  puis ,  à  mesure  que 
les  souvenirs  s'affaiblissaient,  en  français,  dans  cette 
langue  morte ,  que  murmurait  autour  de  nous  une 
race  vieillie. 

Les  épitres  d'Ambruise,  d'une  éloquence  rude  et 
sauvage,  se  composaient  de  reproches  et  d'espé- 
rances. Les  miennes,  de  plus  en  plus  accentuées 
dans  le  sens  conservateur  et  prosaïque^  ne  pouvaient 
plus  lui  laisser  d'illusions  sur  mon  refus  de  concours. 

Un  jour,  je  le  vois  arriver  au  parloir,  le  visage 
enflammé,  la  parole  brève,  mais  encore  affectueuse. 
11  m'apprend  que  son  activité  avait  cherché  et  trouvé 
un  nouvel  aliment.  Juif  d'origine,  catholique  de  nais- 
sance ,  il  venait  de  se  faire  protestant.  Il  me  prêcha 
en  fort  bons  termes  sa  nouvelle  croyance,  et  conclut 
en  m'exhorlant  vivement  à  l'imiter. 

Cette  proposition  me  fit  sourire.  Le  temps  de  l'at- 
traction inévitable  était  passé  sans  retour.  Je  lui 
répondis  sans  hésiter  que  je  respectais  sa  conviction 
actuelle ,  mais  que  je  comptais  vivre  et  mourir  dans 
la  communion  où  j'étais  né. 

Ce  fut ,  hélas  !  comme  la  dernière  afiusion  d'eau 
froide  sur  le  foyer  de  cette  liaison  si  vive  autrefois. 
Évidemment ,  il  n'y  avait  plus  entre  nous  de  pensées 
communes.  Je  voulais  rester  l'ami  désintéressé  d' A  m- 
broise,  mais  je  n'avais  plus  rien  du  disciple,  et  ce 


'  SOUVENIR  D£  COLLÉOE.  425 

qnll  fiiUait  à  cet  esprit  ardent ,  c'était  an  disciple 
dans  on  ami. 

n  se  leva  gravement ,  me  serra  la  main  sans  mot 
dire  »  et  me  quitta...  pour  ne  plus  me  revoir. 

J'ai  entendu  affirmer  qu'il  dtait  devenu ,  sur  un 
point  extrême  de  la  France,  un  personnage  impor- 
tant, et  qu'il  y  était,  naguère  encore,  entomé  d'es- 
time et  de  respect 

Existe-t-il  aujourd'hui  ?  Je  n'ai  pu  m'en  assurer , 
et  cependant  les  amitiés  de  jeunesse  poussent  de 
telles  racines  que  cette  ignorance  m'a  pesé  souvent. 

Quoique  ce  récit  ne  soit  pas  une  fable,  il  y  a 
peut-être  lieu  d'en  déduire  une  moralité.  Je  vous  en 
laisse  le  soin.  Messieurs  ;  votre  bon  jugement  vous 
la  dicte  ;  je  n'ai  pas  besoin  de  vous  la  suggérer. 

J'ai  voulu  seulement,  au  risque  d'éprouver  votre 
patience ,  rappeler  ici  quelques  traits  d'un  caractère 
qui  a  dû  vous  paraître  bizarre,  mais  qui  n'avait  rien 
de  banal ,  ni  d'artificiel  ;   qui  était  celui  d'un  jeune 

• 

homme  au  cœur  chaud  ,  à  l'imagination  démesurée. 
Il  a  échoué  devant  des  fantômes;  un  peu  d'esprit 
pratique  l'aurait  mené  au  port. 


BIOGRAPHIE 


DE 


M.  OCTAVE  SCELLES  DE  MONTDÉZERT, 

MKMBRB  CORRESPONDANT  DE  i/aGADÈMIE  DE  GAEN, 

Par  M.  Amédée  DE8BORDBAVX, 

Meoibrc  titulaire. 


Lorsque,  dans  un  âge  avancé,  la  mort  vient  frapper 
un  habile  médecin ,  dont  l'existence  avait  été  con- 
sacrée tout  entière  au  soulagement  de  ses  sembla- 
bles, des  regrets  unanimes  l'accompagnent  au  tom- 
beau ,  et ,  toutefois  ,  ces  sentiments  douloureux  sont 
modérés  par  la  pensée  qu'il  avait  atteint  les  bornes 
de  la  vie  humaine. 

Mais,  lorsqu'un  jeune  homme  plein  d'ardeur  pour 
l'étude  ,  après  avoir  débuté  sous  d'heureux  auspices 
dans  la  carrière  médicale  et  s'être  fait  connaître  par 
d'intéressantes  publications,  est  enlevé  à  ses  parents 
et  à  ses  amis ,  au  moment  où  tout  semblait  lui  pro- 
mettre un  long  et  brillant  avenir,  sa  mort  pi^maturée 
nous  atlecte  d'une  manière  plus  pénible  ;  et ,  en  dé- 
plorant sa  triste  destinée  ,  nous  songeons  en  même 
temps  aux  œuvres  inachevées  dont  aurait  pu  profiter 
la  science  s'il  eiU  plus  longtemps  vécu. 

Tels  sont  les  sentiments  qu'a  f;tit  éprouver  à  tou$ 
ceux  qui  l'ont  connu  la  mort  de  M.  Octsive  Scelles  de 


BIMRAPHIE  DE  M.  OCT.  SCELLKS  DE  MORTDÉZERT.      427 

M ontdézert ,  doctear  en  médecine  ,  professeur  d'hy- 
giène derAssociatlonpolyteclini'fue  de  Paris  et  mem- 
bre associé  correspondant  de  TAcadémie  de  Caen. 

Conformément  à  Tusage  adopté  dans  cette  aca- 
démie ,  vous  m'avez  désigné  pour  écrire  la  biogra- 
phie de  notre  jeune  confrère,  avec  lequel  j'avais 
entretenu  des  relations  d'estime  et  d'amitié  ;  je  m'em- 
presse donc  aujouDd'hni  de  payer  à  sa  mémoire  ce 
dernier  tribut 

Né  à  Carentan ,  le  31  mars  1835 ,  au  sein  d'une 
famille  honorable ,  il  fut  exposé ,  pendant  son  en- 
fonce ,  aux  attaques  de  la  fièvre  paludéenne ,  si 
firëquente  dans  cette  partie  du  département  de  la 
Manche  ;  et  peut-être  n'eût-il  pas  écluippé  à  ses  per- 
nicieuses influences  sans  les  soins  assidus  de  son 
père,  médecin  distingué,  qui  s'est  livré  à  de  savantes 
recherches  sur  la  nature  de  cette  maladie ,  et  qui , 
le  premier,  a  attiré  l'attention  sur  l'emploi  à  haute 
dose  du  sel  marin ,  comme  moyen  do  la  combattre 
avec  efficacité.  Tant  que  la  santé  de  son  fils  ne  fut 
pas  complètement  aflermie,  M.  de  Montdézert  voulut 
le  conserver  auprès  de  lui  ;  il  s'occupa  presque  ex- 
clusivement du  dcveloppomcnt  tin  sos  forces  physi- 
ques, se  bornant  à  l'onvoycr  (?omrne  externe  à  l'École 
supérieure  de  Carentan ,  dont  les  cours  élémentaires 
lui  laissaient  assez  de  liberté  pour  pratiquer  habi- 
tuellement les  cxercici's  salutaires  de  la  gymnastique. 
Ce  ne  fut  que  vers  l'Age  do  s(»iz<î  ans  qu'il  fut  placé 
par  sa  famille  au  collège  de  Sl-Lo  et  qu'il  commença 
à  se  livrer  à  des  études  sérieuses.  Le  jeune  Octave 
de  Montdézert  était  doué  d'une  heureuse  mémoire 
et  d'une  imagination  active  ;  il  était  animé,  en  même 


•RT. 


429 


-^  ^es, 

tiles. 

•e  par 

<ins  cas, 

ates  dont 

de  notre 

*  articulations 

>le,  et,  comme 

impression  qui 

•î.   S'il  envahit  le 

.  il  occasionne  une 

lée,  et  qui  souvent 

s'accumule   sur    les 

dont   le  principe  par 

celui  de  la  goutte.  Mais, 

K'ination  de  Tacide  urique 

attribue  à  une  altération  de 

itération  résulte  de  la  natilre 

•it  on  fait  usage.  L'acide  urique 

ui  proportion  des  aliments  plas- 

ide  par  rapport  aux  aliments  res- 

.  que  les  aliments  respiratoires  ne 

du  carbone  et  de  l'hydrogène,  et 

«luement  destinés  à  entretenir  le  jeu 

ion  ;  ce  sont  principalement  les  graisses, 

«'  sucre.  Les  aliments  plastiques  au  con- 


432  BIOGRAPHIE 

duitc  dans  les  poumons  dispose  aux  congestions  de 
cet  organe.  Cependant ,  quoique  ses  partisans  con- 
viennent  eux-mêmes  qu'il  ne  peut  faire  aucun  bien, 
son  usage  n'en  est  pas  moins  devenu  général.  Les 
hommes,  ainsi  que  Ta  dit  M.  Flourens,  ne  meurent 
pas ,  ils  se  tuent  Combien  d'autres  dangers  la  con- 
naissance de  l'hygiène  ne  pourrait-elle  pas  nous 
faire  éviter?  Elle  nous  apprendrait  à  quel  point  Tair 
concentré  et  chargé  d'acide  carbonique  qu'on  res- 
pire dans  toutes  les  grandes  réunions,  est  pernicieux 
pour  la  santé.  Nous  saurions  par  elle  que  l'usage,  si 
fréquent  en  Normandie,  des  boissons  acides  ne  peut 
que  débiliter  l'estomac  au  lieu  de  le  fortifier  ;  qu'il 
faut  éviter  d'habiter  des  appartements  humides  ou 
exposés  au  nord  ;  enfin ,  que  les  odeurs  elles-mêmes 
ne  sont  pas  indiilérentes,  puisque  les  émanations  des 
fleurs  très- odorantes  peuvent ,  dans  un  local  étroit, 
déterminer  l'asphyxie ,  tandis  que  celles  de  l'éther 
et  du  goudron  végétal  peuvent  être  très-favorables. 
Mais  je  me  borne  à  ce  simple  aperçu,  qui  doit  suffire 
pour  donner  une  idée  de  l'utilité  de  cette  science. 

Ce  fut  peu  de  temps  après  avoir  été  reçu  docteur 
en  médecine  que  M.  de  Montdézert  obtint,  an  con- 
cours ,  la  place  de  professeur  d'iiygiène  de  l'Associa- 
tion polytechnique  ;  et  ses  leçons ,  qui  furent  impri- 
mées successivement  dans  le  journal  hebdomadaire 
La  Science  pour  tons ,  obtinrent  un  succès  légitime. 
Peu  de  temps  avant  sa  mort,  il  les  avait  réunies  dans 
un  traité  qui  devait  être  publié  en  plusieurs  volumes, 
dont  le  premier  seulement  a  paru.  Dans  cet  ouvrage, 
que  j'ai  entre  les  mains,  on  trouve  autant  de  physiolo- 
gie que  d'hygiène.  Avant  d'indiquer  ce  qui  est  le  plus 


kTCALtcaksaulé,  u  ci4f.«<:i..t...  -.  -.'      .t  --- 

£  ticfd  quelques  notloa':  »i:  .t*.    r..    .-r  lz  .  -al  jh 
de  E«  organes.  Du  reâl»:.  ^-  ir  .i-::-i-  r.  :-.  r.:  ^  eu 
présenter  une  analyse  q=i.  n  •::: ;'!.-■::■-..  d.in*  ù*' 
îTop  Jougs  délailâ,  et  \t  c*:  i^.r.-.ri.  i  rn  fairo  un 
âozegéoéraL  Sans  doute.  ».  eil?.-i.:  dr,  i  an  ^.ortaiu 
nooibre  de  traités  sur  cette  iLa:.<irre  ;  m>ii:^ .  conum* 
ic£  autres  branches  de  la  méd<:ÛQe.  l'iiv-jn^uo   s'ou 
ricbit  chaque  jour  de  nouvelles  rjb?er\:it liais  ;  t*l , 
dans  son  ouvrage,  l'auteui  a  le  mérite  U'avuir  oxpn  <<' 
d*une  manière  claire  tft  méthodique  ce  iiiii  rtiu>liliH' 
iVtat  actuel  d'une  science  qu'il  a  su  mettre  à  la  pditi^i^ 
de  tous.  Or,  vulgariser  Thygiè ne,  et  par  elle  indiqun 
les  moyens  les  plus  sûrs  de  conserver  la  mi  ni*'* , 
n'est-ce  pas  contribuer  au  bonheur  de  rhumanil»''  ** 

M.  de  Montdézerl  a,  en  outre ,  publié  un  hi<*Mi(iii«' 
sut  l'ozone  ou  oxygène  électrisé ,  dont  les  pmiiriéii**» 
excitantes  pouiTaient ,  d'après  lui,  être  eniploviM-. 
avec  avantage  dans  le  traitement  de  la  goutte  <t  '1" 
diabète  sucré,  puisque  ces  maladies  ont  souvenl  |»o«n 
principe  un  défaut  d'oxygénation.   U'un  uuIhî  <<»!«•, 
comme  lozonea  pour  effet  de  n«Miii;ili.ser  le-,  miii'"»*'' 
et  de  purifier  l'air,  il  pourrait  encuie  ie':«-vnij    «hh- 
heoreuse  dppiitatlon  en  îi*-aiiii^-ant    1er   -ijl.*--   '1<-- 
malade?  dcr.^  >-  L;:ji-..i!jx.  Sui  le  rapport  ;,:<•  <-n»é 
par  M.  Cl-:-..!.  ■:■=   - ^m  •ire  ij*.  î.ivr,nîij«:ïî.';î»"  •>' ■ 
cutiij  >_:  .  A^i  :-:.  rr  -i^  ::.k'\'''.\u*:   'i*-    5*  *î  "  ■     i '■ 
encv.r^t'ri -t  ,t-,'-r  :■.■.*:■.:   >   p-.-;: -■.'.•.:•"  -"   "'     "*" 

M". -t        1  "■        "      ■■_      •■•  i"»       *•■','■-'.;.•■  T       o'iX''     ••'..■"■        •'-■■■" 

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V.  .■--:. 


■i34  HiiH;itAPMii:: 

rent  le  plus  à  le  faire  connaître  ,  et  qui  bientôt  lui 
procurèrent  une  riche  et  nombreuse  clientèle.  Elles 
lui  offrirent,  en  même  temps,  l'occasion  de  faire 
an  heureux  mariage.  Il  avait  donné  des  soins  à 
M.  Morisot ,  honorable  négociant  retiré  des  af- 
faires, qui ,  depuis  longtemps,  souffrait  cruellement 
de  celte  maladie,  et  il  était  parvenu  à  lui  procurer 
une  guérison  complète.  Bientôt  des  relations  intimes 
s'établirent  entre  eux.  Ses  qualités  aimables  ,  son 
caractère  afïiible  et  l'avantage  qu'il  avait  d'appartenir 
h  une  excellente  famille,  trouvèrent  dans  M.  Morisot 
un  juste  appréciateur  ;  et  à  l'honneur  d'une  cure 
difficile,  il  ne  tarda  pas  à  joindre  un  succès  plus  pré- 
cieux en  obtenant  la  main  de  la  fille  unique  de  son 
malade  reconnaissant.  Depuis  son  mariage  ,  tout  en 
ayant  son  domicile  h  Paris ,  il  demeurait  habituelle- 
ment, pendant  la  belle  saison  ,  à  Choisy-le-Roi ,  chez 
son  beau-père,  qui  y  possédait  une  magnifique  habi- 
tation où  se  trouvaient  réunis  tous  les  agréments  de 
la  campagne.  Mais  il  ne  négligeait  pas  pour  cela 
l'exercice  de  sa  profession.  La  proximité  d'un  chemin 
de  fer  lui  permettait  de  venir  chaque  jour  à  la  ville 
passer  le  temps  nécessaire  pour  visiter  ses  malades 
et  donner  des  consultations.  Dans  ce  concours  favo- 
rable de  circonstances ,  il  possédait  réellement  tous 
les  avantages  qui  peuvent  le  plus  contribuer  au  bon- 
heur. Mais,  hélas  !  il  ne  devait  pas  profiter  longtemps 
de  cette  douce  existence.  Tout  en  jouissant  habituelle- 
ment d'une  bonne  santé,  M.  de  Montdézert  n'était  pas 
de  ceux  qui  peuvent  impunément  commettre  une 
imprudence.  Un  bain  de  mer  trop  prolongé  occa- 
sionna chez  lui  un  refroidissement  dangereux,  et  dé- 


DE  M.  OCTAVE  SCELLES  DE  MONTOiZERT.  435 

termina  une  maladie  de  poitrine  À  laquelle  il  ne 
derait  pas  échapper,  malgré  tous  les  soins  dont  il 
fni  constamment  entouré ,  à  Carentan  •  par  sa  fa- 
mille ,  ainsi  que  par  sa  jeune  épouse ,  qui  avait 
pour  lui  une  tendre  affection.  Au  milieu  de  ses  souf- 
frances et  des  regrets  que  devait  lui  inspirer  nne 
cruelle  séparation  ,  il  manifesta  jusqu'à  la  fin  une 
grande  résignation  ;  et ,  le  7  janvier  1867  ,  il  termina 
par  une  mort  chrétienne ,  h  Tâge  de  trente-et-un  ans, 
une  vie  trop  courte  ,  mais  déjà  signalée  par  d'utiles 
travaux. 


LN 


EN  L'AN  DE  GRACE  1868. 
Membre  titulaire. 


— *-*«^\AAAAAAAAAAAA^.^— — 

Tout  le  monde  a  lu  le  nouveau  récit  de  M.  Fey- 
deuu  :  /m  cmntesse  de  Chalis,  On  peut  le  parcourir 
en  trois  iieures;  cependant  il  me  paraît  mériter  qu'on 
H'y  arrôle,  car  il  est  de  ceux  auxquels  peut  s'appliquer 
une  expression  devenue  banale  :  c'est  vraiment  un 
des  signes  du  temps. 

Ou  nous  nous  trompons  fort ,  ou  le  succès  n'a  pas 
répondu  à  toutes  les  espérances  de  l'auleur.  Le  gros 
du  public  n'a  vu  U\  tout  d'abord  qu'une  œuvre  immo- 
rale ,  il  a  trouvé  surtout  dans  l'héroïne  une  candeur 
de  vice  révoltante.  D'autres,  habitués  à  chercher 
dans  tout  roman  une  aventure  et  des  personnages 
auxquels  ils  puissent  s'intéresser,  ont  éprouvé  une 
déception.  11  en  a  été  de  même  pour  certains  lecteurs, 
(|ui  ont  espéré  inutilement  y  rencontrer  la  page  de 
haut  g(n\l  tpii  les  avait  allViandés  dans  une  première 
«uivre.  I/auleur,  j'imagine,  sans  se  soucier  de  l'in- 
ilignalion  des  uns,  ni  du  dérangement  d'habitudes 
des  uutivs,  ou  du  refroidissement  de  certains  enthou- 
siasmes qu'il  n'avait  pas  désirés,  leur  dirait  qu'il  avait 


UN  ROMAN  MORAL  EN  L'AN  DE  UHACE  i868.    437 

11  est  évident,  en  effet,  que  le  roman  moderne  entre 
de  plus  en  plus  dans  des  voies  nouvelles.  Le  roman- 
cier du  XIX*  siècle  n'est  plus  «  ce  qu'un  vain  peuple 
pense  ;  »  ce  qu'il  était  autrefois,  avant  tout  un  con- 
teur ,  chargé  d'amuser  les  désœuvrés.  Le  roman  du 
temps  jadis,  proche  parent  de  la  noîwelle,  était  quel- 
que histoire  de  cœur  agréable  et  touchante.  îl  s'em- 
parait de  rintérét  du  drame  avec  plus  de  familiarité 
et  d'abandon,  avec  quelque  chose  de  plus  intime, 
avec  un  détail  plus  complaisant  dés  caractères ,  de 
la  vie,  des  mœurs^  des  ressorts  secrets.  Aujourd'hui 
il  a  des  prétentions  plus  hautes  :  il  ne  veut  plus  relever 
de  l'imagination ,  mais  de  l'observation ,  de  la 
science,  nous  dit-il  :  il  ne  tient  pas  à  être  attachant, 
ou  beau,  mais  vrai.  Et  en  même  iemps  il  a  pris 
charge  d'âmes. 

L'auteur  de  La  comtesse  de  Chalis  est  avant  tout 
un  moraliste  et  un  moraliste  satirique,  une  sorte  de 
Juvénal  en  prose.  En  effet,  la  poésie  languit  aujour- 
d'hui, et,  le  vers  semblant  n'être  plus  qu'une  forme 
du  passé ,  un  moule  de  plus  en  plus  abandonné , 
à  l'usage  de  quelques  curieux  qui  composent  encore 
des  poèmes,  comme  on  fiiit  des  meubles  de  Boule  et 
des  faïences  de  Palissy;  le  roman  remplace  L'ancienne 
satire,  parce  que  le  roman  est  la  forme  la  plus  popu- 
laire, celle  qui  appelle  le  plus  de  lecteurs.  Et  comme 
tout  honnête  moraliste  prenant  son  rôle  au  sérieux, 
aux  critiques  il  joint  les  conseils.  Le  romancier  n'est 
plus  un  poète,  c'est  un  médecin^  un  médecin  qui  com- 
mence parl'unatomicet  qui  fmit  parles  prescriptions. 

Tel  est  incontestablement  le  rôle  que  s'est  donné 
M.  Feydeau   dans  son   nouveau   roman  ;  il  croit  la 


438  UN    ROMAN    MORAL 

société  malade  ,  et  il  veut  pssnver  de  la  traiter.  Il  ne 
se  contente  pas  d'être  un  moraliste  observateur,  con- 
sciencieux ,  exact ,  sans  faiblesse  et  sans  flatlerie , 
mais  en  même  temps  il  dogmatise  et  il  prêche.  D  ne 
veut  pas  qu'on  se  trompe  sur  ses  intentions.  S'ilnoas 
retrace  cette  histoire^  ne  croyez  pas  qu'il  cherche  le 
scandale  ;  non  ,  il  entend  nous  instruire  ,  il  nous  le 
dit  expressément.  Le  héros  de  l'aventure,  qui  se  con- 
fesse avec  une  pleine  franchise  ,  n'était  pas  libre  de 
ne  pas  nous  la  dire  :  son  récit  est  une  pénitence,  qu'il 
accomplit  consciencieusement.  C'est  la  condition  qu'a 
mise  à  son  pardon  le  mari  qu'il  a  trompé,  trompé 
selon  le  monde,  mais  en  réalité  trompé  aussi  peu 
que  possible ,  car  il  s'est  depuis  longtemps  déainté* 
ressé  de  son  ménage,  et  se  tient  strictement  en  dehors 
des  événements  ;  mari  sans  préjugés  et  d'une  longa- 
nimité tout  humanitaire,  qui  veut  que  la  faute  d'un 
seul  et  l'outrage  fait  à  son  nom  tourne  au  profit  de 
tous.  Ce  mari,  qui  va  mourir  dans  quinze  jours  (la 
date  est  précise  ) ,  atteint  d'une  phthisie  bien  carac- 
térisée, avec  un  détachement  que  peut  seul  pratiquer 
un  homme  qui  est  aussi  peu  de  ce  monde,  a  pardonné 
au  coupable ,  parce  que  ,  en  dépit  de  sa  faute.  •  il  a 
vu  en  lui  un  honnête  homme.  •  u  Vous  ailei ,  lui 
dit-il,  me  prouver  que  je  ne  me  suis  pas  trompé.  Vous 
publierez,  sans  rien  déguiser  ni  rien  retrancher,  tout 
ce  que  vous  connaissez  de  l'existence  de  la  comtesse 
de  Clialis  :  ce  sera  votre  expiation.  Et  si,  par  cet 
exemple  que  j'ai  fait,  quelqu'une  decesfeumies  qui  ne- 
sont  ni  épouses,  ni  mères,  ni  femmes,  peut  rëUéchir 
et  s'arrêter  à  temps  dans  sa  folie  ,  vous  et  moi  nous 
aurons  du  moins  accompli  quelque  chose  d'utile.  « 


EN   l'an   de  GRACE    1868.  439 

La  première  des  originalités  du  roman  est  d'avoir 
ehargé  de  cette  confession  un  jeune  universitaire.  En 
vérité ,  la  ]()ublicité  a  fait  depuis  quelque  temps  à 
l'Université  un  rôle  qui  est  en  droit  de  faire  sourire 
bien  des  gens,  et  surtout  ceux  de  ses  membres  à  qui 
lenr  âge  et  leur  situation  de  famille  permettent  de  se 
ranger  parmi  les  spectateurs.  Jadis  le  professeur, 
dans  la  littérature  romantique,  n'avait  rien  à  envier 
an  médecin  de  Molière.  T^aid ,  mal  tenu  ,  mal  lavé , 
vêtu  de  noir,  peu  familier  avec  le  peigne  et  la  brosse, 
ayant  peu  de  chose  à  démêler  avec  le  parfumeur  en 
renom,  ne  sachant  pas  même  où  logeait  Dusautoy, 
hérissé  de  grec  et  de  latin ,  il  était  Thorreur  des 
jeunes  garçons,  l'effroi  légitime  de  leurs  charmantes 
sœurs.  Qu'on  se  rappelle  seulement  l'horrible  et  ran- 
cuneux  portrait  que  Victor  Hugo  a  fait  du  proviseur 
dans  une  pièce  bien  connue.  Quel  changement  !  Le 
voilà  appelé  à  jouer  les  jeunes  premiers.  Il  va  dé- 
trôner l'ingénieur  et  le  jeune  chimiste  qui  depuis 
quelques  années  étaient  seuls  en  possession  de  faire 
battre  les  cœurs  des  héritières,  ou  le  grand  artiste  qui 
avait  à  un  moment  partagé  avec  eux  les  tendresses 
des  romanciers  et  des  vaudevillistes ,  ou  le  grand 
poète  incompris  et  chevelu  qui  les  avait  précédés  tous. 

Mais  ici  le  choix  même  du  héros  est  un  signe  du 
caractère  que  l'auteur  voulait  donner  à  son  œuvre. 
Il  lui  fallait  un  personnage  qui,  tout  en  cédant  aux 
entraînements  du  temps,  sentit  sa  faute  et  fût  capable, 
à  l'occasion,  de  dire  au  siècle  ses  vérités  ;  qui ,  né 
«  avec  une  âme  propre  »,  comme  dit  l'auteur,  avec 
une  nouveauté  d'expression  plus  hardie  qu'heureuse, 
eût  été  préparé  par  uuc  éducation  assez  forte  pour 


iiO  15  hUMA.N   MObAL 

que,  tout  en  be  laissant  emporter,  iJ  ne  perdit  jamais 
de  vue  la  lumière  morale  qui  le  condamne  arec 
éclat. C'eîst  même  la  une  des  plus  saisissantes  démons^ 
trations  des  dangers  signalés  par  l'auteur,  et  de 
l'état,  selon  lui,  désespéré  de  nos  mœurs,  que  de 
voir  ceux  dont  l'âme  a  été  trempée  par  les  pins 
fortes  études,  que  le  goût  des  plus  nobles  spéculations, 
que  l'austérité  de  leurs  habitudes  et  de  leur  profession, 
que  l'engagement  d'une  vie  réglée ,  pris  vis-à-vis 
d'eux-mêmes  et  vis-à-vis  du  public,  en  pleine  con- 
naissiincc^t  en  pleine  liberté  ,  devraient  retenir,  se 
laisser  aller  à  Tabime,  qu'ils  voient  ouvert,  et  ne  garder 
de  leur  vertu  première  que  les  remords  et  l'ardeur 
a  flétrir  leur  propre  faute.  Chacune  des  capitulations 
du  héros  avec  son  honneur,  chacune  de  ses  lâchetés 
(*Rt  une  condamnation  de  l'état  social  qui  mène  de 
telles  âmes  à  de  pareilles  chutes. 

Charles  Kcrouan  est  un  jeune  universitsiire  de  la 
plus  belle  espérance.  11  annonce  le  plus  riche  talent, 
et  ce  talent  no  reste  pas  un  instant  sans  récompense. 
Il  marche  dans  sa  carrière  à  pas  de  géant.  Du  reste, 
la  vie  de  l'enseignement  est  pour  lui  pleine  de  dou- 
ceui-s.  Il  est  rhùte  habituel  des  plus  riches  salons, 
le  familier  de  l'ambassade  d'Angleterre.  C'est  là  que 
Tatlend  le  drame  de  sa  vie,  là  que,  dans  une  fôte 
d'élé,  il  ref;oit  le  coup  de  foudre.  Il  était  minuit ,  il 
w»  disposait  à  se  retirer,  quand  ses  pieds  s'embar- 
ra8H«»nt  dans  la  traîne  d'une  robe.  On  ne  sait  pas 
asHi»/  combien  une  traîne  peut  être  un  piège  redou- 
table. Tandis  que  le  malheureux  essaie  de  réparer 
Ha  inaladresHe  et  s'excuse  ,  celle  qui  en  a  été  la 
viilnur  s«'  lohïurnr  inilée.   11  nous  a  dit  que,  tout 


EN  l'an   D£  GRACli:   1868.  441 

enfant,  il  avait  donné  des  marques  d'une  passion  et 
d'ane  sensibilité  peu  communes  ;  i]  en  offre  bien  ici 
la  preuve  :  a  Je  ressentis ,  nous  dit-il,  tout  à  coup 
c(  au  cœur  comme  uu  choc.  Je  puis  dire  sans  hyper- 
«  bole  qu'il  suffît  d'un  regard  pour  me  foudroyer. 
«  Mon  cœur ,  ma  vie ,  toutes  mes  pensées  ,  tout 
«  appartint  à  cette  femme  ;  elle  avait  tout  pris  avec 
«  elle,  elle  emportait  tout  derrière  elle  dans  les  plis 
u  ondoyants  de  sa  jupe  déchirée.  i>  Et  comme  dernier 
et  irrécusable  symptôme,  il  ajoute  nu  peu  plus  loin 
qu'à  partir  de  ce  moment  tout  dans  les  salons  •  prit 
pour  lui  des  proportions  augustes,  o  Sa  passion  est 
telle  qu'il  ne  songe  pas  un  instant  à  la  distance  que  la 
fortune  a  mise  entre  elie  et  lut,  et  à  se  dire  avec  le 
poète  aimé  de  M.  Feydeau  : 

Qa*i]  n*e8t  qu*iui  ver  de  terre  amoureux  d*une  étoile. 

Cependant  le  jeune  foudroyé  n'a  pas  voulu  être  pré- 
senté à  la  belle  comtesse.  Il  ne  veut  pas  qu'il  y  ait  rien 
de  banal  entr'eux.  11  se  réserve  d'apparaître  tout-à- 
coup  dans  quelque  circonstance  solennelle.  Cette  cir- 
constance ne  tarde  pas  à  se  présenter.  Il  l'a  suivie 
partout  et  jusqu'à  Aix  où  l'appelait  la  santé  de  Tun  de 
ses  enfants.  Il  va  se  loger  près  d'elle,  et  là  bientôt  le 
hasard  lui  livre  le  secret  de  la  vie  de  M"*  de  Chalis. 
Se  croyant  seule,  elle  a  une  explication  orageuse  et 
d'un  ton  médiocrement  aristocratique  avec  un  certain 
prince  ïitiane  que  Kerouan  détestait  d'instinct.  Elle 
lui  réclame  des  lettres  qui  peuvent  la  perdre,  et  dont 
le  prince  ne  vent  pas  se  dessaisir.  Rerouan  a  tout  en- 
tendu :  quand  le  prince  s'est  éloigne ,  il  se  présente 


442  DN   ROMAN   MORAL 

à  la  comtesse  au  désespoir.  Ces  lettres  qu'elle  pleare 
si  amèrement,  il  jure  de  les  lui  rendre  :  il  trouvera  on 
moyen,  il  ne  sait  pas  lequel,  mais  il  le  trouvera. 

Il  le  trouve  ,  en  eilet.  Triste  invention  et  qu'il 
convient  de  noter  !  Car  cela  menace  de  devenir 
un  lieu  commun  du  roman  et  du  drame  de  ce 
temps-ci ,  et  cela  me  semble  indiquer  une  fâcheuse 
déviation  ou  tout  au  moins  une  singulière  mollesse 
de  la  conscience  publique.  S'il  est  un  mot  qai  soit 
une  intolérable  insulte,  s'il  est  un  soupçon  qui  n'ose 
pas  même  approcher  d'un  honnête  homme,  c'est  celai 
d'un  vol.  Et  cependant,  par  une  rencontre  malheu- 
reuse, au  moment  où  les  vices  bas  se  multiplient,  où, 
les  attentats  à  la  vie  diminuant,  les  vols  augmentent, 
la  comédie  et  le  roman  semblent  vouloir  réclamer 
pour  lui  notre  indulgence,  en  se  faisant  un  jeu  de  ces 
accusations.  Le  vol  devient  un  ressort  du  roman  et  de 
la  comédie.  Désormais  l'art  de  forcer  les  serrures 
devra  faire  partie  des  talents  obligés,  des  séductions 
du  jeune  premier ,  comme  jadis  le  beau  langage , 
comme  la  pâleur  et  la  tristesse  fatale  il  y  a  trente 
ans.  A  l'échelle  de  cordes  d'autrefois  il  substitue  un 
rossignol.  Un  personnage  embarrassé ,  en  danger  de 
compromettre  celle  qu'il  aime,  se  tire  galamment 
d'affaire  en  se  faisant  passer  pour  voleur  !  Nous  avons 
vu  cela  dans  Nos  bons  Villageois  :  pour  sauver  l'hon- 
neur de  la  comtesse  de  Chalis ,  M.  Kerouan  démonte 
une  serrure,  et  vole  des  lettres  dans  un  nécessaire. 

Prenez  garde,  ô  poëtc,  cela  est  grave.  Comment  ne 
sentez-vous  pas  que  non-seulement  un  honnête 
homme  ne  peut  pas  consentir  à  endosser  un  pareil 
snn()çon ,  mais  qup  l'idée  même  ne  lui  en  viendra  ja- 


EN  l'an   de  GRACE  486R.  443 

mais;  qu'il  y  a  quelque  chose  d'aussi  sacré  qu'une 
répotation  de  femme  on  de  jeune  fille  innocente: 
c'est  la  rectitude  de  la  conscience.  Il  y  avait  dans 
notre  vieille  langue  un  beau  mot.  L'homme  comme  il 
faut  s'appelait  alors  Tlionnéte  homme.  Cela  tout  seul 
était  une  profession  de  foi  :  cela  voulait  dire  que,  pour 
appartenir  au  monde  élégant,  il  fallait  avant  tout  être 
en  règle  avec  le  vieil  honneur  fi-ançais.  Il  était,  je  ne 
dis  pas  seulement  des  actes ,  mais  des  possibilités 
d'actes  incompatibles  avec  cette  idée.  Aurions-nous 
donc  perdu  cette  Heur  d'honneur?  Le  public  devrait 
se  soulever  indigné  contre  ces  jeunes  amoureux  qui 
en  font  si  bon  marché.  Que  nos  écrivains  y  fassent 
attention.  Il  n'est  jamais  bon  de  diminuer  la  légithue 
horreur  ou  plutôt  le  dégoût  de  certaines  choses.  II 
ne  faut  pas  familiariser  la  foule,  et  Tapprivoiser  pour 
ainsi  dire  à  l'infamie. 

Cependant  la  comtesse  n'a  pas  résisté  à  cette  preuve 
délicate  de  dévouement  Le  jeune  homme  passe  à  Aix 
un  mois  d'enivrement.  Il  est  possédé  tout  entier.  Il 
refuse  la  main  d'une  jeune  fille  ,  parce  de  toutes  les 
grâces,  dont  son  père  lui  avait  préparé  l'alliance.  11 
la  refuse  non  sans  regret.  Car  il  faut  reconnaître  que 
dans  le  roman  moderne  les  héros  sont  pleins  de  res- 
pect pour  le  mariage.  Us  proclament,  en  général,  que 
le  bonheur  n'est  que  là.  Il  est  vrai  que  non  moins 
généralement ,  avec  une  modestie  touchante ,  ils  re- 
fusent ce  bonheur  qui  s'offre  à  eux  en  déclarant 
qu'ils  n'en  sont  pas  dignes.  Ainsi  fait  le  jeune 
M.  Kerouan.  L'bistoire  de  ses  amours  n'est  désor- 
mais que  l'histoire  de  ses  fautes  et  de  ses  chutes. 

II  est  revenu  à  Paris,  tout  entier  à  sa  passion,  lancé 


444  i:n  uoman  moral 

tout-à-fait  dans  la  belle  vie  et  quelque  pen  honteux 
de  sa  gloire.  Mais,  tout  en  sentant  le  vide  de  cette 
existence,*  tout  en  s'écriant  de  temps  en  temps  :  c'est 
((  trop  !  et  en  éprouvant  des  nausées  n  ,  il  s'est  laissé 
prendre  dans  Tengrenagc  du  gandinisme. 

Cependant  il  lui  faut  bientôt  s'apercevoir  qu'en 
dépit  de  tous  nos  progrès,  il  y  a  incompatibilité  entre 
les  succès  universitaires  et  ceux  de  la  «  high  Itfe.  »  Et 
au  moment  où,  pour  faire  figure  au  bois  et  au  baccarat 
des  Petits  crevés,  il  vient  de  dévorer  le  dernier  éca  de 
l'héritage  maternel,  il  reçoit  un  pli  d'aspect  vënémble 
qui  le  place  entre  un  exil  honorable  en  province  ou 
sa  démission.  Il  s'empresse  d'opter  pour  la  démis- 
sion. Sacrifice  mal  payé  !  Car,  lasse  do  ses  conseils, 
la  comtesse  se  détache  de  lui  et  se  précipite  dans 
toutes  les  folies.  Avec  la  démission  est  venue  la  mi- 
sère, puis  les  dettes.  Un  jour  enfin  mourant  de  faim, 
surpris  par  la  comtesse,  il  est  réduit  à  lui  confesser 
son  affreuse  situation  ,  et  il  commet  une  horrible 
lâcheté.  11  accepte,  que  dis-je?  il  implore  de  sa  mai- 
tresse  un  morceau  de  pain  ;  il  la  supplie  de  le  prendre 
a  ses  gages  :  il  deviendra  le  précepteur  de  ses  enfants. 
Lui ,  qui  se  prétend  si  pénétré  des  plus  purs  et  des 
plus  virils  enseignements  de  l'histoire,  il  n'a  pas  senti 
tout  de  suite  l'indignité  de  cette  situation ,  complice 
des  désordres  de  la  mère,  et  réclamant  les  respects 
des  enfants. En  vérité,  si  le  roman  fait  encore  à  l'Uni- 
versité riionneur  de  lui  emprunter  des  héros ,  elle 
devra  le  supplier  de  lui  rendre  ses  railleries  d'autre- 
fois. Mieux  valait  l'honnête  pédantisme  du  passé  que 
ces  Victoires  et  conquêtes,  payées  de  semblables  dé- 
chéances. 


KN  l'an  de  orage  1868.  ^145 

Le  précepteur  nouveau  n'a  pas  plus  que  la  com- 
tesse songé  aux  suites  de  cette  résolution.  Ils  ne 
tardent  pas  à  reconnaître  en  quel  enfer  ils  se  sont 
enfermés,  elle  s'étant  donné  un  surveillant ,  un  cri- 
tique de  tous  les  instants,  lui  un  supplice  incessant 
par  la  vue  des  égarements  de  la  comtesse.  Un  châti- 
ment plus  terrible  encore  l'attend.  M.  de  Chalis  est 
revenu.  Le  jeune  homme  va  vivre  en  un  continuel 
remords,  un  continuel  déchirement  de  conscience. 
Et,  pour  l'achever,  ce  mari  lui  donne  toute  sa  con- 
fiance, lui  raconte  sa  vie  ,  lui  dit  pourquoi  il  a  dû 
se  séparer  de  sa  femme  ;  et,  forcé  de  s'éloigner  de 
nouveau ,  il  demande  au  précepteur  de  ses  enfants 
de  l'avertir  si ,  dans  cette  foUe  demeure ,  l'honneur 
de  son  nom  était  en  péril.  Charles  promet  avec  une 
horrible  souffrance.  Puis ,  le  mari  parti ,  il  se  laisse 
arracher  le  secret  qui  lui  a  été  confié.  Ainsi ,  tou- 
jours honteux  de  lui-même,  complice  de  toutes  les 
fautes,  et  cependant  donnant  des  conseils  qui  ne 
servent  qu'à  le  faire  haïr ,  toujours  ressaisi  par  une 
passion  dont  il  rougit ,  un  jour  enfin  chassé  par  la 
comtesse,  blessé  et  presque  tué  par  Titiane ,  sans 
pouvoir  échapper  encore  à  l'influence  funeste ,  ce 
n'est  que  devant  une  révélation  dernière  de  la  plus 
complète  infamie  de  sa  maîtresse ,  qu'il  s*enfuit 
épouvanté  et  court  chercher  auprès  de  son  père 
un  lieu  de  sûreté,  où  les  contre-coups  seront  pour 
lui  moins  redoutables.  C'est  là  qu'il  apprend  que 
toutes  ces  hontes  ont  trouvé  enfin  un  châtiment, 
que  M.  de  Chalis  averti  est  revenu  ;  que,  comme  un 
franc-juge  du  moyen-àge,  il  a  fait  justice  lui-même  , 
il  a  tué ,  surpris  dans  une  orgie ,  le  misérable  au- 


446  CN   ROMAN   MORAL 

leur  de  la  perte  de  sa  femme  ,  et  jeté  celle-ci  dans 
une  maison  de  santé ,  où  la  folie  le  vengera. 

Quant  au  jeune  M.  Kerouan,  épargné,  nous  l'avons 
vu,  par  la  clémence  du  mari,  son  père  achèvera  de 
le  relever.  Il  a  refusé  encore  une  fois ,  il  est  vi-ai , 
«  range  o  qui  lui  est  offert;  mais,  rassurez-vous p 
certainement  il  Tépousera.  Déjà  il  échappe  au  ma- 
rasme qui  Pavait  envahi  :  il  fait  des  conférences,  il 
est  sauvé  ! 

On  le  voit ,  dans  ce  petit  mélodrame ,  égayé  de 
Pétrone,  et  relevé  de  longs  sermons ,  le  roman  pro- 
prement dit  tient  peu  de  place ,  Tintrigue  est  médio- 
crement saisissante  ;  l'auteur  évidemment  y  attache 
peu  d'importance ,  ou  plutôt  il  a  voulu  qu'il  en  fût 
ainsi,  aûn  que  Tintérét  du  lecteur  ne  pût  s'égarer  et 
s'attacher  aux  faits,  tandis  qu'il  le  voulait  retenir 
tout  entier  pour  l'étude  morale.  Le  héros  ne  tombe 
que  pour  l'édification  du  lecteur.  Mais  l'auteur  ne 
s'est  pas  contenté  de  cette  vague  leçon.  Du  haut  de 
chacune  de  ses  fautes ,  le  jeune  M.  Kerouan  mora- 
lise. Après  le  vol  obligeant  des  lettres  et  ce  qui  s'en 
est  suivi,  dans  une  conférence  pour  la  comtesse 
seule,  mais  dont  l'auteur  veut  bien  nous  faire  bëné- 
Gcier,  il  prend  pour  thème  la  disparition  des  mœurs 
françaises  dans  l'invasion  de  l'univers ,  l'effacement 
de  l'esprit  de  Paris ,  devenu  un  caravansérail  et  la 
capitale  du  plaisir  ;  ailleurs,  il  disserte  sur  le  triste 
caractère  de  nos  divertissements ,  sur  la  curiosité 
fâcheuse  des  honnêtes  femmes  pour  le  mauvais 
monde.  Plus  loin,  il  traite  de  l'éducation  des  femmes  ; 
c'est  le  chapitre  indispensable  en  ce  moment ,  la 
Miiu-que  de  l'an  mie.  Il  veut  refaire  l'instruction  de  la 


io8  UN   ROMAN   MORAL 

ment  laborieuse  ils  s'étudient  à  se  fuire  pardonner 
leur  oisiveté  ;  qu'ils  ne  prétendent  pas  régner  et  cor- 
rompre. Ce  serait  un  spectacle  singulier  et  Jamcn- 
table  que  celui  d*une  démocratie  vivant  par  des 
vertus  viriles  ,  et  ayant  pour  couronnement  et  pour 
récompense  les  vices  el  les  folies  des  aristocraties  en 
décadence. 

Soit  donc  !  si  une  partie  do  notre  société  est  réel- 
lement telle  que  vous  le  dîtes,  faites-lui  la  guerre  el 
tlétrissez-la  ,  rien  de  mieux. 

Nous  donnerons  donc  acte  h  l'auteur  de  ses  inten- 
tions. M.  Fcydeau  me  parait  un  esprit  sérieux  et 
convaincu,  une  Ame  droite  et  saine.  Mais,  en  mettant 
à  part  son  honnêteté ,  la  question  littéraire  et  mo- 
rale (  il  convient  de  ne  pas  les  séparer  ici  )  demcore 
tout  entière.  Je  ne  crois  pas  qu'il  convienne  d'encou- 
rager de  telles  tentatives.  De  pareilles  œuvres  ne 
sont  bonnes  ni  pour  la  morale  ni  pour  la  littérature. 
Ce  que  je  vois  de  plus  fAcheux  pour  la  moi-ale  pu- 
blique ,  ce  n'est  même  pas  le  danger  de  certains  ta- 
bleaux ,  ce  n'est  fuis  que  le  livre  ait  niison  dans  cer- 
taines de  ses  accusations ,  ce  serait  cette  dépravation 
du  jugement  mural  qui  permettrait  à  la  littérature 
de  croii*e  qu'elle  fait,  par  de  semblables  composi- 
tions, une  œuvre  utile  el  salutaire. 

I)  abord ,  la  prédication  va  mal  au  roman.  On  est 
toujours  tenté  de  lui  demander  comme  ce  mari  :  Ah  ! 
Monsieur,  qui  vous  y  ol)liireait  ?  Tout  ce  qu'on  at- 
tend de  lui,  c'est  de  ne  pas  outrager  l'honnêteté ,  ce 
n*est  pas  d  en  donner  leçon.  Il  ne  convient  piis  au 
romancier  de  faire  double  emploi  avec  ie  prédica- 
teur. La  moiale  et  le  loman  y  perdent  tous  deux. 


EN  l'au  de  GRACE  18«)8.  459 

La  morale  (j'entends  la  morale  en  sentences  et  en 
Bernions)  gâte  le  roman,  et  le  roman  h  coup  sûr 
gAte  la  morale.  Le  lecteur  aime  à  trouver  chaque 
cbose  en  son  lieu,  et  non  à  <}tre  comme  pris  uu 
piège.  11  ne  veut  pas  des  ëliquettes  trompeuses.  Si 
▼ons  prétendez  l'instruire,  dites-le-lui  et  faites  un 
livre  d'instruction.  Il  n*y  a  que  les  tout  petits  en- 
fants pour  lesquels  il  soit  bon  de  mettre  une  méde- 
cine dans  nn  bonbon.  Les  pliunuaciens  qui  les  ven- 
dent assurent  que  cela  fait  des  bon1:>ons  exquis;  mais 
le  moindre  risque  est  de  faire  des  médecines  trop 
douces  ou  des  bonbons  trop  médicinaux.  L'impres- 
sion du  livre  est  confuse  et  ditlicilemcnt  démêlée  par 
le  lecteur. 

D'ailleurs  ,  le  roman  n'u  pas  caractiuc  pour  eni<ei- 
gner  :  cette  prétention  va  mnl  avec  ses  peintures. 
Pour  avoir  le  droijt  de  faire  la  leçon  aux  autres  il  faut 
être  sans  tache.  Votre  héros  a  mauvaise  prûce  à  prê- 
cher du  fond  de  sa  complicité.  On  sofait'diflicilement 
une  chaire  de  Talcove  (rauhui.  Quand  lo  sermon 
moralise,  la  société  est  toujours  en  droit  de  lui  dire, 
comme  M"*  de  Chalis  à  Charles  Rerouan  :  «  Qui  élcs- 
«  vous,  pour  me  faire  la  leçon  ?  « 

C'est  bien  pis  si  votre  morale  se  fait  sitiriquc.  Kii 
morale  on  ne  fait  rien  de  bon  par  le  mépris,  ce  nVsl 
pas  ainsi  qu'on  peut  fortifier  ou  relever  les  âmes.  La 
moralité  humaine  est  chose  délicate,  elle  a  une  Heur 
qu'il  faut  craindre  de  lui  cnlcvor.  Ce  nVst  pas  en  nous 
faisant  vivre  familièrement  avec  la  honte  qu'on  inspire 
le  respect  de  Thonneur.  Si,  couïme  vous  le  faites  en- 
tendi*e  ,  vous  voulez  venir  en  aide  à  l'honnêteté  pu- 
blique^ inventez  quelque  belle  et  grande  œuvre,  une 


460  TN   ROMAK  MORAL 

Oîiivre  non  pas  fudcment  innocente ,  mais  virile- 
ment morale,  que  voire  talent  saura  imposer  à  Tat- 
tention  publique, et  qui.  au  lieu  de  lîélrîr  seulement  le 
mal,  donne  la  passion  du  bien  ;  mais  le  spectacle  con- 
tinu de  rignominic  ne  peut  qu'abaisser  et  flétrir.  On 
rëpétait  volontiers  jadis  que  les  Lacédémoniens,  pour 
inspirer  à  leurs  enfants  l'Lorreur  de  Tivrognerie,  leur 
monlraientde  temps  en  temps  un  ilote  ivre.  J'imagine 
que  cela  souillait  plus  les  regards,  que  cela  ne  faisait 
d'honmies  sobres  :  leur  sobriété  tenait  à  Tesprit  gé- 
néral de  la  constitution  plutôt  qu'A  cet  ignoble  ensei- 
gnement. Kt  d'ailleurs,  si  l'on  veut  des  leçons  de  déli- 
catesse morale,  ce  n'est  pî\s  dans  ce  hara*s  militaire 
do  Sparte  qu'il  faut  les  aller  chercher.  La  vieille  sa- 
tire, toute  passée  de  mode  qu'elle  est,  avait  au  moins 
cet  avantage  qu'elle  ne  présentait  pas  d'équivoque 
possible  ,  les  saliri([ues  étaient  des  prédicateurs 
laïques  :  elle  allait  droit  au  mal  pour  le  chdtier  et  ne 
r»»nveloppait-pas,  et  la  forme  poétique  qu'ils  don- 
naient à  leur  pensée  en  faisait  (euvre  d'art. 

Cependant  il  est  des  gens  qui  sauront  gré  à  ce  livre 
d'être  ainsi.  Kst-ce  donc  1.^,  en  elfet,  le  roman  de  l'a- 
venir? Sommes-nous  désormais  condamnés  à  la  lUté- 
rature  brutitie?  Je  ne  sais  pas  d'autre  nom  pour  dési- 
gner ces  tendances.  Faut-il  croire  que  ces  compositions 
auxquelles  nous  nous  intéressions  il  y  a  quelques  an- 
nées à  peine  ,  comme  Le  marquis  de  Villemer,  que  ces 
louchantes  histoires  de  cieur  ne  sont  déjà  plus  que 
le  roman  du  passé  ?  Il  est  des  critiques  qui  le  croient 
et  qui  pensent  que  ce  roman-là  n'est  point  assez  viril 
ni  nsseï  savant,  et  qu'il  est  trop  poétique.  Nous  avons 
vraiment  trop  de  prétentions  scienlitiques.  H  y  a  des 


EN    L*AN    U£   GRACE    18G8.  iOl 

époques  qui  ont  adoi-é  la  Itcauté  ;  c'est  de  là  qu'est 
Borlio  la  i-enai?sance  italienne  aj  tisliquo  et  littéraire. 
Pour  nous,  nous  faisons  profession  de  n  aimer  que 
la  vérité,  une  vérité  qui  de  plus  eu  plus  devient  la 
né[;[alion  de  l'idéal.  L'idéal  est  cependant  aussi  néces- 
saire aux  sociétés  que  le  vrai.  C'est  une  vérité  d'un 
degré  supérieur.  Par  égard  pour  la  vérité,  nous  en- 
laidissons l'histoire  ;  il  y  a  toute  une  école  (pii,  sem- 
blable à  ce  dénicheur  de  saints  du  \\\V  siècle,  s'est 
vouée  à  la  destruction  des  j^rands  hommes.  Ne  ban- 
nissons pas  la  poésie  du  seul  petit  coin  qui  lui  reste. 
Ce  qui  donne  h  la  tendance  du  livre  nouveau  plus  de 
gravité,  ce  qui  me  trouble  et  m'inquiète  quelque  peu, 
c'est  qu'elle  offre  une  certaine  concnrdance  avec  une 
opinion  professée  récemment  par  deux  hommes  de 
grande  autorité  en  ces  matières,  et  qui ,  partis  de 
points  opposés,  arrivent  à  une  même  conclusion. 
M- de  Sacy,  sénateur,  et,  connue  on  sait,  fort  admi- 
rateur du  XVll^  siècle,  dans  uneu'uvre  oUicielIe  (1), 
ce  qui  donne  plus  d'importance  à  ^es  paroles , 
déclare  solennellement  que  «  la  littérature  classique 
est  fmie.  »  Et  il  a  soin  de  bien  marquer  qu'il  n'entend 
pas  par  là  la  littérature  du  passé,  mais  celle  en  gé- 
nérai, qui  s'attache  à  la  perfection,  qui  veut  satisfaire 
les  délicatesses  du  ^oiïl.  «  Essentiellement  aristocra- 
tique de  sa  nature,  dil-il,  elle  n'est  plus  de  notre 
époque.  »  El  M.  Sainte-Deuve  de  son  côté ,  dans  ses 
libres  Causeries ^  assure  que  les  littératures  dites  clas- 
siques ne  seront  dans  l'avenir  goûtées  que   d'une 

'I;  Rapport  sur  les  pro^rrs  dr^  Scifiin-s  ci  des  I-fllros    Disoiiir». 
préliiiiiiiaire. 


40i  15    ItOXAS    NORll. 

rare  ëlilc  Esl-il  donc  vrai  que,  de  par  la  démocratie  , 
nous  soyons  mcunci'/n  de  voir  disparaître  à  jamais 
toutes  les  déiicatefi^e»,  et  Part  lui-même  ,  que  nous 
ne  devions  plus  attendre  que  des  œuvres  violentes? 
On  pourra  trouver  que  ce  n'est  pas  là  on  moyen  de 
recommander  lu  démocratie.  J'ai  la  plus  vive  sym- 
pathie et  le  plus  frrand  respect  pour  le  talent  de 
M.  Sainte-lleuve  et  celui  de  M.  de  Sacy  ;  mais  il  me 
semble  qu'il  est  permis  d'en  appeler  de  leur  juge- 
ment. Je  ne  vois  pas,  l'histoire  en  main,  que  les  dë- 
mocraties  aient  M.  à  ce  point  ennemies  de  l'art.  On 
en  rencontre  qui  ont  fait  dans  l'histoire  des  arts^  dans 
l'histoire  du  fçoût  et  de  la  délicatesse  assez  bonne 
tigure.  Sans  doute  un  grand  changement  s'est  opéré. 
Le  KuilVage  universel  veut  se  faire  sa  place  en  litté- 
rature comme  i^w  politique.    On    a  remarqué   avec 
rais(m  que  les  voies  ferrées  amenant  aux  théAtresdes 
multitudes^  que  les  fortunes  rapides  créées  par  l'agio- 
tage |H)rtant  aux  premiers  rangs  de  la  société  des 
gens  do  médiocre  culture  intellectuelle,  les  juges  de 
Tospril  n'étaient  plus  la  fuie  éUte  d'autrefois,  que  le 
public  désornuiis  s'appelait  légion.  Des  écrivains  ont 
dû  ^tre  tentés  de  se  mettrt^  à  la  portée  de  celte  foule 
qui  leur  venait  de  toutes  parts ,  et  qui  était  encore  à 
demi  illettrée. Mais  à  la  portée  ne  veut  pas  dire  au  ni- 
veau.  Si  la  foule  est  encore  si  bas,  les  écrivains  ne 
doivent  |kis  descendre  jusqu'à  elle,  mais  l'élever  jus- 
qu'à eux.  D  ailleurs,  à  mesure  que  cette  société  va  se 
rasseoir,  elle  aura  des  tn^soins  nouveaux  ,  on  verra 
reparaître  les  conditions  natives  du  génie  français. 
Il   est  naturellement  ami  des  élégances.  Chez  nous 
toutes  les  conditions  se  ressemblent  en  cela.  C'est  à 


EN  l'an  oe  biiACii:  1868.  4G3 

tort  que  ,  par  la  grossièreté  ,  vous  croyez  llatter  le 
peuple  et  entrer  en  ses  goûts.  Lo  peuple  bien  con- 
sulte vous  répondrait  qu'il  n'aime  les  sordidités ,  ni 
an  physique,  ni  un  moral^  ni  dans  les  senlimenis,  ni 
dans  le  costume.  Voyez  comme  l'ouvrier  se  plait  à 
s*endinianclier.  Quand  la  République  prit  pour  livrée 
les  haillons ,  le  bonnet  gras  et  les  sabots ,  elle 
inspira  le  dégoût  môme  à  la  foule  ;  les  terroristes 
faisaient  peur,  les  sans-culottes  furent  Aussi  gro- 
tesques qn'odieux.  11  en  est  de  même  au  moral.  La 
foule  n*a  pas  le  goût  que  vous  lui  supposez  pour  les 
choses  basses,  pour  les  tableaux  grossiei^.  Loin  de 
là,  ce  qui  la  fait  vibrer,  ce  qui  lui  arrache  les  applau- 
dissements les  plus  enthousiastes,  ce  sont  les  grandes 
pensées  qui,  à  force  d'être  grandes  et  reconnues  telles, 
s'appellent  des  lieux  communs.  Et  ce  qui  le  prouve 
bien,  c'est  que  les  œuvres  comme  celles  que  nous  étu- 
dions choquent  surtout  la  foule,  et  qu'elles  ne  trouvent 
des  approbateurs  que  chez  les  lettrés  de  profession  , 
chez  les  curieux  de  l'esprit.  Laissez  le  temps  faire  son 
œuvre;  ces  ignorants  rougiront  de  leur  ignorance, 
ils  auront  soif  à  leur  lourde  toutes  les  jouissances  déli- 
cates. En  tout  cas ,  quand  même  cette  décadence  du 
goût  solennellement  acceptée  par  des  juges  acadé- 
miciens devrait  persister,  ce  serait  encore  le  devoir 
de  la  critique  de  protester  jusqu'au  bout. 


SUE   L£ 


PRIX  DE  LA  GODRE 


MEvMEIRn, 

Un  lie  no?  hoiiuiês  collt'iriies .  M-  de  La  Codre , 
tonime  pour  aiigiuer.ler  le  r**ffrel  tjiie  nous  éprouvons 
de  ne  le  jumai?  voir  eu  milieu  tlo  nous  ,  a  bien  voulu 
mcUre  .  il  y  a  enviion  di  us  ans  .  à  la  disposilion  de 
l'Acadt-mie .  une  mèdaiile  d'or  de  la  valeur  de 
500  fiant >  pruii  êlie  dëceint-e  .  en  1867  .  au  meilleur 
écrit  traitant  la  question  suivante  : 

».  D.ins  quelle  mesure  la  philosophie  a-t-elle  été 
*-t  pourra-t-elle  être  utile  au  perfectionnement  et  au 
bonheur  des  hommes  ?  v 

Le  concours  pour  ce  prix ,  ouvert  en  novem- 
bre 1865,  imposait  pour  condition  aux  prétendants 
de  faire  fuiivenir  leurs  mcnioiix^s,  dans  les  formes 
accoutumées,  à  M.  Julien  Titivers  ,  Secrétaire  de 
rAcaJémie,  avant  le  l*'  décembre  186(5. 

Quatio  manuscrits  ont  été  remis  au  Secrétariat  :  le 
premier,  le  17  avril  :  le  second  ,  le  27  ;  le  troisième, 
le  17  novembre;  le  quatrième  ,  le  ùS,  et  soumis  à  la 
Commission  d'impression ,  qui  s'est  adjoint ,  pour 
loxamen  quelle  a\ait  à  en  faire.  M.  Denis,  profes- 


RAPFORT   SUE   LE   PRIX   DK  LA    lIODKK.  it>5 

seur  de  b'Uëralure  ancienne  à  la  Faculté  des  Leltrei*, 
et  M.  Ghanna,  professeur  de  philosophie  et  doyen  k 
la  même  Faculté. 

Trois  de  ces  manuscrits^  les  n°*  i  ,  2  et  4 ,  portant 
la  signature  ostensible  de  leurs  auteurs  qui  se  met- 
taient par  cela  même  hors  de  concours ,  la  Commis- 
sion n'a  pas  eu  à  les  juger.  Elle  croit  toutefois,  pour 
que  l'Académie  ne  soit  pas  tentée  de  craindre  que 
cet  oubli  d'une  formalité  si  élémentaire  dans  les 
choses  de  ce  genre  ne  l'ait  pu  priver  du  phiisir  de 
couronner  un  travail  méritoire  ,  devoir  la  rassurer  en 
lui  déclarant  qu'aucun  des  trois  n'aurait  obtenu  ni  le 
prix ,  ni  même  une  mention. 

Restait  le  n*  3  qui,  ayant  seul  réuni  toutes  les  con- 
ditions requises,  devait  seul  être  l'objet  de  son  étude 
et  du  compte  qu'elle  aurait  à  rendre  de  sa  mission. 

Le  manuscrit  dont  je  viens,  Messieurs,  vous  entre- 
tenir en  son  nom  comprend  209  pages  petit  in-4* 
d'une  écriture  tremblée ,  mais  très-nette  et  parfaite- 
ment lisible. 

Il  porte  en  épigraphe  cette  phrase  de  M.  Jules 
Simon  :  a  Le  progrès  et  le  progrès  indéfini  est  la  loi 
de  la  philosophie.  » 

11  se  partage  en  vingt-huit  chapitres  dont  chacun 
traite  un  des  points  de  vue  spéciaux  sous  lesquels 
l'auteur  a  envisagé  la  question,  à  l'exception  de  quel- 
ques-uns qui  pourraient  s'intituler  :  Suite  du  chapitre 
précédent,  et  qu'on  n'aurait  pas  dû  détacher  de  ceux 
qu'ils  continuent  et  complètent.  A  part  ce  léger 
défaut ,  si  c'en  est  un  ,  on  remarque  partout ,  dans 
ces  vingt-huit  chapitres,  un  esprit  d'ordre  et  de 
méthode  qui  ^  joint  à  la  précision  et   ù  la  clarlé  »lu 

:J0 


{ 


RA]?ï*OîiT 


suit   LE 


PRIX  DE  LA  GODT 


Mkssieius  , 

Un   do  nus  honorés  collôgues ,  M.  • 
comme  pour  angmenlor  le  regret  que  ii 
ile  ne  le  jamais  voir  au  milieu  de  non^ 
mettre  .  il  v  a  environ  d(nis  ans  ,  à  h 
l'Académie ,  une    médaille    d'or    d- 
500  francs  pour  être  décernée  ,  en  1^ 
écrit  traitant  la  question  suivante  : 

u  Dans  quelle  mesure  la  pbilo- 
i'\  pourra-t-elle  tMre  utile  au  perf- 
bonlieur  des  hommes  ?  i» 

Le   concouis   pour  ce    prix 
lire  ISOo.  imposait  pour  cond 
tle  faire  pai venir  leurs  mémo 
accoutumées,  à  M.   Julien  1 
l'Académie,  avant  le  l"  déce 

Oualre  manuscrits  ont  été 
premier,  le  17  avril;  le  secr 
le  17  novembre:  le  quatrièi 
Commission  d'impression 
l'examen  qu'elle  axait  à  c 


9CR  LE  PRIX  DE  LA  CODRE.  467 

Tout  gônë  qu'il  ëiait  dans  son  expansion  instinctive 
aux  diverses  ëpoqnes  où  il  s'est  manifeste  comme  il 
l'a  pa,  il  a  cependant  contribue  puissamment  aux 
améliorations  lentement  processives  de  Tétat  social 
chez  les  différents  peuples ,  et  c'est  à  lui  que  les  na- 
tions doivent  les  quelques  institutions  libérales  qui 
se  sont  péniblement  substituées  cbez  elles  aux  légis- 
lations plus  ou  moins  despotiques  dont  elles  ont  si 
longtemps  souffert.    Que  sera-ce  donc  maintenant 
qu'il  n'a  pour  ainsi  dire  presque  plus  rien  à  détruire, 
qu'il  n'a  plus  en  quelque  sorte  qu'à  fonder  et  à  éta- 
blir? L'auteur  ne  doute  pas  que  cette  pbilosophie 
rationnelle  qu'il  identifie  avec  ce    qu'il   appelle  le 
véritabk  christianisme  9  s'iippuyant,  comme  il  ledit, 
sur  la    croyance    au  Dieu    unique   et  à  la  justice 
ainsi  qu'à  la  vérité  immuable  et  éternelle ,   sur  la 
souveraineté  de  la  conscience  et  l'égal ité  morale  des 
hommes,  ne  conduise  notre  espèce  au  but  que  lu  Pro- 
vidence lui  assigne ,  c'est-à-dire  à  toute  lu  perfection 
dont  sa  nature  est  capable  et  à  tout  le  bonheur  dont 
sur  cette  terre  même  elle  est  appelée  à  jouir. 

Tel  est ,  Messieurs  ,  en  substance  ,  le  truvuil  cjue 
votre  Commission  avait  à  apprécier  ;  cette  apprécia- 
tion ,  elle  est  impUcitement  contenue  duns  l'exposé 
que  je  viens  de  vous  soumettre  ;  il  ne  me  reste  qu'a 
l'en  dégager. 

Le  mémoire  n**  3  est  de  ceux  qu'une  Acudémie  doit 
se  féliciter  d'avoir  provoqué  et  fuit  éclorc  ;  il  est  de 
ceux,  par  conséquent^  qu'elle  ne  peut  pas  ne  pas  ré- 
compenser. 

Votre  Commission  vous  [uoposc  donc  ,  Messieurs, 
à  une  grande  majorité,  de  lui  décerner  la  miidaille 
d'or  dont  vous  pouvez  disposcM-. 


4()8  RAPPORT   SUR    LE    PRIX    DE    LA    œDKE. 

Mais,  tout  en  lui  accordant  ce  témoignage  d'estime, 
la  Commission  fait  ses  réserves  sur  un  point  impor- 
tant. La  thèse  soutenue  par  Técrivain  accuse  partout, 
sans  aigreur ,  il  est  vrai,  et  en  termes  adoucis  autant 
que  possible,  toutes  les  religions  positives  d'en- 
chaîner les  libres  développements  de  la  raison  et  par 
là  de  mettre  obstacle  aux  progrès  de  l'esprit  humain  ; 
une  thèse  ainsi  présentée  ,  ainsi  soutenue  ,  ne  peut 
être  acceptée  par  l'Académie.  Elle  en  laissera  donc , 
si  l'opinion  de  sa  Commission  lui  agrée ,  la  responsa- 
bilité pleine  et  entière  à  son  auteur.  Elle  n'imprimera 
pas  son  œuvre.  Elle  ira  plus  loin  encore.  Elle  ne  per- 
mettra au  lauréat  de  la  publier  qu'à  la  condition  ex- 
presse de  reproduire  textuellement,  sinon  ce  rapport 
tout  entier,  du  moins  le  paragraphe  qui  le  termine. 

Pour  la  CommissioD , 

/.r  rapporteur  nowuné  par  elle , 

A.  CHAR3IA  , 


lK»T«o  «t  professeur  àû  pkilosopble 
i  la  Faculté  an  Lettre»  de  Caen. 


Cteii,  n  mai  1867. 


l.*«Ql^ir  (lu  M^oinp  «uquel  l^AcadéiiiM  a  décerné  b  médaille 
de  500  frgmcs,  oIDnie  par  M.  de  La  Codre  .  est  M.  Anqnetin ,  doc- 
teur en  wédedne,  à  Valmonl  (Seine-Inlértcare). 

^X^t  ém  StcrHmre  ée  rAcmdémk.) 


POÉSZSS. 


LA  msm  DE  LA  CHEMISE, 


IMITÉE  DE  TH.  HOOD  (1)  ,   . 


Par  M.   Jallen   TRAWERS, 


Secrétaire  do  T  Académie. 


Cne  lemme  au  sexe  douteux, 
Couverte  de  baillons  sales ,  spectre  hiJeux , 

La  paupière  pesante  et  rouge. 
Les  doigts  usés,  la  voix  rauque,  Tacceiit  V'ril, 

Était  assise  dans  son  lionge, 
Jour  et  nuit  btiguant  son  aiguill?  et  son  lil. 

•  Travaille j  travaille,  tra\ aille, 
A  ton  lit  sur  la  dure  ajoute  un  peu  de  paille , 

Travaille  sans  trêve ,  sans  fin  ; 
Car  le  maître  commande  cl  la  tâche  est  pntmi^,  * 

—  Et ,  dans  la  fièvre  'de  la  faim  , 
Sa  bouche  murmurait  le  chant  de  la  chemise. 


(1  ]  Cette  pièce  est  très^popalaire  en  Amérique.  Il  en  existe  un  estai  de 
tnduelioD  dans  notre  langue ,  par  Albert  Montemont.  Un  des  couple!» 
de  rorigioal  anglais  a  servi  de  sujet  pour  une  statue  en  pied,  envoyée 
de»  Élats4Jois  à*  TEx position  universelle  de  1867.  On  pense  bien  qu'ï 
ce  marbre  nous  a  fort  intéresse.  Nous  cherchions  sous  le  ciseau  du 
sculpteur  le  génie  du  poète  alors  que  la  foule  ,  sollicitée  par  sa  curiosité 
et  fatiguée  par  la  profusion  des  œuvres  ,  passait  indifTérenle  à  oos 
côtés.  Que  n*aTons-nous  po  serrer  la  main  de  Tartiste,  et  nous  entie- 
tenir  a%-ec  lui  du  talent  vigoureux  du  Th.  Ilood!  Th.  Ilood  nous  aumît 
nais  dès  Tabord  par  le  tout-puissanl    lien  d'une  admiration  commune. 


LA  mmi  DE  L4  mmm, 


IMITÉB  DE  TH.  HOOD  (l)  ,   , 


Par  M.  Jallen   TRAWERS, 


Secrétaire  do  r  Académie. 


Une  femme  au  sexe  douteux. 
Couverte  de  baillons  sales ,  spectre  hideux , 

La  paupière  pesante  et  rouge. 
Les  doigts  usés,  la  Yoix  ranque,  Taecent  v^ril, 

Était  assise  dans  son  bouge, 
Jour  et  nuit  btiguant  son  aiguill'?  et  son  lit. 

•  Travaille j  travaille,  tra\ aille, 
A  ton  lit  sur  la  dure  ajoute  un  peu  de  paille , 

Travaille  sans  trêve ,  sans  fin  ; 
Car  le  maître  commande  et  la  tùche  est  promise,  * 

—  Et ,  dans  la  Govre  Me  la  faim  , 
Sa  bouche  murmurait  le  chant  de  lu   chemise. 


(1)  Cette  pièce  est  très-populaire  en  Amérique.  11  eu  existe  un  essai  de 
traduction  dans  notre  langue,  par  Albert  Montenaont.  Un  des  couplets 
de  Voriginal  anglais  a  servi  de  sujet  pour  une  statue  en  pied,  envoyée 
des  États-Unis  à  TExposi lion  universelle  de  18G7.  On  pense  bien  qii^ 
ce  marbre  nous  a  fort  intéressé.  Nous  cherchions  sous  le  ciseau  du 
sculpteur  le  génie  du  poète  alors  que  la  foule  ,  sollicitée  par  sa  curiosité 
et  fatiguée  par  la  profusion  des  œuvres  ,  passait  iudirTérenle  à  oo« 
côtés.  Que  n*aTons-nous  pu  s<-rrcr  la  main  de  Tartisle,  et  nous  entre- 
tenir avec  lui  du  talent  vigoureux  de  Th.  Ilood!  Th.  Ilood  nous  aurflii 
unis  dès  Tabord  par  le  tout-puissant    lien  (Vune  admiration   commune. 


LA  CIANSON  DE  LA  CHKHIISE, 


IMITÉB  DE  TH.  HOOD  (1)  ,   . 


Pmr  M.   Jallen 


Secrétaire  de  T  Académie. 


Une  femme  au  se&e  douteux, 
Couverte  de  baillons  sales ,  spectre  hiJeux , 

La  paupière  pesante  et  rouge. 
Les  doigts  usés,  la  voix  rauque,  Taccent  v'ril, 

Était  assise  dans  son  bouge, 
Jour  et  nuit  bliguant  son  aiguill?  et  son  lit. 

•  Travaille j  travaille,  travaille, 
A  ton  lit  sur  la  dure  ajoute  un  peu  de  paille , 

Travaille  sans  trêve ,  sans  fin  ; 
Car  le  maître  commande  et  la  tùclie  est  promi^r,  * 

~  Et ,  dans  la  fi^^re  'de  la  faim  , 
Sa  bouche  murmurait  le  rhant  i\c  lu   ciieiiiise. 


(1)  Cette  pièce  est  très^popalaire  en  Amérique.  Il  en  existe  un  estai  de 
traduction  dans  notre  langue ,  par  Albert  Montemont.  Un  des  couplet» 
de  roriginal  anglais  a  servi  de  sujet  pour  une  statue  en  pied,  envoyée 
des  États-Unis  à' TEx position  universelle  de  18G7.  On  pense  bien  qii<ï 
re  marbre  nous  a  fort  intéressé.  Nous  cherchions  sous  le  ciseau  du 
sculpteur  le  génie  du  poète  alors  que  la  foule  ,  sollicitée  par  sa  curiosité 
et  fatiguée  par  la  profusion  des  œuvres  ,  passait  indifTérente  à  nos 
côtés.  Que  n*aTons-nous  pu  s<'rrcr  la  main  de  Tartiste.  et  nous  entre- 
tenir avec  lui  du  talent  vigoureux  de  Th.  Ilood!  Th.  Ilood  nous  aumit 
unis  dès  Tabord  par  le  tout-puissant    lien  d'une  admiration  commune. 


472  LA    CHANSON    DE    LA   CHEMISE. 

Écoulez  ce  chant  inégal , 
n}inne  de  la  douleur,  sublime  et  trivial. 


•  * 


•  Travaille,   travaille,   travaille 
Pendant  que  le  coq  chante  au  poulailler  voisin  ; 

Travaille,  travaille  ,  travaille 
Du  matin  jusqu^au  soir ,  du  soir  jusqu^au  matin. 

Oh! chez  les  Turcs,  qu*est  Tesclavage, 
De  leurs  femmes  jaloux  et  stupides  gardiens  ? 

Qu 'est-il  près  de  l'aflreux  senage 
Qui  nous  broie  et  nous  tue ,  ici ,  chez  des  Chrétiens  ? 

«  Travaille,  travaille,  travaiUe 
Jusqu'à  Tépuisement ,  sans  relâche ,  toujours  ; 

Travaille ,  travaille,  travaille 
Jusqu'à  ce  que  tes  yeux  nagent  troubles  et  lourds. 

Fais  Tourlet,  le  col,  la  ceinture, 
Et,  tombant  de  sommeil  sur  le  bouton  final, 

Achève  Tatroce  couture. 
Comme  si   tu  cousais  en  un  rêve  infernal. 

«  Vous  dont  le  bonheur  ne  se  voile 
Jamais  d*uucun  nuage,  ô  vous ,  hommes  blas(>5  , 

Vous  croyez  n'user  qu'une  toile... 
(Vest  de  la  vie  humaine  encor  que  vous  usez  ! 

Travaille,  travaUle,  travaille 
Pour  apaiser  ta  Ciim  dans  ton  hideux  chenil  ; 

Travaille,   trovaille,  travaille. 
Couds  aassi  ton  suaire  avec  ce  même  61. 

«  Mais  que  parlé-je  de  suaire  ? 
Puis-je  donc  redoater  le  spectre  de'  la  Wwi  ? 

Je  lui  ressemble  en  ma   misère  : 
Qu'elle  achève  mes  mau\  et  je  bénis  mon  sort. 


LA  CHANSON  DE  LA   CHEMISE.  173 

La  fidm  I...  gnnà  DIen  1  quelle  torture  I 
Quand  le  pain  est  si  cher,  nul  cœur  n^en  est  touché, 

Et  d^une  pauvre  créature 
L*àme,  le  sang,  la  chair  sont  à  si  bon  marché! 

•  Lliomme  des  champs  a  pour  sa  tâche 
El  met  en  ses  greniers  le  fruit  de  ses  moissons  : 

Tai  pour  mon  labeur  sans  relâche 
Un  morceau  de  pain  noir,  deTeau,  quelques  haillon». 

Un  sol  troué  sous  un  toit  sombre , 
Une  table  boiteuse,  une  chaise  en  débris, 

Un  mur  si  nu  que ,  quand  mon  ombre 
Sur  hii  passe,  je  crois  être  à  deux...  je  souris! 

•  Travaille,  travaille,  travaille. 
Courbe  ton  foible  corps  à  la  tâche  enchaîné  ; 

Travaille,  travaille,  travaille. 
Comme  le  criminel  au  bagne  condamné. 

Fais  Tourlet,  le  col,  la  ceinture; 
Travaille ,  lais  le  col ,  la  ceinture  et  Tourlet , 

Et,  luttant  contre  la  nature , 
Va  tomber,  sous  Teffort,  mourante  à  ton  rhevet. 

•  Travaille,  travaille,  travaillt* 

Quand  décembre  en  sa  brume  enveloppe  le  jour . 

Travaille,  travaille,  travaille 
Quand  mai  de  ses  clartés  amène  le  retour , 

Quand  Thirondelle  rajeunie 
Coupe  Tair  en  son  vol ,  s'enivre  de  ses  chants  , 

Et  raaant ,  comme  une  ironie, 
Nos  taudis  délabrés,  annonce  le  printemps. 

•  Le  beau  printemps,  suison  de  fête  I 
A  Téclat  de  ses  fleurs  ses  parfums  mariés  ! 

Le  ciel  étendu  sur  ma  tétc  ! 
Des  tapis  de  gozoïi  étendus  sous  mes  pied>  ! 


47 i  LA    CHANSON    1)1::   LA   CHEMISE. 

Oh  !  que  ne  puis-je  nne  heare  eucore , 
Comme  en  mes  jeunes  ans ,  jouir  de  ses  bonheurs, 

Tuer  le  mal  qui  me  dévore, 
Tuer  l^aflreuse  angoisse  et  la  Aiim  dont  je  meurs  ! 

«  Oh  l  que  ne  puis-je  une  heure  encore 
Aimer  dans  Tespérance ,  espérer  dans  Tamour  ! 

Mais  c*en  est  fait  1  et  chaque  aurore 
Pour  un  tourment  nouveau  fait  naître  un  nouveau  jour. 

Si  des  pleurs  je  goûtais  les  charmes?.. 
Non!.,  point  de  pleurs!.,  il  faut  un  courage  viril: 

Arrêtons^  arrêtons  les  larmes; 
Elles  entraveraient  mon  aiguille  et  mon  fil.   » 


La  paupière  pesante  et  rouge, 
Elle  chante,  navrée:  un  riche  entendra-t-il 

Celte  femme  assise  en  son  bouge, 
Jour  et  nuit  fatiguant  son  aiguille  et  son  fil  ? 


Ll^DIGE^T, 


rar  M-  Laele  COrRFFIX . 


Corm|>oudanlf  de  TAcademie 


-•^.i 


Au  vieillard  malheureux  (|ui  cherche  une  retraite , 
De  T06  pompeux  festins  accordez  une  miette  : 
En  marchant  tout  le  jour  j*ai  broyé  sous  ma  dent 
L^ortîe  aux  sucs  amers  et  le  maigre  chiendent 
A  rot  bab,  i  tos  jeux,  les  plaisirs  vont  en  troupe; 
Galopei-vous  aux  bois,  ils  vous  suivent  en  croupe; 
Moi,  triste  Y  c*est  la  peur  qui  me  prend  au  collet, 
1>ans  ce  sentier  désert  où  danse  un  feu-follel. 

Ouvrez  la  porte  hospitalièi*?  : 
Votre  bonheur  sera  plus  doui 
Si  rhumble  accent  de  la  misère 
Aux  deux  charmés  monte  pour  vou«. 
Donnez;  c*est  ainsi  qu'on  amosse 
lAi  divin  trésor  qui  remplace 
Coupe  d'or  et  dais  de  veloui-s. 
Hélas  I  mortels,   qui  pourrait   dii-e 
Que  toujours  naîtra  le  sourire , 
Que  vous  serez  heureux  toujours? 

Doutiez  donc,  pour  que  Dieu  vou«  aime. 

Pour  qu'au  temps  des  calamités 

La  Vierge  Marie  eile-mOme 

Lave  vos  pieds  ensanglantés  , 

Pour  que  tous  les  ange^  fidèles 

De  vous  irécartent  point  leurs  ailes 


476  l'indigent. 

Lorsque  vers  nous  ils  descendront. 
Quand ,   au  milieu  de  son   ivresse , 
Un  Yieillard  bénit  la  jeunesse, 
C*e8t  une  auréole  à  son  front. 


Le  regard  attaché  sur  les  vitraux  splendides , 

Le  pauvre  frissonnait  sous  ses  lambeaux  humides. 

Aux  valets,  tout  à  coup:  •  Ouvrez  •,  dit  une  voi\, 

Et  les  pesants  vcrroux  glissèrent  à  la  fois. 

I^  vieillard,  introduit  dans  les  salles  chauOées, 

Croyait  voir  resplendir  la  demeure  des  fées  ; 

Les  beautés  de  la  nuit ,  surprises  un  moment , 

Contemplaient  Tkôte  étrange  avec  empressement  ; 

Mais  le  jeune  baron  interrompit  la  danse; 

De  la  joie  au  bonheur  comprenant  la  distance  , 

Il  sentit  qu'à  ses  yeux  luisait  un  nouveau  jour  ; 

Le  passé,  l'avenir ,  l'agitaient  tour  à  tour; 

Abjurant  du  plaisir  les  illusions  folles , 

Un  moment  il  resta,  tout  pensif,  sans  paroles; 

Puis  courut  au  vieillard,  et  lui  prenant  la  main  , 

Vers  la  place  d'honneur  il  le  guida  soudain. 

Et ,  plaçant  dans  ses  mains  la  coupe  hospitalière  , 

D'une  voix  basse  et  tendre  il  le  nomma  :  mon  père  ! 


A  \m  AMIE, 


Par  la  Même. 


Un  crêpe  voile  encor  Tor  de  tes  beaux  cheveux , 

Jeune  femme,  et  déjà  de  Theure  des  adieux 

S^effiice  par  degrés  la  fugitive  image; 

Déjà  je  vois  paraître  auprès  de  ton  veuvage 

Un  être,  un  de  ces  fiits,  apprentis  séducteurs; 

11  sourit,  il  soupiré,  il  t*apporte  des  fleurs. 

Et  toi,  naguère  encor,  si  tendre  en  tes  jours  tristes, 

A  prendre  son  langage  à  peine  tu  résistes  ; 

Ta  laisses  pressentir  à  ce  pâle  orgueilleux 

Que  ton  Tolage  cœur  écoutera  ses  vœux , 

Et  qu*au  nom  révéré  qui  te  demeure  encore 

11  peut  substituer  le  sien ,  quMl  déshonore  : 

O  ma  meilleure  amie ,  est-ce  vrai  tout  cela  ? 

Toi  qu*un  coup  si  cruel  pour  jamais  accabla  ; 

Toi  qui  voulais  traîner  les  jours  d'une  recluse, 

Tu  souris  aujourd'hui,  tu  l'attends,  il  t'amuse! 

Ahl  cet  en&nt  si  beau  qui  grandit  près  de  toi, 

Ce  précieux  trésor,  gage  saint  de  ta  foi, 

S*il  ne  peut  plus  remplir  ton  àmc  tout  entière, 

S*il  faut  qu'un  étranger  devienne  un  jour  son  pt-re , 

Arrête ,  réfléchis ,  qu'un  choix  plus  éclaire^ 

Devienne  pour  tous  deux  un  asile  assuré. 

Lui  qui  ne  t'entend  pas,  qui  te  connaît  à  peine, 

Tant  de  devoirs  nouveaux,  crois-tu  qu'il  les  comprenne  ? 

Le  succès  lui  sourit >  son  orgueil  est   flatté; 

Ta  richesse  lui  plnlt  autant  que  ta  beauté. 


478  A    UNE   AMIE. 

Mats  si  par  tes  serments  tu  couronnes  sa  flamme , 
Il  te  fera  bientôt,  oui,  demain,  toi,  sa  fenune. 
Plus  veuve  qu*aujourd'hui ,  livrée  aux  vaius  regrets  ; 
Il  te  laissera  seule,  esclave  pour  jamais. 
Tu  pleures!...  mais  ton  front  qui  devant  moi  s^incline, 
Se  relève  soudain,  de  bonheur  s*illumine  I... 
Écoutons!  sur  le  seuil  passe  un  pied  triomphant... 
O  pauvre  jonne  mère ,  û  déplorable  enfant  ! 


mu  Kmmmm, 


Par  U  Héme. 


Salât I  bonjour,  aoniTenaire , 
Fils  d*an  mai  triste  et  plurieux  I 
1  u  viens  sans  rayons,  sans  cliimère  i  ' 
Mon  pauTre  ami,  nous  sommes  ? ieus. 

Jadis  c^étail  bien  antres  diosesl 
Tu  balbutiais  des  chansons. 
Tes  mains  portaient  lauriers  et  roses  ; 
Mais,  adieu  les  grands  horizons  1 

De  Tftge  que  pour  moi  tu  sonnes 
Le  chiin«  n*entre  plus  en  vers. 
TanÎTe  au  déclin  des  automnes  ; 
Aurais-je  donc  peur  des  hivers? 

Oh,  nonl  dernier  anniversaire, 
Compte  parmi  les  bienvenus  ; 
Trois  cœurs ,  pleins  d^amitié  sincère  , 
Aujourd'hui  se  sont  souvenus. 

Leurs  fleurs  embaument  ton  passage , 
Leur  regard  me  croit  jeune  encor  , 
Et  leur  tendresse  pure  et  sage, 
De  prières  m'ofTre  un  trésor. 

Si  le  temps  dépouille  mes  ailes, 
N*ai-je  pas  deux  enfants  chéris 
Qui  me  tressent  des  immortelles, 
Comme  on  en  cueilie  en  paradis  ? 


182  LES  GASTROHOXES. 

A  quelques  jours  de  là,   Ton  apprit  du  nouveau  : 
Il  ioTÎtait  quasi  là   ville   tout  entière 
A  venir  déguster  les  vins  de  son  caveau  ; 
Et  ce  festin-là  fut  comme  un  coup  de  tonnerre 
Dont  le  bniit  importun  vint,  à  son  grand  regret , 
Désoler  le  gourmet 
Qui,  par  sa  faute  et  sa  tr^-grandc  feule. 
Se  trouvait  seul  mis  à  la  côte , 

Condamné  sans  pitié, 
'Quand  au  banquet  chacun  s*apprfte,  ) 
Au  maigre  téte-à-téte 
De  sa  obère  moitié  !! 

Toi  qu*on  voyait  naguère, 
Gastronome  émérite,   expert  en  bonne  chère , 
Aux  premiers  rangs   siéger 
Parmi  ceux  qui  savent  manger  ; 
Toi  dont  on  attendait  les  arrêts  en  silence. 

Laissant  à  ton  omnipotence 
Le  soin  de  décider  si  tes  mets  fiivoiis 
Étaient  plus  ou  moins  réussis; 
Citoyen  de  Cocagne , 
Qui  sais  comment  on  doit  fiiire  cuire  un  turbot , 
Et  qui  ne  goûtes  le  Champagne 
Qu'autant  qu'il  vient  de  madame  Cliquot, 
Te  coiitoleras-tu  ?  C'est  un  dîner  de  prince 
Que  tu  viens  de  manquer,   et  tel  qu'en  ta  provim» 
On  n'avait  encor  vu  rien  d'aussi  merveilleux  \ 

Chez  LueuUus  tu  n'as  pas  ton  assiette  T 
Au  monde  des  viveurs,  allons,  &is  tes  adieux, 
Et  brise    ta   fourdiette! 


LE  UËf  lE  ET  LE  NOLOT, 


FABLK, 


r«r  M.  A.  GtlKintlID. 


Un  Uèrre,  en  déjeûnaot  au  bord  d'un  fert  sainfon, 

Vit  un  mulot  blotti  tristement  dans  on  coin* 

•  Qo*as-tu  donc ,  mon  petit  ?  Tu  me  parais  tout  sombrr. 

«  Voyons,  souvent  on  se  bit  peur  ri*uno  ombre; 
«  Conte  ton  mal  ;  déjft  lu  le  sentiras  moins , 
■  Et  puis  je  te  dirai  si  oda  vaut  qu'on  pleure.  > 
*-  «  3*aTais  là,  dans  ce  champ,  ma  petite  demeure,  ■ 
INt  le  mulot  ;  c  j^avab  pris  mille  soins 
■  Pour  fifre,  dans  mon  domicile , 
•  Conmodéroent ,  surtout  en  sAreté. 

«  Dans  ce  grand  blé  fêtais  tranquille  : 

•  Mais  f  oilÀ  le  blé  récolté , 

«  Et  François,  avec  sa  charrue , 
«  D*un  bout  du  champ  à  Tantre  bout, 
«  Passe  et  repasse  et  bouleverse  tout. 
•  Je  quitte ,  il  le  faut  bien  ,  ma  maison  disparue , 

«  Et  maintenant ,  il  ne  me  reste  rien.  • 
—  «  Tout  cela ,  dit  le  lièvre  ,  est  très-fâcheux  san^  doute. 
«  Pourtant,  puisque  je  passe  sur  ta  roule , 
«  Compare  un  peu  ton  sort  avec  le  mien. 

•  Mol ,  je  couche,  en  vrai  bohémien , 

«  Au  hasard,  n'importe  où,  dans  une  touffe  d'herbe. 

•  Je  n'ai  pas  peur  pour  ma  maison  ; 

«  Mais  quand  les  moissonneurs,  avec  une  elioiisou  , 
c  Emportent  In  deriiirre  gerte, 


484  LE   LIÈVRK   ET   LE  MULOT.   . 

ff  Sans  trembler  pour  mes  jours  je  ne  pub  faire  un  pas. 

«  Va ,  travaille,  et  ne  te  plains  pas.  > 
Et  le  lièvre ,  au  galop ,  rcgag;na  son  herbage. 
Le  mulot,  resté  seul,  se  mit  à  son  ouvrage, 
Tout  occupé  du  lièvre  et  le  plaignant  bien  fort. 

■  Que  de  mal,  disai^il,  il  fkudra  qu*il  se  donne 

«  Pour  Tivre  encore  &  la  fin  de  Tautomne  ! 
«  Longues-oreilles  n*a  pas  tort  ; 
«  Les  lièiTes,  ici-bas,  ont  un  bien  triste  sort  !  n 

Puis  écoutant  à  la  fenêtre , 
S'il  entendait  les  cliiens  :   «  ou  le  poursuit  peut-<^tre,  » 
Disait-iL  Tirait-on  ?  il  disait  :  c  il  est  mort  I  » 
De  son  côté,  le  lièvre  solitaire, 
I/oreille  basse,  ù  tout  moment  pensait 
À  son  mulot,  et  se  disait  : 
■  Chaque  béte  a  son  caractère, 

■  Jusqu*à  ce  qu'il  ait  fait  tous  ses  trous  dans  la  terre , 
«  Ce  petit  casanier  ne  sera  pas  contenu 

«  Pourvu  qu*il  soit  assez  prudent 
•  Et  n'aille  pas  se  foire  prendre! 

Le  chat  est  à  Taffût  et  pourrait  le  surprendre. 
«  Allons  le  voir.  »  11  arriva 

Quand  le  mulot  sortait ,  suivant  son  habitude. 

Ils  causèrent  longtemps  de  leur  inquiétude. 
Au  bout  du  compte,  il  se  trouva 
Que  chaque  animal,  dans  son  gîte  , 

N'avait  songé  qu*à  l'autre  et  s^était  oublié. 
Tel  est  l'effet  de  la  pitié. 

J'en  tire  ma  morale  et  me  sauve  au  plus  vite. 
Pans  le  malheur,  ou  est  encore  heureux 
Quand  on  peut  souffrir  deux  à  deux. 

Vous  prenez  mon  chagrin  ;  je  me  charge  du  vôtre  : 

Notre  fardeau  n*est  pas  plus  pesant  de  moitié  ; 

Mais  seulement,  chacun  porte  celui  de  Tautre , 
Et ,  dans  Péchange,  on  gagne  l'amitié. 


LE  PETIT  POUCET  ET  LE  NEUF, 


FABLE , 


Far  le  MénM« 


Voa9  coanaiKei  petit  Poucet  ? 
Près  d*un  diar  embourbé  ce  cher  enfant  paMait. 
Un  pauTTe  bœai;  qui  traînait  la  voiture, 
Tirait,  suait,  sans  avancer  d*un  pas. 
Et,  comme  c*est  Tusage  en  pareille  aventure. 
Le  conducteur  jurait,  frappait  et  n^aidait  pas. 
Petit  Poucet  vite  s*arr6tc 

■  Attends  un  peu,  dit-il,  ma  pauvre  bétc!  * 
Il  te  mit  à  pousser  à  la  roue,  et  voilà 

Que  tout  à  coup  le  char  roula. 
Déjà  longtemps  après,  bien  loin  de  sa  chaumière  « 
Petit  Poucet,  perdu  dans  Therbe,  sous  les  fleurs , 
Voyait  venir  la  nuit  et  versait  de  gros  pleurs. 

Le  bœuf  passa,  cahotant  dans  romière 

Son  rude  char  rempli  de  vert  sainfoin. 
Il  vit  petit  Poucet  ramassé  dans  sou  coin  : 
<  Paresseux ,  dit  le  bœuf,  as-tu  fait  un  bon  M)uiine  ?  » 

— «  Non,  dit  Tenfant,  mais  je  ne  puis  marcher.  » 
—  •  Moule  donc  sur  mon  dos,  sans  &çon,  mon  bonhomme . 
«  Et  je  te  porterai  tout  près  de  ton  verger. 

■  Je  suis  content  de  pouvoir  l'obliger. 

V  Lorsque  j'étais  au  bord  du  précipice, 
•  Dans  les  fondrières  du  bois , 
•  Jadis,  tu  feu  souviens,  tu  m'a5  rendu  service.  » 
— «  Oh  si  peu  I  »  dit  reiifant.—  *  Bien  plus  que  lu  ne  crois. 


486  Le  PETIT  POCtBT  £T  LE   «EUf. 

r  Lorsque  de  si  grand  cœur  tu  poussais  à  la  roué 

«  Pour  me  tirer  de  la  maudite  lx>ue, 
*  En  voyant  un  ami,  je  me-  sentis  plus  fort, 

«  Et  je  fis  un  si  grand  effort 

B  Que  le  diar  roula  sur  la  route. 

«  Tu  fis  peu  de  chose,  sans  doute; 
«  Qtrimporte  ?  un  ami  veut  nous  tirer  d*embarras  ; 

«  Eh  I  que  me  fait  son  impuissance  ! 

«  Il  s*agit  de  reconnaissance? 

«  Je  Tob  fon  coeur  et  non  son  bras.  » 


LA  IHUlE  W  lOSSIGKOL, 

Par    M.    VmI  BLIEB, 

Membre  eorrtspoiMiaiiU 


f  Ealre  kt  Uét  tapie, 
L*aliaelle  MMopie 
Fait  tiève  à  m  dMRson , 
Tandif  qa*aa  pied  des  hêtre». 
Lai  de  galtét  champètret , 
Dort  Talerte  pinson. 
jQtqa*à  Taobe  feniieilk* 
Tout  te  tah,  tout  sommeille  : 
La  pervenche  et  Tabeille, 
Le  nid  et  le  boisson. 

<  Tout  le  jour  taciturne, 
C*e8t  à  l*heure  nocturne 
Que  mon  cœur  prend  l^essor. 
Au  milieu  du  silence 
Vibre,  éclate  et  s^élaucc 
Mon  hymne  aux  ailes  d*or,— 
Hymne  où  Ton  sent  une  âme 
Que  rinfini  réclame , 
Et  qui  d*amour  se  pâme 
Et  veut  aimer  enoor  I 

c  O  douceurs  infinies 
Des  eaux,  des  vents,  des  bois  ! 
Nnit  aux  ombres  bénies , 
Toutes  tes  harmonies 
Frémissent  dans  ma  voix  ! 


LA   V£UX£e  Dl*  ROSSIGflOLi  489 

c  O  nuit ,  d*astre$  semée  I 

Ciel  pur  I  rose  embaumée  I 

Lac  d*ombre,  aux  blancs  remous  !  ■ 

Splendeur,  parlhm,  murmure 

De  rinmiense  nature. 

Flottez  autour  de  nous  ! 

Et  TOUS,  Talions  et  cimes, 

Mêlez  Tos  bruits  sublimes 

Aux  extases  Intimes 

De  ces  jeunes  époux. 

«  O  douceurs  infinies 
Des  eaux ,  des  Tents,  des  bois  ! 
Nuit,  aux  ombres  bénies , 
Toutes  tes  harmonies 
Frémiasent  dans  ma  voix  l  » 


li£Y£&lE  £K    WAGON.  494 

McMigert  de  mystère ,  d  naTiret-ftuitônes  ! 
Qméê  hôtes  poitei>Toii8  à  ces  lointains  royaume» 

D'où  nul  jamais  n*eat  revenu  ? 
Et  vous,  lies  d*azur  aux  magiques  ombrages , 
Qui  donc  abritei-Tous  sur  ros  heureux  ri?ages 

Que  bat  le  flot  de  Tlnconnu  T 

~  Mab  les  deux  sont  muels  ;  et  de  plus  en  plus  sombre. 
Bientôt  Tardent  mirage  a,  sous  les  vagues  d*oinbrf , 

Éteint  son  éclat  décroissanL.. 
Il  est  nuit«  La  veilleuse  à  la  cloison  tremblote: 
Rt  de  mes  compagnons  la  discussion  flotte 

Des  fonds  romains  an  trois  pour  cent. 


H. 


II  est  nuit  L'ombre  creuse  enveloppe  et  déforme 
Les  objets  confondus  sous  sa  teinte  uniforme. 
Comme  un  voleur  qui  coupe  et  dérobe  un  tableau , 
Furtive ,   elle  a  roulé,   laissant  leur  cadre  vide  • 
Les  grands  bois,  les  prés  verts  où  Aiit  une  eau  limpide  , 
Et  la  ferme  riante  adossée  au  coteau. 

Privé  de  son  éclat  et  de  ses  bruits  sans  nombre , 
Le  paysage  éteint  forme  une  tache  d*ombre  : 
Miiis  son  cadre  d*azur  est  de  feux  diapré, 
Et  Ton  dirait  —  à  voir  scintiller  les  étoiles  ^ 
Des  milliers  de  flambeaux  ,  entrevus  sous  les  toiles 
Du  pavillon   nocturne  où  Dieu  s'est  retiré  ! 

Il  est  nuit.  Le  réseau  des  fils  télégraphiques 
Suspend  le  long  des  rails  ses  courbes  symétriques. 
Où  ridéal  éclate  en  dépit  du  réel  ; 
Et  les  poteaux,  garnis  de  leur  blanche  armature. 
Se  dessinent ,  pareils  aux  barres  de  mesure 
D'une  immense  portée  inscrite  sur  le  ciel. 


492  REVERIE  £N   WAGON. 

Des  cinq  flls  de  métal ,   où  leur  vol  étincelle , 
Les  astres  parcourant  Tharmonieuse  échelle  , 
Semblent  les  notes  d*or  du  concert  de  la  nuit; 
Je  les  Tob  tour  à  tour  fuir,   monter  et  descendre, 
Et  de  leurs  mille  feux  Tédat  sublime  et  tendre 
Forme  un  chant  radieux  que  le  rè?eur  traduit. 


Lève  tes  yeux  ,  lève  ton  âme  ! 
Vers  les  hauteurs  prends  ton  essor  ! 
Dit  le  chant  aux  strophes  de  flamme . 
Dit  le  chœur  des  étoiles  d*or. 
Poète ,  à  la  pensée  austère , 
Que  la  soif  du  Divin  altère , 
Se  te  courbe  point  vers  la  terre: 
Ce  n*est  pas  là  qu'est  Ion  trésor. 

Ouvre  enfin  ton  aile ,  et  secoue 
La  poudre  vile  des  chemins! 
L*or  convoité  luit  dans  la  boue  : 
Garde-toi  d*y  salir  les  mains! 
Heste  libre,  reste  exemplaire  ! 
Le  bouffon  qui  chante  pour  plaire 
A  droit  d'exiger  un  salaire  ;  — 
Mais  toi ,  qu'attends-tu  des  humains  ? 

La  gloire  peut-être  !  —  £h  !  qu'importe 
Au  mort  fomeux  ce  vain  flambeau. 
Dont  l'éclat  s'arrête  à  la  porte 
Aveugle  et  morne  du  tombeau  ? 
Quand  du  corps ,  dissous  fibre  à  fibre , 
S'envole  et  fuit  l'âme  enfin  libre , 
Qu'importe  ce  clairon  qui  vibre 
Au  sourd  donneur  du  noir  caveau?.. 


RÊVERIE   EN   WAGON.  493 

Place  plus  haat  ton  espérance  ! 
Vers  Fabsolu ,  Ters  Téternel 
GraTis  en  braTaot  la  souflrance , 
Monte  en  dédaignant  le  réel  ! 
De  la  création  entière 
Sois  la  voii,  et  sois  la  prière! 
Ifre  d^espace  et  de  lumière, 
Sob  comme  Pencens  sur  Tautel  ! 


Laisse  les  hommes  à  leurs  joies 
Non  moins  tristes  que  leurs  douleur»  ; 
Et,  sans  les  suivre  dans  leurs  voies, 
Marche  les  yeux  fixés  ailleurs  ! 
Résiste  au  flot  q\il  les  entraîne  : 
Ëmu  d*une  pitié  sereine, 
Réponds  par  Tamour  à  la  haine. 
Et  par  des  chants  &  leurs  clameurs  I 

Sob  à  hi  fois  austère  et  tendre 

—  La  sjrmpathie  est  un  devoir  —  : 

Aime,  ù  penseur,  pour  mieux  comprendre; 

Plane ,  6  poète ,  pour  mieux  voir  ! 

Pour  qui  voit  tout,    tout  se  transforme  : 

Le  beau  transparaît  sous  Tinforme , 

Et  le  mal  n^est  plus  qu*une  forme 

Du  bien  ftiiissé  par- son  miroir. 

Sois  le  verbe  de  la  nature  1 

Mêle  en  tout  temps ,  mêle  en  tout  lieu  , 

Mêle  ton  âme  ardente  et  pore 

Aux  flots,  aux  grands  bois,  au  ciel  bleu  ! 

Comme  les  cieox,  la  terre  et  Ponde  , 

Rayonne ,  fleuris  et  féconde  , 

Et  vis  avec  eux  loin  du  monde, 

Dans  la  conununion  de  Dieu  ! 


494  aRVERlE   EN    WAGON. 


IV. 

L'ne  iniDiense  nuée  éteignit  sous  »es  voile» 
Dans  le  ciel  envahi  la  chanson  des  étoiles... 

Et  je  me  retrouvai  dans  l'ombre  du  wagon , 

L^œil  ébloui,  pareil  à  ce  dormeur  du  conte. 

Qui  cherche  un  plafond  d*or ,  et  ne  trouve  (ô  mécompte  ! 

Que  les  chevrons  fumeux   de  sa   pauvre  maison. 

(l^en  est  fait  de  mou  rêve.  —  Au  divin  intermède 
Des  astres  de  la  nuit  un  long  fracas  succède. 
Le  fer  heurté  du  fer,  et  sur  le  fer  grinçant 
Réplique  à  la  vapeur,  cheval  de  Tindustrie; 
Et  les  noirs  concertants  battent  avec  furie 
La  marche  du  progrès  d^un  rhythme  assourdissant. 


0DVRA6ES  OHPERTS  A  L'AaDÉNIE. 


MM« 

AiHHJCTUf  (N.-P.  )•  I)e  TassistaDce  publique  et  du 
service  de  santé  dans  les  communes  rurales.  —  Des 
fosses  d'aisance  et  des  meilleui-s  moyens  d'en  ap- 
pliquer la  vidange. 

Baudemeitt  (Tb.  ).  Les  Rabelais  de  Huet. 

BsLUH  (A.-G.).  L'Exposition  universelle,  poème 
^dactique  en  quinze  cbants. 

BsiviLLE.  Notice  sur  Léon  Thiessé.  —  Du  prétendu 
suicide  de  J.-J.  Rousseau. 

Boivih-Ghahfeaux.  Notices  pour  servir  à  Tbistoire 
de  la  Révolution  dans  le  département  de  l'Eure. 

Boucher  de  Perthes.  Exposition  publique  des 
produits  de  l'industrie.  Le  président  de  la  Société 
d'émulation  (  d'Abbeville }  aux  ouvriers. 

BouLLÉE  (  A.  ).  Histoire  de  Démostbène ,  2'  éd. 

BucuNER  (  Alexandre  ).  Les  Troyens  en  Angleterre. 

BuRKE  (  Peter  ).  Transactions  of  the  national  Asso- 
ciation for  the  promotion  of  social  science.  Man- 
chester meeting  1866. 

Caillemer  (Ëxupère  ).  Le  crédit  foncier  à  Athènes. 
La  restitution  de  la  dot. 

Ghauvet  (Emmanuel).  Esquisses  psychologiques. 
L  La  faculté  de  croii^e.  —  L'éducation. 

GBRiriER  (  Henri  ).  Essai  sur  les  limites  de  l'action 
de  l'État,  traduit  de  l'allemand,  de  Guillaume  de 
Humboldt. 

GiALm  (Alexandre).  Les  ports-canaux,  article  extrait 
de  l'ouvrage  sur  le  mouvement   des  ondes   sur  les 


496  OUVRAGES   OFFERTS   A    l'ACADÉMIE. 

courants  de  la  mer  et  spécialement  sur  les  courants 
littoraux,  traduit  de  l'italien  sous  les  yeux  de  l'auteur. 
— Sul  moto  ondoso  del  mare  e  su  le  correnti  di  esso 
spccialmente  su  quelle  littorali. 

CouGNY  (E.)  De  Prodico  Ceio,  Socratis  magistro  et 
antecessore. — Le  parti  républicain  sous  Henri  III  , 
d'après  des  documents  nouveaux. 

Crimotel.  Le  médecin  consolateur. — De  l'épreuve 
galvanique,  ou  bioscopie  électrique. 

De  Bouis.  Assemblée  des  notables,  tenue  à  Rouen 
en  1617. 

De  Gaumont.  Exposition  universelle.  Les  fabriques 
du  Parc,  par  M.  le  baron  J.  de  Verneilb.  —  Annuaire 
de  l'Institut  des  provinces,  des  Sociétés  savantes  et 
des  Congrès  scientifiques^  1868. 

De  Charencet.  Des  affinités  de  la  langue  basque 
avec  les  idiomes  du  Nouveau-Monde. 

Decorde  (A.).  Les  importations  anglaises. — Notice 
sur  le  'droit,  revendiqué  par  les  avocats  au  Parlement 
de  Normandie,  de  se  faire  exempter  du  logement  des 
gens  de  guerre. 

De  La  Godre.  L'opinion  publique  et  l'extinction 
de  la  guerre. 

De  La  Sicotière  (  Léon  ).  Notes  pour  servir  à 
Tbistoire  des  jardins  et  de  l'arboriculture  dans  le 
département  de  l'Orne. 

Delislb  (Léopold).  Notice  sur  le  psautier  d'Inge- 
burge.  —  Note  sur  le  manuscrit  de  Prudence  , 
n""  8y084  du  fonds  latin  de  la  Bibliothèque  impériale. 
—  Aurigny  (1513).  —  Notice  sur  un  papyrus  de  la 
bibliothèque  de  lord  Ashbumham.  —  Histoire  du 
ohAteciu  et  des  sires  de  Saint-Sanveur-le-Vicomte> 
suivie  de  pièces  justificatives. 


OtV&AUES  OFVLHTS   A    LACAhËMlJi.  497 

Dsaiis  (J.).  Notice  sur  Boisgoillebert 

Dnris-DcMOiiT.  Le  choléra  dans  le  département  du 
Calvados  en  1855  et  1866. 

Dk  RouLLim)  DE  Beaurepàire  (E.)-  Les  faïences 
de  Rouen  et  de  Nevers  à  rExposition  universelle. 

De  Saibtb-Beuye.  Jacques  de  Sainte-Beuve,  docteur 
de  Sorbonne  et  professeur  royal.  Étude  d'histoire 
privée  contenant  des  détails  inconnus  sur  le  premier 
jansénisme. 

Eudbs-Desloixgghamps  (Eugène).  Études  sur  les 
étages  jurassiques  inférieurs  de  la  Normandie.  — 
Recherches  sur  l'organisation  du  manteau  chez  les 
brachiopodes  articulés  et  principalement  sur  les  spi- 
cules  calcaires  contenus  dans  son  intérieur.  —  Les 
époques  de  la  nature.  —  Observations  sur  quelques 
dauphins  appartenant  à  la  section  des  zyphidés ,  et 
description  de  la  tête  d'une  espèce  de  cette  section 
noavelle  pour  la  Faune  française.  —  Le  naturaliste. 
Discours  prononcé  à  la  séance  solennelle  de  i^cntrée 
des  Facultés,  le  15  nov.  1866. 
*  Fallue  (  Léon  ).  Casques  gaulois  du  musée  de 
Falaise  et  médaille  en  plomb  inédite.  —  De  l'art  chez 
les  peuples  primitifs  après  leurs  migrations  dans  la 
Gaule.  —  Sur  les  études  archéologiques  nécessaires 
aux  artistes  qui  abordent  des  sujets  touchant  à 
l'histoire. 

Fatel-Deslongrais.  Biographie  de  M.  Seminel. 

FÉLIX.  Cour  impériale  de  Montpellier.    Audience 

solennelle  de  rentrée  du  3  nov.  1863.  Discours.  — 

Cour  impériale   de  Caen.   Audience  solennelle    de 

rentrée.  Discours  sur  la  réforme  judiciaire  tentée  par 

le  chancelier  do  Maupoou. 

3:2 


49^  UUYBAtiES   OFFERTS   A    l'aCADEHIÉ. 

FiERViLLE  (Cil*),  Notice  sur  le  carlulaire  de  Qaimper, 
ou  l'église  de  Goraouaille  du  XIII*  au  X\T  siècle. 

Flammarion  (  Camille  ).  Changement  arrivé  sur  la 
lune.  Le  cratère  de  Linné. 

GiRAULT  (Cb.).  Indicateur  planétaire,  ou  recueil  de 
tables  calculées  dans  l'hypothèse  du  mouvement 
elliptique ,  et  fournissant ,  du  !•'  janvier  1865  au 
1*^  janvier  1900,  la  distance  angulaire  du  soleil  aux 
planètes  principales ,  évaluée  en  ascension  droite. 

GuLDBERG  et  Waage.  Ëtudes  sur  les  affinités  chi- 
miques. 

James  (Constantin).  Blanchet.  Notice  biographique. 

JoLY.  Discours  prononcé  à  la  séance  de  rentrée  des 
Facultés  de  droit ,  des  sciences ,  des  lettres ,  de 
rÉcole  préparatoire  de  ftiédecine  et  de  pharmacie  de 
Caen,  le  15  nov.  1867. 

Lartigue.  Études  sur  les  mouvements  de  Tair  à  la 
surface  terrestre  et  dans  les  régions  supérieures  de 
l'atmosphère,  suivies  d'un  résumé  des  lois  qui  régis- 
sent les  tempêtes  et  les  ouragans. 

Lebeurier  (l'abbé).  Annuaire  de  l'Eure,  1867. 

Le  Breton  (Charles).  Le  traîlre  Germain.  —  Le 
chûteau  du  Diable,  légende.— Étude  sur  la  vie  et  les 
écrits  do  Robert  de  Tombelaine,  moine  du  XI*  siècle. 

Le  Brun  (Isidore).  Miscellanées  maritimes  et 
littéraires. 

Lecadre.  Le  choléra-morbus  épidémique  au  Havre 
et  dans  l'arrondissement,  en  1865  et  1866. 

LoYSEL.  Rapport  sur  une  épidémie  de  grippe  dans 
l'arrondissement  de  Cherbourg,  en  1864. 

Marchand  TEugène).  Composition  des  cendres  vé- 
^élah's. 


OVVBAGKS  OPFLHTS   A    l\4<:AuIm1£.  -IIH) 

Màeky  (EL-J.)*  Du  moavement  dans  les  fonctions 
de  la  vie.  Leçons  faites  au  Collège  de  France. 

Michaux  (Ciovis).  L'art  de  plaire.  Ébauche  d'un 
poème. 

Miluet-Saimt-Pierre.  Guillaume  Haudent,  poète 
Dormand  du  X\T  siècle. 

Houias.  Note  sur  quelques  mytilidées  fossiles 
tronvëes  dans  le  Calvados.— De  Tindustrie  beurrière 
dans  le  département  du  Calvados,  son  importance  en 
1866.  'Notice  biographique  sur  le  docteur  Pcrrier. 

OuviER  (Edmond).  De  l'autorité  et  des  droits  du 
père  de  famille.  Discours  prononcé  à  Taudicnce 
solennelle  de  rentrée  de  la  Cour  impériale  de  Limoges, 
le  3  novembre  1866. 

Personnat  (Camille).  Le  ver  à  soie  du  chêne  ,  à 
l'Exposition  universelle  de  1867. 

PuiSEVX.  Entrée  triomphale  de  Charles  VII  à  Caen, 
en  1550.  Notice  historique. 

Reboulleau.  Essai  de  topographie  médicale  de  la 
ville  de  Constantine. 

Rehard.  Rapports  de  Henri  Grégoire,  ancien  évéque 
de  Blois ,  sur  la  bibliographie  ,  la  destruction  du 
patois  et  les  excès  du  vandalisme,  faits  à  la  Conven- 
tion du  32  germinal  an  II  ai^  24  frimaire  an  III , 
réédités  sons  les  auspices  de  M.  Emile  Eggcr  ,  de 
llnstitnt,  par  un  bibliophile  normand. 

Retrald  (H.).  Faculté  d'Aix.  Cours  de  littérutui*e 
française.  Discours  d'ouverture  prononcé  le  5  dé- 
cembre 1867. 

Reyrard.  Leçons  sur  les  lois  et  les  effets  du  mou- 
vement 

Kobinot-Bkrtrand.  La  lé^^ondo  nisliqiic,  pu(*mr».— 


HV  OiMUAGKS  OFFERTS   A    l'aCADEMIK. 

Kap^ri  ile  U  Commission  des  prix  sur  le  concoiii-s 

K^V2i«KT  (Alexis).  Anges  et  démons,  poème. 

S.vvvAiiG  (11.).  La  bataille  de  Tincliebray.  —Le 
caïuaklule  Guillaume  Auvray  et  Termilage  de  Notre- 
l>rtiuo-des-.\nges  ,  de  la  forêt  de  St-Sevcr.  —  Une 
siOUttMicc  à  la  peine  de  mort ,  prononcée  et  exéculée 
à  Mortain,  en  1572.  — La  corporation  des  barbiers  , 
perruquiers ,  baigneurs  ,  étuvistes  de  Mortain.  — 
Bibliographie  normande.  Le  Mont-St-Micbel.  —  Le 
graveur  Joseph  Dubois. 

Tahdieu  (Jules).  Les  extrêmes,  légende. 

Théry.  Étude  sur  Jean-Petit  de  Salisbury  (X1I« 
siècle). — Discours  prononcé  à  la  séance  de  rentrée 
des  Facultés  de  droit,  des  sciences,  des  lettres ,  de 
l'École  préparatoire  de  médecine  et  de  pharmacie 
de  Caen,  le  15  novembre  1867. 

Travers  (Julien).  Annuaire  du  département  de  la 
Manche,  39*  année  (1867). —Gerbes  glanées  (9* 
Gerbe). 

ViNGTRiNiER.  Rapport  sur  le  prix  Dumanoir.— De 
rétat  sanitaire  du  département  de  la  Seine-Inférieure, 
en  1866,  et  particulièrement  de  l'épidémie  du  choléra. 


SOCIÉTÉS  CORRESPOKDAKTES, 

qui  font  échange  de  leurs  publications  avec 
l'académie  impériale  de  CAEN. 


Académie  française. 

Académie  des  sciences  morales  et  politiques. 
Académie  nationale  •  etc.  ,  et  Société  française  de 
statistique  universelle ,  à  Paris. 
Atbénée  des  arts ,  à  Paris. 

Comité  des  travaux  hist.  et  des  Soc.  sav.,  à  Paris. 
Société  philotechnique  ,  à  Paris. 
Société  de  géographie,  à  Paris. 
Société  des  antiquaires  de  France ,  à  Paris. 
Société  de  l'Histoire  de  France ,  a  Paris. 
Société  de  la  morale  chrétienne ,  à  Paris. 
Soc.  fr.  de  numismatique  et  d'archéologie,  à  Paris. 
Société  impériale  d'émulation  d'Abbeville. 
Société  imp.  d'émul.  et  d'agric.  de  TAin,  à  Bouriç. 
Société  d'émulation  de  TAllier  ,  à  Moulins. 
Acad.  des  se,  agric. ,  arts  et  helles-lettres  d'Aix. 
Société  des  antiquaires  de  Picardie,  à  Amiens. 
Société  d'Arras  (sciences  ,  lettres  et  arts). 
Société  Ëduenne ,  à  Autun. 
Soc  des  se.  hist.  et  natur.  de  l'Yonne,  à  Auxcrre. 
Soc.  des  sciences  ,  etc.,  duBas-Rtiin,  à  Strasbourg. 
Société  des  sciences  ,  lettres  et  arts  ,  à  Pau. 
Athénée  du  Beauvaisis ,  à  Beauvais. 
Société  archéologique  de  Bézicrs. 
Société  des  sciences  et  belles-lettres  de  Biois. 
Soc.  imp.  des  sciences,  etc.,  de  l'Aisne,  h  Sl-Quentin. 
Société  imp.  d'agriculture,  sciences  et  arts  d'Angers. 


H»:;  HiCirriS  CORRESPONDANTES. 

\cuJ.  de;^$cieuces^  belles-lettres «t  arts  de  Bordeaux. 

Société  des  sciences  physiques  et  nat.  de  Bordeaux. 

Couiuiission  des  monuments  hist.,  à  Bordeaux. 

Société  d'agriculture,  etc.,  de  Boulogne-sur-Mer. 

Société  académique  de  Tarr.  de  BouIogne-sur-Mer. 

Société  académique  de  Brest. 

Société  des  Antiquaires  du  Centre ,  à  Bourges. 

Société  d'agriculture  et  de  commerce  de  Caen. 

Société  de  médecine  de  Caen. 

Société  Linnéenne  de  Normandie,  à  Caen. 

Société  des  Antiquaires  de  iNormandie ,  h  Caen. 

Société  dliorlicullure  du  Calvados,  à  Caen. 

Société  philharmonique ,  à  Ciien. 

Société  des  beaux-arts,  à  Caen. 

Association  normande  ,  à  Caen. 

Institut  des  provinces,  h  Caen. 

Société  française  d'archéologie  ,  à  Caen. 

Soc.  vétérin.  de  la  Manche  et  du  Calvados  ,  à  Caen. 

Société  d'archéologie,  etc.,  àAvranches. 

Soc.  d'agr. ,  se.  ,arts  et  belles-lettres  de  Bayeux. 

Société  d'émulation  de  Cambrai. 

Soc.  d'agr.,  etc.,  de  la  Charente,  à  Angonléme. 

Société  impériale  académique  de  Cherbourg. 

Société  impériale  des  sciences  natur.  de  Cherbourg. 

Acad.  imp.  des  sciences,  etc.,  àClermont-Ferrand. 

Société  d'agriculture  de  l'arr.  de  Coropiègne. 

Soc.  des  se.  nat.  et  d'ant.  de  la  Creuse,  à  Guéret. 

Acad.  imp.  des  se,  arts  et  belles-lettres  de  Dijon. 

Société  médicale  de  Dijon. 

Soc.  imp.  et  centrale  d'agr.,  se.  et  arts  de  Douai. 

Soc.  imp.  des  se,  etc.,  du  Doubs,  à  Besançon. 

Société  d*étndes  scient,  et  archéoL  de  Dragtn'gnan. 


SOCIÉTÉS  COERESPONDANTES.  503 

Société  Donkerquoise  (  Bciences,  lettres  et  arts  ). 

Société  libre  â'afçric,  etc.  de  l'Eure ,  àÉ\Teux. 

Société  académique ,  ogricole ,  etc. ,  de  Faluiso. 

Académie  impériale  du  Gard,  à  Nîmes. 

Académie  Delpbinale  ,  à  Grenoble. 

Société  Havraise  d'études  diverses ,  an  Havre. 

Soc.  d'agricnltnre ,  etc. ,  d'Indre-ct-Loire,  à  Tours. 

Soc.  d'émulation  du  Jura^  à  Lons-le-Saulnîer. 

Société  académique  de  Laon. 

Société  impériale  des  sciences ,  etc.^  h  Lille. 

Société  d'agriculture ,  sciences  et  arts  de  Limoges. 

Société  d'émulation  de  Lisieux. 

Société  académique  de  la  Loire-Inférieure,  à  Nantes. 

Académie  imp.  des  se. ,  belles-lettres  et  arts  de  Lyon. 

Société  impériale  d'agricuHure ,  etc. ,  à  Lyon. 

Société  d'borticulture  de  Maine-et-Loire ,  à  Angers. 

Société  d'agriculture,  d'archéologie,  etc.,  à  St-Lo. 

Société  d'agriculture,  sciences  et  arts  du  Mans. 

Société  d'agriculture,  etc.,  de  la  Marne  à  Chûlons. 

Académie  impériale  de  Marseille. 

Société  de  statistique  de  Marseille. 

Académie  impériale  de  Metz. 

Société  d'histoire  naturelle  de  la  Moselle  ,  à  Metz. 

Société  industrielle  de  Mulhouse. 

Société  imp.  des  sciences ,  lettres  et  arts  de  Nancy. 

Acad.  imp.  des  se.,  belles-lettres  et  arts,  à  Orléans. 

Société  d'agriculture ,  sciences  et  arts  de  Poitiers. 

Id.  de  la  Haute-Loire  .  auPuy. 

Société  agricole,  scientifique,  etc.,  à  Perpignan. 

Académie  de  Reims. 

Société  d'agriculture ,  etc.,  de  Rochefort. 

Académie  imp.  des  sciences ,  etc. ,  de  Rouen. 

Société  libre  d'émulation ,  etc.,  de  Rouen. 


o04  SOCIETES  CORRESPONDANTES. 

Soc  cent,  d'agr.,  du  départ.  delaSeine-In£,àRouen. 
Société  libre  des  pharmaciens  de  Rouen. 
Société  iipp.  d'agr.  etc.»  de  la  Loire,  à  Si-Étienne. 
Soc  imp.  d'agr.  etc.,  de  Saône-et-Loire,  à  Mâcon. 
Soc  des  se  mor.,  etc.,  de  Seine-et-Oise,  à  Versailles. 

Société  Viroise  d'émulation  à  Vire. 
Acad.  des  sciences,  etc.,  de  la  Somme,  à  Amiens. 
Acad.  des  Jeux-Floraux ,  à  Toulouse. 
Acad.  impériale  des  sciences,  etc.,  de  Toulouse. 
Soc.  d'horticulture  de  la  Haute-Garonne^  à  Toulouse. 
Société  d'histoire  naturelle  de  Toulouse. 
Soc.  d'émulation  delà  Vendée,  à  Napoléon- Vendée. 
Soc.  d'émul.  du  département  des  Vosges,  h  Épinal. 
Académie  d'Hippone ,  à  Bône. 
Académie  archéologique  de  Belgique  ,  à  Anvers. 
Soc.  roy.  des  beaux-arts  et  de  littér.  de  6and. 
Institut  lombard,  à  Milan. 
Société  d'histoire  de  Lancastre  et  de  Chester. 
Société  littéraire  et  philosophique  de  Manchester. 
Soc.  d'archéol.  et  de  numism.  de  St-Pétersbour^^ 
Académie  royale  des  sciences  ,  à  Amsterdam. 
Société  royale  de  zoologie  d'Amsterdam. 
Société  royale  d'économie  de  Kœnisberg. 
Société  des  sciences  naturelles  de  Bninn. 
Institut  Smithsonien,  à  Washington. 
Société  d'agriculture  de  l'État  de  Wiscousin. 
Académie  américaine  des  arts  et  sciences  de  Boston. 
^  Institut  libre  des  sciences  de  Philadelphie. 
Académie  des  sciences  de  St-Louis. 
Académie  des  sciences  naturelles  de  Philadelphie. 
Société  d'agriculture  de  l'Ohio,  à  Columbus. 
Société  d'histoire  naturelle  de  Portland. 
Lycée  d'histoire  naturelle  de  New-York. 


RÈGLEMENT 

DE  L'ACADÉMIE  IMPÉRIALE  DES  SCIENCES, 

auts  et  belles-lettres 

DE  CAEN. 


Aet.  I*^ — L'Académie  impériale  des  sciences ,  aiis 
et  belles-lettres  de  Caen  se  compose  de  membres  ho- 
noraires, de  membres  titulaires  de  droit,  de  membres 
titulaires  élas,  et  d'associés  résidants  ou  correspon- 
dants. 

Abt.  II.  ^  Le  nombre  des  membres  honoraires  n*est 
pas  limité.  Us  ont  rang  immédiatemen  t  après  le  bureau , 
et  jouissent  des  m^mes  droits  que  les  membres  titu- 
laires. 

AaT.  UL  — Les  membres  titulaires  de  droit  sont  :  le 
Premier  Président  de  la  Cour  impériale,  le  Préfet  du 
département  et  le  Recteur  de  l'Académie. 

Le  nombre  des  membres  titulaires  élus  est  de  trente- 
six. 

Aet.  IV.  —Celui  des  associés  résidants  ou  correspon- 
dants est  illimité.  Ils  prennent  place  parmi  les  membres 
titulaires,  dans  les  séances  publiques  ou  particulières, 
mais  sans  avoir  voix  délibérative. 

Toutefois  ils  ont  le  droit  :  1"  de  constater  leur  pré- 
sence par  leur  signature  sur  le  registre  ;  2°  de  prendre 
part  au  vote  pour  l'élection  des  membres  associés- 
correspondants. 


HH^  RÈGLEMENT. 

.Uii'.  V«  ^  Toute  nomination  de  membre  honoraire 
i'<a  |>i*vcv4Jê^  d'une  présentation  faite  par  écrit,  signée 
IKir  ua  membre  honoraire  on  titulaire,  et  remise  ca- 
c  liotûo  au  président  ou  au  secrétaire.  Tout  membre  titu- 
luiiv  i|ui  on  fait  la  demande  devient  de  droit  membre 
honoruii'O. 

LoA  membres  titulaires  élus  ne  peuvent  être  pris 
que  parmi  les  associés  résidants. 

Toute  nomination  d'associé  résidant  ou  correspon- 
dant est  précédée  d'une  présentation  dans  les  mêmes 
formes  que  lorsqu'il  s'agit  d'un  membre  honoraire  : 
elle  doit  être ,  en  outre ,  accompagnée  d'un  ouvrage 
imprimé  ou  manuscrit ,  composé  par  le  candidat. 

La  présentation  et  les  pièces  à  l'appui  sont  renvoyées 
à  l'examen  de  la  Commission  d'impression,  qui  fait,  à 
la  séance  suivante,  un  rapport  sur  les  titres  du  can- 
didat Dans  le  cas  où  la  Commission  conclut  au  rejet 
du  candidat ,  elle  doit  en  informer  le  membre  qui  a 
présenté.  Celui-ci  peut  retirer  sa  présentation. 

Les  lettres  de  convocation  annoncent  s'il  doit  y  avoir 
des  élections  ou  des  nominations. 

Art.  VL — L'Académie,  après  avoir  entendu  le  rap- 
port de  la  Commission ,  procède  immédiatement  aux 
nominations,  ou  les  renvoie  à  une  autre  séance  qu'elle 
détermine. 

Abt.  vil  —Lorsqu'il  s'agit  d'un  membre  titulaire , 
l'élection  a  lieu  au  scrutin  et  par  bulletins  nominatifs. 
— S'il  s'agit  de  la  nomination  d'un  membre  honoraire, 
d'un  associé  résidant  ou  correspondant,  il  est  voté  par 
oui  ou  par  non  sur  chaque  candidat  proposé. 

Pour  être  élu  ou  nommé,  il  faut  avoir  obtenu  la 


RÉGLEMEirr.  507 

majorité  absolae  des  suflrages  exprimée  et  le  tiers  an 
moins  des  voix  des  membres  titulaires  élus  compo- 
sant rAcadëmie. 

Si  des  membres  honoraires  prennent  part  an  scrutin, 
il  fiant,  pour  être  élu  on  nommé ,  obtenir,  en  sus  du 
nombre  de  suffrages  qui  vient  d'être  exprimé ,  un 
nombre  de  voix  égal  à  la  moitié  au  moins  de  celui 
des  membres  honoraires  ayant  pris  part  au  scrutin. 

En  cas  d'élection  d'un  membre  titulaire^  si  le  pre- 
mier tour  de  scrutin  ne  donne  pas  de  résultat ,  im- 
médiatement l'Académie  procède  à  de  nouveaux 
scrutins,  ou  renvoie  à  une  séance  ultérieure  qu'elle 
détermine. 

En  cas  de  nomination  d'un  membre  honoraire,  d'un 
associé  résidant  ou  correspondant,  il  faut,  pour  qu'il 
y  ait  lieu  à  un  second  tour  de  scrutin,  que  le  candidat 
ait  obtenu  la  majorité  des  suffrages  exprimés. 

Abt.  VIII.  —  Les  oiliciers  de  rAcadéroie  sont  :  un 
Président,  un  Vice-Président,  un  Secrétaire,  un  Vice- 
Secrétaire  et  un  Trésorier. 

Ces  dignitaires  sont  indéfiniment  rééligibles,  à  l'ex- 
ception du  Président,  qui  ne  peut  être  réélu  qu'après 
un  an  d'intervalle  ;  il  devient  de  droit  Vice-Président. 

Art.  IX.  — Il  sera  créé  une  Commission  d'impression 
composée  de  six  membres  titulaires  nommés  à  cet 
effet,  auxquels  seront  adjoints  le  Président,  le  Secré- 
taire et  le  Vice-Secrétaire  de  l'Académie. 

La  Commission  ainsi  composée  choisit  dans  son 
sein  un  Président  et  un  Secrétaire;  elle  se  réunit  sur 
Ja  convocation  de  son  Président.  En  cas  de  partagé , 
son  Président  a  voix  prépondérante. 


508  RÈGLEMENT. 

Ses  fonctions  sont  d'examiner  et  de  faire  connaitre, 
par  des  rapports  on  par  des  lectures ,  les  titres  des 
ciindidats,  les  travaux  offerts  à  l'Académie  ,  les  ma- 
nuscrits que  renferment  les  archives  ;  d'établir  avec 
les  Sociétés  savantes  de  la  France  et  de  l'Étranger 
les  relations  qu'elle  croira  utiles  aux  sciences,  aux 
arts  et  aux  lettres  ;  de  prononcer  sur  les  travaux  qui 
pourront  être  lus  en  séance  publique,  ou  imprimés 
dans  les  Mémoires  de  l'Académie. 

Tous  les  membres  sont  invités  à  déposer  dans  la 
bibliothèque  de  la  Compagnie  un  exemplaire  de 
chaque  ouvrage  qu'ils  ont  publié  ou  qu'ils  publieront. 
Aucun  rapport  ne  sera  fait,  dans  les  séances,  sur  les 
travaux  ,  imprimés  ou  manuscrits ,  offerts  par  les 
membres  honoraires ,  titulaires  de  droit ,  titulaires 
élus  et  associés  résidants. 

Art.  X.  —  De  nouveaux  membres  poun*ont  être 
temporairement  adjoints  à  la  Commission  d'impres- 
sion, et  des  Commissions  spéciales  être  créées  toutes 
les  fois  que  l'Académie  le  jugera  convenable. 

Art.  XI. — Les  membres  du  Bureau  sont  renouvelés 
chaque  année  dans  la  séance  de  novembre,  à  la  ma- 
jorité absolue  des  suffrages  des  membres  présents.  Si 
la  majorité  n'est  pas  acquise  aux  deux  premiers  tours 
de  scrutin,  il  est  procédé  à  un  scrutin  de  ballottage 
entre  les  deux  membres  qui  ont  obtenu  le  plus  de 
voix  au  second  tour*  En  cas  de  partage  égal  des  voix, 
le  plus  âgé  obtient  la  préférence. 

Les  six  membres  de  la  Commission  d'impression  sont 
nommés  pour  deux  ans,  au  scrutin,  par  bulletins  de  , 
liste,  à  la  majorité  absolue  des  suffrages  des  membres 


REGLEMEirr.  509 

{MrëMMits  ;  et,  dans  le  cas  de  non-i4eclion  au  premier 
tour  de  scrutin,  la  pluralité  des  suffrages  décide  au 
second.  Ils  sont  renouvelés  par  moitié  tous  les  ans,  à 
la  première  séance  de  novembre.  Les  membres  sor- 
tants ne  sont  rééiigibles  qn'aprcs  un  an  d'inteiTalle. 

Art.  Xir — Tontes  les  nominations  se  font  an  scru- 
tin ;  les  autres  délibérations  se  prennent  de  la  même 
manière,  à  moins  que  le  Président  ne  propose  d'y 
procéder  à  baute  voix  sans  qu'il  y  ait  réclamation. 

Art.  Xni. — L'Académie  tient  ses  séances  le  qua- 
trième vendredi  de  chaque  mois  ,  à  sept  heures  et 
demie  précises  du  soir;  le  jour  et  l'heure  des  séances 
peuvent  être  changés.  £lle  prend  vaamces  pendant 
les  mois  d'août,  de  septembre  et  d'octobre. 

Art.  XIV.— L'Académie  lient,  en  outre,  une  séance 
publique  au  mois  de  juin  de  chaque  année.  Elle  en 
fixe  le  jour,  l'heure  et  le  lieu  par  une  délibération. 

Art.  XV.  —  Les  fonds  dont  dispose  l'Académie 
proviennent  des  cotisations  qu'elle  s'impose,  des  sub- 
ventions qui  peuvent  lui  être  accordées  par  le  Gouver- 
nement^ le  Conseil  général  ou  tout  autre  corps  admi- 
nistratif, et  des  dons  et  legs  faits  par  des  particuliers. 

Ces  fonds  sont  consacrés  aux  fonds  de  service  de  la 
Compagnie,  à  l'impression  de  ses  Mémoires  ,  aux 
prix  qn'elle  décerne,  et  à  toutes  dépenses  imprévues. 

Le  trésorier  est  chargé  des  recettes  et  des  dépenses. 
Il  acquitte  les  mandats  à  payer  sur  les  signatures 
du  Président  et  du  Secrétaire.  Chaque  année,  il  rend 
un  compte  détaillé  de  sa  gestion  à  une  Commission 
spéciale  de  trois  membres,   nommée  dans  la  séance* 


510  HÉGLËMBNT. 

de  rentrée^  et  qui  fuit  son  rapport  sur  Tétat  de  la 
caisse  dans  la  séance  suivante. 

Art.  XVL  —  Une  cotisation  annuelle  est  imposée 
aux  membres  titulaires  et  aux  membres  associés  rési- 
dants. Elle  est  de  dix  francs  pour  les  premiers,  de 
cinq  francs  pour  les  seconds ,  et  se  paie  dans  le  mois 
de  janvier. 

A  quelque  époque  de  l'année  qu'un  membre  soit  élu 
ou  nommé,  il  doit  immédiatement  la  cotisation  im- 
posée à  son  titre  y  et  la  paie  en  recevant  son  diplôme. 

Art.  XVU.  — Tous  les  membres  titulaires  élus  sont 
tenus  d'assister  au  moins  à  cinq  séances  dans  Tannée. 

Il  est  distribué  des  jetons  de  présence ,  dont  l'Aca- 
démie détermine  la  forme  et  la  valeur.  Le  prix  en  est 
perçu,  indépendamment  de  la  cotisation  fixée  par 
TarUcle  XVL 

Art.  XVIII.  —  Les  membres  titulaires  élus  qui  au- 
raient laissé  passer  une  année  sans  paraître  à  aucune 
séance,  ou  deux  années  sans  présenter  aucun  travail, 
et  ceux  qui  auraient  cessé  de  résider  à  Gaen ,  devien- 
nent de  droit  membres  associés.  Il  sera  pourvu  sans 
retard  à  leur  remplacement. 


N.   B.  L'Académie  laisu  aux  auteurs  des  Mémoires  qu'elle  im^ 
prime  ta  responsabilité  des  opinions  qu'ils  y  soutiennent. 


LISTE 


DES   ll£Mfia£S  HONORAIRES,   TITULAIRES  DE  DROIT,   TITU- 
LAIRES   ELUS,     ASSCaÉS-RÉSlDANTS    ET    ASSOCIÉS- 
CORRESPONDANTS  DE   l'aGADEMIE  IMPÉRIALE 
DES  SaENCES,  ARTS  ET  BELLES-LETTRES 
UE  CAEN,    AU    !•'   AVRIL   1868. 


POUR  L.*/ILIV1VÊE  ISeT-lSeS. 

MM. 

OLIVIER,  1*'  président,  président 
OLIVnSR,  ingénieur  en  chef,  vice-président, 
TRAVERS,  secrétaire, 
PUISEUX,  vice-secrétaire. 
GIRAULT,  trésorier. 

(Boumui^dtoi}     D  uupte^dio!}. 

MiU. 

OLIVIER,  , 

TRAVERS ,  [     membres  de  droil. 


PUISEUX , 

CAUVET, 

DESESSARS, 

JOLY, 

DANSIN , 

MORIÈRE  ', 

OLIVIER. 


S 


\ 


512  UST£   DKS  MfMbMKti 


nLemStea-    Soiiotaitea. 

MM. 

DAN  DELAVÂUTERIE,  de  la  Soc  de  médecine. 
BONNAIRE ,  prof^.  honoraire  de  la  Fac.  des  sciences. 
ROGER  »  proP.  honoraire  de  la  Facalté  des  lettres. 
DEMOLOMBE ,  doyen  de  la  Faculté  de  droit. 
TREBUTIEN  »  bibliothécaire-adjoint 
GERV  AIS^  membre  de  la  Soc  des  ant  dé  Normandie. 
HIPPEAU ,  professeur  à  la  Faculté  des  lettres. 
DE  LA  CODEE,  notaire  honoraire. 

diHoeiiibiea     htufaitea     de    dvoiu. 

MM. 

OLIVIER  (Edmond),  premier  président. 

LE  PROVOST  DE  LAUNAY,  préfet  du  Cklvados. 


MM. 

I.  LECERF ,  professeur  honoraire  de  ditiit  civil. 
S.  DE  CAUMONT,  correspondant  de  l'Institut» 

3.  BERTRAND  ,  membre  du  Corps  législatif. 

4.  TRAVERS,  prof,  honoraire  à  la  Fac.  des  lettres. 

5.  DES  ESSARS,  président  de  chani)>re. 


DE  l'académie.  543 

6.  VASTEL ,  directeur  de  l'École  do  médecine. 

7.  CHARMA,  doyen  de  la  Faculté  des  lettres. 

8.  PUISEUX»  professeur  d'histoire  au  Lycée. 

9.  TROLLEY,  professeur  à  l'École  de  droit. 
10.  PIERRE,  doyen  de  la  Faculté  des  sciences. 

il.  DËSBORDEAUX,  membredc  la  Soc.  d'agriculture. 

12.  LATROUETTR,  docteur  ès-letlres. 

13.  LE  BOUCHER,  professeur  à  la  Fac.  des  science?. 

14.  MORIÈRE,  professeur  à  la  Faculté  des  sciences. 

15.  BERTAULD,  professeur  h  l'École  de  droit. 

IOl  GIRAULT,  professeur  à  la  Faculté  des  sciences. 

17.  CAUVET,  professeur  à  l'École  de  droit. 

i&  nu  MONCEL,  membre  de  plusieurs  Soc.  savantes. 

19.  DANSIN,  professeur  d'iiist  à  la  Fac.  des  lettres. 

20.  THÉRY ,  recteur  de  l'Académie. 

21.  CH.ATEL,  archiviste  du  Calvados. 

22.  OLIMER ,  ingénieur  en  chef. 

23.  ROULLAND,  professeur  à  l'École  de  médecine. 

24.  MELON,  président  du  Consistoire. 

23.  JOLY ,  professeur  à  la  Faculté  des  lettres. 

2&  GOURTY,  de  la  Société  des  antiq.  de  Normandie. 

27.  LEFÈVRE,  ancien  chef  du  génie  à  Caen. 

28.  COLLAS ,  conseiller. 

29.  BUCHNER,  prof  de  lit.  étr.  ù  la  Fac.  des  lettres. 
30L  FAYEL,  professeur  à  l'École  de  médecine. 

31.  DENIS,  professeur  à  la  Faculté  des  lettres. 

32.  RENAULT,  conseiller. 

33.  DUPRAY  DE  LAMAHÉRIE,  conseiller. 

34.  LIÉGARD,  professeur  à  l'École  de  médecine. 

35.  BOIVIN-CHAMPEAUX ,  1*'  avocat-général. 

36.  OONNELLY,  procureur-général. 


XI 


814  LISTE  DES  MEMBRES 


^nïeuiOteA     OLààociéôL^xiôidanta , 


MM. 
BOUET,  peintre,  membre  de  la  Soc.  des  antiquaires. 
LE  PRESTRE,  professeur  à  l'École  de  médecine. 
MAHEUT,  professeur  à  TÉcole  de  médecine. 
LE  FLAGUAIS,  membre  de  la  Soc!  des  beaux-arls. 
PIQUET,  conseiller. 

LE  ROY-LANJUINIÈRE,  secr.  de  TÉcole  de  médecine. 
LE  TELLIER,  ancien  inspecteur  de  l'Université. 
DENIS-DUMONT ,  professeur  à  l'École  de  médecine. 
DEFORMIGNYDELALONDE,v. -secr.de la  Soc.  d'agr. 
FÉLIX,  avocat-général. 

E.  DESLONGCHAMPS,  prof  à  la  Faculté  des  sciences. 
CHRÉTIEN,  docteur  en  droit 
FOUCHER  DE  CAREIL ,  homme  de  lettres. 
HÉBERT-DUPERRON ,  inspecteur  de  l'Académie. 


llXeuiSieii    a6*^octé<t^-cotxe5poiiDaiiiit. 


MM. 

BOULAY,  membre  de  l'Acad.  de  médecine,  à  Paris. 

ARTUR ,  professeur  de  mathématiques,  id. 

DIEN,  peintre,  id. 

SERRURIER ,  docteur  en  médecine ,  id. 

EUE  DE  BEAUMONT,  de  l'Académie  des  sciences. 

LAMBERT,  conservateur  de  la  bibliothèque  de  Bayeux. 


HB  Ji'ACAJKilU£.  515 

DUnN  (Charies),  sënateor,  à  Paris. 
DESNOTERS  (Jules),  membre  de  l'Institut,  id. 
COUEFFIN,  ancien  ingëDieo^gëographe ,  à  Bayciix. 
CHESNON 9  ancien  principal  du  collège,  a  Évreux. 
COUEFFIN  (tir  Lucie),  à  Bayenx. 
GIRARDIN,  doyen  de  la  Faculté  des  sciences  de  Lille. 
DELAMAKEy  archeyéque  d'Auch. 
WOLF  (Ferdinand),  à  Vienne. 
TOLLEMER  (l'abbë),  à  Valognes. 
MARTIN,  doyen  de  la  Faculté  des  lettres,  à  Renno«. 
LE  BRETON  (Théodore),  bibliothécaire,  à  Rouen. 
A.  BOULLÉE,  ancien  magistrat,  à  Paris. 
BOUCHER  DE  PERTHES ,  antiquaire ,  à  Abbevillo. 
MOLCHNEHT  (Dominique),  sculpteur,  à  Paris. 
ROQUANCOURT ,  ancien  colonel ,  à  Thorigny. 
SIMON  (Jules),  membre  de  l'Institut ,  à  Paris. 
BATFEHANN ,  jurisconsulte  anglais. 
DE  BRËBISSON  ,  naturaliste ,  à  Falaise. 
BOULATIGNIER ,  membre  du  Conseil  d'État,  à  Pans. 
VÉRUSMOR,  homme  de  lettres,  à  Cherbourg. 
LAM.\RT1NE,  membre  de  TAcad.  française,  à  Paris. 
BEUZEVILLE,  homme  de  lettres ,  à  Rouen. 
RAVAISSON,  membre  de  l'Institut ,  à  Paris. 
DE  LA  SICOTIËRE ,  avocat ,  à  Alençon. 
ilOUEL,  ex-inspecteUï*-général  des  haras,  à  St-Ln. 
MCN.4RET ,  docteur  en  médecine ,  à  Lyon, 
B.\ILHACHE,  ancien  professeur  au  lycée  du  Mans. 
HUREL,  professeur  de  seconde  au  collège  de  Falaise. 
MNGTRINIER.  docteur  en  médecine,  à  Rouen. 
LAISNÉ ,  ancien  principal  du  collège  d'Avranches. 
DDMÉRIL  (Édélestand),  homme  de  lettres,  à  Van^. 
BELLIN  (Gaspard),  avocat ,  à  Lyon. 


•^16  USTE  DIS   MEMBRES 

ANTONT-DUVIVIER,  homme  de  lettres,  à  Nevers. 

BERGER,  prof"  à  la  Faculté  des  lettres  de  Paris. 

VIOLLET,  ingénieur,  à  Paris. 

SCH&flTH,  inspecteur  de  TAcadémie  ,  à  Marseille. 

DESAINS,  prof  de  physique  au  lycée  Bonaparte. 

SANDRAS,  ancien  recteur  de  l'Académie  de  Rennes. 

RICHARD,  ex-préfet  du  Finistère. 

DE  QUATREFAGES ,  naturaliste  ,  à  Paris. 

LALOUEL,  ancien  professeur,  à  Sourdeval. 

MAIGNIEN,  doyen  de  la  Fac.  des  lettres  de  Grenoble. 

ROSSET ,  homme  de  lettres ,  à  Lyon. 

DE  ROSMALEN  ,  proP  d'action  oratoire ,  h  Paris. 

CAP  ,  directeur  du  Journal  de  pharmacie,  id. 

CASTEL,  ex-agent-voyei^chef ,  à  Bayeux. 

JAMIN,  professeur  au  lycée  Louis-le-Grand. 

FAURE  ,  professeur  à  l'École  normale  de  Gap. 

DELACHAPELLE,  de  la  Soc.  acad.  de  Cherbourg. 

AMIOT ,  professeur  au  lycée  St-Louis. 

DUMONT,  juge ,  à  St-Mihiel. 

MAGU ,  à  Lizy-sur-Ourcq  (Seine-et-Marne). 

DEZOBRY  (Ch.),  homme  de  lettres ,  à  Paris. 

DE  BANNEVILLE ,  diplomate. 

CHARPENTIER,  directeur  de  TEC  normale  d'Alen<:on. 

JAMES  (Constantin),  docteur  en  médecine,  à  Paris. 

LE  HÉRICHËR,  prof  de  rhétorique,  à  Avranches 

LE  VERRIER ,  sénateur ,  directeur  de  l'Observatoire. 

HUE  DE  CAUGNY,  laur.  de  TAc;  des  se ,  à  Versailles. 

EGGER,  membre  de  llnstitut,  à  Paris. 

DELA  VIGNE,  doyen  de  la  Fac.  des  lettres,  à  Toulouse. 

ROCHER ,  ancien  préfet  du  Calvados ,  à  Paris. 

GASTAMBIDE,  conseiller  à  la  Cour  de  cassation. 

ÉDOM  ,  ancien  recteur ,  au  Mans. 


u  h'kCAsAuaL  517 

SORBIER,  l*'  président  de  la  Coar  impériale  d'Agen. 

CAMARET,  ancien  recteur,  à  Douai. 

RIOBË,  ancien  magistrat,  au  Mans. 

ENDRÈS,  ingénieur  des  ponts-et-clianasées,  à  Meliin. 

LE  CHANTEUR  DE  PONTAUMONT,  h  Oierbourg. 

LEPETTRE,  ancien  procureur-général. 

U^  Rosalie  DU  PUGET,  à  Paris. 

MOREL»  lauréat  de  l'Académie  de  Gaen,  id. 

DE  RERCRHOVE,  à  Anvers. 

MENANT,  juge  au  tribunal  civil  d'Évreux. 

HOCDÉ,  oflScier  d'Académie,  à  Paris. 

COCHET  (l'abbé),  corresp.  de  l'Institut,  à  Dieppe. 

HOLLAND,  bomme  de  lettres,  à  Tubingen. 

DELISLE  (Léopold),  membre  de  ilnstitut,  à  Paris. 

CHA&SAY  (l'abbé),  à  Paris. 

CHÉRUEL,  recteur  de  l'Académie  de  Strasbourg. 

BOUILUER,  doyen  de  la  Faculté  des  lettres,  à  Lyon. 

DE  BUSSCHER,  secrétaire  de  la  Soc  royale  de  Gand. 

HALUWELL  (James-Orcbar),  antiquaire,  à  Londres^. 

ROACH-SHITH  (Charles),  id.,  id. 

M-  DE  BfONTARAN,  à  Paris. 

DUVAL-JOUVE,  inspect'  universitaire,  à  Strasbourg. 

6URNET  (Daniel),  à  North-Runcton  (Norfolk). 

LE  BIDARD  DE  THUMAIDE,  proc.  du  roi,  à  Liège. 

LE  GRAIN,  peintre,  à  Vire. 

DE  GIRARDOT,  antiquaire,  à  Bourges. 

CLOGENSON,  ancien  préfet  de  rOrne,  à  Rouen. 

DEVALROGER,  professeur  à  l'École  de  droit  de  Paris. 

MERGET,  professeur  au  lycée  de  Bordeaux. 

OUENAULT-DESRIVIÈRES,  proviseur,  à  Mraes. 

DE  CHENNEVIÈRRS,  inspecteur  de  musées,  à  Paris. 

CHOIST,  professeur  de  rhétorique ,  à  Falaise. 


5t8  USTE  DES  MEMBRES 

DECORDE,  curé  de  Bures  (Seine-Inférieure). 
SIRAUDIN,  à  Bayeux. 

TARDIF  (Adolphe),  de  TÉcoIe  des  chartes,  à  Paris. 
TARDIF  (Jules),  id.  id. 

DE  SOUZA  BANDEIRA  (Herculano),  à  Femambouc. 
LOUANDRE  (Charles),  homme  de  lettres,  à  Paris. 
DE  SOULTRAIT,  antiquaire,  à  Mâcon. 
HAURÉAIT,  homme  de  lettres,  à  Paris. 
MORISOT,  ancien  préfet  du  Calvados,  id. 
M"'  Amélie  BOSQUET,  id. 
LE  NORMANT  (René),  naturaliste,  à  Vire. 
LAMBERT,  inspecteur  des  écoles,  à  Nogent-sur-Seine. 
DE  BEAUREPAIRE  (Eug.),  magistrat,  à  Bourges. 
DE  ROZIÈRE,inspecteur-généraldes archives,  àPari^. 
BORDEAUX  (Raymond),  avocat,  à  Évreux. 
MICHAUX  (Clovis),  juge  d'inst.  honoraire,  à  Paris. 
DAVID  (Jules-A.),  orientaliste,  à  Fontainebleau. 
LOTTIN  DE  LAVAL,  homme  de  lettres,  près  Bernay. 
AKERMANN,  sec,de  la  Soc.roy.des  antiq.  de  Londres. 
WRIGHT  (Thomas),  corresp,  de  l'Institut,  à  Londres. 
MAURY,  membre  de  l'Institut,  à  Paris. 
M-  PIGAULT,  peintre,  à  Paris. 
ÉNAULT  (Louis),  homme  de  lettres,  à  Paris. 
DESROZIERS,  ancien  recteur. 
LANDOIS,  inspecteur  en  retraite  de  l'Acad.  de  Paris. 
DE  RA  YN  AL,  1" avocat-général  à  la  Cour  de  cassation. 
LEPELLETIER,  substitut  à  Paris. 
BOVET,  bibliothécaire,  à  Neufchâtel  (Suisse). 
GARNIER,  secr.  de  la  Société  des  antiq.  de  Picardie. 
DUPONT,  président  du  Tribunal  civil,  à  Valognes. 
SAUVAGE,  juge-de-paix,  à  Le  Louroux-Béconnaîs. 
^^TTERMAIER,  à  Hilderberg  (duché  de  Bade). 


m  l*acadCiub.  519 

DE  GENS,  secr.  de  la  Soc  d'archéol.  de  Belgique. 

DE  PONTGIBAULT  (César],  à  Fontenay  (Manche). 

LIAIS  (Emmanuel),  astronome,  à  Paris. 

LE  JOLIS  (Auguste),  naturaliste,  à  Cherbourg. 

LE  SIEUR,  ancien  professeur,  à  Paris. 

LECADRK,  docteur  en  médecine,  au  Havre. 

Dl}  BREIL  DE  MARZ.\N,  à  Marziin. 

PETIT  (J.-L.),  antiquaire,  à  Londres. 

IKKîODINE  (Michel),  à  Moscou. 

EXGELSTOFT,  évoque  de  Fionie. 

SICR,  à  Odensée. 

DARU,  ancien  TÎce-présld.  de  TAss.  lég. .  à  GhiflTrevast. 

LAFFETAT,  chanoine,  à  Bayeux. 

CUSSON,  secrétaire  de  la  mairie  de  Kouen. 

GISTEL,  professeur  d'histoire  naturelle,  à  Munich. 

ALLEAUME,  de  l'École  des  Chartes,  à  Paris. 

DIGARD  (de  Lousta],  à  Cherbourg. 

BERVILLE,  président  honor.  à  la  Cour  imp.  de  Paria. 

LAURENT,  curé  de  St-Marlin,  à  Ck)ndë-sur-\oireau. 

SCHWEIGHiEUSER,  archiviste,  h  Colmar. 

MARCHAND,  pharmacien,  u  Fécamp. 

TOSTAIN,  inspect  gén.  des  ponts-et-chauss. ,  à  Paris. 

LARTIGUE,  ancien  capitaine  de  vaisseau,  à  Versailles. 

LEVAVASSEUR,  homme  de  lettres,  ù  Argentan. 

BESNOU,  ex-pharmacien  de  la  Marine,  à  Avranches. 

DE  LA  FERRIÈRE-PERCY,  àRonfeuperay  (Orne). 

MAYER,  de  la  Soc.  des  antiq.  de  Londres^  à  Liverpooi. 

FABRICIUS  (Adam),  prof,  d'hist.,  à  Copenhague. 

NICOT,  secrétaire  de  l'Académie  du  Gard,  h  Nîmes. 

ROELANDT,  prés,  de  la  Soc.  roy.  des  b.-arts  de  Gand. 

JARDIN,  aide-commissaire  de  la  Marine,  h  Cherbourg. 

FRANi^OIS,  maître  des  requêtes  au  Conseil  d'État. 


os»      >^uiieo,  à  Milan. 
w«'<«^«  Emilie  de  lettres,  à  Paris. 
•;,  V  .X  uciubre  de  plusieurs  Soc.  savantes,  id. 
^^v  -'^^  ^  svrre^pondant  de  l'Institut,  à  Fromentin. 
v;  ;vw.Kt*  ,tVt.),  de  l'Académie  française,  à  St-Lo. 
•\  Vl  ^  Kt\  proP»  à  la  Faculté  des  lettres,  à  Rennes. 

^—  (.:vKKY%  poète  anglais,  à  Brixham. 

LN  \  SKL.  îa.*ulptcur,  à  Paris. 

lit  KSSAHl\  professeur  à  l'École  des  chartes,  «^  Paris. 

L  VIK  Jules),  de  l'École  des  chartes,  id. 

rvHPlKr  (Jules),  libraire  et  homme  de  lettres,  id. 

KSTAINTOT  (Robert  d'),  avocat,  à  Rouen. 

VÉLlNOrK,  sculpteur,  à  Paris. 

1>K  CHARKNCEY  (H.),  linguiste,  à  Paris. 

(lAUOHRR,  professeur  de  seconde  au  lycée  Bonaparte. 

1>K  PKYRONNY,  avocat,  à  Lyon. 

LUUK,  auxiliaire  de  l'Institut,  à  Paris. 

UUISLAIN-LEMALE,  historien,  au  Havre. 

UlTARD  (Adolphe),  homme  de  lettres,  h  Paris. 

PKRIN  (Jules),  avocat,  id. 

MORliN .  directeur  de  l'École  des  sciences  de  Rouen. 

M"^  Ksther  SEZZI ,  à  Paris. 

TONNKT,  ancien  préfet  du  Calvados. 

1>K  ROUGÉ (Emmanuel),  membre  de  l'Inst. ,  à  Paris. 

1>K  BEAUREPAIRE  (Ch.) ,  archiviste  de  la  Seine-Jnf. 

ASSBLLNEAU  (Gharies),  homme  de  lettres,  à  Paris. 

GROS ,  docteur  en  médecine  ,  id. 

BOITE  AU  (Paul),  homme  de  lettres,  id. 

ANQUETIL,  inspecteur  de  l'Académie,  à  Versailles. 

VASTEL  (Charles),  avocat,  à  Paris. 

LENOEL ,  avocat  et  publiciste ,  à  Paris. 

BLANCHE  ,  avocat-général  à  la  Cour  de  cassation. 


DE  l'acadûie.  5âl 

DE  BOBERT  DE  LATOUR,  docteur  m  niM.,  à  Pariv. 
MAREY ,  id. 

JOAO  DA  CAMARA  LEME ,  id,  à  Madère. 
BUR&E  (Pierre),  sergeant-at-law ,  à  Londres. 
fiCR&E  (Sir  Bernard},  roi  d*annes  dlrlande. 
POTIN  (Alphonse),  homme  de  lettres ,  à  Paris. 
BATAILUJID  (Ch.),  avocat  à  la  Cour  imp.  de  Paris. 
H.  DE  SAINT-ALBIN ,  cons.  à  la  Cour  imp.  de  Paris. 
GOMART  (Ch.),  antiquaire,  à  St-Quentîn. 
OORNEUS  DE  WTTT,  historien,  au  Val-Richer. 
RIBEYRE  (Fëlix),  homme  de  lettres,  au  Havre. 
HERBERT,  prof  de  rhétorique  à  Napolëon-Vendéo. 
BERTUIER  (Johanny),  homme  de  lettres ,  à  Paris. 
LE  ROI ,  bibliothécaire,  à  Versailles. 
ÛOUGNY ,  professeur  au  lycée  de  Versailles. 
DE  CHÉNIER  (Gabriel),  avocat ,  à  Paris. 
OUVn^ ,  avocat ,  à  Bône  (Algérie). 
BIGOT,  homme  de  lettres,  à  Nîmes. 
BOUSSON  DE  BIAIRET ,  bibUothécaire ,  à  Arbois. 

BAUDEMENT  ,  de  la  Bibliothèque  impériale ,  à  Paris. 
PELLERIN ,  procureur  impérial ,  à  Vire. 

CAILLEMER ,  professeur  de  Gode  civil ,  à  Grenoble. 

CHARPENTIER,  ancien  oflicîer  supérieur,  à  Alcnron. 

FALLUE  (Léon),  lauréat  de  llnstitui ,  à  Paris. 

QDENAULT,  sous-préfet  de  Coutances. 

CIALDI  (Alexandre),  a  Rome. 

BEAUNE  (Henri),  procureur  impérial  ,  à  Dijon. 

HILUEN ,  à  Beaumont-la-Ferrière  (Nièvre). 

DE  CUYPER,  inspecteur  de  l'Ëcole  des  mines,  à  Liège. 

BUER  (Panl),  professeur  au  lycée  de  Coutances. 

FIBRVILLE  (Ch.),  prof  de  phil.  à  Mont-de-Marsan. 

CURIIER  (I^on),  homme  de  lettres ,  à  Paris. 


5i2  LISTE   DES  MEMBRES  DE    L'aCADÉMIE. 

VILADE  (Léon  de),  juge  au  Tribunal  de  Bayeux. 
THKIIRKAU ,  homme  de  lettres,  à  Paris. 
DAUSSK,  ancien  ingénieur  en  chef,  à  Paris. 
DE  SAINT-VENANT  ,  id.,  à  Paris. 
OUÉllAllî)  (A.),  à  Paris. 
DROOHDE,  secrétaire  de  l'Académie  de  Rouen. 
Î.KBEURIER  (l'abbé),  arcliivisle ,  à  Évreux. 
TISSOT  (Amédée),  bibliothécaire,  à  Lisieux. 
FLAMMARION  (Camille),  astronome,  à  Paris. 
LOYSEL,  docteur  en  médecine,  à  Cherbourg. 
ANgUETIN ,  id.,  à  Valmont  (Seine-Inférieui-e). 
HAROU  ,  ancien  procureur-général,  à  Paris. 
REYNALl),  professeur  à  la  Fac.  des  lettres  d'Aix. 
DE  FORMEVILLE,  ancien  conseiller,  à  Trouville. 
DEMIAU  DE  CROUZILHAC,  ancien  conseiller. 
FRI^.RE  (Ed.),  membre  de  plusieurs  Soc.  sav.  à  Rouen. 
RORINOT-RERTRAND,  avocal.  à  Nantes. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


NOTE  PRÉLIMINAIRE.  Programmes  des  concours. 
MÉMOIRES. 

Indicateur  planétaire,  oi:  recueil  i>e  taules 

CALCULÉES  DANS  L*UYPOTUf:SE  l>r  MOUVEMENT 
ELLIPTIQUE  y  ET  FOURNISSANT,  PU  1*'  JANVIER 
1865  AU  i"  JANVIER  1900,  LA  INSTANCE  ANC.U- 
lAlRE  DU  SOLEIL  AL'X  PLANJ^^TES  PRINCIPALES, 
ÉVALUÉE  EN  ASCENSION  DROITE,  pal'  M.  GiRAULT.  1 

Niveau  d*eau  a  ture  flexirle,  par  M.  Amédéc 
Desbordeaitx 76 

Les  Trotens  en  Angleterre  ,  par  M.  Alex. 
Buchner 8:{ 

Études  sur  les  antiovités  juridiques  d'Atiiënes. 

—  La  REStiTUTION  DE    LA  DOT   A  ATHÈNES ,  pai' 

M.   Ezupère    Gaillemer 107 

Boisguilledert,  par  M.  J.  Denis 147 

Notice  sur  Léon  Thiessé  ,  par  M.  Her ville.    .195 
Les  affinités  de  la  iangue  basque  avec  i£S 
idiomes  du  nolteau- monde,  par  M.  H.   de 

Gharencey 204 

Esquisses  psychologiques,  par  M.  Emm.  Chauvet. 
De  la  faculté  de  croire. 
I.  Ge  que  la  faculté  de  croire  est  à  rintelli- 

gencc 239 

IL  Gomment  la  faculté  de  croire  se  divise.    253 

III.  La  certitude,  révidcnce,  le  dogioatisme.    259 

IV.  L*opinion,  la  probabilité,  le   probabi- 
iisme 278 

V.  Le  doute,  la  possibilité,  le  scepticisme.    299 


u     ,>w«^.auuii  James 318 

, -  -w ,  -v^  ^»«.u«s,  par  M.  Sorbikr  .  34ÎH 

^.^^v-*..  «^   M.  PE  ViiAPE.    .    .    .  :i9b 

,     v..-^^.  îwr  M.  A.  Théry.     .     .414 
..^    *  ^   vVfAVE  Scelles  de  Mont- 

.^,      ^    >t   -VuiW^e  Desbordeaux.    .     .  426 

V      .  ^*A    V.'ïtC    *^    LAN   DE  GRACE  1868,  par 

V     k      l'w^ 436 

vw»vAi   stH  ;v  rRLX  DE  La  Codre,  par  M.  A. 

jH^^tiit\         464 

.  V  ,4«.vx^>N  UK  LA  CHEMISE,  imitée  de  Th.  Hood, 

^  M.  Julien  Travers i71 

^^>«Mi^NT,   pâT  M"*    Lucie    COUEFFIN.      .      .      .  475 

WME  JoiiK»  i>ar  U  Même 477 

!IK«  AKiavntt^iRE ,  par  la  Même 479 

Ijk»  UMtmoNOMES,  conte,  par  M.  Colas.     ...  481 

U  U&VRK  KT  LE  MULOT,  fable,  par  M.  Guérard.  48:^ 

U  miT  Poucet  et  le  bœuf,  par  le  Même.    .  485 

U  VKtuoftK  DU  rossignol,  par  M.  P.  Blier.     .  487 

lUvKKiKKN  WAGON,  par  le  Même 490 

tH'VUAUKS  OFFERTS 405 

SlHUfrrftS  CORRESPONDANTES .501 

HfitUJCMKNT .M^ 

USTK  DES  MEMBRES  DE  L'ACADÉMIE.     .     .     .  5H 


CARU,    TYr.    F.    LE   BLAI^C-BARDM. 


MEMOIRES 

DE    L'ACADÉMIE  IMPÉRIALE 


DE  CAEN 


.  •  MÉMOIRES 

*  DE 

L'ACADÉMIE  IMPÉRIALE 

DES 

SCliNGtS,  ARTS  ET  RELLiiS-LKTTW 
DE    OAKN 


CAEN 

CHB  F.  U  IIU!IC.BAnEl.  JUPRfMEIB  k  L'ACUÉHII 


PRÉFACE 


L'Académie  perdait,  le  27  mai  1868,  l'un 
de  ses  fiiembres  honoraires,  M.  Pierre-Au- 
guste Dan  de  Lavauterie,  né  à  Caen,  le 
31  jsuiYier  1779.  Ce  docteur  aimable  et  véné- 
rable, dont  le  mérite  était  relevé  encore  par  le 
canctèroi  a  laissé  en  mourant  un  témoignage 
dasoiï  estime  pour  notre  Ck)mpagnie.  Par  un 
codicâe,  en  date  du  15  avril  1867 ,  il  lui  a 
légué  une  somme  de  deux  mille  francs. 

«  Je  donne ,  y  dit-il ,  et  lègue  à  l'Académie 
a  impériale  des  sciences  y  arts  et  belles-lettres 
«  de  Caen,  la  somme  de  deux  mille  francs , 
«  qui  lui  sera  versée  dans  les  six  mois  qui 
«  suivront  mon  décès,  et  dont  les  intérêts 
a  accumulés  pendant  deux,  trois,  quatre  ou 
«  cinq  ans ,  selon  la  convenance ,  formeront 
«  ia  valeur  d'une  médaille  d'or  qui  sera  don- 
«  née  en  fnrix  à  l'auteur  du  meilleur  mémoire 
a  sur  un  sujet  choisi  dans  le  domaine  des 
*  sdences  physiques  et  naturelles. 

«  Ce  legs  est  fait  dans  l'intérêt  des  sciences 
c  que  j'ai  le  plus  aimées,  et  comme  témoin 


VI  PREFACE. 

«  gnage  de  mon  respectueux  attachement  pour 
«  la  savante  Compagnie  à  laquelle  j'ai  l'hon- 
«  neur  d'appartenir  depuis  son  rétablissement , 
«  au  commencement  de  ce  siècle.  » 

Toutes  les  formalités  exigées  par  la  loi  ayant 
été  remplies ,  le  décret  suivant  a  été  rendu , 
le  23  décembre  1868  : 


a  NAPOLÉON ,  par  la  grâce  de  Dieu  et  la  tolonté  na- 
tionale ,  Empereur  des  Français , 

«  A  tous  présents  et  à  venir ,  salut. 

a  Sur  le  rapport  de  notre  Ministre  Secrétaire  d'État  au 
département  de  Tlnstruction  publique  ; 

«  Vu  le  testament,  en  date  du  15  avril  4867,  par  lequel  le 
sieur  Pierre-Auguste  Dan  de  Lavauterie  a  légué  à  l'Aca- 
démie des  sciences,  arts  et  belles-lettres  de  Caen  une 
somme  de  deux  mille  francs  dont  les  intérêts  accumulés 
pendant  plusieurs  années  ,  selon  la  convenance ,  formeront 
la  valeur  d'une  médaille  d'or  à  décerner  en  prix  sur  un 
sujet  choisi  dans  le  domaine  des  sciences  physiques  et  natu- 
relles 'y 

«  Vu  l'acte  de  décès  du  testateur  ; 

«  Vu  les  renseignements  sur  sa  succession  et  sur  la  posi- 
tion de  fortune  de  son  unique  fille  et  héritière  ; 

a  Vu  le  consentement  de  celle-ci  à  la  délivrance  du 
legs; 

«  Vu  le  décret  du  10  août  1853 ,  qui  a  déclaré  d'utilité 
publique  l'Académie  des  sciences ,  arts  et  belles-lettres  de 
Caen; 

«  Vu  Pacceptation  provisoire  de  cette  Académie,  en  date 
du  26  juin  1868  ; 

0  Vu  l'avis  du  Préfet  du  Calvados ,  en  date  du  8  sep^ 
tembre  1868  ; 


PRÉFACE.  m 

•  Vu  les  StatntH  du  l'Acaiiêiuie  ; 
«  Vu  l'art.  910  du  Code  Napoléon  ; 
1  La  section  de  l'Intérieur,  >le  l'iostruction  publique  et 
des  Cultes  de  notre  Conseil  d'État  entendue  j 

*  Avons  nicfiini:  kt  décrétons  ce  qui  suit  : 

«  Article  rREMiER. 
I  L'Acadâintc  des  sciences,  arts  tt  beUe»-lettre*  de  Caw, 
reconnue  roiume  ùUiblissenienl  J'ulilité  publique  par  notre 
lii-cret  du  10  août  1853,  est  an i orisée  â  accepter  le  legs 
fait  en  sa  faveur  par  le  sieur  Pi  erre- Auguste  Dan  de  Lavau- 
leric,  suivant  son  testament  du  15  avril  1867,  d'une  somme 
i*  deux  mille  fnini:s  ,  aux  conditions  y  énoncées. 

«  Ain.  2. 
I  [«dite  somme  sera  placée  en  rente  sur  l'État.  —  Men- 
tion un  Taite  sur  l'inscription  de  la  destination  des  arré- 
ragea. 

•  Art.  3. 
■  Notre  Ministre  Secrétaire  d'État  au  département  de 
l'Instruction  publique  est  chargé  de  l'exécution  du  présent 
décret. 

1  Fait  au  palais  des  Tuileries  ,  le  23  décembre  186S. 
-  Signé  1  NAPOLÉON.  » 

t  Poiirampliation: 

<  U  Caiatiller  ifÈtat  ,  Steritairt-g*nfral , 

■  Signé  :  Charles  Robert,  n 


t«  SttrMair&-ffintral , 

Signé  :  Flandin.  * 

Les  deux  mille  francs  ont  été    versés  par 


VIJI  PRfFAGS. 

Mme  veuve  Pellerin ,  fille  de  M.  Dan  de  Lavau- 
terie  ;  mais  avant  de  s'occuper  de  Tobjet  du  legs, 
l'Académie  a  dû  acquitter  les  droits  de  succession 
avec  les  deniers  de  la  somme  léguée ,  et  comme 
il  ne  restait  disponible ,  après  libération ,  que 
les  fonds  nécessaires  à  l'achat  de  soixante  et 
quelques  francs  de  rente ,  il  a  été  décidé  que 
le  trésorier  achèterait  quatre-vingts  francs  de 
rente  3  %  et  que  les  arrérages  en  seraient 
consacrés  d'abord  à  combler  le  déficit.  En 
conséquence ,  le  premier  concours  pour  le  prix 
Dan  de  Lavauterie  ne  sera  pas  ouvert  avant 
l'année  1871. 


Grâce  à  la  munificence  de  M.  De  La  Codre , 
un  nouveau  prix  de  philosophie  morale  est 
proposé  pour  1870.  Nous  en  donnons  ci-après 
le  programme,  ainsi  que  le  dernier  appel  aux 
concurrents  pour  le  prix  Le  Sauvage.  (  Du 
rôle  des  feuilles  dans  la  végétation  des  plantes). 

Le  Secrétaire  de  l* Académie, 

JuLiKN  TRAVERS. 


PRIX   LE  SAUVAGE. 


NOUVEAU     CONCOURS. 

L'Académie  impériale  des  sciences ,  arts  et  belles- 
leltres  de  Cncn  romot  nii  concours  le  sujet  suivant  : 

DU  ROI.E  DES  FEUILLES  DANS  LA  VÉGÉTATION 
Dfs  PLANTES. 

L'Académie  n'a  voulu  liiicer  aux  concurrents  aucun 
programme:  ce  qu'elle  désire  avant  tout,  c'est  un 
ensemble  de  faits  nouveaux ,  bien  constatés ,  à  l'nppui 
de  l'opinion  soiilenue  par  chaque  concurrent. 


PRIX   DE  LA  CODRE. 


eTjJBT  r>tr  prix. 

Une  vMailie  d'or  de  la  vuleur  de  ciito  cents  francs  , 
mise  &  )a  disposition  de  l'Académie  impériale  des 


X  PRIX  DE  LA  CODRE. 

sciences,  arts  et  belles-lettres  de  Caen ,  par  M.  De  La 
Codre^  Tun  de  ses  membres  honoraires,  sera  décernée, 
en  1870,  au  meilleur  écrit  discutant  la  proposition 
suivante  : 

Là  où  est  le  mal ,  cest  la  vMté  qui  manque, 

L'Académie  désire ,  sans  en  faire  une  loi  du  concours , 
que  Tcxamen  de  cette  assertion  soit  développé  au  point  de 
vue  historique  comme  au  point  de  vue  philosophique. 

Le  travail  de  chaque  concurrent  devra  parvenir 
franc  de  port  à  M.  Julien  Travers ,  secrétaire  de 
l'Académie  :  pour  le  prix  Le  Sauvage ,  avant  le 
!•'  janvier  1870  ;  pour  le  prix  De  La  Codre,  avant  le 
i*'  mai*s  de  la  même  année. 

Les  membres  titulaires  de  la  Compagnie  sont 
exclus  des  deux  concours. 

Chaque  ouvrage  devra  porter  en  tète  une  devise 
ou  épigraphe  répétée  sur  un  billet  cacheté^  contenant 
le  nom  et  l'adresse  de  Tauteur. 


^RT 


^  loii^  a  lépiië  l'honneur 

^^^^^^^  ,  (l'en  cfaoisir  les  sujets 

^P^P  .liieure;  M.  Lair  qui,  diins 

^^^-  onimunde  ■  U'avoit'  loujouis 

^  .   et  l'houncur  du   nom  nur- 

I.  ifi-undes  passions  de  cet  homme 

i|iii ,  de  son  vivant ,  ouvrait  la  lice 

l^iurremcUie  en  lumière  des  iiommeti 

dans  le  Culvudos,  eût  applaudi  vivu- 

■yl  6a  pi'csent  concoui^.  Le  cadie  dus 

E  qu'il  préfdiiiil  s'aduple  parrallement  à 

11    lit;  Bi'ieux.  Moisiuil  de  Biieux,  né  à  Ciken 

I  r.iouée  1614,  mort  en  lt>74  ,  cmpoilu  diuie  1h 

'  <il)c  ime  grande  pailie  de  un  lenoinmôe  ;  e'esl  une 

<"  <:fs  célëbrilt!s  pdlissuntcs,  dont  une  époque  loue 

j>'  iiivrite,  dont  une  ou  deux  généralionti  gardent  le 

souvenir  ,  ol  qui ,  bu  bout  d'un  siècle  ,  sont  ctl'ucée:^ 


*.  **• 


^^ 


t.ci    4    ft^îinè- Cheval,  parte 

,<  ^.    '.a   4V  Doirecitë;  mais 
.^     ^.^w>    -    .iMij*k£ve  qu'il  habitait 
^    ^xr**«^    *^  jpK>renl  aujourd'liui 
u%.    «uajs  entendu  parler  du 
^.5^<»    .    «uijàif  des  volumes  et  des 
_^     ^.  ^-c^    ux^^x^îîques  estimées  et  rc- 
_^    -^-^    rti,!^x>u::e<  à   donner  la  gloire. 
..^    w     >.*-^*«i    «IL  sf< jours  d'éclat,  il  compta 
^  .^ic^^-^  i  ^1»  J^  centre  d'une  société  lilté- 
•:,.,-. ^..   .^    n»*^*^  Aciidémie;  ses  productions 
.^    ,     ,4    v'.->  ^nchirent   les  liniites   de    la 
^  ia.ye  à^  considérait  comme  a  le  meil- 
.^    ^,«4    AiîM  ^  ftit  en  France.  »  On  ne  saurait 
jirtu -«k  -v^»ec.  :><iided'un  tel  homme  eût  souri  à 
^   ^w     ^-^  ?^^-r  »^"s»  Messieurs,   elle   était   une 
4jfcy«  ^i«^>»«^  ^î<iM:^*anle  après  la  biot^raphie  publiée 
^  >r  i^  w^**^»  'I  y  »  vinj^t-cinq  ans. 
^gS^.M<r  JK-^'ttèe  par  le  concours  dont  nous  avons 
,j4K^  %-viiuple?  Nous  ne  le  croyons  pas,  et  nous 
-•^f<MiWï^  q«'»^  ne  se   soit  pas    trouvé   parmi   les 
^iiMK^r«v«t^  un  écrivain,  à  la  fois  judicieux  et  bril- 
it.^^M&int  Jes  salons  de  notre  ville  et  toutes  ses 
an  milieu  du  XVII»  siècle .  traitant  le  sujet 
,;3tM»$  KMite  son  étendue,  un  écrivain,  dis-jc,  norniiind 
<^  c#ur,  sinon  de  patrie,  nous  laissant  un  tableau 
im^lèle  qui  fît  revivre  le  Caen  de  1650  à  1675,  ce 
l^en  liltéraire,  érudit,   guindé,  courtisan,    dévot, 
c««itroversiste ,  passionné  pour  les  jeux  de  l'arque- 
buse, et  avant  tout  frondeur  et  satirique.   Peut-être 
«•t-on  eu  peur  de  nous  blesser  :  les  concurrents  sont 


SUR    LE   PRIX   LAIR.  XV 

des  solliciteurs,  et  les  solliciteurs  sont  timides  ;  ils  crai- 
gnent les  faux-pas ,  même  sur  un  terrain  feime. 

Les  deux  champions  qui  sont  entrés  en  lice  ont  donc 
été  sur  la  réserve,  et  sans  doute  aussi  dans  l'ignorance 
des  mœurs  de  la  noblesse  et  de  la  bourgeoisie  à  Caen 
du  temps  de  Moisant  de  Brieux.  Le  premier  les  a 
peintes  comme  un  reflet  de  la  capitale  :  mieux  eût 
valu  nous  apprendre  en  quoi  elles  s'en  distinguaient. 
Le  caractère  des  salons,  à  Caen,  diâërait  de  celui  de 
Paris.  La  province  avait  un  cachet  propre  et  recon- 
naissable  alors  que  les  moindres  distances  étaient 
des  barrières.  —  Le  second  n'a  vu  la  société  que 
parmi  les  lettrés  ;  il  n'a  dit  que  les  relations  de 
Moisant  de  Brieux  avec  les  savants  de  son  époque, 
et  pas  assez  au  point  de  vue  normand. 

Mais,  à  défaut  des  peintures  saisissantes  et  vraies 
pour  lesquelles  il  est  difficile  de  retrouver  la  physio- 
noroie  des  originaux,  voyons  ce  qu'on  a  substitué  à 
l'idéal  que  nous  attendions  ;  disons  les  efforts  accom- 
plis vers  le  but,  le  travail  consciencieux  des  deux 
seuls  concurrents  qui  se  soient  présentés  et  les  rai- 
sons qui  ont  fait  ajourner  le  prix. 

L'auteur  du  n°  1"  est  méthodique  dans  ses  divi- 
sions :  il  semble  avoir  lu  dans  l'énoncé  du  sujet 
l'indication  d'une  marche  que  nous  n'avons  point 
tracée.  Aucun  de  nous  n'a  cru  que  la  vie,  les  relations, 
les  œuvres  de  Moisant  de  Brieux  dussent  se  traiter 
successivement  et  séparément.  Tout  se  mêle  dans  une 
existence  humaine,  et  c'est  l'harmonie  de  l'ensemble 
qui  constitue  la  personne  et  lui  assigne  un  caractère. 
C'est  aussi  de  cette  fusion  nécessaire  que  nait  le  style 
du  biographe,  peu   élevé   sans  doute,  peu  éclatant 


..^(Sî^^^    IL    .mi.  wiiL  ,11111  ^««>^  ^tv^:-  ^  littérateurs  ^ens 


ilf  RneDx,jiiais  soutenu 


•«  <^- 


«  1**  aiftiixelie  trop  didaciiquemeul 
^<«ttH.  ^««»k-H^«l  M  ,i0!^  iiiK^lités  qu'on  ne  saurait 

tiiiiit  beaucoup  appartiennent 
.  mais  que  l'auteur  était  tenu 
^  ^Mii^3«ft\  -r^  r^ttïf«fi:t  de  soi-même ,  par  respect  d(' 
>«ï9v^ivs«cv  Mi^  «MttkTiimNit  doit  avoir  plus  de  scrupules. 


H^  ^Vsl  înMiginé  peut-être  qu'en  donnant  le  sujet 
A*   c^MKOiirs,  l'Académie    souhaitait   qu'on    surfit 
)|^«^»l  de  Brieux,  qu'on  lui  assignât  une  place  qu'il 
«#^  fieul  obtenir.  On  s'est  trompé.   L'Académie   n'a 
|Mi$  luème  désiré  qu'on  justifiât  le  jugement  de  Bayle 
$«r$on  fondateur,  comme  poète  latin.  Non,  Mes- 
^urs,  le  savant  qui  a  donné  le  volume  encore  es- 
linié  des  parémiograpbes,  «  Les  Origines  de  quelques 
coutumes  anciennes  et  de  plusieurs  façons  de  parler 
triviales ,  »  l'ami  de  Montausier,  le  poète    improvi- 
sateur qui  rimait  facilement,  trop  focilemcnt  tant  de 
madrigaux  entremêlés  d'élans  pieux ,  qui   ouvdl  sa 
maison  à  ceux  qui  partageaient  ses  goûts  littéraires  ; 
Moisant  de  Brieux,  dans  notre  pensée,  attendait  des 
appréciateurs,  non  des  panégyristes,  et  c'est    une 
vue  fausse  que  de  lui  prêter  des    intentions   qu'il 
n'eut  pas,  qu'il  ne  put  avoir.   Non,  il  n'a   pas  créé 


SOa   LE    PRIX    LAIR.  XVJI 

notre  Compagnie  pour  faire  coutrepoids  à  la  centra- 
lisation parisienne  ;  et  tous  ceux  qui  ont  fondé  en 
province  des  Sociétés  savantes  au  XVII*  et  au  XVIII' 
siècles,  l'ont  fait  sans  idée  de  lutte ,  sans  la  moindre 
intention  d'une  rivalité  ridicule.  Us  ne  voulaient  que 
rallier  les  amis  des  sciences  et  des  belles-lettres , 
à  une  époque  où  des  talents  d'un  ordre  très-dis- 
tingué, des  érudits ,  des  naturalistes  ,  des  historiens, 
des  orateurs,  des  poètes  travaillaient ,  loin  de  Paris  , 
avec  un  désintéressement  qui  a  pu  diminuer  depuis  , 
mais  non  s'éteindre.  Ces  esprits  d'élite  aimaient  la 
littérature  et  la  science  pour  les  jouissances  qu'elles 
procurent ,  pour  l'élévation  qu'elles  donnent  à  la 
pensée,  pour  la  dignité  de  l'dme  dont  elles  alimen- 
tent le  foyer  ;  ils  les  aimaient,  comme  il  convient  de 
les  aimer ,  pour  elles-mêmes  ;  et  ce  que  nous  ad- 
mirons dans  Moisant  de  Brieux  ,  c'est  cette  abné- 
gation qui  lui  fait  abandonner ,  après  deux  ans,  sa 
charge  de  conseiller  au  parlement  de  Metz  ,  pour 
revenir  dans  sa  ville  natale  ,  se  livrer  entièrement 
à  la  culture  de  son  esprit ,  à  la  composition  de 
pièces  qui  ne  lui  survivront  pas ,  à  l'impression  de 
livres  qui  seront  oubliés.  Moisant  de  Biieux  est  un 
type  devenu  rare  ;  s'il  tlatta  les  grands  ,  c'est  qu'il 
était  tlalté  d'étie  leur  ami,  et  jamais  il  ne  les  solli- 
cita que  pour  les  autres;  jamais  non  plus  il  n'eut 
im  grand  amour-propre;  il  sut  à  propos  s'ettacer 
devant  ses  amis,  et  leur  estime  paya  suilisamment,  à 
ses  yeux ,  et  ses  bons  conseils  et  sa  cordiale  hospi- 
talité. 

De  même  que  nous  bhlmons  les  éloges  exagérés , 
nous  n'admettons  pas  que  des  madrigaux  en  faveur 


XVI  RAPPORT 

lorsqu'il  ne  raconte  que  des  vies  de  littéral 
du  monde,  comme  Moisant  de  Bricux,jii 
dans  le  ton  et  suns  disparûtes. 

Si  la  marclic  du  n°  i*'  morcelle  trop  d 
le  fond,  son  style  a  des  inégalités  qr 
admettre,  des  fautes  dont  bcaucoii 
sans  doute  au  copiste ,  mais  que  1 
de  corriger.  Par  respect  de  soi-niè'  l»- 

SCS  juges,  un  concurrent  doit  avo-  î.i  <  in- 

'i\»*  d'uno 

!!.-  411c  Moi- 

.11»  :  l'induclion 

jii'iis  honorables 

;;\i»/  des  longue  11  r> 

On  s'est  imaginé  per  [ni  altestcdu  Iravail 

du    concoui-s  ,  TAcad-  .;!oraitlieu  à  bien  dos 

Moisant  de  Brieux,  q«  .  <  1  jil  plus  agréable  de 

uc  peut  obtenir.  O1  le  vous  le   prouver  en 

pas  même  désiré  u  .^v>>ibilîlê  de  remplir   un 

sur  son  fondateur  ^  .Jiever  en  ccuiscience  la 

sieurs,  le  savan'  .wte. 

timé  despuréiii 

coutumes  an-  ^^^ ^  ^^nu  bien  buperieur  a  s?on 

triviales,)!  .ai  piai#ir  qu'en  le  lisant   nous 

saleur  qui      ^     *     ^^^  sauiple  ol  tempéré  des  biogra- 
madrigan  .  .^  j^j^  tùis  dans  la  correspondance 

maison  ""^  ^^  ifticux,  bien  scrutée,  bien  étudiée. 

Moisan  ****''^     .    JcUiil  peuvent   être  rectifiées 

appn-      .-^  '"^ij4^.;  mais  la  couq)osition,  chose  iin- 

^"^  "    ^jif*-'  licw  ^  quelques  critiques. 

n'i      .  «z"**^"  '      j^  ij,  Commision  a   trouvé  le  début 


ivnins  Intins  du  XVII" 

^toisant  du  Brieux 

ifleilrespro- 

'ii''nce  de 

riinsi  que 

,;(.tp!iii'  minu- 

,  a  paru   în- 

et    .suivie  de 

;  tout  celn  plus  ou 

iTi-trc  corrigé,  a  faitsus- 

iiûuronncr  immédialenient 

j.lus  d'un  titre,  et  dont  une 

■■^uix  efforts  peuvent   faire  un 

.  uiuis  bonorable  à  la  fois  pour 

pour  l'Acadëmie  de  Caen  et  pour 

P  rentre  dans  la  lice,  ainsi  qu'on  doit 
,  nous  lui  conseillerons,  comme  h  tous 
renls  qui  pourront  se  préscnler,  de  se  bien 
■  du  hul  que  SB  propose  l'Académie.  Elle 
nésire  perpétuer  la  mémoire  de  son  fondateur  en 
le  faisant  connaître  par  sa  vie  et  par  ses  œuvres. 
Hoisant  de  Brieux  a  été  le  centre  d'une  sociétt^ 
fréquentée  par  des  Bavants  d'une  érudition  qui  n'a 
peut-être  été  jamais  suipassée,  et  par  des  gens  du 
monde  qui  aimaient  les  lettres  et  les  cultivaient  la 
plaparl  avec  succès.  Quel  temps  I  et  quels  hommes  I 
L'Académie  était  alors  rarement  au  complet  dans 
ses  séances  ;  presque  toujours  elle  avait  des  mem- 
bres parcourant  les  diverses  parties  de  l'Europe,  en 
quête  de  manuscrits,  de  médailles  et  d'inscriptions 
antiques,  ou   faisant  échange  de  découvertes   avec 


les  hommes  de  mérite  qa Ils  visitaient,  et  avec  les- 
quels ils  restaient  en  correspondance  le  reste  de 
leur  vie.  Les  lettres  qu'ils  recevaient,  les  ouvrages 
qu'ils  composaient  ,  qu'ils  communiquaient  à  l'Aca- 
démie en  provoquant  ses  minutieuses  critiques , 
qu'ils  publiaient  à  Caen  où  s'imprimaient  des  livres 
grecs  chez  les  Cavelier;  le  bruit  qui  se  faisait  autour 
d^écrits  des  genres  les  plus  divei^s ,  de  pièces  de 
circonstance  en  grec,  en  latin,  en  français,  en  vers, 
en  prose ,  à  chaque  cérémonie  publique ,  à  chaque 
anniversaire^  à  chaque  entrée  de  grand  personnage  ; 
l'animation  que  donnaient  les  controverses  en  pleine 
église  entre  des  curés  catholiques  et  des  ministres 
protestants  ;  les  fréquentes  querelles  qu'avaient 
entre  eux  tantôt  les  régents  des  divers  collèges  , 
tantôt  les  membres  des  communautés  religieuses , 
querelles  ardentes  qui  se  traduisaient  en  pamphlets 
peu  charitables  ;  et  puis  ,  à  côté  de  ces  grandes 
pièces  ,  les  petites ,  je  veux  dire  les  madrigaux  ga- 
lants en  l'honneur  des  dames  qui  ouvraient  à  deux 
battants  les  portes  de  leurs  salons  à  l'aristocratie 
de  naissance  et  les  entre-bdillaient  à  celle  du  talent  ; 
enfin  les  pamphlétaires  en  plein  vent ,  je  veux  dire 
les  bourgeois  curieux  ,  indiscrets  et  caustiques  ,  ré- 
pétant les  propos  tenus ,  ou  non  tenus,  dans  l'hôtel 
de  M.  de  Brieux ,  de  M"**  de  Tilly  ou  de  M"*"  de 
Grosmesnil  :  tout  cela,  tout  ce  mélange  travaillé  par 
l'esprit  de  la  réforme ,  contenu  par  le  respect  de  la 
hiérarchie ,  peut  revivre ,  non  dans  une  simple  bio- 
graphie de  notre  fondateur,  mais  dans  le  tableau 
dont  l'Académie  indique  le  sujet,  laissant  toute  li- 
berté pour  le  choix  des  couleurs  et  pour  la  dimension 
de  la  toile. 


SOK  LE  PfiU  LAIR.  XXt 

La  Commission ,  qai  trouverait  considérable  une 
récompense  de  800  fr.  pour  une  biographie  de  Moi- 
sant  de  Brienx ,  nliësite  pas  à  demander  que  le  prix 
soit  porté  à  1,000  fr.  et  que  les  concurrents  se  con- 
forment i  l'esprit  du  programme ,  qui  est  de  bien 
fiiire  connaître,    sans  partialité,  sans  exagération 
dans  réloge,  le  fondateur  de  T Académie  de  Caen 
C'est  à  Gfien  sortoot  qn'a  vécu  Moisant  de  Brienx , 
émdit  et  poète,    homme  de  lettres  et  homme  du 
monde  ;  c'est  à  Caen  qu'il  faut  le  peindre ,  et  c'est 
anssi  Caen  qu'il  faut  peindre.  Notre  humble  héros 
sera  mieux  connu  si  Ton  nous  montre  le  théâtre  où  il 
vécut,  les  personnages  avec  lesquels  il  fut  lié,  les 
salants  auxquels  il  adressa  ses  dissertations,  les 
fCTsmes  en  l'honneur  desquelles  il  fit  des  vers  galants, 
aussi  ingénieux  que  froids.   Nous  demandons  que 
tout,  dans  le  travail  des  concurrents,  se  rapporte  à 
Moisant  de  Brieux,  né  dans  notre  pays,  vivant  et  com- 
posant ses  œnvres  dans  notre  pays ,  se  faisant  l'ûme 
d'une  société  remarquable  et  digne  des  recherches 
auxquelles  nous  convions.  Il   faut  qu'on  le  sache  : 
c'est  un  sujet  normand  que  nous  proposons  ,  et  c'est 
surtout  le  point  de  vue  normand  qui  nous  préoccupe. 
Un  tel  patriotisme  ne  peut  paraître  étroit  quand  il 
s'agit  de  notre  fondateur. 


L'Académie ,  après  avoir  entendu  le  rapport  qui 
précède  ,  en  a  adopté  les  conclusions.  En  consé- 
quence ,  le  sujet  du  prix  Lair ,  proposé  en  1867  ,  est 
remis  au  concours  pour  1870.  En  voici  le  programme  : 


XXII  RAPPORT  SUR  LE   PRIX    LAIR. 

PRIX  L^fS^JOR. 

L'Académie  impériale  des  sciences ,  arts  et  belles- 
lettres  de  Caen  remet  au  concours  le  sujet  suivant  : 


OISAIVT     DIS      DRIEUX. 

Sa  vir,  nés  œuvvps  et  ses  relations  avec  la  société  lettrée 

de  son  temps. 

Le  prix  est    de   MILlLiB   francs. 

Les  concurrents  devront  adresser  leurs  mémoires 
franco  à  M.  Julien  Travers,  secrétaire  de  TAcadémie, 
avant  le  i"  mars  i870. 

Les  membres  titulaires  de  l'Académie  sont  exclus 
du  concours. 

Chaque  mémoire  devra  porter  une  devise  ou  épi- 
graphe répétée  sur  un  billet  cacheté,  contenant  le 
nom  et  l'adresse  de  l'auteur. 


MÊlCOIBiSS. 


IKCHERCHES 


ir 

^mODUlTS  ALCOOLIQUES 

f         DE  LA  DISTILLATION  DES  BETTEaAVES; 

Par  un.  bUMW  nBBBB, 

de  cfainic  à  la  Faculté  do  Sciencu  de  Ctcn  ,  membn  litulaîn 


Et  EJd.    I»UCHOT. 
Prfparateur  de  «cicDcei  phyiiquci  à  !■  nttmc  I 


PREMIERE  PARTIE. 

iMara  isas.! 


Aa  quadruple  point  de  vue  scientifique,  agricole , 
hygiëuique  et  fiscal .  des  recherches  sur  les  alcools 
s'attaquent,  directement  ou  indirectement,  à  une 
foule  de  qoestions  d'une  importance  considérable, 
et  cette  importance  même  justifiera  le  temps  fort 
loDg  qne  nons  avons  consacré  aai  études  dont  nous 
présentons  aujourd'hui  le  résumé. 

On  a  dit,  tour  &  tour,  tant  de  bien  et  tant  de  mal 
de  la  distillation  de  la  betterave;  on  a  attribué  aux 
prodoitB  qu'elle  fournit  une  si  grande  part  dans  les 
désordres  observés  chez  les  consommateurs  émérites, 
e  jour  plus  nombreux,  de  liqueurs  alcooliques; 


4  RECHERCHES  SUR  L£S  PRODUITS  AI^OOLIQUES 

*  "■  •  '  '     .         ■ 

le  produit  dont  il  s'agit  constilue  actuellement  la 
source  d'un  appoint  si  important  dans  les  profits  de 
Tagriculture  et  dans  les  revenus  de  TÉtat,  que  tout 
ce  qui  touche  a  cette  question ,  que  tout  ce  qui  peut 
conduire  à  modifier  la  nature  ou  la  qualité  des 
produits ,  prend  nécessairement  une  grande  impor- 
tance, par  les  conséquences  qui  en  peuvent  ré- 
sulter. 

1.— Objet  des  études  entrepxdses  sur  oe  sujet. 

Les  alcools  que  livrent  au  commerce  les  distil- 
lateurs de  betteraves  contiennent-ils  d'autres  sub- 
stances que  l'esprit  de  vin  proprement  dit? 

En  cas  d'affirmative ,  quelle  est  la  nature  de  ces 
substances,  et  quelles  en  sont  les  propriétés  prin- 
cipales ? 

Ces  matières  étrangères  y  sont-elles  généralement 
abondantes,  et  pourrait-on  en  fixer  approximative- 
ment les  proportions  ? 

Existent-elles  dans  tous  les  produits  alcooliques 
de  la  betterave .  ou  se  trouvent-elles  accumulées  plus 
particulièrement  dans  quelques-uns  d'entre  eux? 

Serait-il  possible  de  les  séparer  sans  trop  de  frais 
ni  de  main-d'œuvre ,  ou  de  les  faire  disparaître  en 
les  transformant  dans  l'alcool  même,  sans  fiaire  subir 
À  celui-ci  des  modifications  nuisibles  ou  désavan- 
tageuses? 

Il  suffît  de  poser  ces  questions,  auxquelles  il  serait 
encore  facile  d*en  ajouter  d'autres,  pour  en  faire 
immédiatement  saisir  Timportance  : 

i*  Pour  le  producteur  et  pour  le  négociant,  dont 


DE  LA    DISTILLATION   DES  B£TTERAV£S.  5 

les  produits  normanx  sont,  dans  l'état  actuel  des 
choses,  pins  on  moins  dépréciés  parla  présence  de 
ces  substances  étrangères  ; 

5t*  Ponr  le  consommatenr  ,  dont  la  santé  peut 
souffiir ,  dans  une  mesure  inconnue ,  de  l'action 
physiologiqae  spéciale  de  ces  mêmes  substances. 

Tout  en  restreignant  d'abord  ce  programme ,  nous 
avons  bien  vite  reconnu  que  les  efforts  simultanés 
et  réunis  de  deux  expérimentateurs  trouveraient  am- 
plement à  s'exercer,  et  les  faits  n'ont  que  trop 
jostifié  cette  prévision ,  puisque  ,  après  trois  années 
d'ëtndes  non  interrompues,  nous  n'avons  encore 
rempli  qu'une  partie  de  notre  tâcbe. 

s*— Id^e  des  difiioultéff  du  sujet,  marolie  eruivie. 

Pour  conduire  à  bonne  fin  des  recherches  de  cette 
natnre ,  où  l'inconnu ,  et  souvent  l'imprévu ,  peuvent 
jooer  un  assez  grand  rôle,  il  était  indispensable 
d'avoir  à  proximité  une  ou  plusieui's  usines  di- 
rigées par  des  industriels  intelligents  et  complaisants, 
assez  intelligents  pour  comprendre  l'importance  de 
pareilles  recherches  ,  et  assez  complaisants  pour 
vouloir  bien  s'y  prêter  en  se  soumettant  à  une  foule 
de  petites  exigences  nécessaires  pour  amener  les 
produits  qu'on  leur  demandait  à  Tétat  où  leur  étude 
pouvait  être  entreprise  avec  le  plus  de  chances  dv. 
succès. 

A  ce  double  point  de  vue ,  nous  avons  trouvé  dan 
BL   Pagny  ,  distillateur  à   Bretteville-l'Orgueilleuse 
(Calvados)  ,  tout  ce  qu'il  nous  était  possible  de 
désirer. 


DE   LA    DISTILLATION    DKS   BETTERAVES.  7 

'las  ne  devons  pas  oublier  d'y  associer 
'^posé  en  chef  de  Toctroi  de  Caen , 
issi  dégrever  ces  mônles  produits 
*roi. 

étrangères  que  contiennent 
.  aves,  les  unes  sont  plus  volatiles 
•|ue  qui  en  fait  le  produit  principal 
A  autres  sont  moins  volatiles  que  lui; 
.  c  que  les  unes  peuvent  entrer  en  ébullition 
.  uiler  au-dessous  de  1S'*,5 ,  tandis  que  les  autres 
Aigent  une  température  plus  élevée. 
La  pensée  qui  se  présente  alors  tout  naturelle- 
ment à  l'esprit ,  pour  «éparer  ces  diverses  substances 
sans  les  dénaturer ,  et  pour  opérer  cette  séparation 
dans  des  conditions  que  puisse  réaliser  ensuite  l'in- 
dustrie, c'est  de  fractionner  les  produits  de  la  recti- 
fication. 

Mais  le  succès  de  cette  méthode  ,  si  simple  à 
première  vue  et  si  souvent  employée  dans  nos  labo- 
ratoires, présente  ici  des  difficultés  pratiques  réelles, 
dont  l'étude  nous  a  pris  beaucoup  de  temps,  malgré 
la  précaution  que  nous  avions  prise  de  faire  faire  au 
préalable  à  l'usine  un  premier  fractionnement  dans 
de  bonnes  conditions. 

Lorsqu'on  soumet  ainsi  à  la  distillation  un  mé- 
lange de  deux  substances  diversement  volatiles , 
n'ayant  l'une  pour  l'autre  qu'une  faible  affinité  à  la 
température  de  leur  ébullition,  on  sait  que  la  plus 
volatile  tend  à  se  séparer  la  première. 

Mais  cette  séparation  ne  se  fait  presque  jamais 
d'une  manière  nette  et  précise,  sans  que  la  sub- 


REÇU F' 


M.  Pa- 

organist 
gens  ') 
cote. 

notr 
înh 
or- 
r. 


;.  une  pro- 

nn^diiit  le 

^  .    ..î  première 

^  >  du   mélange 

:  ;oporlinn    très- 

.  j»oz  loiigleinpj», 

_  ;>Jf5i  deux  vapeurs, 

.  <  r-jiMiidissant  suilisaiii- 

i;->  temps  successifs  de 

:^'>  A  proportions  variables 

^  -f'i.Hiires  contiendront  une 

..  >  grande  «lu  liquide  le  i)lus 

;  :•  nvueillis  plus  tôt;  ils  con- 

^-  ,.,in  d'autant  plus  grande  du 

v\.îiil  qu'ils  auront  été   recueillis 

i'::siiile  tous  ces  produits  divers  au 
,V  :iilit*sse  que  le  premier  recueilli, 
i  sul>stance  la  plus  volatile  ,  il  faudra 
'  .:  successivement  à  tous  ces  produits 
.  :..  '^filiations  fractionnées  semblables  à  la 
•     C-:  *vs  reprises  devront  être  répétées  un 
.  ..  :.«  NMS  d'autant  plus  grand  qu'il  s'agira  d'un 


\  ^'      ,4    •       ••• 


^1  m  ~      - 

.%  ■<  eloiLMié  dans  la  division  primitive. 

^  ^  loi-squ'on   aura    ainsi   amené  ,   au    prix   de 

'v^^-.vup  ^l<*  ItMnps  et  de  soins,  toutes  ces  subdi- 

,  v.-:ï>  primitives  au  même  degré  de  ricliesse  que  la 

.  ^ ,\iv.  on  sera  souvent  encore  bien  éloigné  du 

'.^..  ^  oi  il  faudra  répéter  encore  plusieurs  séries 
Ai«îojr"^^  de  distillations  fractionnées,  en  suivant 
i^ix^Miue  toujours,  faute  d'indices  déterminants,  des 


DE   LA   DISTILLATION   DES   BETTERAVES.  9 

subdivisions  plus  ou  moÎDS  arbitraires ,  qui  ne  sont 
pas  tOQJonrs  les  plus  propres  à  conduire  rapidement 
an  but,  lorsqu'il  s'agit  de  la  recherche  et  de  la 
séparation  d'une  substance  inconnue  ou  mai  connue 
jusqu'alors. 

3.  —  Infiuenoe  des  manse»  et  du  mélamce  des 

vape-urs. 

Lorsqu'on  soumet  ainsi  à  la  distillation  un  mélange 
de  deux  substances  diversement  volatiles,  dans  le- 
qoel  domine  beaucoup  la  substance  la  moins  volatile, 
si  faible  que  soit  Taflinitë  réciproque  des  deux  sub- 
stances ,  cette  affinité  doit  avoir  pour  effet  inévitable 
de  retarder  le  dégagement  du  produit  le  plus  volatil. 
C'est  ainsi  qu'un  mélange  d'aldéhyde  bouillant  à  22*^ 
et  d'alcool  vinique  bouillant  à  TS'.S,  peut  n'entrer 
en  ébullition,  et  ne  commencer  à  distiller  un  peu 
abondamment  que  vei-s  75°  ou  76"  ou  même  à  77* 
seulement,  si  l'alcool  est  40  ou  50  fois  plus  abondant 
que  l'aldéhyde. 

Lorsqu'on  porte  ainsi  à  des  températures  gra- 
duellement croissantes  un  mélange  de  deux  liquides, 
chacun  d'eux  émet  des  vapeurs  pour  son  compte , 
avec  ou  sans  influence  de  la  part  de  l'autre ,  et 
rébullition  commencera  lorsque  l'action  combinée 
de  ces  vapeurs  sera  devenue  capable  de  vaincre  la 
pression  atmosphérique  ;  c'est  alors  un  mélange  de 
ces  deux  vapeurs  qui  tend  à  distiller,  mélange  dans 
lequel  sera  d'autant  plus  abondante  celle  du  liquide 
le  moins  volatil ,  que  la  température  initiale  d'ébul- 
lition  du  mélange  sera  plus  élevée. 


40    RECHERCHES  SUR  LES  PRODUITS  ALGOOUQUtS 

On  comprendra  sans  peine  que  la  difficulté  de 
séparation  sera  plus  grande  encore  si  le  mélange  est 
plus  complexe ,  et  renferme  trois  ou  quatre  sub- 
stances différentes. 

Si,  au  lieu  de  n'exercer  l'un  sur  Tautre  qu'une 
action  à  peine  sensible,  les  deux  liquides  ont  Tun 
pour  l'autre  une  affinité  assez  prononcée ,  ce  qui  est 
le  cas  le  plus  ordinaire ,  et  si  cette  affinité  est  encore 
sensible  entre  leurs  vapeurs,  la  séparation  offrira  des 
difficultés  en  rapport  avec  cette  affinité. 

C'est  principalement  à  l'influence  de  ces  divers 
obstacles  qu'il  faut  attribuer  les  difficultés  en  pré- 
sence desquelles  on  s'est  trouvé,  jusqu'à  ce  jour, 
dans  la  séparation  industrielle  de  ces  différents  pro- 
duits. 

Nous  verrons  bientôt  que  ces  difficultés  ne  sont 
pas  les  seules  qu'on  ait  à  surmonter. 

^4:.  — M.étliode  de  séparation  par  rétrogEradation. 

Nous  avons  eu  l'idée  d'appeler  à  notre  secours  la 
rétrogradation  qui,  en  même  temps  qu'elle  nous  con- 
duisait plus  rapidement  au  but  ,  nous  permettait 
encore  de  séparer  dans  un  état  de  pureté  plus  com- 
plète les  substances  qu'il  s'agissait  d'isoler. 

Voici ,  d'ailleurs ,  en  quoi  consiste  le  principe  de 
cette  méthode  : 

Lorsqu'on  fait  bouillir  un  mélange  de  deux  li- 
quides diversement  volatils  et  qu'on  fait  passer  les 
vapeurs  qui  en  proviennent  dans  un  canal  maintenu 
à  une  température  plus  baFse  que  celle  de  l'ébullition 
du  mélange,  la  vapeur  du  liquide  le  moins  volatil 


M  LA   DlSTILUTIOIf   DER  BBTTSRAVXS. 


11 


1  M  liqDëfler  ftbondammeni ,  tandie  que  celle 
dD  ploa  volatil  ponrra  persister  et  parcourir  le  canal 
dans  toute  sa  longoenr,  sans  sabir  de  condensation 
notable .  pourm  loatefois  que  l'écart  de  température 
ne  aott  pas  trop  considémble. 

K  le  canal  dont  il  est  ici  question  est  incliné  ver? 
la  BOnrce  d'où  se  dégaf^e  le  mélange  des  vapeurs,  le 
Kqnide  le  moins  volatil,  constammenl  condensé  à 
mesore  qo!!  se  vaporise,  rétrograde  constammenl 
vers  la  chandière,  tandis  que  le  liquide  le  plus  volatil 
s'en  dégage  constamment  sans  retour. 

La  figure  cî-jointe  fera  comprendre  aisément  la 


dl^sition  et  le  modo  de  fonctionnement  d'un  appa- 
reil avec  lequel  on  peut  riinliscr  simplement  ces 
conditions. 


12         RECHERCHES  SUR   LES  PRODUITS   ALCOOLIQUES 

La  chaudière  G  d'un  alambic  est  mise  en  commu- 
nication avec  la  partie  inférieure  d'un  premier 
serpentin  S  maintenu  à  une  température  constante 
et  convenablement  réglée ,  en  ayant  la  précaution 
d'adapter  au-dessous  du  tube  qui  conduit  au  ser- 
pentin les  vapeurs  de  la  chaudière ,  un  petit  tube  / 
destiné  à  ramener  dans  cette  dernière  les  vapeurs 
liquéfiées  dans  le  serpentin. 

Un  second,  serpentin  T,  constamment  refroidi  et 
faisant  suite  au  premier,  mais  parcoui-u  en  sens  in- 
verse par  la  vapeur  qui  se  dégage  du  premier , 
condense  ensuite  séparément  cette  vapeur. 

En  observant  avec  soin  la  température  du  liquide 
de  la  chaudière  et  celle  du  bain  qui  entoure  le  ser- 
pentin rétrogradateur ,  on  reconnaît  bien  vite  qu'il 
est  généralement  possible  de  maintenir  entre  ces 
deux  températures  un  écart  d'autant  plus  considé- 
rable que  les  deux  substances  qui  constituent  le 
mélange  présentent  une  plus  grande  ditférence  dans 
leurs  températures  d'ébullition  respectives. 

Mais  si  l'on  opère  sur  un  liquide  homogène ,  il  est 
difficile,  à  moins  de  chaufifer  violemment  l'alambic,  de 
maintenir  une  différence  de  plusieurs  degrés  entre  la 
température  du  liquide  en  ébullition  et  celle  du  bain 
qui  entoure  le  serpentin  dans  lequel  circule  la  vapeur, 
tandis  que  nous  avons  pu  maintenir  des  différences 
de  plus  de  20*",  lorsqu'il  s'agissait  de  certains  mé- 
langes naturels  d'alcool  vinique  et  d'aldéhyde. 

Conduite  méthodiquement,  la  rétrogradation  peut 
donc  souvent  permettre  de  reconnaître  av.ec  proba- 
bilité si  l'on  a  sous  la  main  un  mélange  de  deux 
liquides  séparables  ou  un  liquide  homogène. 


DE  LA   DISTILLATION    DES  BETTERAVES.  13 

C'est  <Jlonc  ,  entre  des  mains  un  peu  exercées  ,  un 
excellent  moyen  d'essai  qui  peut  rendre  des  services- 
da  môme  ordre  que  la    méthode   des  dissolvants 
saccessife  dont  M.  Chevreul  a  su  tirer  un  si  heureux 
parti. 

Si  la  séparation  qu'on  se  propose  d'effectuer  devait 
porter  exclusivement  sur  un  mélange  de  deux  sub- 
stances connues  et  dont  les  températures  d'ébuUition 
respectives  auraient  été  antérieurement  bien  pré- 
cisées ,  la  difficulté  de  la  séparation  serait  assez 
limitée;  mais  la  question  se  complique  assez  vite, 
lorsque  le  mélange  devient  plus  complexe  ;  lorsqu'au 
lieu  de  deux  substances  seulement,  il  en  renferme 
trois ,  quatre ,  cinq ,  six ,  ou  un  plus  grand  nombre 
encore ,  et  surtout  si  ces  substances  sont  ou  in- 
connues, ou  peu  connues,  et  qu'on  ignore  l'expres- 
sion exacte  de  leur  température  d'ébuUition. 

C'est  là  une  des  plus  grandes  difficultés  que 
nous  ayons  rencontrées  dans  le  cours  de  nos  re- 
cherches. 

Voici  ce  qui  nous  a  le  mieux  réussi ,  dans  ce  cas  , 
après  de  longs  tâtonnements.  Nous  avons  opéré 
d'abord  un  fractionnement  entre  des  limites  suc- 
cessives de  température  un  peu  étendues,  par  in- 
tervalles de  6  à  S** ,  par  exemple  ,  et  nous  sou- 
mettions ensuite  à  une  rétrogradation  méthodique 
chacune  des  subdivisions ,  en  notant  avec  soin  les 
circonstances  dans  lesquelles  nous  obtenions  le  plus 
grand  écart  entre  la  température  de  la  chaudière  et 
celle  du  bain  de  rétrogradation ,  parce  qu'il  corres- 
pondait à  un  mélange  ;  et ,  d'autre  part ,  les  cir- 
constances où  un  écart  sensible  devenait  difficile  à 


N  RECHERCHES  SUR  LES   PRODI'ITS  ALCOOLIQUES 

maintenir  sans  arrêter  tout-à-fait  la  distillation,  parce 
qn'on  avait  là  Tindice  ou  d'une  plus  grande  homo- 
généité dans  la  substance  en  ébullition ,  ou  de  la 
présence,  dans  le  mélange,  d'une  substance  bouillant 
à  une  température  peu  dififérente  de  celle  à  laquelle 
on  se  trouvait  alors. 

Si  un  premier  traitement  par  rétrogradation  con- 
duit généralement  plus  près  du  but  qu'une  distillation 
simple,  il  est  encore  loin  de  suffire,  et  il  faut  appli- 
quer à  cette  méthode  ce  que  nous  disions  plus  haut 
des  fractionnements  successifs,  en  parlant  de  la  dis- 
tillation simple. 

A  l'aide  de  cette  méthode  ,  nous  avons  pu ,  dans 

0 

un  cas  déterminé ,  effectuer ,  en  moins  d'un  mois  de 
travail^  pendant  la  campagne  de  1867-1868,  une  sé- 
paration d'aldéhyde  qui  nous  demandait ,  dans  les 
campagnes  de  1865-1866  et  de  1866-1867  ,  un  temps 
trois  ou  quatre  fois  plus  considérable ,  en  suivant  la 
méthode  de  séparation  successive  par  distillation 
simple.  Il  serait  actuellement  possible  d'arriver  au 
même  résultat  en  quelques  jours,  avec  des  appareils 
convenablement  appropriés. 

Nous  avons  déjà  pu  séparer  ainsi,  dans  les  trois-six 
de  betteraves,  des  produits  différents,  bouillant  à 
22«,  à  78°,5  ,  vers  98«,  vers  108*»  et  vers  130*». 

DJBons  tout  de  suite  également,  pour  ceux  qui, 
après  nous ,  voudraient  suivre  la  même  voie  ,  en 
profitant  de  notre  expérience,  que  les  deux  conditions 
fondamentales  de  succès  doivent  toujours  être  la 
patience  et  le  temps. 

Ainsi ,  dans  nos  dernières  recherches  pour  la  sépa- 
ration de  l'aldéhyde,  en  opérant  sur  un  produit  brut. 


•  Bl  LA  DISnLLATION   DES  BETTERAVES.  15 

emiehi  déjà  par  le  fractionnement,  à  l'usme,  et 
boaQlant  vers  79  ou  80* ,  nous  en  avons  d'abord 
séparé ,  par  la  rétrogradation,  un  produit  bouillant 
vers  76  à  77«. 

Une  seconde  opération ,  faite  sur  ce  dernier,  nous 
a  fourni  un  nouveau  produit  bouillant  vers  65*. 

Une  troisième  reprise  a  donné  un  produit  bouillant 
vers  45*. 

Une  quatrième  reprise  a  donné  un  prodnit  bouil- 
lant vers  24*. 

Enfin  ,  par  une  cinquième  reprise ,  on  a  séparé 
complètement  l'aldéhyde  bouillant  à  22*. 

En  d'autres  termes,  nous  avons  dû  appliquer  cinq 
fois  de  suite  la  rétrogradation  avant  d'arriver  au 
résultat  définitif  ;  et,  cependant,  il  s'agissait  ici  d'un 
produit  déjà  connu ,  bien  caractérisé ,  dont  nous 
avions  constaté  la  présence  et  opéré  la  séparation 
dans  des  séries  antérieures  de  rechei'ches,  en  4865* 
1866  et  en  1866-1867. 

On  devrait  naturellement  s'attendre  à  de  plus 
grandes  diflicultés  ,  s'il  s'agissait  d'une  substance  in- 
connue ou  peu  connue,  et  dont  la  température  d'ébul- 
lition  s'éloignerait  moins  de  celle  des  substances  avec 
lesquelles  elle  se  trouverait  en  mélange. 


Revenons  maintenant  aux  opérations  usuelles  de 
rindostrie ,  et  à  l'exposé  sommaire  des  principaux 
résultats  auxquels  nous  ont  déjà  conduits  uos  études. 


16         RECHEACHËS   SUR    LES   PRODUITS   ALCOOLIQUES 

Lorsqu'on  suit  attentivement,  dans  une  usine,  une 
rectification  ordinaire  de  flegmes  de  betteraves ,  on 
constate  facilemenl  que  les  premiers  produits  qui 
distillent  ont  une  odeur  désagréable  ,  très-pénétrante 
et  suffocante. 

On  reconnaît ,  de  plus ,  que  ces  produits  ont  sou- 
vent rinconvénient  de  donner  des  trois-six  suscep- 
tibles de  se  colorer  spontanément ,  au  bout  d'un 
certain  temps  ,  même  dans  des  vases  de  verre  bou- 
chés à  rémeri. 

Ces  trois-six  de  mauvais  goût^  s'ils  ne  sont  recueillis 
à  part ,  sont ,  pour  le  reste  du  produit ,  une  cause 
sérieuse  de  dépréciation ,  alors  même  qu'ils  ne  s'y 
trouveraient  qu'en  très-minimes  proportions. 

En  examinant  les  produits  qui  arrivent  successi- 
vement à  l'éprouvette ,  on  constate,  au  bout  d  un 
temps  plus  ou  moins  long,  l'arrivée  d'un  alcool  qui, 
pour  le  dégustateur  ,  ne  présente  que  très-peu  ou  ne 
représente  plus  de  traces  de  goût  étranger  à  celui 
de  l'esprit  de  vin  normal. 

Plus  tard ,  un  peu  avant  la  fin  de  l'opération ,  ap- 
paraissent des  indices  d'un  mauvais  goiU  d'une  autre 
nature,  d'abord  à  peine  perceptibles,  puis  de  plus 
en  plus  sensibles,  et  enfin  tellement  désagréables 
que  le  produit  ainsi  obtenu  n'est  plus  propre  qu*à 
certaines  industries  spéciales. 

Tout-à-fait  à  la  fin  de  la  rectification,  on  recueille 
un  liquide  presque  entièrement  insoluble  dans  Teau 
sur  laquelle  il  surnage^  après  l'avoir  rendue  laiteuse 
par  son  mélange  avec  elle.  Souvent  désigné  sous  le 
nom  d'huile  de  betteraves,  ce  liquide  est  composé 
principalement    d'alcool    amylique    identique    avec 


in  LA  DISmXATIOll  DES  BETTERAVES.  17 

celai  qae  fournit  la  distillation  de  la  pomme  de 
terre. 

C'est  donc  surtout  dans  les  produits  recueillis  au 
commencement  de  la  rectification ,  et  dans  ceux  qui 
passent  vers  la  iin  ,  que  paraissent  se  trouver  accu- 
mulées les  substances  étrangères  dont  la  présence  en 
trop  grande  abondance  est  une  cause  de  dépré- 
ciation commerciale ,  et  dont  la  présence ,  même  en 
petites  quantités  dans  les  trois-six  ordinaires ,  peut 
leur  communiquer  des  propriétés  physiologiques 
spéciales  qu'il  serait  très-important  de  connaître, 

M.  Pagny  a  bien  voulu,  à  notre  prière,  recueillir 
à  part  I  et  séparément ,  des  quantités  assez  considé- 
rables de  ces  produits  alcooliques  mauvais  goût  du 
commencement  d'une  rectification  ,  et  de  ceux  qu'on 
obtient  à  la  fin  ;  nous  ne  saurions  trop  reconnaître 
cette  complaisance  qui  a  simplifié  notre  tâche  et 
nous  a  économisé  beaucoup  de  temps. 

X.— Kxaxnexi  des  produits  mauvais  ^oût  du  ooxxi- 
xxieiioeTxient  des  reotifioations. 

Ces  produits  alcooliques ,  doués  d'une  odeur  très- 
désagréable  ,  suffocante ,  avaient  une  légère  teinte 
jaune-verdâtre ,  comparable  à  celle  d'une  dissolution 
faible  de  chlore. 

Comme  nous  avions  reconnu,  par  l'examen  de 
produits  analogues  des  campagnes  de  1865-1 8G6  et 
de  1866-1867 ,  que  l'aldéhyde  était  une  des  princi- 
pales causes  de  leur  mauvais  goût,  nous  nous  sommes 
attachés,  dans  l'examen  des  produits  de  la  campagne 
1867-1868,  à  séparer  cette  substance,  en  essayant 

2 


18  REGUEUCIIES  SUR   LES  PRODUITS   ALCOOLIQUES 

d'en  déterminer  approximativement  la  proportion. 
Nous  avons  employé ,  pour  y  parvenir ,  la  méthode 
du  fractionnement  combiné  avec  la  rétrogradation. 
Nous  avons  d'abord  constaté  que  Valdéhyde,  bien 
que  bouillant  à  22^ ,  pouvait  encore  être  retenu  en  pro- 
portions  appréciables,  tant  que  le  résidu  alcoolique  dont 
on  cherchait  à  l'extraire  n'avait  pas  atteint  la  tempé- 
rature de  78*,5. 

Lorsque,  par  des  rectifications  successives  avec 
rétrogradation,  nous  eûmes  obtenu  un  produit  bouil- 
lant vers  70  à  Ta"*,  la  séparation  de  Taldéhyde  se  fit 
bien  plus  facilement,  et  il  n'était  pas  difficile  de 
maintenir  alors,  dans  l'appareil  à  rétrogradation,  un 
écart  de  iO  à  i^  entre  la  température  de  la  chau- 
dière et  celle  du  bain  de  rétrogradation  ;  cet  écart 
pouvait  môme  s'élever  jusqu'à  25  ou  26*,  lorsqu'on 
opjérait  sur  un  liquide  assez  enrichi  d'aldéhyde  pour 
entrer  en  ébullition  vers  50°. 

Il  nous  serait  encore  impossible ,  aujourd'hui , 
d'établir  une  relation  bien  définie  entre  l'abondance 
de  l'aldéhyde  dans  le  produit  séparé,  et  sa  coloration 
en  jaune-verdâtre  ;  le  seul  fait  qui  nous  ait  paru 
assez  bien  établi ,  c'est  que  la  plus  grande  intensité 
de  coloration  parait  correspondre  à  un  mélange  de 
substances  entrant  en  ébullition  vers  70  ou  75^  Ce 
mélange,  nous  nous  en  sommes  assurés,  contient 
autre  chose  que  de  Taldéhyde  et  de  l'alcool,  et 
nous  comptons  y  revenir  très-prochainement.  Ce  qui 
est  déjà  établi  pour  nous  dès  maintenant,  c'est  que 
le  produit  condensé  n'est  plus  sensiblement  coloré  , 
dès  que  la  température  d'ébuUition  du  liquide  dont 
il  provient  ne  dépasse  plus  60°. 


K  LA   DISTILLATIOll  DES  BETTERATES.  19 

n  est  toojoon  pradenl,  lorsqu'on  exécute  une 
série  d'opérations  de  cette  nature,  ayant  pour  but 
de  séparer  l'aldéhyde,  de  terminer  l'appareil  rec- 
tificatenr  par  un  flacon  entouré  d'un  mélange  réfri- 
gérant maintenu  à  8  ou  10*  au-dessous  de  léro  ;  on 
arrête  ainsi  les  vapeurs  d'aldéhyde  qui  pourraient 
être  une  cause  de  gène  pour  l'opérateur  dont  elles 
irritent  TÎolemment  les  organes  respiratoires,  et  une 
Bonrce  de  danger ,  à  cause  de  leur  volatilité  et  de 
leur  inflammabilité.  D'aillenrs,  cette  précaution  a 
pour  conséquence  inévitable  une  augmentation  sen- 
sible dans  le  rendement. 

Dans  la  dernière  opération  de  ce  genre  à  laquelle 
noua  nous  sommes  livrés,  nous  avons  pu  séparer 
de  60  litres  d'alcool  mauvais  goût  de  la  nature  de  ceux 
qui  nous  occupent  en  ce  moment,  environ  un  litre  et 
demi  d'aldéhyde  bouillant  à  22*,  et  nous  estimons 
à  plus  d'un  demi-litre  l'aldéhyde  contenu  encore  dans 
divers  produits  moins  purs  destinés  à  des  études  ul- 
térieures, 

U  résulterait  donc  de  là  que  le  produit  obtenu  à 
l'usine,  dans  des  conditions  que  nous  venons  de 
rappeler  tout  à  l'heure  ,  contenait  plus  de  (rois  pour 
cent  de  son  volume  d'aldéhyde ,  sans  compter  ce  qui  a 
dû  s'en  perdre  par  évaporation ,  dans  des  manipu- 
lations si  multipliées. 

Lorsqu'on  soumet  à  la  rectification ,  en  évitant  les 
pertes  autant  que  possible  ,  un  produit  alcoolique  de 
la  nature  de  ceux  qui  nous  ont  sei*vi,  et  provenant 
da  mauvais  goût  du  commencement  des  rectifications 
faites  industriellement,  on  trouve  que  la  richesse  al^ 
coolique  accusée  par  P alcoomètre  de  Gay-Lussac  augmente 


20         RECHERCHES  StR  LES  PRODUITS  ALCOOLIQUES 

sensiblement  dans  le  produit  lorsqu'il  a  été  plus  ou  moins 
complètement  purgé  d'aldéhyde;  en  d'autres  termes,  si, 
par  exemple ,  le  mélange  brut  primitif  marquait  à 
Talcoomèlre  75"  centésimaux ,  il  pourra  en  marquer 
78  ou  80  après  la  séparation  de  la  majeure  partie  de 
l'aldéhyde. 

La  présence  de  cette  dernière  substance  dans  l'al- 
cool tend  donc  à  en  affaiblir  le  degré  ,  ù  en  masquer 
partiellement  la  richesse  alcoolique  ,  en  augmentant 
la  densité. 

Si  la  densité  de  l'aldéhyde  était  supérieure  à  celle 
de  l'alcool ,  on  comprendrait  facilement  que  l'ad- 
dition de  l'aldéhyde  en  simple  mélange  produisit 
un  accroissement  plus  ou  moins  sensible  dans  la 
densité  moyenne  du  mélange  des  deux  liquides  ; 
mais  la  densité  (0,8055)  à  O^'  de  l'aldéhyde  est 
inférieure  à  celle  de  l'alcool  (0,815).  L'aldéhyde  et 
l'alcool  ne  sont  donc  pas  ici  en  simple  mélange ,  ce 
qu'il  était  d'ailleurs  permis  de  conclure  de  la  diffi- 
culté avec  laquelle  s'opère  la  séparation  des  deux 
substances,  même  à  une  température  bien  supé- 
rieure à  celle  à  laquelle  l'aldéhyde  est  en  pleine 
ébuUition. 

Il  doit  donc  exister ,  entre  ces  deux  substances , 
une  affinité  assez  énergique ,  et ,  dès  lors  ,  il  est  uisé 
de  comprendre  qu'il  puisse  se  produire  une  conden- 
sation qui ,  en  augmentant  la  densité  du  mélange , 
diminue  les  indications  alcoomélriques  qui  varient 
en  sens  inverse  de  la  densité. 

Mais  toutes  les  fois  qu'en  mélangeant  deux  liquides 
il  se  produit  un  accroissement  sensible  dans  leur 
densité  moyenne,  il  y  a  en  môme  temps  dégagement 


DB  LA   DISTILLATION   DES  BETTERAVES.  21 

de  chaleur  et  c'est  ce  qui  arrive  effectivemeDt  dans 
le  cas  actnel. 

Ce  dégagement  de  chalenr  se  manifeste  quelque- 
fois dans  des  circonstances  assez  singulières  et  assez 
exceptionnelles  qui  méritent  d'être  signalées. 

Lorsqu'on  vient  de  recueillir  par  distillation  des 
produits  alcooliques  plus  ou  moins  chargés  d'aldéhyde 
et  bouillant  entre  65  et  75""  ,  si  Ton  abandonne 
ces  produits  à  eux-mêmes  pendant  quelque  temps, 
ils  éprouvent  habituellement  un  rétr^tiy/(?me7i/«/>onton^' 
qni  se  traduit  par  une  élévation  de  température  pou- 
vant aller  jusqu'à  45  ou  20",  ou  même  jusqu'à  25^ 
L'agitation  du  liquide  peut  activer  ce  réchauffement 
sponlanë.  Nous  l'avons  même  observé  quelquefois 
dans  des  produits  condensés  dans  de  la  glace  ou 
dans  un  mélange  réfrigérant 

On  a  sonvent  rappelé  ,  dans  les  traités  de  chimie , 
la  facile  altération  spontanée  de  l'aldéhyde;  nous 
devons  signaler,  à  ce  sujet ,  un  fait  qui  vient  prouver 
que  l'état  de  pureté  d'une  substance  peut  avoir  une 
grande  influence  sur  la  durée  de  sa  conservation. 
L'un  de  nous  conserve  encore ,  depuis  le  commence- 
ment de  4844  9  c'est-à-dire  depuis  plus  de  24  ans  ,  un 
échantillon  d'aldéhyde  vinique  offrant  les  caractères 
de  sa  pureté  primitive ,  et  l'aldéhyde  que  nous  avons 
séparé,  il  y  a  environ  dix-huit  mois,  des  trois-six  de 
betteraves  mauvais  goût,  n'offre  encore  aucun  indice 
appréciable  d'altération. 

En  résumé ,  c'est  principalement  à  la  présence  de 
l'aldéhyde  vinique  et  à  celle  des  dérivés  de  cette 
substance  y  qu'il  convient  d'attribuer  la  plus  grande 
part  dans  les  causes  de  dépréciation  des  trois-six  re- 


•^ 


22         RECHERCHES  SUR  LES   PRODUITS  ALCOOLIQUES 

coeillis  inâustriellement  au  commencement  des  recti- 
fications. 


a .— >Szaznen  dee  prodixits  mauvais  goût  reoueilliei 
vers  la  fiji  des  reotifilcations  Ixidu-strlelleB. 


Lorsqu'on  soumet  à  la  distillation  simple  le  liquide 
alcoolique  brut  recueilli  vers  la  fin  d'une  rectifica- 
tion faite  à  l'usine  dans  des  conditions  ordinaires,  on 
trouve  que  la  température  d'ébullition  du  produit  est 
habituellement  comprise,  au  départ,  entre  80  et  SS"" , 
suivant  la  quantité  de  liquide  recueillie  à  part  à  la  fin 
de  l'opération. 

£n  appliquant  un  très-grnnd  nombre  de  fois  à  ce 
produit  brut ,  après  l'avoir  déshydraté  par  le  carbo- 
nate de  potasse,  la  méthode  des  rétrogradations  frac- 
tionnées successives ,  dont  nous  avons  essayé  précé- 
demment de  faire  comprendre  les  avantages ,  nous 
sommes  parvenus  à  en  séparer  : 

de  l'alcool  vinique  ordinaire, 

de  l'alcool  propyliqne  ou  propionique, 

de  l'alcool  butylique, 

et  de  l'alcool  amylique  ; 
et  nous  devons  dire  tout  de  suite ,  que  c'est  princi- 
palement à  la  présence  de  cette  dernière  substance  , 
que  les  produits  alcooliques  de  la  fin  d'une  rectifica- 
tion doivent  leur  mauvais  goût 

Nous  avons  bien  souvent  constaté  la  pré- 
sence d'autres  substances  étrangères  douées  d'un 
goût  très-différent  de  celui  de  l'alcool  vinique ,  mais 
nous  n'avons  pas  encore  obtenu  ces  substances  dans 
un  état  de  pureté  satisfaisant ,  tandis  que  nous  avons 


DE  LA  DISTILLATION  DES  BETTERAVES.  23 

pu  séparer  les  alcools  propylique,  botylique  et 
amyliqae  dans  on  état  de  pureté  remarquable  et  en 
qoantilés  relativement  considérables,  ce  qui ,  à  notre 
connaissance,  n'avait  encore  été  réalisé  sur  une  aussi 
grande  échelle ,  que  pour  l'alcool  amylique ,  le  plus 
abondant  des  trois. 

Nous  reviendrons  plus  en  détail ,  dans  la  suite  de 
ce  travail ,  sur  ce  qui  concerne  chacun  de  ces  trois 
alcools  en  particulier ,  mais  nous  croyons  devoir  iu- 
siater ,  dès  à  présent ,  sur  les  difficultés  spéciales  que 
présente  leur  séparation  ,  parce  que  Texamen  de  ces 
difficultés  pourra  expliquer  ,  dans  une  certaine 
mesnre,  l'insuccès  des  tentatives  faites  avant  l^ 
nôtres. 

Lorsqu'on  soumet  à  la  distillation  simple  le  produit 
brut  dont  il  est  ici  question,  contenant  tout  à  la  fois 
de  Yakool  vinique,  de  l'eati,  de  Valcool  amylique  et  les 
alcools  butylique  et  propylique  ,  le  premier  produit 
condensé  est  d'abord  très-riche  en  alcool  vinique  et 
la  température  de  la  chaudière  de  l'alambic  reste 
alors  voisine  de  80^  centigrades.  La  température 
s'élève  ensuite  avec  une  extrême  lenteur  jusque  vers 
86"  où  elle  reste  assez  longtemps  presque  station* 
naire  pour  s'élever  ensuite  un  peu  plus  rapidement 
jusqu'à  96  ou  98°. 

On  observe  souvent  alors ,  si  l'alcool  amylique  et 
l'eau  se  trouvent  en  assez  grand  excès,  ce  qui  arrive 
habituellement,  que  la  température  d'ébullition  reste 
longtemps  stationnaire,  et  le  liquide  condensé  par  la 
distillation  se  composealorsde  deux  couches  distinctes. 
Tune,  inférieure,  composée  presque  exclusivement 
d'eau,  l'autre,  supéiùeure,  composée  presque  exclusi- 


24         RECHERCHES  SUR  LES   PRODUITS   ALCOOLIQUES 

vement  d'alcool  amylique.  La  couche  d'eau  repré- 
sente à  très-peu  de  chose  près  les  deux  cinquièmes  du 
volume  total,  et  ces  proportions  relatives  des  deux 
substances  restent  invariables  tant  que  la  chaudière 
de  Talambic  renferme  tout  à  la  fois  de  Teau  et  de 
Talcool  amylique.  Lorsque,  par  suite  de  la  diminution 
progressive  de  la  proportion  d'eau  dans  Talambic,  le 
produit  condensé  cesse  d'être  spontanément  séparable 
en  deux  couches  ,  la  température  de  la  chaudière 
s'élève  assez  rapidement,  pour  monter  jusqu'à  130 
ou  même  plus  haut. 

Si  l'on  traite  séparément  chacun  des  produits  suc- 
cessivement condensés,  par  une  quantité  convenable 
d'eau  saturée  de  sel,  et  qu'on  agite ,  on  reconnaît  : 
l'*  que  tout  produit  recueilli  au-dessous  de  82°  donne 
lieu  à  une  mousse  abondante  et  à  un  dépôt  de  sel  ; 
2^  qu'en  faisant  subir  le  même  traitement  aux  pro- 
duits bouillant  à  une  température  supérieure  à  S^"" , 
la  mousse  et  le  dépôt  de  sel  deviennent  de  moins  en 
moins  abondants  à  mesure  que  s'élève  la  température 
d'ébullition  du  liquide  soumis  à  l'essai. 

Lorsque  le  mélange  cesse  de  mousser  par  l'agita- 
tion, il  donne  lien  par  le  repos  à  la  séparation  d'une 
coucbe  plus  ou  moins  abondante  d'un  liquide  d'aspect 
oléagineux  qui  surnage* 

Dès  que  la  température  d'ébullition  du  liquide  à 
essayer  ainsi,  atteint  85®  environ ,  le  volume  de  la 
coocbe  oléagineuse,  séparée  sous  l'influence  de  l'eau 
salée  peut  égaler  celui  du  liquide  soumis  à  l'essai. 

La  reprise  par  distillation  simple  des  produits  re- 
cueillis au-dessons  de  85  à  86"*  permet  d'en  séparer 
assez  facilement  une  nonvelle  quantité  d'alcool  vinique 


DE  LA   DISTILLATION   DES  BETTERAVES.  25 

à  pen  près  par  ;  mais  lorsqu'on  soumet  à  la  distilla- 
tion le  produit  qui  bout  vers  85  ou  86° ,  le  produit 
qui  distille  ne  varie  presque  plus  dans  sa  tempe- 
ratare  d'ëbullition. 

Nous  a^ons  donc  ëté  ainsi  conduits  tout  d  abord  h 
penser  qu'il  devait  exister,  dans  la  série  des  produits 
saccettsifs  provenant  du  produit  brut  de  l'usine ,  une 
substance  bouillant  vers  85  ou  86*'  ;  nous  avons  con- 
serré  longtemps  cette  conviction  ,  fortifiée  par 
Tabondance  relative  avec  laquelle  nous  pouvions 
séparer  cette  matière.  Mais  il  s'agissait  de  savoir  si 
ce  produit  était  une  substance  bien  défmie,  une 
espèce  chimique ,  ou  un  mélanirc  plus  ou  moins  in- 
time, à  proportions  définies,  de  plusieurs  substances 
distinctes  séparables. 

Nous  avions  d'abord  pensé  que  cette  substance 
pouvait  être  l'alcool  propylique  auquel  M.  Borthclot 
attribue  comme  température  d*ébu1lition  86°  centi- 
grades; mais  sa  transformation  en  iodure,  sous  Tin- 
llnence  de  l'action  simultanée  de  l'iode  et  du  phos- 
phore, nous  a  montré  qu'il  n'en  était  rien ,  et  que 
nous  devions  avoir  aflaire  à  uii  mélaugc. 

D'un  autre  côté,  l'analyse  centésimale  ne  pouvait 
guère  nous  permettre  de  conclure  avec  certitude  et 
de  trancher  la  question,  puisque  la  composition  de 
l'alcool  propylique  peut  être  représentée  par  celle 
d'un  mélange  d'alcool  vinique  et  d'alcool  butylique, 
comme  l'indique  la  formule 

aC^H^O,  =  C^H.O,  4-  GgH,oO, 

Alcool  propylique.    Alcool  vinique.    Alcool  butylique. 

La  composition  de  l'alcool  propylique  peut  encore 


i6         RECHERCHES  SUR   LES  PRODUITS  ALCOOUQUES 

Mre  représentée  par  celle  d'un  mélange  d'alcool  vi- 
nique  et  d'alcool  amylique,  ainsi  qu'on  en  peut  juger 
par  la  formule 

3C,H80,  =  2C,H,0,  +  C,oH,,0, 
Alcool  propylique.      Alcool  yinique.      Alcool  amylique. 

Elle  peut  être  représentée  encore  par  celle  d'un 
mélange  d'eau,  d'alcool  butylique  et  d'alcool  amyli- 
que ainsi  que  l'exprime  la  formule 

aC.HgO,  =  2H0  +  CgH^oO,  +  C,oH,,Oj 
Alcool  propylique.      Eau.      Alcool  butylique.  Alcool  amylique. 

Cette  composition  peut  être  représentée  encore  par 
celle  de  l'eau,  de  l'alcool  vinique  et  de  l'alcool  amyli- 
que; en  effet 

gC^HgO,  :=  6H0  4-  C^H^Oj  -f  5C,oH«0, 
Alcool  propylique.      Eau.        Alcool  vinique.  Alcool  amylique. 

Enfin,  et  c'est  par  cette  dernière  citation  que  nous 
terminerons  l'énumération  des  nombreux  cas  possi- 
bles, la  composition  centésimale  de  l'alcool  propyli- 
que pourrait  élre  représentée  par  celle  d'un  mélange 
d'eau,  d'alcool  vinique,  d'alcool  butylique  et  d'alcool 
amylique  dans  les  proportions  indiquées  par  la  formule 


lâC^HaO,  = 

8H0  4-  C^H^O,  -h  CgHjoOj  +  6C,oH«0, 

Alcool 

Eau.           Alcool            Alcool              Alcool 

propylique. 

vinique.         butylique.          amylique. 

Il  restait  donc  à  chercher  on  procédé  de  sépara- 
tion efficace,  en  nous  imposant,  toutefois,  l'obligation 
de  nous  éloigner  le  moins  possible  des  procédés 
susceptibles  d'une  application  industrielle  assez  facile 


Dl  LA  MSTILIATION   DES  BETTERAVES.  27 

à  réaliser.  Nous  tenions ,  d'ailleurs ,  à  respecter  le 
pins  possible  la  nature  des  produits  à  séparer,  en 
employant  ponr  cet  objet  des  moyens  peu  éner^ 
giqnes. 

L'agitation  de  ce  mélange  inconnu  avec  du  sel 
marin  en  pondre  nous  a  d'abord  permis  d'y  constater 
en  proportions  assez  considérables,  la  présence  de 
Tean  qui  s'en  séparait  en  dissolvant  le  sel  et  venait 
occuper  la  partie  inférieure  des  flacons. 

L'examen  du  liquide  surnageant  nous  a  bientôt 
montré  qu'il  s'y  trouvait  encore  de  Talcool  vinique  et 
de  l'alcool  amylique.  La  séparation  si  facile  de  Teau, 
sons  l'influence  du  sel  marin,  et  la  présence  de 
l'alcool  vinique ,  devaient  nous  faire  craindre  que 
le  sel  ne  fât  insufiisant  pour  déshydrater  le  mé- 
lange, et  nous  eûmes  recours  au  carbonate  de  potasse 
desséché,  qu'on  renouvela  jusqu'à  ce  qu'après  de 
firéqnentes  agitations ,  suivies  d'un  repos  de  douze  à 
quinze  heures ,  le  carbonate  cessât  de  s'humecter 
d'ean. 

En  opérant  la  déshydratation  sur  un  volume  connu 
de  ce  mélange  ,  nous  avons  trouvé  qu'il  peut  aban- 
donner au  carbonate  de  potasse  environ  16  pour  0/0 
d'eau. 

C'est  en  soumettant  à  une  série  de  distillations 
fractionnées  successives  le  produit  déshydraté  ,  que 
nous  parvînmes  enfin  à  en  séparer  de  l'alcool  vinique, 
de  l'alcool  propylique ,  de  l'alcool  butylique  et  de 
l'alcool  amylique. 

Eclairés  par  l'expérience,  nous  pûmes,  dans  une 
nonvelle  série  de  traitements  des  produits  mauvais 
goût  de  la  rectification  des  flegmes  de  betteraves , 


iH         kUCHKHCHlSS  SUR  LES  PRODUITS  ALCOOLIQUES 

obtt^uii-  j)lu$  lard  »  en  beaucoup  moins  de  temps , 
pluïùeui's  litiges  d*alcool  propylique  et  d'alcool  bu- 
IvlHjue»  dans  un  état  de  pureté  presque  absolue. 

Ku  avant  la  précaution  de  déshydrater  par  le 
carbiuiate  de  potasse  nos  matières  premières  brutes  , 
uouji  n'observûmes  plus  aucun  indice  de  stabilité 
Yt*!*»  86*,  Tous  les  produits  bouillant  vers  cette  tem- 
pératui^  se  sont  constamment  dédoublés  ,  par  la 
ivlmgradation,  et  avec  facilité ,  en  alcool  vinique  et 
^ï  produits  supérieurs,  parmi  lesquels  se  trouvait  de 
l'alcool  propylique  bouillant,  non  pas  à  86**,  mais  vers 
98*  centigrades. 

On  se  demandera  peut-être  comment  à  pu  passer 
sans  peine  à  la  distillation  simple ,  vers  86*,  un 
mélange  de  cinq  substances ,  dont  quatre  bouillent 
h  une  température  beaucoup  plus  élevée.  Prenons 
d'abord  le  cas  le  plus  simple,  celui  d'un  mélange 
d'eau  qui  bout  à  iOO°,  et  d'alcool  amylique  bouillant 
vers  130*». 

Lorsqu'on  soumet  un  pareil  mélange  à  la  distilla- 
tion ,  il  est  aisé  de  constater ,  nous  en  avons  déjà  fait 
l'observation,  qu'il  bout  régulièrement  vers  96**,  et 
qu'il  passe  à  la  distillation,  en  proportions  constantes, 
de  l'eau  et  de  l'alcool  amylique ,  2/5  de  la  première 
substance,  contre  3/5  de  la  seconde. 

Dans  cette  expérience  ,  l'alcool  amylique  distille 
donc  abondamment  à  34*"  au-dessous  de  sa  tempéra- 
ture normale  d'ébullition ,  sans  que  la  pression  exté- 
rieure intervienne  d'une  manière  spéciale  dans  cet 
abaissement.  La  pression  atmosphérique  se  trouve  ici 
vaincue  par  la  résultante  des  forces  élastiques  des 
deux  vapeurs  mélangées  ou  partiellement  combinées. 


DE  LA  DISTILLATION   DES  BETTERAVES.  29 

Si  noQB  agissons  snr  un  mélange  plus  complexe  , 
el  qa'anx  deux  liquides  précédents  nous  en  ajoutions 
d'antres  »  ces  derniers  émettont ,  avant  leurs  tempé- 
ratures d'ébnllition  respectives  ,  comme  l'eau  et 
comme  ralcool  amylique ,  des  vapeurs  en  plus  ou 
moins  grande  abondance.  Combinées  avec  les  forces 
ëlastiqaes  des  vapeurs  des  deux  premiers  liquides , 
celles  des  derniers  pourront  donner  une  force  élas- 
tique résnltante  capable  de  faire  équilibre  à  la  pres- 
sion atmospbërique  à  une  température  plus  basse 
encore ,  c'est-à-dire  inférieure  à  Ut)°,  bien  que  cba- 
cnne  des  substances  constituant  le  mélange,  consi- 
dérée isolément,  n'entre  en  ébuUition  qu'au-dessus 
de  96*. 

Noos  avons  montré  précédemment ,  par  de  nom- 
breux exemples ,  que  l'analyse  élémentaire  pouvait 
souvent  être  impuissante  à  définir  la  pureté  d'une 
substance  el  à  bien  établir  sa  nature  comme  espèce 
chimique,  surtout  lorsqu'il  s'agit  ,  comme  dans  le 
cas  actuel,  de  substances  qu'on  ne  peut  obtenir  sous 
forme  cristalline ,    c'est-à-dire  sous   une  forme  qui 
permette  d'en  constater  sans  peine  l'homogénéité. 
Si  nous  considérons  comme  insuflisantes  les  don- 
nées fournies  par  l'analyse  élémentaire,  nous  devons 
dire  sur  quelles  bases  nous  avons  pu  asseoir  notre 
opinion ,  à  l'égard  des  substances  que  nous  avons 
séparées,  pour  nous  croire  en  droit  de  les  considérer 
comme  pures,  comme  espèces  cliimiques  distinctes. 
Il  est   maintenant   bien   établi   que  chacune   des 
substances  désignées  sons  le  nom  d'«/coo/peut  donner 
naissance  ,  dans  des  conditions  convenables  ,  h  une 
série    de   corps   dérivés   bien    définis   et    tellement 


30         RECHERCHES  SUR  LES  PRODUITS   ALCOOLIQUES. 

nombreux  que  M.  Dumas  a  pu  dire ,  avec  raison , 
que  la  découverte  d'un  nouvel  alcool  peut  être  assi- 
milée ,  par  son  importance ,  à  la  découverte  d'un 
nouveau  métal. 

C'est  donc  à  la  formation  normale  de  ces  composés 
dérivés  que  nous  avons  eu  recours  pour  vérifier  la 
nature  et  la  pureté  des  deux  substances  que  nous 
considérions  comme  devant  être  Talcool  propylique 
et  l'alcool  butylique.  Les  résultats  ont  été  d'une 
netteté  tellement  remarquable  qu'il  ne  nous  est  pas 
permis  de  conserver  le  moindre  doute  à  cet  égard. 

En  résumé,  nous  avons  déjà  séparé  des  produits 
mauvais  goût  de  la  rectification  des  fiegmes  de  bet- 
teraves 

de  l'aldéhyde  , 
de  l'alcool  propylique, 
de  l'alcool  butylique, 
et  de  l'alcool  amylique. 

L'étude  plus  circonstanciée  de  ces  diverses  sub- 
stances, la  détermination  des  limites  entre  lesquelles 
peuvent  être  comprises  leurs  proportions  ,  dans  les 
produits  bruts  de  la  distillation  industrielle  ,  la  pro- 
duction et  l'étude  de  leurs  principaux  dérivés,  feront 
l'objet  d'un  second  mémoire  dont  nous  possédons 
déjà  en  partie  les  matériaux. 


NOTICE 


SUlEt  JSEB  ANIMAUX  FOSSILES 


DE    LA 


r  r 


FAMILLE  DES  TELEOSAURIENS 

RECUEILLIS  EN  NORMANDIE; 

Par  m.  Bsfène  DESLOi\G€H.tllP8  , 

Membre  assodé-résidant. 


Le  travail  que  j'ai  Thonneur  de  soumettre  h  TAcu- 
démie  est,  en  grande  partie,  le  résumé  d'éludés 
înceesantes  que  mon  père  avait  faites  pendant  une 
grande  partie  de  sa  vie  si  laborieuse,  si  bien  remplie. 
C'était,  en  effet,  avec  une  prédilection  marquée 
qu'il   se  livrait  à    un   gigantesque    travail   sur   les 
Télëosauriens  fossiles  ;   c'était  ce  qu'il   considérait 
comme  son  œuvre  capitale,  œuvre  qu'une  longue  et 
douloureuse  maladie  n'avait  pas  eu  le  pouvoir  d'in- 
terrompre. 

Devenu  presque  aveugle ,  souffrant  de  suffocations 
continuelles,  il  y  travaillait  encore  avec  un  esprit 
d'une  lucidité  complète ,  qui  n'avait  rien  perdu  de  sa 
vivacité.  Quelques  jours  avant  de  mourir,  il  me 
faisait  paît  de  ses  idées  à  ce  sujet,  et  trois  jours 
seulement  avant  l'événement  funeste  qui  devait  l'en- 
lever à  la  science  et  aux  siens,  alors  que  sa  vue  était 
à  peu  près  éteinte,  que  sa  voix  n'articulait  plus  que 


32  NOTICE  SUR  LES   ANIMAUX   FOSSILES 

des  paroles  entrecoupées,  sa  main  essayait  encore, 
avec  un  crayon ,  de  tracer  quelques  mots ,  de  com- 
pléter des  observations  commencées. 

Au  mois  d'août  4866,  la  maladie  avait  un  peu 
cédé;  mon  père  en  profita  pour  rédiger  quelques 
notes  sur  les  Téléosauriens ,  en  me  recommandant 
de  publier,  s'il  lui  arrivait  malheur,  le  grand  travail 
dont  cette  notice  est  une  sorte  de  résumé.  Les 
mois  de  septembre ,  d'octobre  et  de  novembre  furent 
employés  avec  fruit.  Je  pus  avoir,  grâce  à  l'extrême 
complaisance  de  l'administration  du  Muséum  de 
Paris  et  particulièrement  de  MM.  Milne  Edwards , 
Serres  et  d'Arcbiac,  communication  des  pièces  qui 
avaient  servi  de  types  à  Cuvier,  Geoffroy  Saint- 
Hilaire  et  de  Blanville,  les  étudier,  les  dessiner  et 
les  comparer  rigoureusement  avec  celles  que  nous 
possédions  soit  dans  notre  collection  ,  soit  dans  celle 
de  la  Faculté  des  sciences. 

La  communication  de  ces  documents  fut,  pour 
nous ,  bien  précieuse  ;  elle  nous  permit  de  géné- 
raliser nos  études  et  de  perfectionner  les  détails. 

Mon  père  fit  alors  quelques  modifications  au  Pro- 
drome qu'il  avait  commencé  de  rédiger.  11  publia  en 
novembre  1866,  dans  le  Bulletin  de  la  Société  Lin- 
néenne  de  Normandie  (  !•'  volume  de  la  2*  série  ) ,  la 
description  de  la  tête  de  trois  espèces  de  Téléo* 
sauriens  qui  rentraient  entièrement  dans  le  type 
Teleosaurus  ,  tel  que  Geoffroy  Sainl-Hilaire  l'avait 
compris.  Il  distribua  les  autres  espèces  dans  cinq 
sections  et  commença  leur  description  ;  mais  la  ma- 
ladie empirait,  il  dut  laisser  encore  inachevé  même 
ce  résumé.  Toutefois,  nous  espérions  encore  que  le 


DE  LA   rÀMlLLE   DES  TELKOSArRIETfS.  33 

mal  céderait  à  un  trailement  régulier;  je  lui  parlais 
d'avenir»  de  sou  travail  à  compléter:  mais  il  ne  s'y 
trompait  pas.  tout  en  me  donnant  ses  Idées  sur  la 
manière  de  mener  à  bonne  Un  sa  grande  Mono- 
graphie des  Téiéosan riens  : 

«  Mon  ami ,  me  disait-il  avec  un  sourire  triste  et 
ft  affectneox,  votre  amitié  vous  trompe  tous  sur  mon 
a  état;  TOUS  vous  méprenez  sur  la  portée  de  mon 
«  mal,  je  ne  verrai  pas  Tannée  nouvelle.  Je  ne 
«  pourrai  terminer  mon  travail  :  c'est  un  héritage 
«  que  je  te  laisse,  si  lu  peux  ou  si  tu  veux  t'en 
«  charger.   » 

En  effet,  la  cécité  et  les  autres  symptômes  mor- 
bides prirent  de  plus  en  plus  des  caractères  inquié- 
tants; enfin,  les  froids  rigoureux  du  commencement 
de  janvier  1867  eurent  une  influence  désastreuse  sui 
cette  constitution  si  robuste.  Tous  les  jours  cepen- 
dant il  me  parlait  de  son  travail ,  des  modifications  à 
y  apporter.  Ses  derniers  dt'sirs  ,  à  ce  sujet ,  furent 
qu'il  serait  heureux  (pie  sa  Monographie  des  Téléo- 
sauriens  parût  sous  le  patronage  de  la  Soci(*té  géolo- 
gique de  Londres,  dont  il  était  depuis  longtemps 
membre  honoraire.  Enfin  ,  il  expira  le  t7  janvier. 

I^  Société  géologique  de  Londres  accueillit  avec 
reconnaissance  ses  dernières  volontés.  C'est  donc 
sous  le  patronage  de  cette  illustre  Compagnie  que 
paraîtra  le  grand  travail  dont  ce  Prodrome  n*est 
qu'un  avant-coureur. 

Voici  presque  textuellement  l'introduction  au  Pro- 
drome, telle  que  mon  père  l'avait  écrite  en  août  et 
en  septembre  1866. 

«  Le  but  de  mon  premier  mémoire  sur  les  Téléo- 

3 


34  NOTJGE   SUR   LES    ANIMAUX    FOSSILES 

«  sauriens  de  Tépoque  jurassique  du  département  du 
((  Calvados  ,  publié  en  1863,  dans  le  Xll»  volume  des 
a  Mémoires  de  la  Société  Linnéenne  de  Normandie  , 
«  était  particulièrement  de  mettre  en  évidence  les  ca- 
«  ractères  qui  distinguent  les  Téléosauriens  des  Cro- 
«  codiliens.  J'y  joignis  la  description  détaillée  d'une 

•  espèce  du  lias  supérieur,  Teleosnurus  temporalis, 
u  dont  je  possédais  un  exemplaire  presque  complet 
«  et  des  têtes  désarticulées  ,  dont  les  pièces  osseuses 
H  me  servirent  de  type. 

(«  Depuis  lors,  de  nombreux  matériaux  me  sont 
«  parvenus  et  me  permettent  d'établir  les  différences 
«  spécifiques  de  plusieurs  espèces  qu'il  m'eût  été  ini- 
a  possible  de  faire  ressortir  avec  les  seules  pièces  que 
<(  je  possédais  alors,  et  qui ,  je  l'espère ,  seront  main- 
(c  tenant  établies  d'une  manière  assurée  et  définitive. 

tt  Grâce  à  la  complaisance  de  MM.  les  administra- 
o  teurs  du  Muséum  de  Paris ,  qui  ont  permis  à  mon 
tt  fils  de  dessiner  les  principales  pièces  calvado- 
a  siennes  de  la  collection  du  Muséum  et  notamment 
«  celles  sur  lesquelles  Cuvier  avait  établi  ses  croco- 

•  diles  on  Gavials  d'Honfleur ,  et  de  Blainville  son 
«  Crocodiltis  superciliostis  ;  grdice  à  de  nouvelles  pièces 
'(  fort  importantes  ,  découvertes  dans  lys  environs 
((  de  Caen,  d'autres  léguées  par  M.  Bréville  au  musée 
a  de  la  Ville ,  d'un  certain  nombre  recueillies  dans 
a  les  argiles  kimméridgiennes  ,  du  cap  la  Hève.  près 
«  le  Havre ,  et  communiquées  généreusement  par 
"  M.  G.  Lennier ,  conservateur  du  musée  du  Havre , 
«  je  puis  donner  à  la  description  des  espèces  et  à 
«  leur  détermination  spécifique  une  précision  à  la- 
ff  quelle  je  n'aurais  pu  atteindre  auparavant. 


DE  LA    FAVIILB  DES  TRLÉOSAU RIENS.  35 

a  J*ai  fiftit  les  dessins  de  tons  ces  nouveaux  luaté- 

•  rîaux ,  tous  de  grandeur  nauirelle ,  la  plupart  au 

•  trait 

«  Maifaenreusement  pour  moi,  le  Iriste  état  de  nia 

•  Toe.    qui  ne  me  permet  plus  de  lire  et  d'écrire 

•  qne  très-difficilement,  me  met  dans  Timpossibilité 

•  d'employer  m  extenso  les  matériaux  que  je  possède, 
a  Afin  qae  mes  dessins  ne  deviennent  ditlicilement 
>  applicables  et  même  indéchiflfrabies  ,  malgré  les 
«  signes  explicatifs  dont  je   les   ai   acconipiignés ,  je 

•  me  vois  forcé  de  réduire  mon   travail  a  im  simple 
«  Prodrome.  Mon  fils,  qui  m'a  beaucoup  aidé  dans  la 
«  préparation  de    ces   éléments   les    publiera   plus* 
«  tard  ;  j'avertis  même  que  ce  Prodrome  peut  être 
9  regardé  comme  un  tnivail  fait  en  eominun. 

«  Je  donnerai  l'arrangement  des  espèces ,  fondé 
«  sar  des  caractères  faciles  à   saisir ,   leur  position 

■  stratigraphique,    enfin .   une  description  succincte 

■  de   leui'S  principaux   caractères    tirés  surtout   de 

•  leurs  têtes. 

u  Sons  le  point  «le  vue  des  diverses  parties  re- 
m  cueillies  de  chacune  de  ces  espèces,  on  comprend 
a  aisément  que  toutes  n'ont  pas  le  même  degré 
a  d'importance  et  la  même  valeur. 

«  Il  en  est  quelques-unes  qui  sont  représentées 
9  par  des  exemplaires  presque  au  complet,  d'autres 
«  seulement  par  leurs  parties  essentielles  et  caracté- 
*i  ristiqnes ,  d'autres  qui  ne  sont  que  des  indications 
Cl  d'espèces  particulières  ;  le  complément  de  ces  der- 
«f  nières  est  Tafifaire  du  temps  et  des  circonstances 
«  favorables.  En  attendant,  leur  place  est  marquée. 

••  J'avais   pensi'    d'abord  et  d'après  l'oliservaliou 


36  NOTTCB   SUR    LES   ANIMAUX   FOSSILES 

c<  que  la  situation  stratigraphique  des  Téiéosau riens 
u  jurassiques  était  le  moyen  le  plus  facile  à  saisir 
«  pour  les  réunir  par  groupes  ;  mais,  comme  on  le 
«  verra  plus  loin,  il  soufire  quelques  exceptions. 

«  U  faut  donc  le  chercher  ce  moyen  dans  des 
u  caractères  anatomiques  ;  ceux  qui  se  tirent  de  la 
(î  tête  sont  les  meilleurs ,  non  pas  de  l'ensemble 
«  de  ses  formes  ni  même  indifféremment  de  toutes 
«  ses  parties ,   mais   particulièrement   des    régions 

•  frontale  et  nasale,  et  surtout  des  sutures  des  os 
u  de  ces  régions  qu'il  est  indispensable  de  bien 
0  mettre  à  découvert 

•  U  est  souvent  assez  difficile  d'y  (uirvenir  sans 
«  les  briser  ou  les  altérer  plus  ou  moins  :  tantôt  c'est 
M  la  gangue  qui  est  fort  dure,  tantôt  les  sutures  sont 
o  masquées  par  des  coquilles  adhérentes  ;  mais  ce 
«  qui  rend  l'opération  plus  difffcile  et  plus  délicate  , 

•  c'est  la  présence  d'enduits  plus  ou  moins  épais  de 

•  fer  sulfuré  tout- à-fait  rebelles  aux  burins  et  aux 
u  petits  ciseaux  à  froid.  Il  vaut  mieux  se  servir  de 

•  petits  marteaux  pointus  aux  deux  bouts,  semblables 
((  à  ceux  qu'emploient  les  meuniers  pour  piquer 
«  leurs  meules.  Avec  du  temps,  de  la  patience  et  un 
ff  peu  d'adresse,  on  atteint  son  but  il  ne  faut  pas 
a  chercher  à  abréger  la  besogne  ;  en  allant  trop  vite 
«  et  en  frappant  de  grands  coups,  les  os  s'éclateraient 
a  autour  des  sutures  et  celles-ci  seraient  déformées. 

«  En  recourant  aux  détails  des  autres  pièces 
«  osseuses,  on  trouve  des  différences  ;  mais  elles  sont 
«  moins  frappantes  ,  et  ces  différences  se  groupent 
«  diversement ,  comme  on  le  verra  dans  la  descrip- 
«  tioD  des  espèces. 


DE  LA   FAMILLE  DES  TELÊOSAURIENS.  37 

«  En  procédant  ainsi  par  comparaison  des  diverses 
«  pièces  osseuses  de  la  tête,  noas  pouvons  tout 
«  d'abord  reconnaître  deux  grandes  sections. 

s  La  moins  nombreuse  en  espèces  et  qui  n'a  pas 
«  besoin  d'être  subdivisée,  a  déjà  été  indiquée  dans 
«  une  note  sur  un  groupe  de  vertèbres  provenant 

•  des  argiles  kimméridgîennes  du  cap  la  Hève  (1). 
«  Celle  des  espèces  appartenant  à  cette  section  ,  qui 
a  est  la  mieux  connue  et  dont  nous  possédons  le  plus 
«  de  débris^  est  le  Crocodtlus  superciliosus  de  Bla  in  ville, 

•  mon     Teleosaurus    superciliosus   de    la    note    déjà 

•  citée  (2). 

«  Elle  peut  être  ainsi  définie  : 

l'*  SECTION. 

«   Téléosauriens  dont  le   frontal  antérieur  est  très- 

•  grand.  1rs  os  propres  du  nez  très-larges  ,  les  orbites 
€  non  circulaires ,  protégées  en  dessus  et  vers  la  moitié 
u  antérieure  par  une  saillie  formée  par  le  frontal  an- 
«  térieur,  qui  est  très- développé  et  rejeté  de  côté  comme 
"   un  auvent  au-dessus  de  l'orbite   (3  .   Ces  orbites  sont 

•  entièrement  dirigées  de  côté,  et  le  trou  sous-or bitr aire 
«  grand  ou  très-grand,  situé  au  fond  d^un  sillon  pro- 
«   fond,  qui  se  prolonge  en  dessous  de  V orbite, 

«  Quatre  espèces  connues,  toutes  appartenant  aux 

(1)  Voir  Bulletin  de  la  Société  Linnéenne  de  Normandie,  3*  série, 

t.  I,  p.  U6. 

(3)  Loe,  cil,,  p.  1&9. 

(8)  D'où  le  nom  si  caractéristique  que  j'avais  employé,  ,en  les 
désignant  sous  le  nom  de  Superciliosi. 


38  NOTICE  SUR   LES   ANIMAUX    FOSSILES 

«  systèmes  ooliihiques  moyen  et  supérieur,  depuis 
■  l'étage  callovien  jusqu'au  kiraméridjçien  inclusive- 
K  ment. 

((  Teleosaurus  Blainvillei  (E.  Desl.).  Callovien. 
«  —  SUPERCIU0SUS  (de  Blainv.).Oxrord.  inf. 

«  —  Brachyriiynchus{E.  Desl). Oxford  sup. 

«  —  HASTIFER  (E.  Desl.).  Rimm. 

•  La  seconde  section  est  beaucoup  plus  noni- 
«  breuse  en  espèces  ;  elle  est  susceptible  d'ètro 
fl  scindée  en  quatre  subdivisions.  L'une  des  formes 
«  les  plus  connues  est  celle  du  Teleosaurus  Cado- 
1  mensts ,  déjà  décrit  par  Cuvier  et  Geoffroy  Sainl- 
«  Hiiaire  ;  mais  elle  en  comprend  d'autres,  telles  que 
«  les  Sténéosanres  du  dernier  de  ces  auteurs;  elle 
«  peut  être  ainsi  détinie  : 

"  Téléosauriens  dont  le  frontal  antérieur  est  très- 
«  petit  et  dont  le  trou  sous-arbitraire  se  voit  à  la  face 
«  supérieure  du  museau.  Orbites  presque  circulaires  et 
«  tournées  plus  ou  moins  en  dessus. 

«  Treize  espèces  connues,  répandues  depuis  le  lins 
«  supérieur  (couches  à  Ammonites  serpentinv^  inclusi- 
«  vement),  jusqu'au  coral-rag  inférieur  (couches  à 
*  Cidaris  florigemma  inclusivement). 

"  Teleosaurus  temporalis  (de  Blainv.).  a  , 

_   _    .  .  '  L.  sup 


—         OPLiTts  (E.  Desl.).  ^ 


OK  LA  FAMILLE  DES  TÉLÉOSAURIENS.       39 

«  Telbosaurus  ATELESTATUS  (K.  Desl.).Ool.  inf. 

«  —        Cadomensis  (Geof.  S*-H.). 

«  —        GLADixjs  (E.  Desl.). 

et  —        Geoffroyi  (E.  Desl.).  \Fniior 

«  —  MEGISTOKHYNCUUS(Geof.S'-H.)( 

«  —  Larteti  (K  Desl  ). 

a  —  Calvadosi(E.  Desl.). 

—  BouTiLiERi  [K  Desl.).  Gr.  Ool. 
a            —  Edwardsi  (E.  I)es!.\  i    ,  ..     , 

—  RoisSYi  (E.  Desl.;. .    ^ 

u  —        Blumembaciii  (E.  nesl.\  Coral-rap;.  » 


A  partir  de  ce  poinl ,  nous  sommes  convenus,  mon 
père  et  moi,  défaire  quelques  petites  modifications  à 
son  manuscrit  au  sujet  des  sections  qu'il  avait  établies 
dès  le  principe.  Le  rosit»  de  c<"  travail  préliminaire 
sera  donc  complété  par  des  observations  que  j'ai  eu 
roccasion  de  faire  depuis.  Toutefois,  je  dois  dire  que 
cette  nouvelle  rédaction  ne  s'éloignera  que  très-peu 
de  la  première,  au  moins  pour  les  points  essentiels. 

î^  8UBD1VI810M. 

Museau  très-long  ,  ires-aplan  et  par  conséquent  très- 
faible^  à  bords  alvéolaires  irréguliers  et  comme  crénelés. 
Dents  très-nombreuses,  très -longues;  mais  excessive- 
ment grêles  et  faibles^  arquées^  suivant  Us  crénelures 
des  bords  alvéolaires  et  ne  formant  pas  de  séries 
linéaires  ;  dirigées  extérieurement  de  côté  et  en  dehors, 
se  croisant  et  se  dépassant  n  chaque  mâchoire,  }§% 
tronqué  et  élargi  à  l'extrémité  des  mâchoires, 
de  la  supérieure.  Crâne  à  peu  près  carré  ,  se  dans 


40  NOTICE   SHR   LES   ANIMAUX   FOSSILES 

presque  subitement  comme  dans  le  Gavial  du  Gange, 
Orbites  circulaires,  entièrement  dirigées  en  dessus.  Fosses 
temporales  grandes  et  carrées.  Frontal  principal  très- 
étroit,  largement  excavé  et  creusé  de  fossettes. 

Cette  pienjirre  subdivision  comprend  trois  espèces 
très-voisines,  qui  se  distinguent  nellcinenl  de  tons 
les  autres  Télëosauriens  par  leurs  caractères  pro- 
pres :  par  la  tête  très-petite,  relativement  aux  aulres 
parties  du  corps,  et  qui  semble  hors  de  pioportion, 
surtout  avec  les  vertèbres  doi*sales  et  le  svstème  der- 
niique  ;  par  les  membres  antërieui-s  rndimentaires 
contrastant  aussi  avec  les  postérieurs ,  qui  sont  Irès- 
développés;  enfin,  par  un  long  museau  ,  entièrement 
plat,  tlanqué  de  chaque  côté  de  dents  longues,  grêles, 
dirigées  absolument  en  dehors  comme  nn  bataillon 
de  baïonnettes.  Ces  divers  caractères  donnent  .-i  ces 
espèces  un  aspect  tout-à-fait  étrange,  que  n'ont  pas 
les  antres  Téléosanrien?. 

Trois  espèces,  dont  Tune  est  depuis  longtemps 
connue  et  citée  par  les  paléontologistes  sous  le  nom 
de  Crocodile  de  Caen,  composent  cette  subdivision. 
Ce  sont  les  : 

TELEOSAuars  Cadomensîs  (G.  S*-H.).  Fuller's-earth. 

—  Geoffroyi  (Eud.-Desl.).  id. 

—  GLADics  (Eud  .-Desl.  ).  id. 

«•  SIIBDIWI9ION. 

Museau  très-grand,  plus  ou  moins  allongé,  cylindrique 
en  avants  s*apptatUsa9it  peu  à  peu  en  approchant  de  la 


OB  LA    FAMILLE   DES  TÉLÉOSAURIENS.  4i 

régùm  frontale.  Bords  alvéolaires  rectilignes  ,  non  on- 
dmléi.  Dents  très-nombreuses,  assez  fortes ,  implantées 
presque  perpendiculairement  ,  striées,  ayant  deux  ca- 
rènes opposées.  Extrémité  de  la  mâchoire  élargie.  Crâne 
déprimé,  ayant  la  forme  d*un  carré  allonge.  Orbites  cir^ 
cmlaires^  petites,  entièrement  dirigées  en  dessus.  Cloison 
fronto-pariétale  très-étroite.  Fosses  temporales  très- 
grandes  et  allongées.  Frontal  principal  étroit,  un  peu 
eicavé  et  marqué  de  légères  fossettes.  Région  mastoï- 
dienne très-élargie. 

Cette  deuxième  subdivision,  la  plus  nombreuse , 
comprend  huit  espèces,  répandues  depuis  le  lias  su- 
përiear  jusqu'au  coral-mg.  Elles  se  distinguent  sur- 
tout par  les  proportions  de  la  tête,  relativement  à 
celle  du  corps,  beaucoup  plus  normales  et  ressem- 
blant davantage  à  celle  des  Grocodiliens  actuels. 
C'est  à  quelques-unes  de  ces  espèces  que  Geottroy 
Saint-Hilaire  avait  principalement  appliqué  le  nom  de 
Steneosaurus,  Peut-être  pourra-t-on  ,  par  la  suite,  y 
distinguer  une  ou  plusieui-s  subdivisions.  Les  espèces 
recueillies  dans  le  Calvados  sont  les  suivantes  : 


Teleosauuus  ?  OPLITES  (Eud.-DesL).  L.  sup. 

—  ?  ATELESTATUS  (Eud.-Dcsl.).   Ool.  iuf. 

~  MEGiSTORHYNCHUS  (Gcoff.  S*-H.j.  Fuller. 

—  Larteti  (Kud.-DesL).  FulIerVearth. 

—  BouTifJERi  (Eud.-Desl.\  Gr.  ool. 

—  Edwardsi  (Eud.-Desl.).  Oxford. 
RoissYi  (Eud.-Desl.).  Oxford. 

—  Blumembachi  (Eud.-Desl.).  Coral-rag. 


42  NOTICE  SUR  LES  ANIMAUX   FOSSILES 

S*  SIJBDIWISIOK. 

Museau  arrondi,  d'une  langueur  médiocre  ou  propor- 
îionnellement  court.  Bord  alvéolaire  rectiligne ,  assez 
obliquement  dirigé  en  dehors.  Dents  faibles,  moins 
nombreuses  que  dans  les  autres  sections,  finement  striées, 
à  peine  carénées,  Museau  se  rétrécissant ^  mais  sans 
s'aplatir,  au  niveau  des  orbites,  épais  en  arrière,  pres- 
que semi-cylindrique  en  avant.  Fosses  temporales 
grandes  ,  presque  carrées.  Orbites  médiocres,  dirigées 
obliquement  en  dehors.  Frontal  principal  large,  aplati 
et  criblé  de  fossettes. 

Cette  subdivision  n'admet  qu'une  seule  espèce  , 
c'est  celle  dont  la  description  occupe  la  plus  grande 
partie  du  premier  Mémoire  de  mon  père,  sur  les 
Téléosauriens. 

TELKOSAUKUS  TEMPORALIS  {de  Blainv.X  L.  sup. 

4«  St]BDIVI8IOM. 

Museau  déprimé,  d'une  longueur  médiocre  et  propor- 
tionnellement court.  Tête  forte ,  museau  non  élargi  , 
comme  comprimé  à  son  extrémité  antérieure.  Bord 
alvéolaire  rectiligne  assez  obliquement  dirigé  en  dehors  ; 
dents  fortes,  moins  nombreuses  que  dans  les  autres  sec- 
tions, finement  striées  ,  à  peine  carénées.  Museau  se 
rétrécissant  et  se  déprimant  au  niveau  des  orbites ,  épais 
en  arrière,  presque  semi-cylindrique  en  avant.  Fosses 


DB  LÀ  FAMILLE  DES  TÉLÉOSAUBIENS.  43 

UfmporaUê  grandes,  prtsqye  carrées.  Orbites  médiocres^ 
dir^ées  oUiquemeut  et  wi  peu  en  dehors.  Frontal  prin- 
eipaL  triÊ-4arge,  aplati  et  creusé  de  nombreuses  fossettes. 

Celle  subdivision  n'admet  égaleiueut  qu'une  seule 
espèce.  Par  ]a  largeur  du  frontal  principal  à  laquelle 
fe  joint  la  disposition  assez  oblique  des  orbites^  et 
leur  forme  déjà  un  peu  sinueuse  ,  l'espèce  qui  la 
compose  et  que  mon  père  a  décrite  dans  le  X'  volume 
do  Bulktin  de  la  Société  Linnéenne  de  Noimandie , 
c{noîqne  appartenant  encore  à  notre  seconde  section 
par  tous  ses  autres  airactères ,  est  celle  qui  se  rap- 
proche le  plus  des  Téléosauriens  superciliosi  ou  de  la 
première  section.  Celte  espèce  est  le  : 

TELEOSAUKUS  CA!.VA!K)SI  {Eudes- Des L).  KuJIer's-earth. 

Telles  étaient  les  idées  oxacies  de  mon  père  au 
sujet  des  Téléosanriens  qui  se  trouvent ,  comme  on 
voit,  partagés  ainsi  en  deux  jLriandes  sections  ,  dont 
la  dernière  ^e  subdivise  ello-mérae  en  quatre  autres. 
Ainsi  conçus,  les  Tébfosau riens  forment  une  sorte  de 
GRAND  GENRE  LiNNÉEN,  genres  qui,  comme  on  le  sait , 
dans  les  classifications  actuelles  ,  prennent  à  peu 
près  le  rang  de  famille. 

Tout  en  ne  subdivisant  pas  ses  Ti'Iéosauriens  en 
plusieurs  coupes  pénériquos,  mon  père  les  avait 
considérés  comme  roinianl  une  grandi»  famille  à  pari 
dans  Tordre  des  Crocodiliens ,  tels  (iii'il  sont  consi- 
dérés par  Rich.  Owen  ,  et  la  plupart  des  paléontolo- 
gistes de  notre  époque.  Je  crois  donc  qu'il  est  néces 


42 


NOTICE  SUR  LES  ANIMAUX  FOSST 


S*  SVBDIYISION. 


îiin? 


Museau  arrondi,  d'une  longueur  > 
tionneUemenl  court.   Bord  alvèoio 
obliquement  dirige    en   dehors, 
nombreuses  que  dans  les  autres  se 
à  peine   carénées.    Museau  sr 
s'aplatir,  au  niveau  des  or  bit 
que    semi-cylindrique    en 
grandes  ,  presque  carrées, 
obliquement  en  dehors.    ' 
et  criblé  de  fossettes. 


Cette  subdivision 
c'est  celle  dont  Ih 
partie  du  premir 
Téléosiiui-iens. 

TELKOSAl'l 


■'IIS  . 

'■11 

-ii-ns. 

jurais 

iiveanx 

.:\riil  bien 

.   r.odornes  , 

,  c  ?  .   ont   déjà 

:.  f^   J'ehftsaurus. 

■part  du  Iciiipb  , 

■ 

•<    dt?  stule  Qu'il 

^.-.iiiiablc  et  coiniin' 

•  Janiniaux    l'ossilos 

.  \uix  venus  m*  i-oni- 

,....onl  tait  les   aulnes  . 

.-^  Ir's  mots  d«;   7V/<?o- 

•  S-  •/■''■".  Moirnapondijln^  , 

•s  i'misos   la    plupart  du 


^      ■  w" 


Museau 
tionneli 
comnu 
alvéo 
dew 
tio- 
ri 


.  •■.»o::istrs  n'uni    pas  vW"  n 

.  .  ,»•  sont  surtout  k*s  aultnirs 

.   .V  V-  .»voi-  1(*  plus  de  légèrel»*  au 

.  . .-'  .n-ieinlilo  dont  le  travail  do 

.-o:"  î*'^  inci'rtiludes. 

:îou>  avons  eu   l'avantam'   inap- 

...;r  juiîer  d'après  les  pièces  niôme> 

'  \.t'r.  (îoollroy  Saint-Hilaire  et  à  dr 

.,^  Ml*  les  autres  auteui-s  n  avaient  pu 

'%*:  des  tisures   souvent  inexacli's  et 

''"  *"..-*  iiiui-a-fait  hasardées  ;  de  Biainvillu, 


:>■ 


-«AMOLI   DES  TiliOSAURIENS. 


45 


vers  la  fin  de  sa  vie  com- 
'o  Cuvier  et  de  Geoffroy 


(ds.  ils  n'ont  Jamais  (1) 
1res  :   aussi ,   leurs  juge- 
mus   entachés  d'erreurs  et 
•sières.    Il  faut  ajouter  aussi 
is  de  Boll  et  d'Aldtorf  sont  bien 
la   conservatiou   remarquable  de 
adosiennes.  On  sait,  en  ellet,  que  si 
s  du  Wurtemberg  et  d'autres  parties 
j:ne  sont  magnifiques ,  en  ce  qu'ils  pré- 
.i;s  animaux  tout  entiers,  en  revanche,   les 
Je  la  tète  sont  presque  impossibles  à  déchififrer, 
•'ssion  ayant  fait  chevaucher  toutes  les  pièces  , 
liisé  les  plus   délicates,  dénaturé   complètement 
ies  formes.  C'est  à  tel  point  que .  même  en  m'aidant 
pour  cette   comparaison    de   nos  magnifiques   ma- 
tériaux ,  je   n'ai   pu    encore  arriver  à   reconnaître 
les  rapports  exacts  des  os  d'une  tète  de  Boll,   que  Je 
possède  dans  ma  collection  et  qui   est  certainement , 
Je  ne  dis  pas  la  mieux ,  mais  la  moins  mal  conservée 
peut-être,  qui  existe ,  de  ce  que  l'on  appelle  Mys-- 
triomurus.  J'avoue  môme  que,  n'ayant  pas  rencontré 
dans  nos  contrées  les  grandes  espèces  du  lias  supé- 
rieur du  Wurtemberg,  ni  mon  père  ni  moi  n'avons 

(i)  ren  excepte  M.Quenstedt  qui,  beaucoup  moins  afiinnatifque 
ks  autres,  a  laissé  les  divisions  du  genre  et  même  des  espèces  alle- 
mandes dans  une  sage  incertitude  ;  discrétion  que  n'ont  pas  malheu- 
rensement  toujours  partagé  MM.  Kaup,  Bronn,  Wagner  et  autres, 
qui  aTdient  prétendu  juger  Cu?ier  et  Geoffroy  Saint-Hilaire  et 
ft*éUient  envmémes  trompés  de  la  manière  la  plus  manifeste. 


46  NOTICE  SUR  LES   ANIMA t}X    FOSSILES 

pu  avoir  encore  d'opinion  définitive  sur  le  genre 
Mysiriosawus  ^  ni  savoir  s'il  doit  être  conservé  ,  ou 
rayé  de  la  nomenclature.  C'est,  à  coup  sûr,  ce  que 
les  travaux  entrepris  en  ce  moment  par  sir  Rich. 
Owen,surles  Téléosauriens  d'Angleterre  ,  mettront 
en  lumière  :  car  les  échantillons  de  Teleosaurus  Chap- 
manni  de  Witbby  et  localités  d'Angleterre  qui  sont 
évidemment  les  mêmes  que  les  Mystriosaurus  de  BoH, 
offrent  pour  l'étude  une  conservation  précieuse  et 
que  n'ont  pas  les  échantillons  de  l'Allemagne. 

V    HISTORIQUE    ET   OPINIONS    DIVERSES   DES   AUTEURS   AU 
SUJET    DES   TÉLÉOSAURIENS. 

On  trouve ,  dans  le  grand  travail  de  Guvier  sur 
les  ossements  fossiles,  la  première  mention  qui  ail 
été  faite  de^  nos  Téléosauriens.  Elle  a  pour 
objet  cinq  espèces  que  notre  gmnd  anatomiste  ne 
sépara  pas  tout  d'abord  des  crocodiles,  Jiien  qu'il 
eût  déjà  remarqué  quelques  grandes  différences 
avec  ces  derniers ,  et  notamment  la  position  des 
arrière-narines  ;  il  les  a  décrites  et  figurées  sous  les 
noms  de  Gavials  de  Caen  et  à' Ronfleur  (1). 

Pour  la  descripition  des  crocodiles  de  Caen  (2) , 
Cuvier  eut  à  sa  disposition  des  débris  importants 
appartenant  à  deux  espèces  fort  difiérentes.  Les 
premiers  sont  désignés  comme  ayant  été   trouvés 

(i)  Çufier,  Bêcherckes  sur  les  ossements  fossiles,  t.  V,  2*  partie, 
p.  127  et  suivantes. 

(2)  Cuvier,  loc,  àt.  (Sect.  VIII.  Sur  les  ossem,  foss,  des  Crocodiles, 
article  3,  p.  127. 


DB  LA    FAMILLE   DES  TÉL^^OSAURIElfS.  47 

au  TÎllage  d'Allemagne  et  au  fuubourjç  de  Vaiicelles. 
Lies  autres  sont  inscrits  sous  le  nom  de  crocodiles 
de  Coilly  (1).-  Malgré  l'énorme  ditfcrence  de  taille 
présentée  par  ces  deux  êtres ,  puisque  celui  de 
QuiUy  était  an  moins  quatre  fois  plus  grand,  Cuvier 
crût  avoir  affaire  à  une  seule  et  même  espèce  dont 
le  crocodile  d'Allemagne  eût  été  le  jeune ,  celui  de 
Qoiliy  Tadalte.  On  peut  voir  toutefois  en  les  com- 
parant ensemble,  combien  ces  espèces  étaient  diffé- 
rentes et  même  disparates. 

Cette  mépnse  devint  plus  grave  encore  par  ce  fait, 
qne  Cavier  a  voulu  restaurer  la  forme  de  la  tête 
de  ce  qu'il  appelait  son  Crocodile  de  Caeii  ;  pour  cela 
il  a  adapté  le  museau  du  Crocodile  de  Quilly  au 
crâne  de  celui  de  Caen,  et  il  a  représenté  an  trait , 
pi.  VI,  fig.  16  de  l'ouvrage  cité  ,  cette  malheureuse 
restauration,  que  de  Blainville,  dans  une  de  ses  lettres 
à  mon  père,  appelle  un  monstre  anatomique. 

Cette  méprise  produisit  déjà  un  bien  fâcheux  ré- 
saltat  et  mit  dans  la  science  une  grande  confusion 
que,  E.  Geoffroy  Saint-Hilaire  tenta  de  dissiper,  ce 
qui  n'empêche  pas  beaucoup  d'auteui-s  de  regarder 
encore  maintenant  les  crocodiles  de  Caen  comme  ne 
formant  qu'une  seule  espèce  qu'ils  n'ont  jamais,  à  la 
vérité  ,  retrouvée  ailleurs;  et  cela  est  facile  à  com- 
prendre :  la  restauration  de  C»ivier  raboutait  un 
museau  d'un  genre  sur  le  crûne  d'un  autre  genre  ; 
on  comprend  que  la  nature  ne  commet  pas  de  pareils 
produits  ! 

Cuvier  fut  bien   moins    heureux    encore  dans  ce 

(i)  C'est  Quilly  qu'il  faut  écrire. 


48  NOTICE   SUPx   LES   ANIMAUX    FOSSILES 

qu'il  appelle  ses  Crocodiles  ou  Gavials  d'Honflevr  (i). 
Celle  simple  désignalion  a  fait  cioire  généralement 
que  les  ossements  en  question  provenaient  de  l'ar- 
gile d'Honlleur ,  c'est-à-dire  des  assises  kimmérid- 
giennes  ;  or,  dans  l'assemblage  héléroclyte  de  pièces 
que  Cuvier  avait  à  examiner ,  il  s'est  trouvé  à  la 
fois  :  des  vertèbres  et  divers  ossements  des  assises 
kimméridgiennes  inférieures  du  cap  la  Hève  ,  près 
le  Havre  ;  d'autres  qui  provenaient  certainement 
d'assises  kimméridgiennes ,  mais  supérieures  aux 
premières,  et  connues,  d'une  part ,  sous  le  nom  de 
marnes  à  ptérocères;  de  l'autre,  sons  celui  d'argiles  de 
Criquebeuf.  Quant  aux  têtes  et  portions  de  museau, 
presque  toutes  provenaient  des  assises  oxfordiennes 
de  Villers,  de  Dives  et  d'autres  localités  du  Cal- 
vados. 

Cuvier  chercha  ensuite  à  se  reconnaître  au  milieu 
de  tous  ces  débris  ;  il  eut  beaucoup  de  peine,  comme 
il  le  dit  lui-même  ,  et  il  avoue  n'être  pas  sûr  des 
rapprochements  qu'il  fait  entre  les  têtes  et  les  ver- 
tèbres ;  s'il  n'y  avait  que  cela  !  mais  Cuvier  nous 
présente  une  restauration  plus  malheureuse  peut-être 
encore  que  la  première.  Après  avoir  reconnu  qu'il  y  a 
des  museaux  allongés  et  d'autres  courts ,  par  con- 
séquent deux  espèces,  Cuvier  cherche  à  reconnaître 
à  quels  crânes  devaient  se  rapporter  les  museaux. 
Trompé  par  de  fausses  apparences ,  il  rapproche 
encore  la  mâchoire  d'un  Sténéosaure  (2) ,  à  la  vérité 
très-mal  conservée,   de  la  région   frontale  d'un  in- 

• 

(1)  CuTier  {Ots.  foss.)^  loc,  rt(.,  article  A,  p.  1A3. 

(3)  Du  Steneosaurus  Edwardùi^  que  nous  décrirons  plus  loin. 


DB  LA  FAMILLE  DES  t£l£0SAURIENS.  49 

divida  de  grande  taille  appartenant  au  genre  Me- 
irwtkgnekus  (1),  et  pour  terminer  il  ajoute  à  cette 
région  frontale  Tarrière-crûne  d'un  individu ,  il  est 
vrai,  de  la  même  espèce,  mais  d'une  taille  moindre. 
Tel  est  le  second  monstre  anatomique  qui  est  repré- 
senté pi.  X,  fig.  I,  2  et  3,  des  recherches  sur  les 
osflements  fossiles. 

Le  Grflne  du  Gavial  à  biuseau  court  a  donc  été 
ajouté  aux  mâchoires  du  Gavial  à  museau  allongé  ; 
aussi  n'est-il  pas  étonnant  que  Cuvier  n'ait  pas  trouvé 
de  crâne  pour  son  museau  court  (2). 

Mais  ce  n'est  pas  tout.  Préoccupé  de  cette  idée 
qu'il  n'y  avait  que  deux  espèces  parmi  les  crocodiles 
d'Honflcur,  Cuvier  rapporta  à  son  crocodile  à  museau 
allongé  des  vertèbres  dont  les  extrémités  étaient 
concaves ,  et  au  crocodile  à  museau  court  d'autres 
vertèbres  bien  différentes  des  premières  et  qui  mon- 
traient, comme  dans  les  Crocodiliens  actuels,  l'un 
des  côtés  concave  et  l'autre  convexe,  avec  cette  difii'é- 
rence  toutefois ,  que  dans  les  (irocodiliens  actuels  , 
la  partie  antérieure  est  concave  et  la  postérieure  con- 
vexe, et  c'est  précisément  le  contraire  qui  a  lieu  dans 
les  vertèbres  rapportées  porCuvier  à  son  museau  court. 

(i)  Voir  plus  loin  la  description  du  Metriorhynchus  supercitiosus. 

(3)  On  trouTera  peut-être  que  je  suis  bien  affirmaUf  et  qu'il  y  a 
présomption  de  ma  part  à  signaler  ainsi  des  erreurs  chez  un  liomme 
de  génie  tel  que  CuYier.  Élevé  par  mon  père  dans  une  école  qui 
admire,  avec  raison  ,  notre  grand  unatomiste ,  il  faut  que  je  sois 
forcé  parla  nécessité  pourrele\er  des  erreurs.  Ce  n*estpas  légèrement 
que  je  le  fois  ;  c'est  après  avoir  étudié  longuement  et  avec  grand 
soId  les  pièces  mêmes  de  Cuvier ,  que  TAdministration  du  Muséum 
iD*a  généreusement  communiquées. 

4 


iS 


NOTICK   SUft   LES   ANIMAUX    i 


;KS 


ild'il  iipptïlh'  SOS  llrocodiles  uu  (> 

CotU*  sinipi(>  désignation  u  fii 

qiKî  les  ossements  en  qucsf- 

^ile  d'HonlIeur,   c'esl-ù-.' 

giennes  ;  or,  dans  TnssiM 

que  Cuvier  avait  a  i' 

l'nis  :  des  vertèbres 

kimméridgiennes  > 

le  Havi*e;   d'.'iii 

d'assises   kiin- 

preraièrcs,  « 

marnes  :i  i 

Griquri)' 

presr['  ..'Il 


lires  appar- 

ifiii   fornu; 

i-  sijii  ordre 

:••    nom  de 

i'!U»  élude 
::rie   suite 

■..n/fS    dt'S 
•n-rs     du 

ii.'iiiiii?u.se 

"  •■   dernier  lui 

«|ue  Cuvier  n'avait 


iiiiii.^ 


ce  grand  naturaliste 

parlitî  de  ses  travaux,   et   la 

de  jimiih'rde  ses  observations   qui  sont 

V.  .i.uis  sa  lurrespondance  avec  mon  pèn* 

,   inie  publier  plus  tard.  Préoccupé  d'idées 

.->l!ii[uos,  il  entreprit  des  travaux  d'un   tout 

^-  «uhv  qu'il  a   consignés  dans  ses  litudes  pro- 

V» .  t>  'i'un  naturaliste, 

.jt:.>i  iiuil  en  soit,  Geof}roy  Saint-Hilaire  reconnut 

•au  i[ue  les  crocodiles  de  Oien  et  d'Hontleur  étaient 

Ji'.^    animaux   tout  différents   de  nos    Crocodiliens 

.lituels;  il  créa  donc  le  genre  Teleosaurus  pour  l'un 

d'eux,  le  '/eieosaurus  radotnensis.  Quant  au  crocodile 


J)  Owrn,  Patœontoiogtf,p,  S09. 

(S)  (icoir.  Saint-Hilaire.  Annaten  des  science»  natureUes,  t.  XXIII. 
1831. 

(2)  Recherches  sur  de  grands  Sauriens  trouvés  &  IVtat  fossile  vers 
les  contins  maritinies  de  la  Basse*Nonnandie,  etc.  Cinq  mémoires  lus 
à  PAcadémie  des  Sciences  depuis  octobre  1830  jiisqu*au  39 
uoAt  18.51. 


^-7 


Ls  , 


DK  Là  FAVILLB  DES  TÉLfoSAUBIdlS.  51 

'"  Qailly  (l)«  qu'il  nomme  Slénéosaure  aux  longs 
llaires   on  Megisiorkynchus   et  au   crocodile   à 
allongé  d'HonÛeur ,  il  les  comprit  dans  une 
(^  générique  caractérisée  par  la  forme  de 
hi   museau    coupé   brusquement  d'une 
>\  et  à  laquelle  il  donne  le  nom  de 
'  éa  même  une  autre  coupe  sous  le 
mais  il  n'alla  pas  plus  loin,  et  il 
Me  de  savoir  ce  qu'il  entendait  * 
Ml  ail-ce  pour  le  crocodile  à  mu- 
1  llonlleur. 
Mileurs   allemands    avaient    devancé  même 
K.i-,  en  faisant  connaître  un  certain  nombre  de 
crocodiles  fossiles.  Ils  ont  aussi  depuis  décrit  les 
restes  de  Téléosauriens  découverts  dans  Le  lias  supé- 
rieur du  Wurtemberg. 

MM.  Bronn  et  Kaup  (2)  créèrent  trois  genres  : 
Mystrw$aurus y  qui,  jusqu'à  nouvel  ordre,  me  parait 
faire  double  emploi  avec  IcsSieneosanrus  de  Geoffroy; 
Pelagosaurus y  qui  se  rapporte  à  l'espèce  décrite  par 
Honard,  aussi  comme  un  nouveau  genre  ^  sous  le 


(ly  Qnriques  aotenrs  s^étant  imaginé ,  je  ne  sais  pourquoi,  que 
GcoÊÊnj  SaiDt-Hilaire  avait  en  vue  le  crocodile  à  museau  court 
d*Hoiifl€ar  quand  il  créa  le  genre  Steneosanrus ,  ont  donné  ce  nom 
aux  créées  que  je  désignerai  sous  le  nom  de  Metriorhynchus^  d'après 
HenBann  de  Bfeyer.  Il  y  a«  à  la  vérité,  assez  d'obscurité  dans  le  pas- 
flige  de  Geoffroy  Saint-Hilaire  à  ce  sujet  ;  mais  c'est  surtout  au 
naBdcroeodilede  Quilly»  à  son  Sténéosaure  aux  longs  maxiltaires 
oo  BleglMtorkynchus ,  que  s*applique  le  nom  de  Steneosaunù  ^ 
conow  la  correspondance  avec  mon  père  en  fait  foi. 

(Si  AthauHungen  ûber  die  Gaviat-artigen  rep,  der  lias  forma» 
Ciofi.  Ill-^  avec  11  planches.  Stuttgard,  4842. 


50 


NcyricE  SUR  les  animaux  fossit 


Il  a  été  reconnu  depuis,  que  ces  v< 
tiennent  à  un   animal  tout  diffën 
pour  M.  Owen,  une  tribu  particuP 
des  Crocodiliens ,  et  à  laquelle  ^ 
Prosthocaliens  (i). 

Etienne  QeoflRroy  Sainl-H 
des  crocodiles  de  Caen  et  «^ 
de  mémoires   imprimés' 
sciences  naturelles  (2) 
Muséum  (3).  U  eut  i\ 
correspondance  av 
fournit  une  fouli' 


..jUL»  de 

I 

înlin    le 

.i.ic.'l(>res 
•  iiiiable, 
'l't  «Iridié 


pas  eus  à  sa  (1 
ne  publia  qu'i. 
science  ne  {• 
consignik- 
et  que  j 
philo- 
aut!' 


.iîii'n'inent 

ili'  plus  une 

[iMsition  des  ar- 

»Mi   prenant   pour 

^!   autre  chose  qu'un 

[unique  (4).  Partant  de 

.lurent  prétendre  que  les 

.\»  sujet  étaient  erronées  ; 

%  de  lieolFroy  Saint-Hilaire 

^  .,x'.î[  aux  autres  genres ,   par 

...   ..s.  la  meilleure  preuve  qu'ils 

..^,  i-'est  que  M.  Bronn ,  dans  le 

,^  «vir.u'tèix's  analomiques    d'une   UHc    fossile 
.i\  Ju  wnsin  du  genre  Crocodile;  in-S".  3  plan- 


.-»  •« 


a.v  c(  loUrcs  adressées  à  M.  Deslongchanips  sur  les 
t.iiiix  iM  fossiles  (tome  IX  des  Mémoiies  de  la  Société 

■ 

^  \^»4iii«iiidii',  p.  115). 
i  .^ .  .i(ivti.iiH|*N  premier  mémoire  sur  les  Téléosauriens  ;  in-â" 
.»».*a%»  .ovUuil  du  XI 1*  volume  des  Ménunre$  de  la  Société 
,,.v*  '<^*  Normandie,  p.  115J. 
v^M  .\  iv  »ujfct,  loe,  cit.,  les  lettres  de  MM.  de  Blainvillc  et 
.^v* '>V^^*"K^'I*«>"'P^  sur  les  crocodiles  vivants  et  fossiles,  et  le 
.^.1  vU'  ^1.  Owen,  On  the  communication  belhwen  the  cavity  of 
,    ^MiHiNMm  niid  the  patate ,  etc.,  dans  les  T'ransaciions  philosth- 
..  ^.».«  ..inné«-!i  1K5U.  où  Tillustre  anatomiile  anglais  met  la  question 
i.iM  iK*  dtiuli*. 


1 


m  LA  FAMILLE  DES  T^LiOSAURIElfS.  53 

**age  déjà  cite ,   vient  nous    donner  le 
^   à  museaa  plus  allongé  d'Honfleur 
idme  que  son  Mystriosaurus  Lau- 
rlo  la  bonne  volonté  pour  &ire 
f. 
^  inséré  dans  les  Mémoires 
ne  donne  rien  de  bien 
iplaire  très-complet  sons 
Mihisteri^  dont  il  méconnaît 
lorcs  les  plus  spéciaux ,  tirés  de 
Il  r(;-narines.  Il  établit  encore,  sur 
iMinbrc  de  fragments,  des  espèces  au 
.  ;  douteuses ,  et  figure  deux  mauvais  frag- 
ile museau  d'un  genre  nominal  (2)  créé  par 
de  Meyer ,  et  dont  les  caractères  sont  aussi  indé- 
terminables (3)  que  le  nom  est  barbare.  Le  Glaphy- 
rorhynchus  est  à  joindre  sous  ces  deux  rapports  avec 
ïEngyammasaurus  de  M.  Bronn. 

(1)  Diefoiêilen  ueber reste  GavitU-artiger  Saurier  oMS  der  Hat 
fcrmatûm  ;  ùhh*  afec  S  planches.  Munich,  1850. 

(2)  LcoR.  amd  Bronns  {Neuex  jahr,\  1843,  p.  303,  et  i8&5, 
p.  282. 

Le  nmife  de  la  Faculté  des  sdences  de  Caen  possède  un  modèle 
CD  plâtre  de  celte  portion  de  museau  ;  les  alvéoles  des  dents  sont 
bcftoeoup  plof  rapprochées  que  dans  les  autres  Téléosauriens  du  lias 
illemand  ;  elles  sont  également  beaucoup  plus  petites  ;  le  museau 
me  parait  te  rapporter  au  genre  Têleo$mirus  proprement  dit  Voir 
plus  loin  Tartide  du  Teltosaurut  Cadamensis, 

(3)  Je  comprends  qu*on  décrire  une  espèce  d'après  un  échantillon 
bnpirfldt.  (Test  alors  une  pierre  d^attente  ;  mais  créer  un  genre , 
dans  de  parejltes  conditions ,  ne  peut  être  admissible.  Cest  cette 
BuUheiireiue  manie  de  •fiûre  ainsi  des  genres  sur  des  fragments  in- 
déterminables qui  a  encombré  la  science  de  tant  de  noms  inutiles  et 
barlMres  qu*on  ne  sait  à  quoi  appliquer. 


V   » 


fkvîîdifrion*»  surtout  dans 

s.  u  '/•WéwrA  (!)  et  son  Der 

u.».  i     »  *.\Huhal  les  opinions  er- 

^.aa  s  »^a«p;   mais  il  va  trop  loin 

t«»  •i  i^Hiles  les  espèces  dans  une 

^1  >t**a»t  WU'^mème  à  peine  dislincli; 

^au»is»  Il  tiooril  également  une  espèce 

^  '/vui^«#'Nw<  minimtts ,  d'après  une  tête 

^^L»  ii.i*«\  ivasenrée  que  ne  le  sont  habituelle- 

t«.  tVèei^^Miurmis  du  lias  allemand.   Il  s'élève 

.^^iKsii  cv*ntrv  ropinîon  de  Burmeîster  qui ,  dans 

,^'^..  i.ia'wl  ^  Bi^ll.  1854,  tout  en  ne  partageant  pus 

j;K'ic«ieiit  les  idées  de  MM.  Bronn  et  Raup  au  sujet 

Je  !a  |Kvjition  des  arrière-narines  ,  donne  un  dessin 

œ  cette  partie  d'après  ses  idées  (tab.  Vlll,  fig.  4).  Ce 

^|9««in .  en  opposition  complète  avec  l'opinion  de 

M.  Ouenstedt ,  lui  parait  être  le  résultat  d'analogies 

avet*  les  êtres  vivants  plutôt  que  celui  d'une- observa- 

(ion    directe    faite  sur  des    restes  fossiles.   Ce  qui 

prouve   une  fois  de  plus,    dit  fort  judicieusement 

M.  Quenstedt,  ^«'tY  faut  satwr  contrôler  l'imagination^ 

la  décision  en  pareil  cas  ne  dépendant  pas  de  la  faciilti 

fks  combinaistms,  mais  du  cisean  dirigé  par  tme  main 

habile. 

M.  Pictet,  dans  le  premier  volume  de  son  Traitr  de 
paléontologie  (3),  donne  un  résumé  très-précis  des 
changements  proposés  par  divers  auteurs  allemands 

(i)  Quenstedt  (  Ouuibuch  der  Ptin^ata€Hkmmie  ) ,  2  vol.  in-8^ , 
dout  uo  de  (eile  et  rau(f«  de  flaBohes,  p»  101,  PK  VI. 

(S)  QueuledI  (Der  Jurm),  ^  SU,  M.  XXV. 

(a)  Pktet,  Traiit  fie  paééôntok^ ,  2*  édiu  1S53,  1"  vot., 
p.  A90. 


DE  LA   FAMILLE  DES  TÉl£0SADR1EIIS.  55 

dans  la  nomenclature  des  dieux  Gavials  de  Honfleur , 
de  Cavier.  Voici  ce  que  le  savant  paléontologiste  dit 
à  ce  sujet  : 

•  Eo  1850,  M.  Herroann  de  Meyer  associa  les  mu- 
«  seaux  longs  aux  vertèbres  convcxo-concaves  ,  et 
«  les  museaux  courts  aux  vertèbres  bi-concaves  ;  il 
nommâtes  premières  Streptospondylus  et  les  autres 
Meiriorhynchm.  En  1837,  M.  Bronn,  dans  la  pre- 
mière édition  de  la  Lethea  geognostica,  adopta  l'opi- 
nion de  Cnvier  et  ne  conserva  pas  le  nom  de  Strep- 
iùipondylus  pour  le  Gavial  à  long  museau ,  car  ce 
nom  impliquait  l'existence  de  veiièbres  convexo- 
concaves.  M.  Bronn  le  changea  contre  celui  de 
Lepioeranius  et  conserva  celui  de  Melriorhynchus. 
BL  Owen,  en  1841,  proposa  pour  ce  dernier  de  re- 
venir au  nom  de  Steneosaurus ,  et  il  associa  les  ver- 
tèbres et  les  crânes  comme  Cuvier.  En  1847,  M.  H. 
de  Meyer,  dans  V Index  paiœaniologicus ,  revint  à 
cette  dernière  opinion,  et  alors  il  transporta  le 
nom  de  Streptospondylus  aux  museaux  courts  et 
donna  celui  de  Sieneosaurus  aux  museaux  longs. 
Enfin,  dans  la  troisième  édition   de  la  Lethea  , 
M.  Bronn  propose,  vu  les  rapports  évidents  des 
museaux  longs  avec    les  Mystriosaurus ,  de   les 
placer  dans  ce  genre  ,  et  de  laisser  aux  courts  le 
nom  de  Metriorhynckus.  En  résumé ,  on  voit  que 
les  Crocodiliens  à  long  museau  du  Havre  et  d'Hon- 
fleur  ont  été  des  Streptospondylus  pour  M.  H.  de 
Meyer  en  1830,  des  Leptocranius  pour  M.  Bronn 
en  1837,  des  Steneosaurus  pour  M.  H.  de  Meyer 
en  1847,  et  des  Mystriosaurus  pour    M.   Bronn 
en  1851.  Les  Crocodiliens  à  museau  court  ont  été, 


5H  NOTICE  SUR  LES  ANIMAUX   FOSSILES 

A  im  1830,  des  Alettiorhynchus  pour  H.  deMeyer; 
^1  t>n  1841,  des  Steneosaurus^  Owen;  en  1847,  des 
t  Strtpiospondylus,  H.  de  Meyer  ;  en  1851.  ils  sont  re- 
•  devenus  dos  Metriorhynchus  pour  M.  Bronn.  • 

Plus  loin  M.  Pictet ,  p.  491 ,  propose  de  nommer 
Telfiisatirus  longiros&is  le  Gavial  à  museau  long  de 
(îuvier ,  c'est-à-dire  ce  qu'il  suppose  être  le  Steneo- 
miwus  megistorynchus  de  Geoffroy. 

J'ai  dit  plus  haut  ce  qu'élait  le  Crocodile  à  museau 
allonge  de  Cuvier,  le  museau  seul  appartient  au 
même  genre  que  le  Steneosaurtts  megisiorhynchus  de 
Geofl'roy.  Quant  au  crâne,  c'est  celui  d'un  autre 
genre,  celui  du  museau  court.  Nous  n'avons  donc 
plus  à  nous  occuper  de  ce  Gavial  à  museau  allongé , 
si  ce  n'est  pour  rétablir  les  rapports  du  museau  avec 
un  autre  arrière-crâne,  qui  cette  fois  sera  le  sien. 
Nous  en  traiterons  en  décrivant  le  Steneosaurus  Ed- 
wardsiy  dont  nous  avons  pu  observer  une  très-belle 
tète  dans  la  collection  du  Muséum  de  Paris. 

Voyons  maintenant  quelle  est  l'opinion  de  M.  Pictet 
relativement  aux  Steneosaurus: 

M.  Pictet,  p.  491  de  son  Iraité  de  paléontologie, 
décrit  les  Crocodiliens  à  vertèbres  convexo-concaves, 
les  Prosthocaliens  de  M.  Owen, 

Il  y  fait  entreries  vertèbres  concavo-con vexes,  qu'il 
donne  comme  étant  celles  du  Gavial  à  museau  court 
dHonfleur.  il  n'y  a  pas  ici  sujet  à  erreur.  Le  museau 
du  musée  de  Genève  a  été  figuré  par  Cuvier  ;  c'est 
bien  le  même  que  celui  du  prétendu  Gavial  à  museau 
court  d'Honfleur,  par  conséquent  c'est  l'espèce  ox- 
fordienne  des  Vaches-Noires,  à  laquelle  de  fiiainville 
a  donné  le  nom  de  Crocodilus  superctliosus.   Quant 


DB  LA  FAiniLE  DES  TiLÉOSAURIENS.       57 

aux  vertèbres  de  cette  espèce,  elles  sont  absolument 
constitaëes  comme  celles  des  autres  Télëosauriens , 
c'est-à-dire  concaves  des  deux  côtés  ;  j'ai  pu  vérifier 
le  &it  sur  trois  espèces ,  dont  deux  oxtordiennes  et 
une  kimmëridgienne. 

U  bat  donc  retrancher  ces  museaux  courts  des 
Crocodiliens  prosthocœliens  et  les  replacer  parmi  les 
amphicœliens.  C'est  d'ailleurs  ce  qui  a  été  déjà  fait 
pu-  lUiostre  paléontologiste  anglais  sir  Rich.  Owen , 
dans  la  dernière  édition  de  sa  Paléontologie  (I),  qui  a 
rétabli  pour  ces  vertèbres  le  nom  de  Strepiospondylus 
donné  par  H.  de  Meyer  ;  mais  jusqu'ici  la  tête  de 
cet  animal  est  inconnue. 

Reste  à  donner  un  nom  à  ces  Télëosauriens  de  la 
division  du  museau  court  d'Honileur  ;  je  ne  vois 
aucun  inconvénient  à  leur  imposer  celui  de  Metrio- 
rkynekusde  H.  de  Meyer,  avec  la  reslriction  toutefois, 
qoll  faudra  en  retrancher  les  vertèbres  concavo- 
convexes  et  leur  restituer  les  vertèbres  amphicae- 
liennes  qui  leur  appartiennent. 

Nous  voici  donc  enfin  sortis ,  je  l'espère  du  moins , 
de  cet  ailreux  cahos,  et  nous  pouvons  donner  des 
noms  déjà  connus  à  toutes  les  soclions  que  mon  père 
avait  établies  parmi  les  Télëosauriens  du  Calvados , 
sauf  une  seule,  pour  laquelle  il  nous  Faudra  créer  un 
nom  nouveau. 

La  l**  section  de  mon  père  formera  le  genre  Me- 
triorhynchus  de  H.  de  Meyer,  type  Metriorhynchm 
superciliosvs  de  Blainv.),  sp. 

La  2*  section ,  le  genre  Teleosaurus  de  Geoffroy 
Saint-Hilaire. 

(1)  Owen,  Palmontotogy,  seconde  édition,  p.  299. 


^      sMf»xjiM«M*  sVtHiMiNMhii  le  sous-geore  Teleo- 

:^K  t*  >«UMi\«tii«i^  feniM'  le  soiis-genre  Pelagosaurus 
?ùi^sm\  AiH^  IM^^i>n>5  typus  (Bronn). 
tvi  .t*  ^^«d^v^m  forme  le  sous-genre  nouveau 
^K«^^li«^Nk#><Mi  J)  (R.  Dosl.),  type  Tekidosaurus  Cal- 

V,^«^  «nx  genres  Mysiriosaurus  (Raup),  Fngyam- 
«Mc^Hi'^  (  Bronn  ) ,  Ghpkt/rorhynchus  (  Bronn  ) ,  Ma- 
:^'mffkmiyhkf  (Mey.  ) ,  Geosaurus  (Jfiger),  Leptocranius 
^IU\>iin),  nous  les  reléguerons,  au  moins  provisoi- 
ivuHMil ,  dans  la  synonymie.  Je  pense  toutefois  qu'on 
devra  conserver  le  genre  Aelodon^  de  H.  de  Meyer , 
pour  une  espèce  coralienne  dont  nous  n'avons  pas 
jusqu'ici  trouvé  de  représentant  en  Normandie ,  et 
qui  rae  paraît  être  la  même  que  M.  Jourdan  a  re- 
cueillie dans  les  schistes  lithographiques  du  Cirin , 
cl  qu'il  a  nommée,  mais  non  décrite,  Crocodileimus. 
Elle  est  surtout  remarquable  par  la  grande  compli- 
cation de  son  squelette  dermique.  C'est  ,  sans 
contredit,  le  mieux  cuirassé  de  tous  les  Téléosauriens 
jusqu'ici  connus. 


III.-DISTRIBOTION  ZOOLOGIQUE  ET  STBATIGBAPHIOnE  DES  ESPÈCES. 

Les  Téléosauriens  forment,  avons-nous  déjà  dit, 
une  grande  famille  dans  Tordre  des  Crocodiliens,  et 

(I)  De  Teteoiauru*  el  eîSo^,  appaienoe. 


DB  LA  rAMIIXB  DES  TÉLfOSAUEIËlTS.  59 

noue  adoptons  les  idées  émises  à  ee  sujet  par  S.-Ricfa. 
Owen ,  qui  les  caractérise  ainsi. 


ORDRE  DES  CROCODILIENS. 

EMTDOSAURIENS  {de  Blainv.). 

Dents  dûposces  sur  une  rangée  unique ,  implantées 
dans  des  alvéoles  distinctes  Narines  extérieures  simples , 
terminales  au  subterminales.  Tronc  antérieur  des  ver- 
tâbres  arec  parapophyses  et  diapophyses  et  cotes  bifur- 
quées.  Deux  vertèbres  sacrées.  Peau  habittteUement 
protégée^  par  parties,  par  des  platfues  osseuses  couvertes 
de  fossettes, 

» 
Cet  ordre  comprend  trois  grandes  familles  très- 
faciles  à  reconnaître  d'après  la  forme  des  vertèbres , 
que  nous  rangerons  ainsi  par  ordre  de  date  d'appa- 
rition sur  le  globe,  en  remontant  des  plus  récentes 
aux  plus  anciennes. 

|'«  PAMILLB.  CROœOlLlENS  PROPREMENT  DITS. 

PRGGCELIENS  {Owen). 

Corps  ées  vertèbres  terminés  en  avant  par  une  swface 
concave ,  en  arrière  par  une  sur  face  convexe. 

Espèces  actuellement  vivantes  ou  éteintes.  Ces 
dernières  ayant  vécu  priacipalement  pendant  la 
période  tertiaire.  Quelques-unes  cependant  paraissent 


60  NOTICE  SUR  LES  AlflMAUX  FOSSILES 

avoir  existé  au  moment  du  dépôt  des  assises  les  plus 
récentes  (i)  de  la  période  secondaire. 

Genres  :  Gavialis,  Crocodilus,  Alligator  ^  Caïman, 


2«  FAMILLE.  STREPTOSPONDYLIENS. 

PROSTHOGCELIENS  {Owen). 

Corps  des  vertèbres  terminés  en  avant  par  une  surface 
convexe ,  en  arrière  par  une  surface  concave. 

Espèces  toutes  éteintes ,  de  la  période  jurassique 
et  crétacée. 
Genres  :  Streptospondylus ,  Cetiosaurus. 

3«  FAMILLE.  TELEOSAURIËNS. 

AMPHIGCCLIENS  [Owen). 

Corps  des  vertèbres  terminés  en  avant  et  en  arrière 
par  deux  surfaces  planes  ou  concaves. 

Espèces  toutes  éteintes ,  ayant  vécu  exclusivement 
pendant  la  période  secondaire  jurassique  et  crétacée. 

Genres  :  Teleosaurus  Meiriorhynchus, 

C'est  uniquement  des  animaux  de  cette  famille,  et , 
ainsi  que  nous  l'avons  dit ,  de  ceux  seulement  dont 


(1)  La  craie  blanche  et  la  craie  supérieure,  et  les  dépôts  analogues 
de  la  craie  de  Maêstricht  (  Hollande  )  «  et  du  green  sand  du  New.- 
Jcney(  Amérique). 


DB  LA  FAMILLB  DES  TÉliOSAUBIENS.  61 

1^  débris  ont  été  recaeillis  en  Normandie,  qae  nous 
avons  maintenant  à  nons  occuper. 

Précisons  tont  d'abord  les  caractères  de  deux 
genres  Tekosaurus  et  Metriorhynchvs  ^  et  des  sections 
on  soQS-genres  qu'ils  peuvent  comporter.  Nous  nous 
bornerons,  ainsi  que  nous  l'avons  annoncé ,  à  l'étude 
de  la  tète,  qui  nous  sufito  pour  caractériser  les 
genres  et  les  espèces,  comme  les  vertèbres  nous 
avaient  suffi  pour  caractériser  les  familles.  Nous  ren- 
verrons  l'étude  du  reste  du  squelette  à  la  grande 
nionographie  des  Téléosauriens. 

r  GENRE  TELROSAURUS. 
PL  X,  fig.  1...3. 

Mmeau  plus  ou  moins  allongé,  quelquefois  très-grèle, 
aileignant  souvent  une  grande  longueur^  arrondi  ou  dé- 
primé en  dessus^  offrant  toujours  en  dessous  une  forme 
plane  ou  plus  ou  moins  convexe.  Os  intermajnllaire  À 
court ,  renflé ,  souvent  dilaté  à  son  extrémité  antérieure , 
coupé  antérieurement  en  brusque  biseau.  Naseaux  C 
assez  grands ,  terminés  en  pointe  en  avant ,  où  1/5  sont 
eu  rapport  seulement  avec  les  os  maxillaires ,  et  séparés 
des  intermaxillaires  par  un  espace  considérable ,  arrêtés 
en  arriére  par  le  développement  des  lacrymaux.  FroU" 
iastx  antérieurs  petits ,  non  prolongés  en  dessus  et  sur 
les  côtés  de  Vorbite.  Frontal  principal  Ë  peu  étendu , 
dont  le  bord  externe  forme  une  grande  partie  du  con^ 
tour  de  Vorbite  montrant  à  sa  face  supérieure  des 
fossettes  plus  ou  moins  irrégulières ,  profondes  et  nom- 
breuses.   Lacrymans   G    très-développés,   formant    en 


62  Noncx  SUE  les  animaux  fossiles 

ffronde  partie  le  bord  antérieur  des  orbites.  Orbites  11 
à  contours  arrondis^ sans  aucune  sinuosité ^  tournés  en 
dessus  ou  obiiqueuicnt  de  côté  y  de  manière  à  être  très- 
visibles  par  la  face  supérieure.  Voâte  palatine  D  aplatie, 
ou  un  peu  bombée^  surtout  en  arrière.  Fosses  temporales 
III  de  formes  variables^  arrondies,  carrées  ou  oblongues 
d* avant  en  arrière.  Fosses  palatines  VII  ou  tronspalatins 
postérieurs  médiocres. 

Observations,  —  En  observant  la  longue  série  des 
espèces  du  genre  Teleosaurus ,  on  voit  que  ses  carac- 
tères les  plus  constants  et  les  plus  saillants,  ce  qui 
ne  varie  pas  en  un  mot,c*est  la  position  du  lacrymal, 
la  forme  des  orbites  toujours  arrondis  et  disposés 
en  dessus.  On  peut  y  joiridre  un  caractère  qui  sem- 
ble, au  premier  abord,  devoir  être  de  peu  de 
valeur,  mais  qui,  par  sa  constance,  devient  important 
et  peut  même  suffire  pour  firfre  reconnaître  le  plus 
petit  fragment  de  mâchoire  supérieure.  Ce  caractère, 
c'est  la  forme  toujours  plane  ou  convexe  de  la  por- 
tion inférieure  du  museau ,  située  entre  les  deux 
rangées  d'alvéoles  (Voir  pi.  X,  fig.  3  a  et  3  i).  Les 
autres  caractères  sont  très-variables.  Les  espèces 
sont  nombreuses  et  nous  montrent  entre  elles  assez 
de  différences  pour  permettre  d'y  établir  quatre 
soQs-genres  bien  définis.  Le  genre  Teleosaurus 
semble  donc  être  beaucoup  moins  naturel  que 
celai  des  Metriorhynckus ,  qui ,  comme  npus  le 
verrons,  n'admet  aucune  division.  Ce  qui  varie  le 
plus  dans  les  Téléosaures ,  c'est  la  longueur  relative 
du  museau ,  qui  se  modifie  dans  de  très-grandes 
limites,  la  forme  des  fosses  temporales,  la  disposi* 


Dl  LA  FAHIUB  DES  TÉLEOSAUHIBNS.  03 

Uon  des  palatins  et  des  fosses  psilatînes,  et  quelques 
aotrea  parties  dont  nous  aurons  à  nous  occuper  en 
décrivant  les  espèces. 

En  étudiant  attentivement  les  formes  i^xlërieures 
des  têtes,  on  ne  peut  se  défendre  d*y  voir  une  cer- 
taine parenté  avec  des  êtres  plusunciennemcnt  créés, 
et  d'y  reconnaître  au  contraire  une  grande  dissem> 
Uance  avec  les  formes  actuellement  vivantes  appar- 
tenant au  type  Crocodilien.  En  effet,  les  Téléosuures, 
quoique  appartenant  ù  une  série  bien  déPmie  d'êtres , 
c'est-à-dire  aux  Amphicœlietis  de  Tordre  des  Cro- 
codiliens^  nous  montrent  des  caractères  indiquant 
une  tendance  manifeste  à  se  rapprocher  des  Phy- 
kmaurus  ,  des  Noihosaitrvs  et  autres  reptiles  des 
périodes  triasique  et  liasique,  dont  les  continua- 
leors  immédiats,  c'est-à-dire  les  Piesiomures^  sont 
venns  vivre  côte  à  côte  avec  les  Téléosnuriens. 

n  semblerait  que  le  type  reptile,  d'abord  unique , 
se  fdt  partagé  dès  lors  en  deux  séries ,  partant  par 
exemple  du  type  Noihosaurus ,  pour  former  deux  em- 
branchements qui  seraient  venus  eu  définitive,  à 
l'époque  actuelle ,  aboutir  d'une  part  aux  Crocodiles , 
de  l'autre  aux  Tortues.  Une  série  d'êtres  à  caractères 
d'abord  confus  et  mal  déterminés,  auraient  produit 
d'un  côté  ces  bizarres  animaux ,  connus  sous  le  nom 
de  Pletiosaures^  bienlùt  complètement  détruits^  de 
l'autre,  ces  extmvagants  reptiles  Gafesaurus,  dont  la 
tête  se  raccourcit  peu  à  peu  ;  puis  les  Dicynodon , 
dont  la  dentition  ne  consiste  phis  qu'en  deux  grosses 
défenses.  Viennent  ensuite  les  Ptychoynalus  ,  où  ces 
défenses,  en  se  réduisant,  nous  montrent  l'appa- 
rence d'une  véritable  tortue  avec  deux  dents  canines; 


64  NOnCE  SCR  LES  ANIMAUX  FOSSILES 

les  Oudenodon ,  où  les  canines  n'existent  déjà  plus , 
mais  qui  ne  sont  pourtant  pas  encore  des  Chélonées  ; 
enfin  nos  tortues  actuelles ,  terme  extrême  de  cette 
singulière  filiation. 

On  dirait  donc  que  la  nature ,  cherchant  les  élé- 
ments d'un  type  Crocodile  qu'elle  aurait  eu  en  vue , 
l'aurait  tout  d'abord  emprunté  à  un  organisme  plus 
anciennement  créé^  qu'ellese  serait  contentée  ensuite 
de  modifier  pour  l'approprier  à  de  nouveaux  besoins. 
Ces  idées  sont  très-près  de  la  transmutation  des 
espèces  ;  je  m'arrête  ici ,  de  peur  d'effrayer  les 
timides. 

Relat  géoL  —  Le  genre  Teleosaurus  semble  avoir 
précédé  les  Metriorhynchus  à  la  surface  du  globe  et 
être  disparu  avant  l'extinction  des  ces  derniers.  En 
effet,  autant  que  nos  connaissances  actuelles  peuvent 
préciser  leur  première  apparition ,  nous  trouvons  des 
Téléosaures  dès  les  assises  les  plus  inférieures  du 
système  oolitiqne  inférieur^  tel  que  nous  Tavons 
compris,  c'est-à-dire  dans  les  schistes  à  possydo- 
nomyes,  appelées  comme  on  sait  Lias  supérieur  par 
un  certain  nombre  d'auteurs  ;  on  rencontre  leurs 
débris  dans  toutes  les  assises  du  système  oolitique 
inférieur  et  moyen  y  jusqu'aux  couches  les  plus 
inférieures  du  coral-rag  (assises  à  Cidaris  Blumem- 
bachi).  Leur  maximum  de  développement  aurait  eu 
lieu  au  moment  du  dépôt  du  fuUers'earth. 

Du  reste ,  il  ne  faut  pas  considérer  ces  limites 
comme  absolues,  et  il  peut  fort  bien  arriver  que 
des  découvertes  nouvelles  viennent  plus  tard  les 
changer.  Et.  en  effet,  d'abord  nos  observations  ne 
peuvent  s'étendre  qu'à  la  Normandie,  et  encore  qu'à 


BB  LA  PAIOLLB  DES  TELBOSAUEIENS.       65 

un  très-petit  nombre  de  localités.  Combien  de  dé- 
pouilles *d'anîmaux  noas  restent  encore  à  connaître , 
qai  sont  maintenant  enfouies  dans  le  sol  ;  il  serait 
donc  téméraire  de  donner  une  pareille  distribution 
strati^rapbiqne  comme  exempte  de  toute  chances 
d'erreor.  Le  temps  seul  et  des  observations  multi- 
pliées pourront  confirmer  ou  infirmer  ces  conclusions 
qne  je  ne  donne  que  sous  toutes  réserves. 


I.  Soi)s-UE?iHE  TkLEOSAlîKllS   propr.    dit   {Gt.    Geoffroy 

Saint'Hilairi\    1831). 

Museau  très  long  ,  très-aplaii,  par  conséquent  très^ 
faible^  à  bords  irréguixers  et  comme  festonnés  ou 
crénelés.  Dents  très-nombreuses.  très-Longues^  non 
carénées  sur  les  côtés ,  excessivement  faibles  et  grêles , 
artpiéeSf  suivant  les  crénelures  du  bord  alvéolaire , 
chacune  des  crénelures  comprenant  trois  ou  quatre  de 
ces  dents ,  dirigées  extérieurement  de  côté ,  se  croisant 
et  se  dépassant  à  chaque  mâchoire.  Museau  tronqué 
obliquement  et  élargi  à  son  extrémité,  surtout  à  la 
mâchoire  supérieure  ;  région  intermaxillaire  excessive- 
ment courte  ;  région  maxillaire  toute  d'une  venue,  à 
côtés  entièrement  parallèles  d'un  bout  à  l'autre^  naissant 
presque  brusquement  au  niveau  des  orbites  et  se  portant, 
sans  s'amincir,  jusqu'à  l'extrémité.  Région  des  orbites 
aplatie  et  se  dilatant  brusquement.  Os  nasaux  petits 
et  allongés.  Orbites  entièrement  circulaires  et  tout-à- 
fait  dirigées  en  dessus.  Frontal  principal  très-étroit , 
largement  excavé  .  creusé  de  fossettes  profondes. 
Crâne  à  peu   près   carré ,    se   déprimant    et  s^amin- 

5 


66  NOTICE  SUR  LES   ANIMAUX  FOSSILES 

cissani  presque  subitement  à  la  naissance  des  os  maxii- 
Laires ,  immédiatement  au-devant  des  orbites.  Fosses 
temporales  grandes,  larges  et  carrées.  Partie  infé- 
rieure de  la  région  maxillaire  supérieure  plane  dans 
toute  sa  longueur,  à  peine  bombée  en  s" approchant  des 
palatins.  Palatins  peu  développés.  Fosses  palatines 
petites.  Ouverture  postérieure  des  narines  très-grande, 
plus  large  que  longue  ^  entièrement  arrondie. 

Ce  premier  sous-genre  est  très-distinct  des  autres 
,  par  une  foule  de  caractères  spéciaux.  Par  la  forme 
du  museau  se  rétrécissant  brusquement  dès  le  niveau 
des  orbites ,  il  s'éloigne  des  autres  téléosauriens  et 
rappelle    plutôt   Taspect  de  la   tête  du    gavial   du 
Gange.  Ses  mâchoires  longues,  très-faibies ,  armées 
d'une   multitude  de  dents  grêles  et  allongées ,  pro- 
jetées au   dehors  et  non  plus  dirigées  en  dedans  de 
l'ouverture  de    la    gueule ,   lui    donne    un    aspect 
étrange  qui  devient  plus  remarquable   encore  par 
la  petitesse   excessive   de  cette  tête  comparée  au 
reste  du  corps.  C'est ,  d'ailleurs,  le  mieux  connu  de 
nos  téléosauriens,  et  nous  pourrons  en  donner  une 
restauration   complète   et  fidèle,   car  c'est  à  peine 
s'il  nous  manque ,  pour  la  description ,  quelques  os 
des  membres ,  surtout  des  pieds ,  l'atlas  et  les  deux 
premières  fausses  côtes  cervicales.  Aussi  est-ce  pour 
cette  raison  ,  et  parce  que  nous  pouvons  donner  une 
ostéologie  complète  de  cet  animal ,  que  nous  l'avons 
pris  pour  type.  C'est,  en  réalité,  une  forme  excep- 
tionnelle dans  le  grand  geure  Teleosaurus  ;  si  nous 
voulions  prendre  le  '^type  le  plus  répandu  »  celui  qui 
peut  le  mieux  représenter  l'être  téléosaurieu   pcn- 


DB  LA   FAMILLE  DES  TKLÉOSAUlUElfS.  67 

dMit  la  période  jurassique,  ce  serait  évidemment 
ie  sous-genre  Sténéosaare.  Le  sons-genre  Teleosaurus 
oft  se  rencontre  en  Normandie  que  dans  les  assises 
du  fuUer's-earth ,  où  il  est  représenté  par  trois 
espèces  :  les  Te/eomurus  Cadomensis  (£.  Geoif.  Saint- 
Hilaire) ,  TeL  gladius  (Eiid.-l)esiong.) ,  Tel.  Gaoffroyi 
(  Ead.-Deslong.  ). 

2»  Sous-GRNRE  STENEOSAIJKUS  (  fi.  (ieoff.  Sainl-HUuire, 

1831  ). 

Mmeau  de  tongueur  t rès- variable ,  quelquefois  excès- 
Mvewœmt  allongé,  d'auires  fois  relativement  courte  plus 
om  moins  arrondi  et  cylindrique  en  avant ,  s'aplatissant 
peu  à  peu  en  s'approchanî  de  la  région  frontale  ;  bords 
ahéolaires  rectilignes  et  non  onduleux.  Dents  très^ 
nombreuses^  plus  ou  moins  fortes^  striées,  montrant  deux 
carènes  opposées ,  implantées  à  peu  près  verticalement , 
non  rejetées  en  dehors.  Museau  tronqué  obliquement , 
élargi  et  renflé  en  une  sorte  de  boule  à  l'extrémité  de  la 
mâchoire  supérieure.  Région  intermaxillaire  très-courte. 
Région  maxillaire  cylindrique  en  avant ,  s'élargissant  et 
se  déprimant  de  plus  en  plus  en  approchant  de  la  région 
frontale.  Région  des  orbites  toujours  aplatie  et  plus  ou 
moins  dilatée.  Os  nasaux  assez  étendus ,  allongés.  Fron- 
taux antérieurs  et  lacrymaux  petits.  Orbites  circulaires, 
dirigées  presque  complètement  en  dessus  ;  mais  avec  une 
légère  tendance^  dans  quelques  espèces  ,  à  se  porter  obli- 
quement. Frontal  principal  étroit,  plus  ou  moins  excavé, 
creusé  de  fossettes  profondes.  Crâne  déprimé ,  ayant  la 
forme  d'un  quadrilatère  plus  ou  moins  allongé^  ou  mietix 


68  NOTICE  SUR   LES   ANIMAUX   FOSSILES 

d*un  trapèze  dont  la  grande  base  serait  la  région  mas- 
toïdienne et  occipitale  «  continuant  par  une  pente  presque 
insensible  la  région  nasale  et  maxillaire.  Fosses  tempo- 
raies  très-grandes^  quelquefois  très -allongées.  Partie 
inférieure  de  la  région  maxillaire  supérieure  légèrement 
convexe  dans  toute  sa  longueur,  la  convexité  s' accentuant 
un  peu  plus  en  s' approchant  des  palatins.  Palatins  très- 
grands  ,  très-larges  et  très -développés.  Fosses  palatines 
petites.  Ouverture  postérieure  des  narines  grande ,  ar- 
rondie ,  à  peu  près  aussi  large  que  longue. 

Obs,  Le  sous-genre  Sleneosaurus  peut  être  con- 
sidéré ,  ainsi  que  nous  venons  de  ]e  dire ,  comme  Je 
type  le  plus  répandu  des  Téléosauriens.  Les  nom- 
breuses espèces  que  nous  conmiissons  et  qui  certai- 
nement ne  sont  pas  les  seules  qui  le  composent^  ont 
des  formes  moins  bizarres  et  se  rapprochant  beaucoup 
plus  de  celles  de  nos  gavials  actuels  :  la  plupart 
atteignent  une  grande  taille.  En  ne  consultant  que  lu 
forme  de  la  tête  et  surtout  du  museau^  les  espèces 
devaient  paraître  dissemblables  et  même  disparates  ; 
les  unes ,  en  effet ,  se  présentaient  avec  un  museau 
bien  autrement  effilé  et  allongé  que  celui  de  nos 
gavials  actuels  ;  d'autres,  au  contraire ,  avec  une  tète 
beaucoup  plus  courte  ;*mai8  si  on  considère  les  carac- 
tères anatomiques  et  les  relations  des  parties  osseuses 
de  la  tête ,  on  voit  qu'il  n'y  a  pas  de  caractères  appré- 
ciables pourpouvoirydistinguerplusieurs  sous-genres; 
tout  au  plus  pourra-t-on  y  trouver  des  sections  ar- 
tificielles ,  mais  qui  ne  se  traduisent  que  par  un  peu 
de  plus  ou  un  peu  de  moins  dans  la  grandeur  et  la 
force  du  museau ,  dans  celle  des  dents  et  surtout  des 
fosses  temporales. 


DE  LA-rAMILLE   DES  TÉLÉOSADRIENS.  69 

Les  télëosa ariens  des  schistes  à  possydonomies  (i), 
pour  lesquels  MM.  Bron  et  Kaup  avaient  créé  le 
genre  My$trio$auru8  ^  par  conséquent  les  Mys.  Eger- 
Umi  ^  M.  Zaurillardi,  Mûnsteri,  etc.  ,  etc. ,  me  pa- 
raissent, autant  qu'on  peut  en  juger  par  des  crAnes 
aplatis  et  disloqués ,  découverts  dans  le  Wurtemberg 
et  la  Pranconie ,  devoir  rentrer  dans  le  sous-genre 
Steneo9ùuru$.  Je  n'ai  pu  ,  d'ailleurs ,  me  rendre  bien 
exactement  compte  des  différences  que  les  auteurs 
alleoiands  voyaient  entre  ces  soi-disant  espèces.  Tout 
cela  me  parait  être  bien  voisin,  sinon  identique ,  avec 
le  SteneosatiTus  Chapmanni  (Owen  ,  sp.  ). 

Le  sous-genre  Steneosaitrus  est  aussi  celui  de  tous 
les  téléosauriens  dont  la  distribution  stratigraphique 
parait  être  la  plus  étendue,  au  moins  en  Normandie. 
Nous  les  trouvons,  en  efTot,  dès  les  assises  les  plus 
inférieures  du  système  oolithique  inférieur,  et  nous 
voyons  les  espèces  se  succéder  dans  tous  les  étages 
JQsqu'au  coral-rag  inférieur  (couches  à  Cidaris  flori- 
gemma  )  :  tels  sont  les  Steneosaurm  oplites  dans  les 
rnames  infra-oolithi(iues,  5/.  atelestatus  dans  Toolithe 
infërieure,  St  megistorhgnchm  et  Lnrteti  dans  le 
fnller's-earlh  ,  St.  ffouliiieî'i  dans  la  grande  oolithe. 
J'ai  trouvé  plusieurs  dents  appartenant  à  ce  genre 
dans  les  diverses  assises  calloviennes.  Nous  le  re- 
tronvons  représenté  par  deux  espèces  :  Je  St  Ed 
frardsi  et  St.  Roissgi  dans  les  assises  oxfordiennes. 
Enfin  le  5/.  Dlumenibachi  a  été  recueilli  tout-à-fait  à 
la  base  du  coral-rag. 


(I)   Marnes  infra-oolithiques  inrérieures.  Lias  supérieur  de  beuu- 
coap  d'auteurs. 


i 


70  NOTICE  SUB   LKS  ANIMAUX   FOSSILES 

3<  Sous-GKNRE  PELAriOSAGHUS  (Brann,  i^hV- 

Uuseau  peu  allongé ,  apUni  anîèrieuremeni ,  s'élevant 
vrogressivement  en  approchant  des  orbites,  faisant  suite 
au  frontal,  sans  dépression  sensible.  Dents  assez  espacées^ 
relativement  faibles^  légèrement  striées,  implantées  ver- 
ticalement. Extrémité  du  museau  et  région  intermaxil- 
iairc  connue  seulement  par  des  individus  dont  cette 
partie  est  écrasée.  Région  maxillaire  s'élargissant  peu  à 
peu  en  s'approchant  de  la  région  frontale.  Os  nasaux 
très'étendus  ,  larges  en  arrière,  marqués  de  fossettes 
assez  profondes.  Frontaux  antérieurs  médiocres.  Lacry- 
maux assez  grands  et  allongés ,  dirigés  obliquement. 
Orbites  circulaires^  dirigées  obliquement  et  presque  en- 
tièrement de  côté.  Frontal  principal  très^rand  et  large, 
criblé  de  profondes  fossettes.  Crâne  étroit  dans  le  sens 
transversal.  Arcade  fronto-mastoîdienne  ou  temporale, 
large  et  très'forte ,  couverte  de  fossettes  irrégulières. 
Fosses  temporales  ovales  et  assez  allongées.  Partie  infé- 
rieure de  la  région  maxillaire  supérieure  légèrement  et 
régulièrement  convexe ,  s'accentuant  de  plus  en  plus  en 
s'approchant  des  palatins.  Palatins  étroits,  mais  allongés 
et  bien  développés.  Fosses  palatines  assez  grandes ,  com- 
mençant en  pointe  en  avant  et  arrondies  en  arrière. 
Otn'eriure  postérieure  des  narines  grande,  profonde, 
ovale-allongée ,  n'avançant  entre  les  palatins  où  elle  se 
termine  en  pointe. 

Obs.  Le  sous-geare  Pelagosaurus ,  bien  caractérisé 
par  la  forme  rentlée  de  la  région  fronto-nasale  et 
surtout  par  la  forme  et  la  disposition  des  arcades 


DE  LA  FAMILLE   DES  TÉLÉOSAURIEIIS.  71 

temporales ,  o£Qre  uussi  une  disimsition  d'orbites  dif- 
férente de  ce  qu'on  voit  généralement  dans  lo  genre 
Teieotaurus ,  puisque  dans  ces  derniers  elles  sont  ou- 
Tertes  et  dirigées  en  dessus ,  tandis  que  dans  les  Pe- 
lagoêoums^  elles  sont  de  côté  comme  dans  les  Metrio- 
rjfnehus.  La  forme  de  ces  orbites  est  d'ailleurs  bien 
différente,  puisqu'elle  est  tout-à-fait  circulaire,  tandis 
qae  dans  les  Metriorynchus  elle  est  sinueuse ,  grâce  à 
la  disposition  des  frontaux   antérieurs  qui  forment 
alors  une  sorte  d'auvent  au-dessus  de  ces  orbites. 
La  forme  allongée  des  ari^icre-narines  est  aussi  bien 
différente  deé  autres  et  suffirait  peut-être  pour  en 
&ire  on  yéritable  genre,  d'autant  plus  que  la  région 
intennaxillaire  semble ,  autant  qu'on  peut  en  juger 
par  les  exemplaires  écrasés  recueillis  en  Allemagne, 
être  bien  plus  allongée  que    dans  les  Teleosaurus; 
mais,  en  l'absence  de  données  certaines  à  ce  sujet , 
noQS  pensons  qu'il  vaut  mieux  suspendre  notre  juge- 
ment^ en  le  considérant  toutefois  comme  un  sous- 
genre  très-distinct. 

Noas  ne  connaissons  jusqu'ici  qu'une  seule  espèce 
de  Pelagasaurus,  le  Pel.  typus ,  de  Uronn ,  déjà  décrit 
et  figuré  dans  un  certain  nombre  d'ouvrages  ,  et  que 
de  Blainville  a  nommé  Crocodiles  (em^joralis.  Ce  n'est 
que  depuis  le  premier  mémoire  de  mon  père  que 
nous  avons  pu ,  en  étudiant  attentivement  une  tête 
provenant  du  Wurtemberg,  nous  assurer  que  le  Pela- 
gataurus  typus  de  M.  Bronn  était  identique  avec  le 
Teleosaurm  temporalis  (Desl.),  ce  que  la  figure  donnée 
par  M.  Bronn  ne  pouvait  nous  faire  supposer. 

Ijes  exemplaires  du  Pelagosaurvs  typus^  seule  espèce 
do  sooa-genre,  sont  nombreux  et  ont  été  recueillis 


72  NOnCB  SUR   LES  ANIMAUX   FOSSILES 

sur  un  grand  nombre  de  points  en  Angleterre ,  en 
France  et  en  Allemagne.  C'est  même ,  parmi  les  té- 
léosauriens,  Tespèce  qui  nous  parait  la  plus  répandue. 
C'est  aussi  Tune  des  plus  anciennes,  puisqu'elle  vivait 
an  moment  du  dépôt  des  schistes  de  Boll ,  de  nos 
marnes  infra-oolithiques. 

Il'  Sous-êBiiBE  TKLEIDOSAURUS   {Euy.    Deslangchamp.s , 

1867). 

Museau  court,  robuste  et  fort ,  plus  ou  moins  déprime 
dans  toute  sa  longueur  et  surtout  en  s*approchant  de  la 
région  frontale  ;  bords  alvéolaires  rectilignes.  Dents  peu 
nombreuses,  mais  très- fortes,  striées,  montrant  deux 
carènes  opposées,  implantées  à  peu  près  verticalement. 
Museau  tronqué  obliquement  et  brusquement  ;  mais  non 
élargi  et  renflé  à  l'extrémité  de  la  mâchoire  supérieure, 
cette  partie  s*y  atténuant  et  offrant  une  forme  triangu- 
laire. Région  intermaxillaire  très-courte.  Région  maxil- 
laire s'élargissant  peu  à  peu  et  se  déprimant  de  plus  en 
plus  en  approchant  de  la  région  frontale.  Région  des 
orbites  assez  élevée,  mais  en  même  temps  dilatée,  Gs 
nasau»  étendus  y  triangulaires.  Frontaux  antérieurs  et 
lacrymaux  assez  développés.  Orbites  dirigéeû  oblique- 
ment de  côté ,  non  entièrement  circulaires ,  offrant  vers 
le  frontal  antérieur  une  tendance  sinueuse»  Frontal 
principal  court  et  large ,  aplati ,  creusé  de  fossettes  pro- 
fondes,  irrégulières  et  nombreuses.  Crâne  court.  Arcades 
fronto-mastoidiennes  assez  fortes^  sans  fossettes.  Fosses 
temporales  courtes ,  mais  trèsAarges^  arrondies  en  avant, 
carrées  en  arrière.  Partie  inférieure  de  la  région  maxil- 
laire supérieure  plane,  mais  offrant  deux  très- léger  es 


0B  LA  rAMIIIiE  DES  TELÉ06AURIKN&  73 

gamitires  qui  ^accentuent  davantage  en  approchant  des 
pÊUttins.  Palatins  assez  grands ,  trés-dévelappés  et  assez 
fortement  bombés.  Fosses  palatines  petites.  Ouverture 
pouérieure  des  narines  inconnue. 

Mi,  Le  sons-genre  Teleidosaurus ,  quoique  allié  de 
très-près  au  Steneosaurta  ^  montre  un  certain  nombre 
de  caractères ,  différentiels  des  plus  importants ,  qui 
semtdent  former  une  sorte  de  transition  avec  les  Me- 
trion/nehm. 

Le  premier  de  ces  caractères  est  la  forme  générale 
de  la  tète  bien  plus  raccourcie  que  dans  tous  les 
autres.  La  forme  de  la  région  inlermaxillaire  du  mu- 
seau, tout  en  restant  courte  et  oblique,  est  déjà  plus 
alloogée  que  dans  les  sténéosanres  ;  elle  n'est  plus 
dilatée ,  mais  au  contraire  plus  comprimée  encore 
que  dans  les  Meiriorhynchus.  Les  os  nasaux  et  le 
frontal  principal  montrent  également  un  développe- 
ment presque  aussi  considérable  que  dans  les  Metrio^ 
rhynehus  ;  mais  la  disposition  des  lacrymaux  et  fron- 
taux antérieurs  reste  semblable  à  celle  de  ces  mêmes 
os  dans  le  Sieneosaums.  Le  caractère  le  plus  remar- 
quable est  tiré  des  orbites,  qui  ne  sont  plus  dirigées 
en  dessus  ,  mais  de  côté  ;  qui  ne  sont  plus  entière- 
ment circulaires,  mais  montrent,  au  contraire  ,  une 
tendance  manifeste  à  devenir  sinueux  en  dessus, 
sans  toutefois  former  une  sorte  d'ardade  sourcilière, 
qui  est  le  caractère  le  plus  apparent  des  Metriorhyn- 
chus.  Enfin,  il  n'est  pas  jusqu'à  la  partie  inférieure 
des  maxillaires  supérieurs  qui  ne  présente  aussi  une 
tendance  vers  le  type  Meiriorhynchus^  dans  ces  deux 
rigoles  superficielles  qui ,  quoique  simplement  indi- 


74  NOTICE  SUR  LES  ANIMAUX  FOSSILES 

quées  dans  les  Teletdosaurus ,  n'en  sont  pas  moins 
assez  apparentes  poor  faire  distinguer  facilement,  et 
du  premier  coup-d'œil,  un  fragment  de  mâchoire  de 
ce  dernier  sous-genre  de  tous  les  autres  Teieosaurus, 
Les  Teleidosaurus  sont  donc,  en  définitive,  un  des 
chaînons  qui  relient  entre  eux  les  deux  types  de 
téléosauriens,  tout  en  restant  plus  rapprochés  du 
premier  de  ces  types,  c'est-à-dire  du  type  Teleosaurvs, 
Je  ne  connais  jusqu'à  présent  qu'une  seule  espèce 
présentant  ces  caractères  de  transition  :  c'est  le 
Teleidosaurus  Calvadosi ,  assez  répandu  dans  les 
couches  du  calcaire  de  Caen  ou  fuller's-earth  de  la 
Normandie,  et  dont  nous  connaissons  des  débris  im- 
portants recueillis  à  Allemagne,  à  Quilly  et  à  Âubigny 
(Calvados),  et  à  Bazoches,  dans  le  département  de 
l'Orne. 

Genre  METRIORHYNCHUS  (  H,  de  Meyer ,  1830  ). 

Museau ,  quoique  souvent  allongé ,  n'atteignant  jamais 
une  très -grande  longueur^  arrondi  en  dessus  ^  offrant 
toujours  en-dessous  une  sorte  de  gouttière  qui  se  bifurque 
en  arrière  de  chaque  côté  jusque  dans  les  palatins.  Os 
intermaxillaires  A  allongés^  ce  qui  détermine  un  mu- 
seau déprimé  et  non  élar